little pacman in cargo pants
ft. Jorah & Maxence

Je ne l'aimais quand même pas trop cet endroit, la salle de maintenance. Ça faisait un peu, hm, salle de torture, ou salle des machines, ou que sais-je encore ... C'était une salle et c'était sombre en tout cas, c'était à peu près tout ce qu'il me fallait pour trouver cet endroit sinistre en somme. Mais bon, le souci c'était qu'en venait y trainer vite fait à la base pour écrire une connerie sur twitter - en même temps est-ce que ce n'était pas l'un des intérêts de ce réseau ? - j'étais tombé sur le saint Graal. Ouais, c'était comme ça que je qualifiais Pacman, alias le premier jeu vidéo auquel j'avais joué de toute ma vie ... ça ne me rajeunissait pas, nous sommes bien d'accord, mais pourtant je vous assure que j'avais de nouveau l'impression d'avoir sept ou huit ans maintenant que j'étais planté devant l'écran de mon ordinateur. J'étais concentré, vraiment à fond dedans, j'avais même la langue qui dépassait légèrement de mes lèvres tandis que je galérais devant mon écran ... Tellement que je n'avais pas entendu Jorah arriver et que lorsqu'il m'avait adressé la parole ... « Raaah mais non ! » Ouais, game over, remballez y'a plus rien à voir. Bon ça va, j'avais été grognon à peu près trois secondes et demi après avoir perdu, et puis j'étais passé à autre chose ... D'ailleurs, j'avais adressé un sourire à Jorah, preuve ultime que je n'étais pas du genre à étriper le premier qui passait quand je perdais à Pacman ou à n'importe quelle autre jeu vidéo. C'est sûr que le démineur c'était moins fun, et un peu moins addictif aussi. « Désolé, tu disais ? » Non parce que j'avais pas vraiment entendu ce qu'il avait dit mais j'avais au moins entendu ce qu'il m'avait dit, et je n'avais de base pas eu l'intention de lui mettre un vent monumental. Je me demandais bien ce qu'il venait faire dans ce sinistre endroit par ailleurs, franchement je pense que moi je n'allais pas remettre les pieds ici avant un moment, si Cupidon avait décidé de cacher un fantôme ou un minotaure c'était sans doute par ici qu'il le cachait.

Je ne sais pas quelle mouche m'avait piqué un instant, pour être si absorbé par les pérégrinations sur mon écran de ce camembert jaune, mais je devais vraiment être concentré pour ne même pas avoir remarqué que quelqu'un d'autre était venu s'échouer dans cette pièce, sans doute en désespoir de cause parce que je ne voyais que ça, pour vouloir traîner ici. C'était l'absence de fenêtres, et la lumière blafarde qui donnait à quiconque traînait ici un teint à la limite du cadavérique ... Assurément pas le genre de pièce qui mettait les candidats en valeur auprès des téléspectateurs. Et puis en même temps je me disais qu'il ne devait pas se passer de choses vraiment intéressantes ici, tout juste un trentenaire donnant à un autre trentenaire des conseils stratégiques concernant un jeu vidéo relégué au rang de has been depuis bien longtemps. « Je disais que t'avais manqué une occasion d'utiliser une super pac-gomme. » Oh. Instinctivement j'avais jeté un coup d’œil à l'écran, comme pour y visualiser la solution que venait de me proposer Jorah mais à quoi bon, game over cela voulait bien dire ce que cela voulait dire. « Mais c'est peut être pas plus mal que tu m'aies pas entendu sur le moment, j'aurais pu finir bouffé moi aussi. » Tandis qu'un rictus amusé s'étirait sur mes lèvres sans que je ne cherche à démentir - ce qui ne voulait pas dire que je l'aurais effectivement bouffé, ne mélangez pas tout - je l'avais regardé s'asseoir sur le fauteuil à côté du mien et fixer l'écran de ma partie désormais terminée d'un air pensif. « J'ai une devinette pour toi : à quoi reconnaît-on deux trentenaires dans une salle remplie de jeux vidéos ? » A mon tour j'étais resté un instant pensif, y'avait des tas de possibilités de réponses, et surtout certaines moins reluisantes que d'autres, d'autant plus que je ne savais pas trop pour lui mais me concernant je me sentais autant à ma place dans cette pièce qu'un chien dans un jeu de quilles. « Ils ont la même gueule que s'ils étaient enfermés à Azkaban ? » Mais d'où sortait cette référence littéraire pas beaucoup plus digne d'un trentenaire que le fait de traîner dans une salle de jeux vidéos, je vous le demande. Et histoire que cela ne tombe pas à plat il fallait en plus espérer de Jorah qu'il soit un peu plus à la page littérairement parlant que Benjamin, qui s'il n'avait à l'évidence aucun scrupule à tripoter des adolescentes comme Apolline n'était pas très au courant en revanche des tendances de lectures de ces mêmes demoiselles. Ce qui pouvait peut-être s'apparenter à une certaine chance, on ne sait pas. « Je ne suis pas très jeux vidéos. J'en suis resté à cette bonne vieille gamboy, y'a, heu, longtemps. » Et je vous parlait de l'originale, la grise avec les images en noir et blanc, cela va sans dire.

Spoiler:

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Je devais bien avouer que ce n'était pas Jorah que je pensais trouver ici, et un simple coup d'oeil suffisait à voir qu'il se sentait aussi à sa place que moi ici ... C'est à dire pas vraiment. Mais je restais persuadé que ce n'était pas uniquement une question de générations, c'était tout simplement une question d'intérêt. Les jeux vidéos ne m'intéressaient pas des masses et de ce fait je n'avais jamais fait d'efforts pour qu'il en soit autrement ; Exception faite des merveilleux jeux que sont le démineur, le flipper et et mah-jong, pendant les longs trajets en trains ou les après-midi d'ennui aux studios c'était de l'ordre du nécessaire de survie. A égalité avec la machine à café, faut pas déconner quand même. « Je pensais surtout au fait qu'ils se cantonnent à un jeu vieux de trois décennies, quand la pièce regorge de trucs pas plus anciens que la peinture des murs. » ... Okay, il marquait un point, je n'avais pas choisi la plus récente des occupations. J'étais presque prêt à parier que certains candidats sauraient à peine dire qui était ce pacman qui m'avait hypnotisé pendant la dernière demi-heure. « Cela dit, t'as pas tort pour Azkaban, parce que c'est probablement la pièce qui fait le plus contraste entre nous et ceux qui sont quasiment nés avec une manette dans les mains. Ça nous rajeunit pas. » Ouais, mais moi je plaignais surtout ces pauvres âmes qui n'avaient jamais connu, ou presque pas, les joies du malabar à un franc et de la NES. « Cette pièce est sinistre. Y'a même pas une seule fenêtre, je suis étonné que Cupidon n'y ait encore enfermé personne. » Et j'espérais bien que je ne venais pas de donner une idée saugrenue au chérubin ; Si jamais il m'avait entendu, je le priais grandement d'attendre que d'autres candidats se trouvent dans la pièce pour mettre son plan à exécution. D'autant plus que vu notre connaissance des jeux vidéos à l'un comme à l'autre je me demande bien ce que nous ferions pour passer le temps si nous étions enfermés, s'il était comme moi il serait du genre à se faire bouffer avant même d'avoir dégommé le moindre zombie, le temps de comprendre comment fonctionnait la manette et tout ... Hm. Non mais c'est vrai, plus les manettes évoluaient et plus elles avaient de boutons et d'options, c'était comme pour les voitures. « J'ai connu ça moi aussi, et comme toi ça fait un moment que je suis largué. On devrait créer un club, tu crois pas ? Parce que tout ça, mine de rien, je pense qu'il faudrait qu'on puisse en parler, entre nous, pour nous sentir moins seuls. » Dieu merci, ce discours me changeait d'Ulysse et de ses blagues sur mon âge et mes soi-disant habitudes de papy. « On se remémorait notamment l'époque glorieuse des cartouches de jeu vidéo, véritables antiquités du genre ... » Celles qui devenaient inutilisables une fois la pile de sauvegarde à l'intérieur définitivement décédée, oui. « Ouais je vois ça d'ici, on s'appellerait les technologiquement largués anonymes, et on s'échangerait des pogs plutôt que des jetons de sobriété. » Oui, parfaitement. Ma frénésie étant en tout cas passée aussi vite qu'elle était arrivée j'avais fini par fermer la fenêtre restée ouverte sur l'écran de l'ordinateur que je squattais. Me tournant à nouveau vers Jorah, un air cette fois-ci un peu plus sérieux dans la voix, j'avais fini par lui demander « Je crois pas te l'avoir déjà demandé, pourquoi tu t'es inscrit à cette émission ? » Simple curiosité de ma part. Disons qu'il détonnait un peu dans le paysage, il était plus posé, et plus calme que la plupart des autres candidats. Et il venait de loin, aussi.

Avouez quand même que la pièce s'y prêtait, si j'étais à la place de Cupidon j'aurais déjà pensé à l'éventualité d'y enfermer des candidats au gré de mes envies depuis un moment, y'avait plus d'espace et donc plus de possibilités que dans un ascenseur ... Mais la notion de promiscuité n'était pas la même, c'est vrai. « Donc si la poignée nous reste entre les mains quand on voudra sortir de là, c'est toi qu'il faudra remercier. » En gros ... En gros oui, voilà. J'étais décidément un gros malin moi de temps en temps, vous en conviendrez « T'es pas claustrophobe rassure-moi ? » Ou peut-être qu'il valait mieux qu'il le soit et qu'il me le dise tout de suite, histoire que Cupidon abandonne son embryon d'idée ... Il n'aurait quand même pas envie que le gentil Jorah nous fasse une crise de panique dans ce trou à rats ? Ou bien dans ce cas là nous pourrions dire adieu à ce local pour réunir notre nouvelle association, quoi que ce serait un peu le comble de réunir des blasés du jeu vidéo dans une salle qui y était justement consacrée « Exactement. Et je suis sûr qu'on trouvera beaucoup d'autres grands paumés à enrôler dans le club. Mais ne sauraient être acceptés que ceux qui ont connu le tout premier Super Mario Bros et ses graphismes préhistoriques, on sera intransigeants là-dessus. » Évidemment, c'était même la base. Marquant de mon index un signe de croix sur ma poitrine, comme pour celer tout cela en bonnes et due forme, j'ajoutais alors « On devrait demander à Benjamin, il a l'air de ne pas être beaucoup plus calé que nous. » Et pas qu'en terme de jeux vidéos si je peux me permettre. « Et le nouveau aussi heu, Simon. » C'était bien ça son nom, non ? Je crois. Il n'avait pas l'air beaucoup plus jeune ni beaucoup plus vieux que moi, alors il devait rentrer dans la catégorie à mon avis. Bon, assez raconté d'âneries, il n'empêche que tant que j'avais Jorah sous la main j'en avais profité pour lui poser une question qui me laissait un peu perplexe le concernant, je me demandais quelles avaient été ses motivations à s'inscrire ici. Peut-être l'argent remarquez, faut dire qu'ils prévoyaient une somme intéressante à la fin, probablement que si j'étais certain que l'argent arrive dans ma poche l'idée de gagner me paraitrait tout de suite plus intéressante. « Il me fallait vivre une expérience qui implique d'être 'enfermé' auprès d'un collectif plus ou moins réduit et avec qui les rapports sociaux seraient amplifiés. Je devais savoir si c'était fait pour moi, ce genre de choses. Un peu comme un challenge. » A la façon dont il m'expliquait ça, cela donnait un peu l'impression qu'il était là à titre d'expérience et non pas pour son désir personnel, comme s'il se faisait le cobaye de je ne sais quelle expérience ... Fallait, devait, c'était des mots qui sonnaient ainsi du moins. « Et jusqu'ici, tu dirais que l'expérience est concluante ? » Il ne se débrouillait pas trop mal en tout cas, à première vue, pour quelqu'un qui n'avait d'après ses propres dires pas l'habitude des lieux clos et de la vie en communauté. A vrai dire ça m'avait inquiété un peu aussi au départ, moi qui avait toujours estimé que la colocation n'était pas faite pour moi et qui m'entendait bien mieux avec la mère de ma fille depuis que nous ne vivions plus sous le même toit. « Et toi, qu'est-ce qui a bien pu te donner envie de t'embarquer là-dedans ? » De m'embarquer dans cette galère il voulait dire, ouais c'était un peu comme ça que je le voyais aussi. Si encore cela avait été de mon propre chef « J'avais balancé l'idée pour rire à mon rédacteur, je pensais pas qu'il prendrait ça au sérieux. » Sinon j'aurais fermé ma gueule, soyez-en sûrs. « Il m'a inscrit et quand j'ai protesté il m'a dit que c'était soit ça, soit passer mes quatre mois derrière un bureau à lui faire des comptes-rendus sur les programmes diffusés par Al jazeera ... Je pense que je me serais jeté par la fenêtre avant la fin des quatre mois en question. » Comme si j'avais la constitution nécessaire pour travailler derrière un bureau, je préférais encore attendre chez moi et tourner en rond comme un lion dans une cage. Ou me sociabiliser sur une île hawaiienne, en l'occurrence. Mais bon dieu j'avais quand même hâte de pouvoir reprendre mon "vrai" métier ... Je le prenais un peu comme une punition, d'en être momentanément privé.