krisjana & jorah

Je suis d’une humeur massacrante. Je n’arrive pas à concevoir ce qui s’est produit ce soir. Que ma partenaire ait été éliminée, alors que moi je la voyais en finale. D’accord, je ne suis peut-être pas des plus objectifs, mais ce n’est pas pour autant qu’elle méritait de partir ce soir. Je ne comprends pas la décision du public, elle me reste de travers. Je viens tout juste de franchir la porte du plateau en laissant ma petite Babou derrière moi, me ruant vers l’extérieur, n’étant pas d’humeur à parler à qui que se soit. Je sais que je dois me calmer, qu’elle n’a que quitté l’émission, que ce n’est pas si grave, que ce n’était qu’un jeu. Pourtant, pour l’instant cela m’est complètement impossible. J’ai juste envie de crier, de frapper tout sur mon passage. Et justement mon poing a fait une rencontre brutale avec le cadrage de la porte juste avant de sortir. Je ne ressens même pas la douleur physique que je me suis octroyé. De toute façon, il y a bien longtemps maintenant que la douleur physique m’indiffère plus que tout. Je donne un coup de pieds dans les fleurs devant moi, me foutant bien de l’aménagement alors que je cherche activement mon paquet de cigarettes dans mes poches, la chaleur humide de l’ile me faisant tourner la tête. Je suffoque, merde. Je coince une cigarette entre mes lèvres, la main tremblante, essayant sans succès d’allumer mon briquet. C’est toujours lorsque t’as le plus besoin de fumer que cette merde décide de te lâcher. « Tarbarnak. » Je sacre fortement, lançant de toutes mes forces le briquet avant qu’il ne tombe dans la fontaine devant moi. Je passe ma main sur mon front, essuyant la sueur qui y perle, apercevant une ombre du coin de l’œil. Krisjana. Je la fixe, immobile, la clope toujours coincée au coin de ma bouche. J’ai envie de lui crier de dégager. En fait, j’ai envie de tout briser. Pourtant, je ne fais que la fixer. Puis j’aperçois Jorah apparaitre derrière elle. Ils ont pas autre chose à faire, un autre endroit où être ? Qu’ils me fichent la paix, j’ai pas besoin de personne en ce moment. Pourtant, encore une fois, je reste complètement silencieux. Ils comprennent à quel point ça me fait mal non ? Est-ce qu’ils arrivent à quel point son départ vient me bouleverser. Et c’est ce qui me rend aussi colérique. Qu’elle crée autant de sentiments et d’émotions chez moi. Ça m’énerve. Je m’énerve. « Je pensais pas qu’elle partirait… Je pensais pas… » Je n’ai pas pu me préparer. Ça m’a complètement déstabilisé.

Je ne sais pas pourquoi, mais j’avais le sentiment que je les verrais débarquer tous les deux. Et même si j’avais fuie le plateau pour trouver de la solitude et extérioriser toute la colère qui bouille en moi, je me sens presque soulagé de voir Krisjana et Jorah devant moi. Je suis sous le choc. Puisque je ne pensais pas que Babou partirait ce soir. J’avais écarté un tel scénario, le pensant impossible. Pourtant, c’était bien ce qui venait de se passer. Krisjana me confirme que personne ne pensait à une telle issue. En même temps, je ne sais pas, tous les candidats n’étaient pas non plus proches de Babou de la même manière. « C'est peut être pas ce que tu as besoin d'entendre, mais c'est pas une fin, du moins c'est pas la fin de ce que vous avez vécu jusqu'ici » Je soupire, baissant les yeux vers le sol. Effectivement, ce n’est pas ce que j’ai besoin d’entendre. Parce que c’est beaucoup plus compliqué qu’il ne pourrait le croire. Ou plutôt, c’est moi qui complique tout plus que ça ne le devrait. « Non, ce n’est pas une fin, puisque je sais très bien qu’elle est dehors en ce moment, que la vie continue. Mais… » Ce n’est pas pour autant que ça ne fait pas mal. Que ça me met dans un état d’incompréhension et d’insatisfaction complète. « Vous allez vous revoir à l'extérieur » Si c’est d’une évidence pour eux, pourquoi ça ne l’est pas automatiquement pour moi ? « Je sais pas. Je ne pense pas. Je n’ai aucune idée de où je vais aller en sortant d’ici… » Fuir vers un nouveau pays non exploré, ou prendre mon courage à deux mains et retourner au Québec pour voir ma mère. Considérant la lâcheté dont je fais preuve depuis les dix dernières années, je crois que la première option sera celle que je choisirai. Surtout si rien ne s’arrange avec Amy. Mais je n’ai pas nécessairement envie de penser à tout ça se soir. Tout comme j’aurais préféré retourner dormir dans mon lit se soir et avoir la présence rassurante de Babou à quelques centimètres de moi. On ne peut pas avoir tout ce qu’on veut dans la vie il semblerait. « Je sais pas ce qu'il adviendra de nous dans ce jeu, mais Krisjana et moi on te laissera pas tomber » Je me sens comme si j’étais un gamin qui avait besoin de se faire prendre par la main et se faire rassurer. Bordel j’ai trente-trois ans, et présentement, j’ai l’impression d’avoir la mentalité d’un gamin de quatre ans. Mais ça me rassure ce que Jorah me dit là. Ça me rassure de savoir que je ne suis pas seul ici. Que y’a encore des personnes pour qui je compte. Et qui compte pour moi aussi, sans aucun doute. « En plus, tu as entendu ce qu'elle t'a dit ... » Nouveau pincement au cœur. Je n’ai pas nécessairement envie de repenser à ce qu’elle m’a dit. « Que je dois continuer jusqu’au bout… » Oui, je le sais. Je suis son gagnant, malgré tout. Mais je dois avouer que soudainement, ma motivation vient de descendre en flèche. Jorah me parle de ma main, et jusqu’à ce qu’il l’évoque, j’avais oublié l’état dans laquelle elle était. Je laisse Krisjana m’approcher, alors que je suis toujours immobile, comme si mon corps ne voulait plus réagir. Ce, jusqu’à ce qu’elle allume ma cigarette, pour qu’enfin je puisse avoir quelque chose qui m’aide à me détendre. Bien que pour le coup, je doute que cela fonctionne. Puis c’est seulement lorsqu’elle glisse ses doigts entre ceux de ma main meurtrie que je ressens enfin la douleur, inspirant difficilement entre mes dents serrés. « Encore chanceux que ce n’était pas la gueule de quelqu’un. » Parce que je crois que s’il y avait eu quelqu’un devant à ce moment précis, je l’aurais défiguré sans réfléchir. Je ne suis pas calme pour autant, mais déjà, j’ai moins envie de tout briser, ce qui est une nette amélioration. « Tu crois que y’a quelque chose de brisée ? » Je demande faiblement, relevant les yeux vers la candidate, avant de tourner la tête en direction de Jorah. « Habituellement, c’est moi qui quitte les autres. Pas le contraire. Pour la première fois, je comprends ce qu’on ressent. » que je constate, à voix haute. La seule fois où quelqu’un m’a quitté, c’est lorsque Rosie est décédée. Et je ne compare pas les situations, parce qu’elles sont loin d’être semblable. Mais cela démontre à quel point me retrouver dans cette position est hors du commun pour moi.

Est-ce que j’ai le sentiment que Babou et moi nous nous reverrons après toute cette aventure ? J’ai franchement de la difficulté à répondre à la question. Me connaissant, on ne peut jamais être certain de ce que je déciderai en sortant d’ici, n’y où sera ma prochaine destination. En ce moment, j’ai l’impression d’être dans le néant. De ne pas savoir ce qu’adviendra ma vie. Et c’est troublant. « Où que tu choisisses d'aller, tu sais qu'il y a suffisamment de moyens à votre disposition pour que vous mainteniez facilement le contact. L'essentiel, c'est de ne pas le perdre. » Je n’arrive pas à retenir un rire sarcastique, presque silencieux face à cette remarque. Je sais ce que veux me faire comprendre Jorah, et il est vrai que je n’ai pas nécessairement envie de perdre le contact avec Babou, mais bon, je ne suis clairement pas la personne la plus douée dans ce domaine tout de même. « Demande à Amy si je sais garder le contact avec mes proches. » je réplique amèrement non sans soupirer. La situation est bien différente, je le sais, mais reste qu’une fois quelque chose de brisée, j’ai plutôt tendance à abandonner. Me tourner vers la sortie facile et voilà. « Si tu veux réellement garder le contact, je ne vois pas où est le problème  » Je lève les yeux vers la brune, sachant qu’elle a raison. Mais c’est peut-être juste un peu trop tôt pour moi, de pensant à l’après, alors qu’on a pas encore mis un pied à l’extérieur. « Vous avez raison. Je le sais. On verra bien ce qui arrivera… » Je ne suis peut-être pas des plus enthousiasme, mais c’est déjà un pas vers l’avant que j’admette qu’ils ont raison. Pour ce qui est d’aller jusqu’au bout du jeu, encore une fois, je ne suis pas des plus enthousiasme. Faut dire que je fondais mes espoirs de me rendre jusqu’à la fin avec elle. Je croyais même, peut-être naïvement, que je me rendrais au bout uniquement parce que j’avais Babou comme partenaire. J’écoute attentivement Jorah, alors qu’il essaie clairement de me motiver, de me faire comprendre qu’elle est derrière moi et que je dois m’accrocher et ne pas laisser son départ me démoraliser. C’est tellement plus facile à dire qu’à faire. Mais encore une fois, c’est simplement parce que c’est récent, qu’elle vient de partir, que je suis complètement déstabilisé par ce départ surprise. Je ne fais donc que hocher la tête, signe que j’ai compris ce qu’il vient de me dire, que ça ira mieux demain, j’imagine. Qu’ils ne s’inquiètent pas, je ne défoncerai pas une nouvelle porte. Ça avait été plus fort que moi. Mais comme je le dis, heureusement que ce n’était qu’une porte et pas le visage d’un candidat. Krisjana semble croire que ça n’aurait pas été si grave, en autant que ce n’était pas les leurs. « Je n’aurais pas frappé mon couple chouchou. » que je répond, en faisant un peu d’humour, ce qui prouve que je me suis calmé légèrement. C’est peut-être la douceur nouvelle de chez la candidate qui m’apaise, ou les bonnes paroles de Jorah. Les deux probablement. La bonne nouvelle, c’est que rien ne semble cassé dans ma main endolorie. « Bien. » je souffle, serrant la mâchoire, essayant de contenir ma douleur. « Mais arrête de faire les gros bras » je roule les yeux non sans avoir un faible sourire sur les lèvres. « Oui maman. » J’avais assez fait mon dur pour ce soir, j’en payerais les conséquences demain moi je crois. Puis je laisse comprendre que je n’ai pas l’habitude d’être abandonné de la sorte, que par le passé, c’est moi qui ferme la porte sur les personnes qui m’entoure. « C'est normal de se sentir abandonné, mais tu dois pas oublier qu'elle aimerait plus que tout être près de toi en ce moment, et c'est tout ce qui compte. » C’est sur que si on lui avait donné le choix, je pense qu’elle n’aurait pas voulu quitter immédiatement. « Est-ce que tu nourris des regrets ? » Je relève les yeux vers Jorah, surpris par cette question. De quels regrets fait-il référence ? De ma relation avec Babou ou de ma vie en générale ? Je dois avouer que je suis perdu. « Si je regrette d’avoir abandonné ma famille alors qu’on venait de vivre un terrible drame auquel j’étais en partie responsable ? » Je lâche sur un ton monotone, presque dépourvu d’émotion alors qu’au contraire, je sens mon cœur me serrer à en mourir. « Ou tu veux parler de d’autres sortes de regrets… ? » Perplexe, je ne sais pas trop ce qu’il attend comme réponse. Je ne suis pas en colère contre cette question, mais je dois avouer que je ne m’y attendais pas non plus.