+ Krisjana

Je suis revenu après deux semaines d'absence pratiquement totale des caméras. Certains peuvent penser que je suis débile d'avoir fait ça, et ils auront raison. On doit penser que je suis parti me cacher parce que j'avais honte ou que j'avais peur des représailles de certains candidats, surtout après l'élimination de Babou, mais pour ma défense, je ne pensais pas que ce serait elle qui partirait et ça m'a même fait de la peine de l'apprendre, le jour suivant, en espionnant quelqu'un alors que j'étais au cellier pour faire des provisions de bouffe et prendre mes fringues sèches avant d'aller me cacher dans un coin sombre et sans caméra de la baraque. J'avais un peu vécu en fantôme, même carrément. Mais c'est que je me sentais assez mal de m'afficher avec les autres, sourire vendeur, menteur, trompeur, et faire semblant d'être heureux avec Jasmine alors que les autres me voyait comme un sombre connard, un arrogant, prétentieux. Le candidat chouchou de la production, de cupidon, d'après ce que j'avais entendu dire, puisque j'avais joué un rôle particulier lors des nombreuses nominations et qu'on m'avait immunisé lors de ma première semaine de disparition alors que je ne le méritais clairement pas. Surtout que j'avais été sanctionné quelques temps avant pour avoir "accidentellement" révélé mon secret et que j'aurais donc surement dû être éliminé plus tôt qu'il y a à peine trois jours. Et à force de me balader pieds nus dans le nid, et de squatter la crique secrète en ne me rendant à la salle de bain, la cuisine et les toilettes que pendant la nuit, sans voir la lumière du jours, je suis tombé malade et je suis resté cloué au lit une semaine de plus. Malheureux concours de circonstances, qu'on pourrait penser volontaire, et peut-être qu'au fond c'était une réelle volonté de mon inconscient. Qui sait ? En tout cas je suis de retour, pour leur jouer un mauvais tour, à tout ceux qui restent aux alentours. Ou pas, en fait. Non, je crois que j'en déjà assez fait. Et ce n'est que maintenant que je me rends compte que je reprends le chemin de la côte rocheuse, et que je déboucherai bientôt près de l'entrée de la crique si je continue sur ma lancée. Comme quoi, cette mauvaise habitude d'aller me cacher là-bas est restée plus ou moins gravée dans ma tête, c'est mal. Je fais donc demi-tour et me retrouver nez-à-nez avec une brune et de grands yeux bleus. Donc ce n'est pas Jasmine, même si j'y ai cru un instant et que ça m'aurait fait plaisir. Mais c'est Krisjana, pas que ça me fasse moins plaisir, je l'aime bien, je crois, mais je sais qu'elle est tout à fait capable de me faire la leçon, ou des reproches, des remarques, des trucs de ce genre, que je n'ai pas envie d'entendre, mais si ça sort de ça bouche ça sera surement plus supportable vu qu'elle a toujours cette espèce d'attitude au dessus des autres et presque réprobatrice. Enfin en tout cas, j'en ai eu l'impression. Mais je peux parler moi, en ce qui concerne la supériorité, hm. « Tu me suis ou quoi ? » Que je demande d'un air presque normal dans un demi-sourire. J'aimerais en faire plus mais elle devra se contenter de ça pour l'instant. Malgré le temps qui est passé j'ai toujours trop de choses en tête, beaucoup trop pour bien me concentrer sur elle et lui offrir un faux sourire amusé.

Je me rends compte que je prends une nouvelle fois le chemin de la crique secrète, qui n'est plus si secrète que ça depuis qu'elle nous ait accessible, mais passons. Je fais rapidement demi-tour quand je m'aperçois que je n'ai rien à y faire et je me retrouve en face de Krisjana, sans doute la candidate encore en jeu que j'apprécie le moins, après Jasmine, évidement. Je lui demande si elle me suit alors qu'elle s'allume une clope, avant de me répondre que c'est effectivement le cas. Je me redresse un peu, bombant presque le torse, d'un air fier parce que j'aime qu'on me porte un certain intérêt et j'ai toujours su que je l'intéressais plus ou moins, même si là je sens un peu d'ironie dans sa voix. Mais en fait tout retombe assez vite quand elle me demande ce qu'il m'arrive. « Rien. » Que je m'empresse de dire d'un ton maussade. En vrai, je ne sais pas bien ce qu'il y a moi-même, alors je me vois mal lui expliquer le potentiel problème. Elle pose à peu près la même question une seconde fois, de manière différente, m'interrogeant cette fois-ci sur ce qui me préoccupe. Je ne dis rien pendant un petit instant, cherchant quelque chose à répondre de plus constructif qu'un "rien" flasque, que ça ait un rapport ou pas avec mon état possiblement préoccupant. Mais je n'ai peut-être rien après tout, on n'en sait rien, justement. « Je sais pas trop, tout et rien à la fois, je crois. » C'est mieux qu'un "rien", même si ça veut à peu de chose près dire la même chose. N'empêche que j'ai dépassé le stade de la réponse constituée d'un unique mot, c'est déjà ça. « Mais il me semble que j'arriverais mieux à t'en parler si tu me passais une clope. » Que je dis comme si de rien n'était, mais en gros je lui demande de me donner une cigarette si elle veut savoir ce qu'il y a, et peut-être que j'arriverais à savoir moi aussi. Oui parce que c'est bien connu, fumer aide à réfléchir. Ou pas, mais c'est juste une excuse débile.