Paloma vient de sortir de son entretien et c'est con mais ça l'a rendue toute chose cette connerie. Elle tuerait pour une clope alors qu'elle fume pas, elle a l'impression que son coeur est pris en tenaille et globalement, elle se sent comme un macchabée. Disséquée, un peu comme si on venait de l'ouvrir de bas en haut pour mieux farfouiller dans ses entrailles fumantes. Normalement, Paloma parle pas beaucoup, elle préfère écouter. Elle se confie pas vraiment, elle préfère garder ses problèmes pour elle jusqu'à finir par exploser sans raison apparente à force de tout intérioriser comme une bombe à retardement. Généralement, elle est un peu détachée, un peu énigmatique, le genre de fille qui paraît n'avoir rien à cacher mais qui n'en reste pas moins une nébuleuse indéchiffrable. Et là, sous l'oeil scrutateur de casteurs inconnus au bataillon, elle a carrément déballé sa vie de a à z sans rien oublier comme si elle était chez son putain de psy. Paloma est entière, elle est franche, tout ce qu'elle a pu balancer est vrai et elle ne le regrette pas. Ce qui la déroute, c'est le fait de s'être laissée aller à confier des trucs que même ses proches amis savent pas d'elle. Elle trouve que c'est pas très sain comme procédé et ça la fait se sentir bizarre, un peu fébrile. C'est pour ça qu'elle s'engouffre dans les toilettes. C'est juste une façon de s'isoler, de reprendre ses esprits, de se regarder dans le miroir et de se dire qu'elle a été cruche mais que c'est pas grave, qu'elle sera sûrement pas sélectionnée, que personne n'apprendra tout ce qu'elle a pu raconter et que demain, elle en rira sûrement. Les toilettes sont déjà pris d'assaut par un autre postulant et Paloma se détend instantanément en observant le visage de l'inconnu encore plus tendu qu'elle. Elle le dévisage sans détour, sans se soucier que ça peut être gênant, un tel scan de ses prunelles noisettes qui fixent avec une drôle d'intensité. Et puis, elle sourit Paloma. Elle offre le genre de sourire qui éclot comme un bouton de rose, discret mais authentique. C'est con, mais ça la rassure un peu de voir quelqu'un encore plus ébranlé qu'elle et si elle a pas du genre à apprécier le malheur des autres, elle a l'impression que partager son malheur avec ce garçon le rend moins naze. Sa question lui arrache un rire cristallin, naturel, qui débarque sans crier gare et peine à s'interrompre. Paloma se racle la gorge, reprend ses esprits et répond le plus sincèrement du monde. «Tendu serait un euphémisme. J'dirais que t'as l'air anxieux, plutôt. » Paloma oublie le vouvoiement au profit du tutoiement, parce qu'elle est espagnole et que chez eux, c'est inné. C'est bien l'un des rares traits qu'elle partage avec son peuple de gens fiers, grandes gueules, et têtus comme des mules mais elle trouve que c'est plutôt agréable. Ca crée une certaine proximité. « C'est l'idée de passer le casting qui te stresse autant ? » qu'elle demande sobrement, sans se douter que Mallory l'a déjà passé, lui aussi.

En le voyant ainsi tout recroquevillé sur lui-même et le nez dans ses chaussures, Paloma se demande ce que l'inconnu fiche ici. Ce qu'il est venu chercher, ce qu'il espère trouver, quelles pourraient être les motivations qu'il se trouve et des motivations assez importantes pour qu'il s'inflige un stress pareil. A part un profond masochisme bien entendu. Le malaise du blond a au moins le don de reléguer le sien aux oubliettes et la sensation bizarre qui lui cisaillait la poitrine se transforme petit à petit en curiosité sincère. Son envie de se passer de l'eau sur le visage pour apaiser ses joues qui lui donnaient l'impression de cuire s'estompe et elle se contente de lâcher ses cheveux. Son chignon fait à la va vite se défait et une crinière brune assez peu domptée se déroule sur ses épaules nacrées. Paloma jette un coup d'oeil à l'inconnu qui regarde toujours ses pieds et peine à aligner quelques mots. Sa réplique lui décroche un sourire, et en entendant la suivante, il s'élargit. Alors, le casting n'est qu'un mauvais souvenir et pourtant... il n'a pas l'air en forme. Peu bavarde en règle générale, la brune le laisse s'exprimer, même si c'est un peu maladroit et profite de son inattention pour le dévisager un peu plus frontalement. Il a l'air d'un gosse. Ou d'une souris. Il a l'air attendrissant d'un môme qui a commis une bêtise et sait qu'il va se faire punir. Le genre qu'a l'air tellement coupable et tellement penaud qu'il écopera sans doute de rien d'autre qu'une légère remontrance. C'est quand elle l'entend dire qu'il est ridicule qu'elle se décide d'agir. Paloma s'approche à pas de loup et délicatement, sans trop réfléchir, elle dépose la pulpe de ses doigts sous son menton pour le redresser. Qu'il arrête de regarder ses pieds, ils détiennent aucune réponse, de ça elle en est sûre ! Paloma lui sourit quand elle croise son regard et entrouvre enfin les lèvres. « Un peu. Mais on l'est tous à notre manière » qu'elle réplique de sa voix feutrée, toujours calme, en haussant les épaules. C'est le propre des hommes d'être ridicules, de se casser la gueule pour mieux se relever et d'accomplir des trucs immenses comme de gigantesques conneries. Paloma se hisse sur le rebord du lavabo et laisse ses jambes nues battre la mesure, flirter avec le vide et l'air moite de la pièce. « Ça s'est si mal passé que ça ? » Elle demande ça innocemment, avec l'air de pas y toucher mais peut pas s'empêcher d'ajouter la question qui s'impose en elle depuis qu'elle a posé ses yeux sur lui. « Qu'est-ce que tu viens chercher ici ? Si t'avais pas d'enjeu, un vrai enjeu, tu te mettrais pas dans cet état. Je me trompe ? » Qu'elle conclut sobrement, le ton toujours aussi détaché et les prunelles ambrées ancrées dans celles de l'inconnu.

C'est pas évident, d'être objectif, de deviner si quelque chose s'est bien passé ou pas parce qu'il y a toujours deux tentations. Celle de se surestimer ou au contraire de sous-estimer. Paloma oscille entre les deux, régulièrement. Elle a l'impression d'être l'une de ces funambules de cirque, ces figurines gracieuses qui flirtent avec le vide et tanguent parfois un peu trop près d'un côté ou de l'autre alors que la foule retient son souffle. Elle leur ressemble, Paloma, gracieuse, lunaire, mais moins infaillible. Elle, elle ignore comment s'est passé son casting. De son point de vue, c'est objectivement une calamité. Elle en a trop dit, a rouvert des plaies à vif qui font encore mal et sent depuis son coeur se serrer dans sa poitrine. C'est con aussi, un coeur. Ca n'apprend jamais à effacer complètement, c'est pas comme un disque dur qu'on restaure et qui repart à neuf. Un palpitant, ça reste marqué à vie par les histoires passées, c'est qu'un organe bardé de cicatrices, strié d'hématomes et qui continue de réagir bêtement devant chaque blessure ancienne. Et aujourd'hui, aussi abîmé soit-il il est allé gaiement s'exposer devant des casteurs. Alors pour Paloma, c'est un échec. Pour le jeu... elle en sait rien, c'est peut-être tout bénef. En tout cas elle imagine que ça n'est pas si catastrophique que ça, pas aussi raté et sans espoir que l'inconnu semble penser de son casting, à lui. « T'es toujours comme ça ? » Paloma fait fi de la conversation en cours pour l'amener ailleurs, elle se fiche des convenances, des réponses à apporter ou de suivre le fil. Elle laisse ses ressentis prendre le dessus, la guider, et pour l'instant c'est une curiosité sincère qui mène la danse. « Tout jugement gardé » qu'elle ajoute de sa voix singulière, à la fois rocailleuse et chaude mais si douce qu'il faut tendre l'oreille pour l'entendre. Assise sur son perchoir, elle penche un peu la tête sur le côté, tente de trouver la réponse avant que Mallaury ne la lui livre. Est-il toujours aussi inquiet, anxieux, sensible, craignant de déranger, de s'imposer et tout ça à la fois ? Paloma juge pas, elle est de toute manière toujours plus attirée par les écorchés vifs, les gens brisés, cassés, insaisissables, les hommes fuyants aux allures de rivière qui s'écoule entre les doigts sans qu'on puisse la conserver. Les gens différents, c'est toujours plus intéressant et quand on prend la peine de les connaître ils sont plus fascinants et incroyables que tous les autres réunis. Alors elle se demande si l'inconnu est de cet acabit, un diamant brut pas encore poli, ou si c'est seulement le stress qui le leste d'une réserve peu commune. « J'imagine que ton enjeu est chasse gardée... » dit-elle avant qu'un sourire doux ne vienne se peindre sur son visage. Paloma aimerait bien le connaître mais elle sait que c'est un jeu et que ce jeu impose quelque chose qui ne lui plaît pas vraiment ; le poids d'un secret. L'inconnu lui retourne la question et ses lèvres se retroussent dans une jolie moue de poupée contrariée. Elle sait pas vraiment, Paloma. C'est une copine qui l'a inscrite et traînée ici mais cette copine ignore de nombreux paramètres alors peut-être bien qu'il y a un enjeu. Il n'est pas vital, il la définit pas en tant que personne, il revêt pas une importance spectaculaire mais y'en a un. « C'est une copine qui m'a inscrite en pensant qu'on allait se marrer à vrai dire. » Un rire jaune, bref, s'échappe d'entre ses lèvres ourlées. « Mais c'est pas plus mal. Ca fait du bien de changer d'air, parfois. » conclut-elle, évasive.