La frénésie de cette soirée me semblait désormais un lointain souvenir. Le temps avait filé à vive allure et je n'arrivais plus trop à me souvenir de tout ce qui s'était déroulé dans les dernières heures. Le prime, l'entrée dans le nid, la rencontre de mes camarades de jeux, les instructions et directives de Cupidon... puis ce fut la folie. Comme si on avait lâché une trentaine de lion en chasse dans la savane africaine. Tout et chacun n'avait qu'une envie, et c'est d'explorer notre nouvel environnement de vie, ce nid d'amour que Cupidon nous avait concocté avec... beaucoup d'amour? Oh, ça, j'en doutais, mais on pouvais toujours espérer. Je suivi le troupeau sans trop me plaindre, jusqu'à il n'y a pas cinq minutes, où je ressenti pour la première fois de la soirée la fatigue m'envahir, brusquement et soudainement, comme si on m'avait coupé ma charge électrique. Décalage horaire oblige, mon corps venait de me rappeler qu'il y a à peine trois ou quatre jours, j'étais à l'autre bout du Canada pour un concert, et qu'entre temps, j'avais dû rentrer au Danemark pour boucler mes valises et dire au revoir à ma famille. Plus de temps passer dans un avion que sur terre, pas étonnant que j'en ressente les contrecoup. Et alors que plusieurs prévoyaient veiller tard, je décidais que rejoindre ma chambre était la meilleure des idées. J'occupais, en compagnie de mon partenaire - dont le visage m'apparaissait encore flou dans mon esprit - la chambre orientale, ou autrement dit, la chambre multicolore, avec un brin de Bollywood. Un rapide passage dans la salle de bain pour profiter du calme des douches - les autres avaient mieux à faire que visiter cet endroit - et je m'éclipsais vers mon lit, pensant ni trouver aucune âme qui vive. Erreur. À peine avais-je rejoins l'endroit que je constatais que mon nouveau refuge nocturne était déjà occupé. « Tu es Mallaury, n'est-ce pas? » De tout mon cœur, j'espérais que ce soit le cas, question de ne pas avoir à ficher en bas du matelas le premier être avec qui j'avais tenté de sympathiser. Enfin, c'est une façon de voir les choses.

Posée au pied du lit, je scrutais le candidat qui avait pris place dans le lit qui m’avait été assigné. En toute logique, il ne pouvait s’agir que d’une seule et unique personne, si mes déductions étaient bonnes : mon partenaire, Mallaury. Nous avions passé bien peu de temps ensemble, au cours de cette première soirée dans le nid, mais j’avais au moins retenu son prénom, à défaut de pouvoir reconnaître son visage. Ce dernier répondit d’ailleurs par l’affirmatif, en me confirmant que j’avais bel et bien affaire à l’homme en question. Mes épaules s’affaissèrent, un tantinet soulagées de ne pas me retrouver devant un parfait inconnu. Hm, enfin, c’était effectivement le cas, mais cet étranger-là était désormais membre à part entière de mon aventure : il était mon partenaire, mon coéquipier, et j’en savais déjà plus sur lui que tous les autres candidats réunis dans cette habitation. Si vous voyiez de quoi je parle. « En effet, je crois que ça ne sera pas nécessaire. » Le vouvoiement était une marque de politesse que j’appréciais, mais qui, dans les circonstances, était complètement inutile. Une certaine proximité risquait de se créer entre lui et moi, et tout ça deviendrait bien vite superflu. « Dans le mile. » lui fis-je savoir, lorsqu’il quémanda une confirmation sur mon identité. Ainsi, il l’avait retenu. Le sien aussi n’était pas tombé dans l’oreille d’une sourde, alors que j’avais la mauvaise habitude de n’en retenir aucun. Ne ressentant aucune animosité venant de sa part, je m’avançais finalement vers le côté qui m’avait été décidé par le hasard, ou plutôt par mon partenaire, qui avait choisi le sien en premier. Gauche ou droite, pour ma part, les deux me convenaient, et c’est pourquoi je n’en fis aucun cas, alors que je dégageais les draps et tâtaient l’oreiller pour la placer à ma convenance. Mon partenaire en profita pour m’informer de ces habitudes de sommeil, ou plutôt de réveil. Couche-tôt, lève-tôt, semblait-il. Tout mon contraire, du moins, surtout lorsque j’étais en tournée (vu l’heure à laquelle les concerts se terminaient, inutile de préciser les raisons du pourquoi). Lorsque la vie me permettait de passer un peu de temps auprès des miens, je m’adaptais aisément à leur horaire de vie. Je risquais donc de calquer, bien involontairement, celle de mon camarade. « Aucune crainte à ce sujet. Et même si tu venais à me réveiller par accident, j’arrive normalement à me rendormir en un claquement de doigts. » Je lui offris un sourire sympathique, afin de lui assurer que dans ces cas-là, je ne lui en tiendrai pas rigueur. Certes, je n’avais jamais dormir dans un environnement comme celui-ci, entouré de presque une dizaine de personnes. Le résultat risquait de ne pas être le même.  « Je dois te rendre la pareille, ceci dit. Je somnambule, parfois, mais rien de grave. Alors si je m’éclipse en plein cœur de la nuit, ne t’inquiète pas pour moi. » Outre m’installer dans une chaise berçante, je n’avais jamais rien fait de menaçant, ni pour moi, ni pour les autres.

Pouvoir ainsi discuter avec mon partenaire me faisait presque plaisir. En fait, j’étais heureuse que nous nous soyons retrouvés après cette soirée mouvementé, et que nous prenions le temps de doucement apprendre à nous connaître. Ne serait-ce qu’en commençant par nos habitudes de sommeil. Forcément, j’en serai venu à faire moi-même mes observations, mais étant désormais bien informer de la situation, je songeais à quel point notre partenariat risquait de bien se dérouler si nous parvenions à garder cette bonne communication dont nous faisions preuve en ce moment précis. Que ce soit en amour, ou en amitié,  il s’agissait probablement de l’élément clé qui permettait à une relation de bien fonctionner. Mon partenaire semblait éprouver une certaine envie face à ma capacité de retrouver les bras de Morphée aussi aisément, et je ne pouvais que le comprendre. J’ignorais même comment je pourrais m’en passer. « J’ai appris à dormir dans n’importe quel environnement, peu importe le bruit environnant, que ce soit un autobus, un aéroport, une loge bruyante… c’est comme une seconde nature. Et c’est très pratique, dans mon cas. » Avec les horaires de vol, le décalage, les nombreuses soirées qui se terminent aux petites heures du matin, tous les moments étaient bons pour tenter de récupérer ne serait-ce qu’une parcelle de mon sommeil si précieux. Je laissais un léger rire faire vibrer mes lèvres, lorsqu’il me questionna quand à mon somnambulisme. L’idée de me retrouver tel qu’il le décrivait me semble farfelue. « Assise sur une chaise berçante ou un sofa, à fixer le vide serait plus probable. Une fois, mon père m’a  retrouvé dans mon bain, aussi… Mais ça ne s’est pas produit depuis une bonne vingtaine d’années. Il y a plus de chance pour que je sois au salon. » Ou dans n’importe quel pièce doté de chaises confortables où se poser. Chez moi, le choix était relativement réduit, mais ici, les possibilités étaient infinies. Mon inconscient se réjouissait surement déjà, à l’heure qu’il était. Mallaury me confia alors que cette proximité presque conjugale, sans le mettre mal à l’aise, le rendait un tantinet nerveux. J’esquissais un demi-sourire, compréhensive. « Le dernier homme avec qui j’ai dormi, c’est mon mari… et il y a longtemps que ça s’est produit. Pour des raisons évidentes : nous sommes séparés. Il y a bien mon trésor qui vient me rejoindre de temps en temps durant la nuit, mais je ne l’ai jamais encouragé à développer cette vilaine habitude. » Je m’étais promise de ne pas trop en parler, mais comment ignorer un être qui faisait partie intégrante de ma vie. Et puis, il s’agit de mon partenaire, pas de n’importe quel candidat. Il se confiait à moi, je me sentais donc plus à mon aise d’agir de même.