Je préfère de loin l'exercice à l'air frais que cloîtré dans un gymnase, avec son atmosphère étouffante et préfabriquée. Pourtant, ce n'est pas faute de m'être longuement attardé entre le matériel de cirque. Déjà quand j'étais gosse, j'étais plutôt grand et surtout, très mince. En somme, j'étais taillé pour la gym, ou pour n'importe quelle activité requérant de la vitesse, de l'endurance et de l'agilité. J'étais doué en athlétisme, en basket, un peu moins en foot ou au hockey, malgré que j'ai toujours adoré les sports d'équipe. Avec le boulot, aujourd'hui, je n'ai plus trop le temps de m'adonner réellement à une activité physique en club ou simplement pour le plaisir, aussi je me contente d'aller courir plusieurs fois par semaine. Au-delà de mon amour pour le sport, j'en ai besoin pour évacuer mon trop-plein d'énergie, pour m'aider à redescendre lorsque ça bouillonne trop dans ma tête, pour m'oxygéner le corps et l'esprit. J'ai l'impression d'éliminer toutes les pensées parasites qui pèsent sur mes épaules, les laissant s'écouler sur le sol au rythme du martèlement de mes pas sur le synthétique. Sentir l'oxygène écarteler mes poumons endoloris et claquemurés dans une cage thoracique aux allures de prison, mes muscles se nouer sous l'effort puis brusquement se relâcher une fois que j'ai adopté l'allure qui me convient, ça me libère, ça me calme. Depuis combien de temps je tourne en rond, longeant la piste d'athlétisme qui encercle le terrain herbeux, je n'en ai absolument aucune idée. Depuis le réveil, il y a probablement une petite heure d'ici. Peut-être plus. Mais ça n'a pas tellement d'importance, j'arrêterai quand j'en aurai marre ou que je m'écroulerai par terre, à moitié mort, sans possibilité d'avancer plus. Je suis paré, j'ai tout ce qu'il me faut. Mon casque sur les oreilles, un temps parfait, et même de la compagnie tiens. Mon regard se pose sur la silhouette qui déboule sur la piste et je reconnais Errol lorsque je me rapproche de lui. Instinctivement, j'accélère pour le rattraper, lui adresser un sourire et le dépasser. « Un acteur face à un empereur romain, tu ne peux pas lutter » je lance joyeusement, un brin taquin. Je suis charitable quand même, j'aurais pu lui sortir le vieux hibou dans Harry Potter.

Ça fait un moment que j'ai arrêté le sport. Enfin, je n'ai jamais vraiment arrêté l'activité physique, mais le sport en lui-même, pour le plaisir (oui, y'en a que ce concept horrifierait) ça fait un moment que j'ai abandonné. À une époque pourtant, c'était impensable. Difficile de trouver des jobs dans la sécurité, ou comme videur, quand on ne s'entraîne pas un minimum. Mais maintenant que mon rythme de vie avait changé, et que je passais littéralement mon temps à cultiver mon jardin, je n'éprouvais plus cette nécessité de soulever de la fonte ou de participer à des entraînements de boxe pour aiguiser mes réflexes. Je m'étais laissé aller, minus la connotation négative de l'expression. Mais s'il y avait bien quelque chose que je ne m'étais jamais efforcé d'être, c'était endurant ; jeune, j'étais trapu et agile, mais je détestais courir, et je n'avais jamais fait l'effort de faire quoi que ce soit que je n'avais pas vraiment envie de faire, n'en déplaise à mon coach de l'époque. Courir m'ennuyait. Je me sentais bête, là, confronté à de drôles de pensées pendant je ne sais combien de temps. Ça m'épuisait nerveusement avant de le faire physiquement. Mais il n'était pas dit que je ne pourrais pas complètement changer ma perspective de l'exercice physique à trente-huit ans, et je m'étais décidé à faire cette même chose que j'avais pris l'habitude de railler chaque fois qu'une de mes connaissances admettait la pratiquer : le jogging. Pas plus motivé que cela, je me rends sur le stade. Au moins, je prends l'air, et ça c'est agréable. Et je ne suis pas seul : je n'aurais donc peut-être pas à être confronté à mes pensées les plus chiantes, et c'est aussi un plus. Ceci étant, le temps que je capte la référence d'Hadrien, il est déjà devant moi. Je fronce les sourcils avant de pousser un peu pour atteindre son niveau. « T'as déjà entendu parler de Dwayne Johnson ? Je suis à peu près sûr qu'il met la misère à n'importe quel empereur romain. » je déclare en souriant, profitant de la vue qui s'étale tout autour de moi en continuant de courir. Je réalise d'ailleurs qu'en plus d'un Hadrien, on a un Auguste parmi nous. C'est fait exprès ? « Mais ôte-moi d'un doute, les empereurs romains, c'étaient pas tous des gros plein de soupe pédérastes qui enchaînaient les orgies et avaient de gros problèmes de gestion de la colère ? » je lance, l'air de rien. Tout ce que j'avais pu savoir sur la question se mélangeait dans mon esprit dans une espèce de bouillie à base de Néron et Caligula. Bon, après, je sais pas si Errol Flynn était cool comme gars. Pour autant que j'en sache, ça pourrait être un tueur en série de chatons.