+ SACHA

C'était le moment où tout allait se jouer. Ma première nomination et peut-être ma dernière. Oui, je n'avais aucune idée de ce que le public pouvait penser de moi. Quelque part, l'idée même d'avoir à quitter le jeu après seulement un mois et sur une nomination engendrée par une personne et non pas l'ensemble des habitants m'angoissait. Je ne lui en voulais pourtant pas à Tilda, probablement parce que je n'avais pas saisi que nous étions dans une compétition, et qu'il ne fallait pas hésiter à taper le poing sur la table lorsque les choses n'allaient pas. Mais ça n'était pas moi. Je n'étais pas ce garçon qui allait plaider sa cause. Non, j'étais celui qui se faisait gentiment écraser par les autres et ce sans dire un mot. J'avais enfilé la tenue que Clémentine m'avait conseillé, la boule au ventre tandis que je sentais ma respiration s'accélérer un peu plus. Chaque seconde était un véritable supplice et ce alors que le prime n'avait même pas encore commencé. J'étais déjà stressé lorsque mes proches étaient nominés, alors imaginez ce qui pouvait bien passer dans ma tête en cet instant. J'allais peut-être devoir tous les quitter. C'était le jeu oui, mais cette idée ne me plaisait pas. Allais-je également devoir quitter ma partenaire ? Je n'en savais rien. Mes pieds me guidaient instinctivement vers les coulisses tandis que mes mains tremblantes trituraient mon casier pour y déposer mes affaires. Je n'étais pas encore prêt, il fallait encore que j'enfile mes chaussures, que je boutonne ma chemise qui volait autour de mon torse dénudé, et que je me prenne quelque chose à grignoter, quelque chose sur quoi focaliser mon attention pour éviter de penser au moment fatidique. Je me plaçais face au miroir de la loge, mes doigts se saisissant du premier bouton, mais rien n'y faisait. Mes mains tremblaient tellement qu'il était impossible pour le bouton de rejoindre son trou. Il y avait Sacha, non loin de là qui venait de déposer ses yeux sur moi. Mon regard traduisait probablement toute ma détresse de l'instant. « Je... » J'ai peur, très peur. « Vous allez m'oublier... » Oui, ils m'oublieront si jamais je quitte le jeu. C'est ce qui faisait échos dans ma tête, et cette idée m'était insupportable.

Lors de ces deux derniers primes, on ne peut pas dire que j’ai été particulièrement actif. Dimanche dernier, j’avais une bonne raison, j’étais malade ou plutôt j’ai fait une indigestion de la paella du midi. Aujourd’hui, j’ai pas fait la même erreur. J’ai mangé un truc de valeur sure : des pâtes. Je pourrai en principe pas tomber malade à cause de pâtes. Ça me paraît impossible. Du coup, histoire de me rattraper, je me prépare bien en avance. Une demi-heure avant que le prime commence. C’est largement suffisant. Je me suis ainsi vêtu d’un jean sobre, d’un tee-shirt avec des flamants-roses et d’une veste de costume couleur crevettes par-dessus pour le côté chic. Me voilà arrivant dans les coulisses et me dirigeant vers le premier miroir disponible. Un candidat semble déjà prêt. Adnan. Je lui souris lorsqu’il me voit. « Hey ! » Je perçois aussitôt en lui la détresse dans son regard. Il semble angoissé à l’idée de quitter le jeu. Il est vrai que le candidat est nominé ce soir. Je ne souhaite pas le voir partir. Il a encore sa place dans le jeu selon moi. Lui semble penser le contraire. Il m’avoue même sa crainte qu’on finisse par l’oublier. « Bien sûr que non ! Ça va bien se passer ! » Je lui offre un sourire réconfortant tandis que mes mains s’occupent de l’aider à fermer sa chemise. Il n’arrivera pas à me transmettre son stress. Je ne veux pas. Au contraire, j’ai envie qu’il se détende. En tous les cas, il n'y aura pas mort d'homme. « Et puis si jamais les choses venaient à mal tourner, je serai ravi de t’accueillir chez moi à Philadelphie un de ces jours. » C’est peut-être pas l’endroit rêvé, certes mais c’est quand même une ville fort sympathique et puis peu importe le lieu en plus, le principal étant qu’on se revoit en dehors du jeu. Je suis pas proche plus que ça du candidat mais je l’aime tout de même bien et c’est vrai que j’aimerai apprendre à le connaître davantage. Il m’a tout l’air d’être un gars bien. Et ce, malgré ses faiblesses apparentes. « T’as déjà été aux Etats-Unis ? » Si je ne m’abuse, le jeune homme est Européen et vient d’Angleterre. Ou non. D’Irlande plutôt. Oui, c’est bien ça.

Je ne le sentais pas ce prime. Je sais que j'ai tendance à souvent vous répéter la même chose, et que vous devez probablement en avoir marre de mes insécurités constantes et permanentes, mais ma nomination n'avait fait qu'ajouter une couche de doutes supplémentaires à mes tourments. J'avais la nette impression d'étouffer. Et si je venais réellement à quitter le jeu en fin de soirée ? Et si je devais retourner à ma vie et ce sans avoir eu le temps d'accomplir tout les buts que je m'étais fixé en venant ici ? Je sais que je n'en avais pas forcément l'air, mais j'avais tout de même un minimum d'ambition en m'inscrivant dans un jeu comme celui ci. Mon but n'était pas de gagner non, mais être éliminé après seulement un mois... oui, quelque part j'aurais eu l'impression de me décevoir. De le décevoir. Mon père était un compétiteur dans l'âme, et je savais que le fait que je quitte le jeu aussi tôt serait une sacrée déception pour lui. Mais je n'avais pourtant aucune emprise là dessus, il allait falloir que je prenne mon mal en patience. Je tentais un maigre sourire en direction de Sacha, sans réellement paraitre sincère. Difficile de sourire alors que j'étais si tendu. Je voulais y mettre un peu du mien, mais rien n'y faisait, ces pensées négatives ne faisaient que s'engouffrer un peu plus dans mon crâne. Sacha avait l'air confiant, ce qui m'étonnait tout de même pas mal. Comment pouvait-il être certain que tout allait bien se passer ? Je n'avais rien de marquant. Je n'étais qu'un mec tout ce qu'il y a de plus banal, face à des gens qui sortaient clairement de l'ordinaire. A mes yeux, je partais avec un net désavantage. « Comment tu le sais ? » Comment il le savait que tout allait bien se passer ? Ses mains s'activèrent sur les boutons de ma chemise tandis que les miennes ne bougeaient pas, restant près de mon col, comme pétrifiées. « M-Merci... » Je devais avoir l'air sacrément pathétique là, tout de suite. Moi qui m'occupait d'habitude du bien être de tout le monde, voilà que j'étais celui qui avait besoin d'aide. Clairement, je n'étais pas habitué à ce que les rôles s'inversent. Le brun avait par la suite ajouté qu'il serait ravi de m'accueillir à Philadelphie, et j'en venais à présumer que c'était là bas qu'il habitait. Instinctivement, mes lèvres avaient esquissé un sourire déjà bien plus sincère que le précédent, tandis qu'il me demandait si j'étais déjà allé aux Etats-Unis. « Jamais. » J'avais tellement traversé l'Angleterre et l'Irlande que je n'avais jamais réellement eu l'occasion de voyager autre part. « Ça me plairait, je crois... » Je n'étais pas habitué aux décors de ce genre, c'était certain. « Tu habites là bas depuis longtemps ? » A vrai dire, j'avais un peu honte, mais je ne voyais pas du tout à quoi pouvait ressembler cette ville, et ça devait très certainement se lire sur mon visage. De toute façon, je restait quelqu'un d'assez expressif, et avec un minimum de jugeote, et il était plutôt aisé de savoir à quoi je pensais. « Je... j'ai peur de l'avion, en fait. » avouais-je finalement, comme s'il s'agissait là d'une honte sans nom. Pourtant je l'avais pris pour venir ici, mais m'étais assuré de faire plusieurs nuits blanches histoire de dormir durant tout le trajet. « Mon père, il trouve ça un peu ridicule... » Il faut dire qu'un rien avait tendance à m'impressionner.

Adnan est un garçon simple, il est vrai. Excepté son physique avantageux, il n’a pas trop le mental d’un candidat habituel de télé-réalité. Depuis le début, il est assez réservé et en retrait. Pour autant, je sais qu’il a son caractère et que c’est un mec qui a un très bon fond. Il faut juste creuser pour s’en apercevoir. Maintenant, est-ce que selon suffira à convaincre les téléspectateurs ? Je ne sais pas. Je me dis que peut-être certaines personnes se reconnaitront en lui de par sa simplicité, sa gentillesse mais aussi sa maladresse presque attendrissante. Je l’espère. Et puis, je suis persuadé qu’Adnan a des choses à prouver. Je le ressens. Mon sixième sens peut-être. En tout cas, je ne pense pas qu’il partira ce soir. Je ne peux pas en être certain mais j’ai bon espoir pour lui. « Je ne suis pas voyant mais j’ai une bonne intuition. » Je peux aussi me tromper. Si c’est le cas, j’espère qu’il ne m’en voudra pas. Mais je reste optimiste quant au verdict. Il a toutes ses chances selon moi. Bref, je l’aide à s’habiller puisqu’il semble trop préoccupé pour réussir à enfiler ses boutons correctement. « Je ne pouvais pas te laisser aller sur le prime torse-nu ! » Je tente un peu d’humour en espérant que ça finisse par le décoincer et lui faire oublier quelques temps ses tracas. « Tu me ferais sacrément de l’ombre. » J’ai déjà vu le candidat torse-nu et il est vraiment très bien foutu. Ça pourrait être une tactique ceci étant pour séduire un public féminin ou gay. Pourquoi pas. Bref, la conversation change du tout au tout. On vient à parler de Philadelphie, là où j’habite. « Non. Enfin si. Disons que j’ai passé ma jeunesse dans une ville pas loin avant de voyager un peu partout aux Etats-Unis. » Même si elle a rien d’extraordinaire cette ville, je m’y suis bien. A cause de mes proches qui ne se trouvent pas loin et de tous mes repères en tout genre dans cette agglomération. « Et toi ? Tu viens de Dublin ? » Je tente au pif sachant que c’est la capitale et que j’ai peut-être plus de chance de voir juste. Il m’avoue ensuite qu’il est effrayé par le gros engin qui vole ; l’avion. Pour le coup, ce n’est pas mon cas du tout étant donné que j’adore le vide. « C’est une peur comme les autres. » Je ne me moque pas. Au contraire. Je suis tout à fait compréhensif. J’ai une phobie bien plus honteuse que lui alors je ne me permettrai pas de juger. Et son père devrait en faire autant. Ce n’est pas ridicule. « Si tu veux, je peux l’emmener faire un tour en hauteur sur un de mes fils de funambulisme. Je pense qu’il comprendrait mieux. » Autant dire qu’il ferait moins le malin là-haut. Même pour quelqu’un qui n’a pas le vertige, c’est impressionnant. Il faut un gros temps d’adaptation pour faire ce que je fais. Et beaucoup d’entrainement bien évidemment.

Je me demandais encore ce qui avait fait que je m'étais retrouvé dans cette position ce soir. Ce que j'avais bien pu faire pour être nominé. Je ne connaissais pas Tilda, oui, au final c'était bien la seule explication que j'avais trouvé. Je ne voyais pas non plus ce qu'elle pouvait reprocher à ma partenaire -oui bon, d'accord, je n'étais peut-être pas très objectif sur ce sujet- mais peut-être était-ce simplement pour la même raison au final. Partir sur la décision seule d'un candidat m'embêterait, il fallait l'avouer, et je comprenais peu à peu un peu mieux ce qu'avaient du ressentir les nominés de la première semaine. Une frustration, oui, en quelque sorte. Et plus je regardais les candidats qui me faisaient face, et plus je me disais que je n'avais aucune chance d'échapper à l'élimination. Deux éliminés, c'était quand même beaucoup, et même s'il y avait plus de chance de rester que de partir, il suffisait qu'une seule petite chose ait déplu au public pour que la balance penche considérablement. Ça pouvait se jouer à rien, j'en étais certain, et c'était ça qui était plutôt frustrant au final. Sacha, lui, il me disait qu'il avait une bonne intuition, et j'espérais qu'il avait raison, bien que je stressais au final autant pour moi que pour ma partenaire. Il termina ainsi de boutonner ma chemise tandis que je l'observais de mes prunelles noisettes, un peu désemparé, riant finalement quelque peu à ses paroles. Lui faire de l'ombre ? « Aucun risque ! » il n'y avait qu'à nous comparer pour en arriver à cette conclusion. « T'as bien trop de charisme, je suis sûr que tu pourrais porter n'importe quoi, les gens trouveraient ça cool. » Tenez, son haut par exemple ! Oui bon, si je l'appréciais, connaissant mes goûts, c'est qu'il n'était pas si bien que ça, hm. Mais bon, moi je l'aimais, c'était le principal non ? « T'as de la chance. » lui dis-je lorsqu'il me raconta qu'il avait voyagé un peu partout dans les Etats-Unis. Je n'avais pas eu la chance de beaucoup bouger, moi. « N-Non, de Belfast... M'enfin, ça n'est pas si loin que ça. » de Dublin, j'entends. « Un jour je voyagerai beaucoup aussi, je ne sais pas trop encore où j'irai mais... » J'en avais les moyens alors ça serait un peu bête de m'en priver au final, bien que ça n'était pour l'instant pas à l'ordre du jour. Non, j'avais d'autres choses plus importantes à finir avant. Un léger sourire s'esquissa finalement sur mes lèvres quand il me dit qu'il pourrait emmener mon père sur son fil. Pour sûr qu'il ferait moins le fier. « T'as beau être... volumineux... » pour une obscure raison, le mot "musclé" me dérangeait toujours « ... je ne suis pas certain que tu arriverais à le faire bouger, il t'enverrait probablement toute sa garde rapprochée dans la tronche. » m'amusais-je en me détendant enfin un peu, mes mains ne tremblant presque plus. « Ça serait quand même bête qu'ils te défigurent. » pour sûr même. Il ne savait pas trop à qui il s'attaquerait pour le coup.

Je me dois de canaliser Adnan face à son stress apparent dû à sa nomination. Je lis sur son visage qu’il ne veut pas partir et j’espère aussi qu’il ne partira pas. Il a encore sa place dans le jeu selon moi. Maintenant, la décision revient aux téléspectateurs. C’est à eux de juger. J’espère simplement qu’ils feront le bon choix. Adnan est beau gosse en plus. Mais je peux pas le laisser aller sur le prime torse-nu, ça me ferait de l’ombre. Je plaisante là-dessus avec le concerné histoire de le détendre. Il me rétorque qu’il n’y a pas de risque, que je suis charismatique et que je pourrai porter n’importe quoi que les gens trouveraient ça cool. Je rigole, pas convaincu du tout. Même si ceci dit, ce sont de très beaux compliments qu’il me fait là. « Tu n’aimes pas mes flamants-roses ? » Mon regard descend illico vers mon tee-shirt à col en V. Et s’il était question de ça ? C’est vrai que ma tenue est spéciale aujourd’hui. Néanmoins, j’aime bien et ça change des tenues traditionnelles. J’imagine cependant que je ne ferai pas l’unanimité dans une prochaine Fashion Police de Zoey. Et puis la conversation change. On parle de nos habitats respectifs. Ainsi, je viens de Philadelphie et lui de Belfast. D’accord. Je ne connais pas mais c’est pas loin de Dublin apparemment. « Ça doit être joli. » Belfast, Dublin, l’Irlande plus généralement. J’aimerai bien y aller un de ces quatre si j’en ai l’occasion. J’aimerai découvrir pleins de pays autres que les Etats-Unis aussi faut dire. Cette envie semble être partagée avec Adnan qui me confie qu’il souhaite voyager un jour. « Où le vent te portera. » Je le coupe un peu quand il me dit qu’il ne sait pas où il ira. Je lui souris ensuite avec un petit air amusé. Et puis il m’avoue avoir peur de l’avion. C’est assez embêtant pour le coup s’il souhaite voyager mais je conçois cette phobie. Il n’y a rien de honteux. Si son père trouve ça ridicule alors qu’il vienne sur un de mes fils perché à plusieurs mètres de hauteur. Il fera moins le malin le monsieur. Adnan parle de gardes du corps ou je-ne-sais-quoi. Ça m’intrigue, forcément. « Mais… c’est quelqu’un de connu ton père ? » Je l’examine un peu sous toutes les coutures avant de me demander qui est connu en Irlande. « Attends, t’es le fils de Bono ? » Le chanteur de U2. Je sais qu’il est Irlandais donc bon, on sait jamais. Si ça se trouve je viens de trouver son secret sans le savoir même.