Souvent les gens pensaient que les tatouages donnaient un air négligé et que les personnes tatouées ne faisaient guère attention à leur apparence. Pourtant j'étais bien loin de correspondre à ce cliché du clochard tatoué, j'aimais prendre soin de moi et je prenais garde à toujours rester présentable en toutes circonstances. Cela ne faisait pas pour autant de moi quelqu'un de superficiel ni de narcissique mais j'aimais avoir une bonne toilette pour me sentir bien dans ma peau. Aussi bien que mon premier réflexe après le petit déjeuner était celui du maquillage. Je pousse la porte de la salle d'eau, ma trousse à maquillage en main, et m'approche du lavabo. Je commence par me rafraîchir le visage histoire de stopper la fatigue suite à ce réveil. Je pensais être la seule ici de si bon matin mais le bruit de l'eau qui se mouve me fait très vite renoncer à mes idées de solitude. Je tourne la tête vers la droite et aperçois Jessica allongée dans un bon bain mousseux, elle est si paisible qu'elle semble presque endormie. Je poursuis mon maquillage dans le plus grand des silences pour ne pas la réveiller, si toutefois elle dort, mais ma maladresse me rattrape et ma trousse à maquillage tombe lourdement au sol. Je sens le regard de Jessica se poser sur moi. « Excuse moi, je ne voulais pas te déranger » . Je détestais déranger les gens alors autant dire que cette situation me rendait totalement mal à l'aise. « Tu ... tu attendais quelqu'un ? » . Je lui demande en remarquant toutes les bougies allumées autour du bain créant une ambiance intime. Peut être que son rendez-vous allait arriver d'une minute à l'autre et que j'allais jouer les troubles fêtes. Oh pitié, ne me faites pas ça.

Je me suis levée assez tôt en ce lendemain de prime, sans trop savoir pourquoi. Parfois c'est comme ça, c'est tout, je ne devais pas être trop fatiguée donc je n'avais pas eu besoin de dormir trop longtemps, il ne fallait pas chercher bien plus loin. J'ai pu prendre mon petit déjeuné en solitaire, savourer la paix qui règne encore à cette heure matinale dans le nid, et ce n'était pas désagréable, même si je suis plutôt du genre à aimer un peu de bruit et de bazar pour ne pas avoir l'impression que tout est vide. Ce matin, ça ne l'était pas, c'était juste calme, et c'était bien. J'avais su apprécier ce petit moment de tranquillité avant de monter à la salle d'eau pour me faire couler un bon bain. Oui, sur un coup de tête, au saut du lit. Je suis comme ça, moi, imprévisible. Non, en réalité, je m'étais rendue compte que ça faisait un sacré bout de temps que je n'avais pas profité de la superficie d'une baignoire et de ses vertus relaxantes reconnues quand on la remplie d'eau chaude et de mousse. C'est donc ce que j'avais fait, et j'avais ajouté des bougies pour la touche glamour, cosy. C'était chouette, même si on dirait un peu que j'attendais quelqu'un. D'ailleurs, Felice s'excuse quand elle entre et m'aperçois, elle ne voulait pas déranger, si jamais j'avais rendez-vous, c'est ce qu'elle pense. « Oh, non, non, tu me déranges pas du tout ! » Que je m'exclame comme pour bien clarifier les choses alors que je barbote toujours tranquillement sans la moindre gêne. « Je suis désespérément seule dans ce bain... » Je me lamente faussement, basculant la tête en arrière, et sortant une jambe de l'eau pour la tendre en l'air d'un mouvement langoureux. « J'ai même tellement de place que je pourrais me noyer dedans. » J'ajoute l'air presque sérieux. Pauvre de moi vraiment ! Je lui adresse un petit sourire et un regard complice. Mais non, je suis pas en train de lui proposer implicitement de me rejoindre, pff, n'importe quoi !

Etape obligatoire pour toute bonne fille qui se respecte, la salle de bain était le refuge  de mes matinées. J'avais grand besoin de me faire une petite fraîcheur avant d'affronter cette nouvelle journée au sein du nid. Sans maquillage, je me sentais nue et vulnérable et puis il fallait le dire ce n'était pas reluisant parfois certains jours. Il valait mieux ne pas tenter le diable  et risquer un incident diplomatique et avoir toujours l'air fraîche et pimpante en toute circonstance. Mon goût pour l'esthétique et la beauté était bien ce qui me rapprochait le plus du sexe féminin. Pour le reste, on disait lorsque j'étais encore une enfant que j'avais tendance à être un vrai petit garçon manqué même si j'avais changé avec l'âge. J'acceptais mieux mon statut de femme mon comportement n'était souvent pas très élégant. Alors qu'en matière d'élégance, Jessica qui se détendait dans son bain, était un modèle. Elle était née pour être femme, pour être élégante, séduisante et classe. Son métier souvent très controversé n'arrivait pas à tarir son image. Elle restait pour moi la fille la plus classe et la plus distinguée du nid, n'en déplaise à Isaac qui l'avait qualifié de « fille facile ». Elle devait avoir un pouvoir de séduction naturel avec les hommes et c'est peut être la raison pour laquelle elle se prélassait tendrement dans son bain entourée de bougies parfumées. Une mise en scène glamour, intime et romantique J'avais bien peur de m'être encore mis dans de beaux draps. Je  m'excusais de ma présence si toutefois je venais de la déranger pendant un rendez-vous galant.  Lorsqu'elle m'assura le contraire je pouvais souffler un bon coup. « J'avais tellement peur d'interrompre quelque chose ». Je lui confesse. Avec ma chance légendaire, cette situation aurait très bien pu se produire. J'avais le chic pour me retrouver dans des situations embarrassantes. Elle m'avoue dans un soupir qu'elle est désespéramment seule dans ce bain, avant de m'adresser un regard complice et d'ajouter qu'il y a assez de places pour se noyer. Ça ressemble vraiment à une invitation même si j'ai quelques doutes. « Ça serait vraiment bête que tu te noies dans ce bain ». J'ajoute très sérieuse, même si ça pouvait faire une très belle mort. Entourée par toute cette mousse et ces bougies, une mise en scène très glamour toujours moins ridicule que de mourir sur les toilettes. Je chasse cette pensée de mon esprit avec un maigre sourire. « En tout cas tu ne risques pas de te noyer avec moi, j'ai un  diplôme de secouriste ». Et c'était vrai, j'avais dû travailler dans une piscine avant qu'un tatoueur me prenne sous son aile.    

La candidate ne me dérange pas non, je suis même plutôt contente de trouver à présent quelqu'un avec qui discuter un peu. La solitude, c'est bien un moment, mais ça devient très vite pesant, je trouve. Je déclare donc être désespérément seule dans ce bain, et j'ai tellement de place que je pourrais m'y noyer, sans rire. D'après Felice, se serait vraiment bête. J'acquiesce. « Bah ouais ! C'est tellement pas la mort à laquelle je m'attends. » Je réplique d'un air très sérieux. Oui, il m'arrive de penser à ma mort, et clairement, ce n'est pas en me noyant que j'espère, que je devrais finir ma vie. Mais bon, de toute façon, la mort ça arrive comme ça, d'un moment à l'autre, sans qu'on s'y attende vraiment. Enfin, je suis jamais morte donc j'en sais rien, je fais que répéter ce qui se dit. De toute façon, je n'ai rien à craindre puisque Felice est secouriste. Je la regarde d'un air un peu étonné et amusé aussi. « Ah, me voilà rassurée ! » Je m'exclame comme s'il y avait vraiment un risque que je me noie et qu'elle soit obligée de me réanimer, de me faire du bouche à bouche, tout ça. Remarque, ce serait bien la première fois que ça m'arrive, ce serait peut-être une expérience sympa à vivre, je sais pas. Enfin, encore faut-il que je reprenne connaissance après, ce serait mieux. Mais bref. « Tatoueuse, secouriste. Dis-moi, t'as encore combien de cordes à ton arc ? » Simple curiosité, parce que jusqu'à maintenant, je sais pas beaucoup de choses à son sujet, mais ce sont quand même des trucs qui la rendent assez cool, cette nana.

Heureusement pour moi, je n'ai rien interrompu. J'aurai eu l'air fine si un visage masculin avait émergé du bain dans les instants qui avaient suivi mon arrivée. J'avais le don de toujours me trouver au mauvais endroit au mauvais moment. On dirait que je suis chanceuse aujourd'hui puisque je n'ai pas à devoir affronter un événement aussi gênant. Jessica est seule dans son bain, désespérément seule même. Pour se noyer dans le bain, il fallait vraiment le faire mais ce n'était pas pour autant mathématiquement impossible. Je ne me faisais pas vraiment de soucis pour autant, Jessica n'avait pas l'air d'avoir envie de mettre fin à ces jours dans ce bain. Elle ne rêve pas vraiment de mourir de la sorte. Qui en aurait envie ? « Il y a pire comme mort. Dans les toilettes, dans une poubelle, étouffé par son vomi. Le bain c'est pas si mal finalement ». Je n'aime pas vraiment y penser mais comme tout être humain, je rêve d'une mort paisible et sans encombre. Tant que je ne souffre pas, moi ça me va. Même si de toute façon, je n'aurai pas le choix. On ne choisit pas sa mort comme on choisit les vêtements qu'on achète.En tout cas son heure n'est pas venue puisque j'étais en mesure de la sauver avec ma formation de secouriste. « Bon par contre je sais plus si je me souviens des techniques de secourisme, alors s'il te plaît ne te noie pas » Ou comment ruiner une réputation en l'espace de quelques secondes. Cette histoire datait d'il y a 4 ans au moins quand j'enchaînais petits boulots sur petits boulots sans jamais m'en sortir. J'avais tout testé absolument tout. Mon diplôme de secourisme je l'avais obtenu pendant ma courte carrière de maître nageuse, à l'époque j'étais beaucoup plus athlétique et musclée que maintenant. Difficile à croire, moi qui suis devenue toute menue avec le temps. Si j'avais d'autres cordes à mon arc ? Plus qu'elle ne le pensait. « Alors j'ai été serveuse, vendeuse dans pleins de drôles de boutiques, maître nageuse, j'ai même distribué des journaux c'était pathétique. ». Il devait y en avoir d'autres encore caché dans les tréfonds de ma mémoire. J'avais quand même passé 6 ans à me chercher une identité, une profession.