Il est trois heures du matin passé et Alistair ne dort toujours pas. Il n’y a rien de surprenant là-dedans, puisqu’il n’est pas du genre à se coucher avec les poules, ni même à se coucher tout court puisqu’il lui arrive encore régulièrement de faire des nuits blanches. Ceci dit, même s’il ne dort toujours pas dans l’immédiat, ça ne devrait pas tarder puisqu’il doit s’avouer vaincu et reconnaître qu’il est fatigué. Il prend donc la direction de la loveroom, le seul endroit qui lui permet d’avoir un sommeil à peu près paisible, mais manque de chance, elle est fermée à clefs. Est-ce qu’un couple batifole à l’heure actuelle ou est-ce que la production en a marre qu’il l’utilise simplement pour pioncer alors qu’il ne s’agit pas vraiment de l’utilité première de la pièce ?  Qu’importe, ça ne sert à rien d’attendre sagement derrière la porte, il préfère se diriger vers le salon, où il se contentera d’un canapé le temps des trois ou quatre heures où il arrivera à fermer l’œil. Mais seconde mauvaise surprise de la nuit, il découvre que tous les coussins ont disparu. Il y a eu une bataille à laquelle il a échappé ? Bon. Il lui reste une solution, à savoir piquer un oreiller dans l’une des chambres. En écumant le nid, il découvre un ou deux coussins censé rester au salon, signe que son hypothèse d’une bataille est véridique. Naturellement, il opte pour la chambre hivernale, bien qu’il n’y ait passé qu’une ou deux nuits depuis son arrivée ici, ça reste sa chambre ‘’officielle’’. Et puis, c’est la première sur son chemin, aussi, mais s’il ne trouve pas son bonheur ici, il continuera jusqu’à la seconde chambre, voire la troisième. Il entre dans la chambre hivernale en essayant de faire le moins de bruit et lorsqu’il entend une petite voix qui semble s’adresse à lui, il sursaute légèrement, bien qu’il espère que ça ne s’est pas vu. Mais l’obscurité quasi-totale de la pièce, il se doute que cela est sûrement passé inaperçu. Si la personne l’a réveillé ? Non, loin de là. « Non, je ne suis que de passage. » Il murmure, parce qu’on ne dirait pas ainsi, mais il fait parfois preuve d’un peu d’éducation. Et surtout, il n’a aucune envie de s’attirer les foudres des quelques candidats qui dorment encore dans cette chambre, ou plutôt, les quelques-uns qui se tiennent encore aux compositions voulues par Cupidon. Il n’est que de passage, car il ne compte pas s’éterniser une fois un oreiller quelconque récupéré, s’il n’a jamais – ou presque – dormi dans cette chambre, ce n’est pas pour commencer ce soir. « Gaëtane ? » Il continue, sur le même ton, curieux, parce que jusqu’à preuve du contraire, il n’est pas encore doté d’une vision nocturne et qu’il n’est pas en mesure de deviner l’identité de la jeune femme qui s’est adressée à lui. Mais vu le son de sa voix et son hésitation, il est prêt à parier qu’il s’agit effectivement de Gaëtane, une voix qu’il commence à reconnaître à force de la côtoyer. « Tu ne dors pas ? » Il finit par lui demander, toujours en chuchotant, s’avançant de quelques pas dans la chambre. Ça l’étonne qu’elle soit encore debout, ou alors réveillée, compte tenu de l’heure. Il est passé trois heures du matin, et il est peu habitué à rencontrer d’autres candidats à ces heures-ci, quand lui est encore debout à cause de ses insomnies.

Que la voix qui s’adresse à lui, ne s’inquiète pas, il n’a pas été réveillé par elle, il n’était là que de passage, bien que l’heure soit quelque peu étonnante pour simplement venir rechercher un objet dans la pièce. Finalement, il interpelle Gaëtane, car il croit reconnaître la voix de la rousse. La façon dont elle lui répond lui confirme cela, bien que visiblement elle pense qu’il a autre chose à lui adresser. « Je voulais juste m’assurer que c’était toi. »  Il déclare, toujours sur le même ton. Ça pourrait en déranger beaucoup, de chuchoter ainsi, mais pas lui et il pense que c’est la même chose pour Gaëtane. Ils n’ont jamais eu besoin de hausser le ton, ils font partie de ceux qui ne parlent pas fort et ça a ses avantages, comme maintenant. Alistair est ensuite surpris de constater qu’elle ne dort pas et elle ne tarde pas à lui avouer qu’elle a fait un cauchemar et qu’elle n’y arrive donc plus. « Oh. »  Il laisse simplement échapper, parce qu’il ne sait pas vraiment quoi dire. Il n’arrive pas à réconforter les autres dans des moments éprouvants et il est bien placé pour savoir qu’un cauchemar peut l’être. Finalement, elle reconnait ses traits et lui dit qu’il ne dort pas non plus. « Non. »  Il reconnait, même si elle n’avait pas besoin qu’il confirme ses propos puisqu’elle semblait suffisamment assez sûre d’elle. Elle lui demande ensuite s’il a également fait un cauchemar et il reste silencieux un court instant, hésitant quant à la réponse qu’il peut lui donner. « J’en fais chaque nuit, en fait. »  Toujours le même. Ou du moins, la même base, même si parfois il a le droit à des variantes, toutes aussi déplaisantes que le cauchemar original. C’est un fait qu’il n’a jamais révélé à quiconque. Il a toujours dit qu’il avait le sommeil agité, qu’il bougeait beaucoup. Mais il n’a jamais dit à voix haute que c’était à cause de ce foutu cauchemar récurrent, qui décide de hanter son esprit et ce, depuis des années, même maintenant à l’âge adulte. Mais il a confiance en Gaëtane. Il sait qu’il peut lui confier ce détail sans qu’elle le répète, ni même qu’elle le prenne en pitié. Si elle se montre curieuse à propos de ce point, il sait qu’elle ne le fera pas dans le but de faire sa psychanalyse et ce n’est pas déplaisant. « Tu veux que je reste un peu avec toi ? » Il finit par demander, toujours en chuchotant, en s’approchant un peu de la silhouette qu’il pense être la sienne. Il pourrait s’aider au son de sa voix, mais il n’est pas spécialement doué pour cela. Il ne voit pas assez en plus, et il ne voudrait pas se tromper et se retrouver à côté d’un tas de fringues qu’il aurait confondu avec la candidate, ou pire, assis sur le lit d’un candidat qui dort paisiblement. Il attend de savoir si elle accepte ou non avant de lui demander de l’aide pour la retrouver. Peut-être que sa présence la dérangera plus qu’autre chose, il n’est pas connu pour avoir un effet apaisant. Il n’aurait pas fait une telle proposition à n’importe quoi, mais Gaëtane n’est pas si différente que lui, dans un sens, elle est un peu fragile, un peu perdue par ce qui l’entoure et inconsciemment, il a envie d’être là pour elle. Même de la protéger. Surprenant, en sachant qu’il a appris à la connaître sur le tard.

Il ne dort pas. Ce n’est pas une grande surprise. Elle soupçonne un cauchemar, et la vérité, c’est qu’il en fait chaque nuit. Ou du moins, les nuits où il ne peut plus lutter contre la fatigue et se voit contraint de se coucher. Et dès qu’il ferme les yeux, c’est la même rengaine. Le même cauchemar, encore et encore, qui ne le quitte plus depuis des années. C’est pour cela qu’il lutte constamment contre la fatigue, qu’il préfère accumuler les nuits blanches jusqu’à ce que son corps cède plutôt que d’essayer de dormir un peu chaque nuit et qu’il subisse ce cauchemar chaque jour que dieu fait. Non, parfois, il a besoin d’une pause, de ne plus avoir les images l’espace d’un jour ou deux. Si lui en fait à chaque fois qu’il ferme les yeux, ce n’est pas le cas de Gaëtane, qui n’en avait pas fait depuis plusieurs années. Il imagine que ça doit être dur pour elle, de soudainement en refaire un, c’est d’autant plus violent. « Et tu n’as pas une idée qui expliquerait pourquoi cela est revenu ? » Parfois c’est une cause insoupçonnée, bien cachée dans le subconscient. Est-ce qu’elle est stressée, est-ce qu’elle s’est disputée avec quelqu’un ? Cela pourrait être des facteurs explicatifs, malgré que cela puisse paraître léger pour que cela déclenche des cauchemars. Il lui propose ensuite de rester un peu avec elle. Il sait qu’il n’a pas la présence la plus rassurante du nid, il sait qu’il est arrivé à certains de ses camarades d’être mal à l’aise en sa présence, mais il propose, peut-être que Gaëtane ne ressent pas les choses ainsi. Et c’est le cas, puisqu’elle accepte qu’il reste un peu avec elle. Il marche lentement dans la pénombre, distinguant finalement sa silhouette, tâtonnant de la main et finalement s’asseyant doucement à ses côtés. Il ne faudrait pas qu’il en oublie les autres qui dorment. Pour peu, il serait presque prêt à passer un bras autour d’elle pour la rapprocher de lui, mais il va s’abstenir, au risque de paraître trop collant ou trop entreprenant au goût de la jeune femme. Quand elle lui demande si cela fait toujours cet effet, il hésite. Il est un spécialiste, pourtant, il pourrait lui dire qu’en effet, il ne se passe rien de cohérent, que c’est toujours ainsi. « C’est différent d’une personne à l’autre, il parait. » Il déclare, en haussant les épaules. C’est connu, quel que soit l’événement, les êtres humains ont toujours des réactions différentes. Et cela s’applique également aux cauchemars, bien qu’il n’en soit pas extrêmement convaincu. Certains se réveillent doucement malgré tout, d’autres suffoquent, d’autres hurlent, d’autres ne prennent même pas conscience qu’ils rêvent… Oui, chacun a une façon particulière de vivre cela, bien qu’il y ait un point commun : la sensation désagréable qui s’ensuit et qui semble impossible à s’en débarrasser. Elle continue ensuite son récit et il l’écoute attentivement, voulant lui montrant qu’il est là pour elle. « Tu avais l’impression d’être piégée. » Il affirme, presque certain que c’est la sensation qu’elle a pu ressentir. Peut-être qu’il s’avance un peu trop, ça lui arrive. « Au moins, tu es parvenue à te réveiller, en sursaut ou non, pour mettre fin à tout ça. » Il essaie de relativiser, un peu maladroitement. Parfois, il arrive que les cauchemars soient si intenses que bien qu’on ait conscience de ce qu’il se passe, ce n’est pas pour autant qu’on est en mesure de sortir de ce rêve atroce et l’échappatoire ne semble pas être une option. « Quand ça m’arrive, j’ai l’impression que même conscient de ce qu’il se passe, je n’arrive pas à en sortir, comme toi. » Il lui avoue, pour qu’elle ne se sente pas seule dans sa galère. « Et c’est comme si mes poumons ne faisaient plus leur travail, et que je suffoque. » Voilà, il en a déjà trop dit à son goût, mais au moins, elle sait qu’elle n’est pas la seule à subir les désagréments des cauchemars. Parfois, c’est agréable de ne pas se savoir seul dans certaines situations, et peut-être que c’est le cas pour elle, maintenant. « Si ça t’arrive à nouveau, je traîne souvent par le salon à ces heure-ci, alors je pourrais te tenir compagnie. » À moins qu’il soit exceptionnellement dans la loveroom, mais globalement, il passe plus de temps à errer au rez-de-chaussée que caché dans la pièce des amoureux. Alors si les cauchemars reprennent le dessus une nuit prochaine, il veut bien lui tenir compagnie pour éviter qu’elle soit seule. « Si tu veux, bien-sûr. » Il précise toutefois, car il n’a aucune envie de lui forcer la main. Tout dépend d’elle. Et si ça se trouve, il n’est là que pour quelques jours encore, dans quel cas sa proposition ne servira à rien si ses cauchemars recommencent la semaine prochaine.

Si elle n’a pas fait de mauvais rêves depuis plusieurs années maintenant, il y a peut-être un facteur susceptible d’avoir provoqué le retour de ceux-ci. C’est pour cela qu’il l’a questionne, peut-être qu’elle a une idée de ce qui pourrait avoir provoqué ce retour. Mais non, elle ne sait pas et c’est sûrement ça le pire. Lui, il sait pertinemment pourquoi ses nuits sont agitées, cela relève du domaine du traumatisme, mais Gaëtane, elle, ne peut pas expliquer ce retour soudain. Ce qui veut dire que cela peut revenir à tout moment, tant que le facteur de cause n’est pas isolé. Il se contente de pincer les lèvres dans le noir, désolé pour elle, bien qu’elle ne puisse pas le voir. Il lui demande si elle souhaite qu’il reste un peu avec elle et quand elle accepte, il prend sagement place à ses côtés. Elle le questionne sur l’effet que les cauchemars provoquent, si c’est toujours ainsi, mais il n’existe pas de bonne réponse, chacun réagissant différemment. Elle essaie de mettre des mots sur ce qu’il s’est passé, mais elle ne parvient pas vraiment. Elle explique simplement que son rêve n’était pas si effrayant, mais qu’elle avait malgré tout peur.  « C’est le propre d’un cauchemar, il n’a pas besoin d’être rempli d’images atroces pour être désagréable. » Il répond, toujours en chuchotant, avant qu’il explique son ressenti quand cela lui arrive à lui. Il ne se confie pas facilement, mais il se dit que dans ce cas-là, ça peut l’aider à se sentir moins seule. Gaëtane lui explique qu’elle a vu un visage dans son cauchemar, un visage qu’elle semble reconnaître, signe que sa mémoire lui revient peut-être. Il serait presque ravi pour elle, il pense que c’est plutôt un bon signe pour quelqu’un souffrant d’amnésie, mais c’est jusqu’à ce qu’elle déclare qu’elle ne veut pas se rappeler et le son de sa voix lui fend le cœur.  « C’est un incident isolé, peut-être que ta mémoire ne va pas pour autant revenir. » Bien qu’il n’aperçoive pas la jeune femme comme la lumière du jour le lui permettrait, il est mal à l’aise. Mal à l’aise, car s’il la voit mal, il l’entend très bien et il sait qu’elle ne va pas bien, que parler de cela est douloureux. Et il est bien placé pour savoir qu’évoquer des faits du passé n’augure jamais rien de bon. Il sent, à côté de lui, qu’elle se recroqueville et il ne sait pas comment réagir. La situation lui échappe, il serait tenté d’abréger la rencontre, mais il ne peut pas laisser Gaëtane ainsi. Alors sans réfléchir plus longtemps, il cherche sa main dans le noir pour l’entourer de la sienne. C’est stupide, il le sait, lui n’aime pas qu’on le touche car il assimile cela à de la violence, et peut-être que c’est pareil pour Gaëtane, d’autant plus qu’il sait désormais qu’elle a une certaine forme d’autisme. Alors il ne sait pas comment réagir et s’en fiche, elle peut le frapper si elle le souhaite, il ne peut pas simplement rester à ses côtés en sachant pertinemment qu’elle perd son calme, il a besoin de lui montrer qu’il n’est pas insensible à son sort. « Tu n’as pas à y retourner. » Il lui répond, quand elle lui parle de l’hôpital. Il ne connait pas grand-chose d’elle, si ce n’est qu’elle a subi un accident et qu’elle a perdu sa mémoire en partie – il lui semble – alors il ne sait pas de quel type d’hôpital elle parle. Mais même s’il ne peut pas lui assurer qu’elle n’aura pas à y retourner, il peut lui préciser pourquoi il pense cela. « Personne n’a à savoir que tu t’es souvenue de quelque chose. » Il réplique, s’expliquant. S’il a bien compris, c’est le fait qu’elle se souvienne qui pourrait la conduire à nouveau à l’hôpital. Mais là, ils ne sont que les deux et vu l’heure, personne ne les a entendus et personne ne les filme, il l’espère. Alors peut-être que cela peut rester entre eux. Quoi qu’il en soit, si un tel cas de figure se reproduit, il ne faut pas que Gaëtane hésite à venir le trouver, il lui tiendra compagnie, même si c’est dans le silence, simplement pour qu’elle sache qu’elle n’est pas seule.  « J’espère aussi. » Vu l’état dans lequel ce cauchemar l’a laissée, il espère sincèrement que ça ne deviendra plus une habitude, c’est tout ce qu’il lui souhaite, étant bien placé pour savoir qu’on ne s’habitue jamais aux cauchemars même si l’on est forcé de leur faire une place.