Ghika se plaît toujours autant à marcher, courir, trotiner sur le sable. Ce n'est pas souvent qu'il a l'occasion de fréquenter un sol sableux, en dehors d'un voyage expérimental dans le désert il n'a que très rarement eu l'occasion de voir des plages. Et encore il faut bien reconnaître que ce n'est pas dans un erg qu'il a eu la chance de voir la mer. Mais trève de divagation sur les explorations récentes de Ghika pour revenir à des considérations plus intéressantes et plus proches de la vie dans le nid. Nous disions donc, que Ghika se plaît toujours autant à fouler le sol de la plage. Les autres candidats semblent vivre cette semaine plutôt bien, ce que Ghika peut comprendre, douze d'entre eux sont après tout hors de danger depuis dimanche. Ce qui est une position assez enviable, surtout pour quelqu'un dans la position inverse, condamné à attendre jusqu'à dimanche pour savoir si le public veut de lui ou non. Un professeur de psychologie lui a dit un jour que mettre les pieds dans l'eau et visualiser les pensées négatives s'échapper dans la mer. Cette technique est utilisée par les psychologues pour aider certains patients à faire leur deuil. Ghika n'a jamais été bon pour laisser aller ses émotions et tourner la page. Paradoxalement il n'est pas du tout rancunier, son entêtement à garder ses émotions pour lui ne concerne que les pertes durables. Alors les pieds dans l'eau, bercé par le mouvement lancinant de la houle sur ses moulets, Ghika teste les théories farfelues de ses anciens professeurs. Il pourrait continuer des heures les yeux clos à tanguer légèrement lorsqu'une vague plus forte tire son corps frêle vers la rive avant de le faire pencher vers le large. Il aurait pu continuer ainsi des heures, oui, mais pas maintenant qu'il a entendu le bruit de pied percutant la surface de l'eau derrière lui. Ses yeux mettent quelques secondes à se réhabituer à la clarté du soleil, juste assez de temps pour qu'il puisse se retourner et voir Paloma venir dans sa direction. « Fait gaffe il y a un trou par-là. » dit-il en indiquant du doigt la zone dangereuse. Il a découvert ça à ses dépends comme en atteste son pantalon trempé jusqu'à l'entrejambe. Ghika n'est jamais dérangé par la présence de Paloma. Au même titre que Gaëtane, la jeune espagnole a sur Ghika un pouvoir apaisant. « Qu'est-ce qui t'amène par ici ? » lui demande-t-il avec un grand sourire. Il faut l'avouer, selon la personne qui se serait pointé Ghika aurait pu poser cette question sur un tout autre ton, mais c'est elle et ça change tout. « Ferme les yeux et laisse partir tout ce qui te pèse dans la mer. » Il se mèle probablement de ce qui ne le regarde pas, la façon dont elle gère la perte de son ex ne le concerne en rien, mais Ghika a un bon fond, s'il peut aider, ne serait-ce qu'un peu, ça vaut le coup.

La main de Paloma qui attrape son bras le tire légèrement en arrière dans un effort surhumain pour ne pas tomber Ghika réussit à tenir debout tout en ne laissant pas à Paloma la chance de répéter ses prouesses aquatiques. Heureusement pour lui il fait encore plutôt chaud et l'air frais qui happe son corps n'est pas pour lui déplaire même lorsqu'il lui arrache un frisson. Elle prend sa main et il ne la retire pas. Pour une multitude de raisons, comme toujours avec Ghika. Un geste de Paloma ce n'est jamais mauvais à prendre, et chaque contact qu'elle appose sur son corps, comme des marques fébriles de son passage, sont autant de pas qu'il fait dans la direction de gagner sa confiance pleine et irrévocable. Une confiance qui pourrait se retrouver légèrement brisée le jour où ils sortiront, qu'ils découvriront ce que l'autre a caché. Peut-être, Ghika en doute. Il est venu dans l'émission avec un but et il considère qu'il l'a déjà atteint, tout ce qu'il prend maintenant ce n'est que du positif et lorsque Ghika aime quelqu'un il ne le fait que rarement à moitié. Le problème restant de savoir si l'autre est prêt à un peu de réciprocité ou s'il joue avec les sentiments qu'on ne peut s'empêcher de développer dans un contexte tel que celui-là. « Moi c'est toi qui m'apaises. » dit-il les paupières closes, un petit sourire aux lèvres. Paloma est apaisante, bien plus que la mer ne saurait jamais l'être à ses yeux. La mer est violente, elle est sauvage. Elle vous berne sous des apparences de douceur et d'inaction, et puis elle tue sans qu'on s'en rende compte, entraînant dans les profondeurs les cadavres de ceux qui lui ont trop fait confiance. Sa main autour de celle de Paloma le réchauffe alors que les vents marins flirtent avec le tissu trempé de son jean, Ghika pourrait rester là des heures, debout, passif. Pourquoi s'en priver au fond ? Il n'a rien de mieux à faire. Le commentaire de Paloma sur les effets qu'aurait une thérapie du relâchement l'emmerde. Clairement, simplement. Il voudrait qu'elle soit heureuse sans avoir à trimballer une valise grosse comme une maison de démon et de non-dits. Rien que pour ça il voudrait faire tomber son secret. Pour qu'elle puisse être enfin débarrassée d'un poids parmi tant d'autres. « Avec tous les poissons qui se reproduisent dedans j'me demande comme elle fait pour rester aussi belle d'ailleurs. » soupire-t-il toujours souriant. C'est son mécanisme de défense quand les choses lui échappent qui parle. Il préfère plaisanter que de braquer Paloma, ce qui en soi suffit à montrer à quel point il estime sa présence et son affection. Ghika en général il ne se préoccupe pas beaucoup de ce que ses paroles peuvent produire comme effet. Il est sincère, brutalement honnête parfois, mais surtout il ne veut pas regarder en arrière et se demander s'il n'aurait pas mieux faire d'exprimer son opinion. Elle lui demande si c'est pour lâcher prise qu'il est là. Son petit sourire se fade légèrement alors qu'il plonge ses yeux dans le visage de la brune. « Entre autre. » entame-t-il, un brin énigmatique mais pas encore sûr de vouloir s'arrêter là. Le mystère n'est pas un effet de style chez Ghika, c'est avant tout une façon de se donner une seconde pour réfléchir. En général une seconde c'est tout ce qu'il lui faut pour prendre une décision raisonnable. En général seulement parce qu'il lui arrive de temps en temps de se lancer précipitamment dans une aventure périlleuse sans s'en rendre compte. Parler à Paloma n'a de périlleux que la possibilité qu'elle mette le doigt sur son secret. Son vrai secret. C'est un danger que Ghika se fiche royalement de prendre, alors pourquoi se taire ? « Ça n'a pas l'air de marcher pour moi, je suis un peu trop tenace pour accepter qu'une métaphore aussi banale que la marée puisse emporter mes emmerdes. Mais faut croire que c'est vrai la mer prend et ne rend pas. Si tu lui donnes quelque chose de précieux tu ne pourras plus jamais l'avoir. Pas exactement en tout cas. » explique-t-il. En vérité il est surtout venu apaiser ses chagrins de longues dates. Voir si la mer peut le débarrasser de ce lancinant sentiment de perte qu'il ressent à chaque fois qu'il pense à ses grands-parents. Les seules véritables figures familiales qu'il n'ait jamais eu. Il vient voir si la mère peut effacer la mère, si elle est capable de lui faire oublier la rancoeur et la rage qui le déchirent de l'intérieur à chaque fois qu'ils se croisent pour un café ou un repas. « Enfin... c'est la vie. » conclut-il désabusé. La réalité c'est que la mer ne peut rien pour lui. Ses grands-parents resteront morts, sa mère restera une salope égoïste n'ayant pour objectif que de briller plus qu'elle ne le pourra jamais mais qui est trop aveuglée par son ego pour ouvrir les yeux. Et lui dans tout ça ? Il a récupéré le pire dans chacun d'eux. Il est devenu un jeune homme incapable de s'engager véritablement dans une relation, qui cherche la reconnaissance dans les yeux de tout le monde et de n'importe qui. Il est devenu ce qu'il exécrait. Le pire dans tout ça restant le fait qu'il se plaît dans cette vie et qu'en changer le terrorise. « Elle te manque ta vie de l'extérieur ? » lui demande-t-il à la fois curieux et à la recherche d'un lieu commun. Si personne ne ressentait de manque, peut-être était-il normal que lui n'ait aucune envie de retrouver la normalité. Peut-être que... non. Non il le sait bien. Ce n'est pas normal que la vie qu'il s'est choisie, la vie qu'il a lutté pour construire pendant près de dix ans ne lui manque pas vraiment. Quand la seule chose qui lui manque est la fac, il faut en venir à une conclusion. Le bonheur est ailleurs.