Paloma a retrouvé la clarté de son ciel, à elle, et et tout lui apparaît moins lourd, moins vain, moins compliqué. Il reste quelques embruns de chagrin, de souffrance, parce qu'elle peut pas tout balayer et oublier mais ça va mieux et ça fait du bien de ré-apprécier à juste titre la beauté des paysages qui l'entourent, de savourer la nourriture sans lui trouver un arrière-goût de cendre, de dévorer de nouveau les livres sans se sentir plombée par les drames romancés. En fait, ça fait juste du bien. Paloma a l'impression que cette semaine lui sourit et c'est agréable en dépit des zones d'ombres restantes. C'est agréable de retrouver la volupté des premiers jours et de se sentir étrangère à la plupart des tensions qui règnent au sein du nid. Comme toujours, l'espagnole est la première levée de la chambre hivernale et se retrouve seule dans la salle de bains, seule dans la cuisine puis dans le salon. C'est pas une solitude désagréable qui pèse c'est plutôt agréable, comme si le silence devenait un ami qui nous accompagne et nous prend par la main. Ca l'apaise, en fait. Et ce qui l'apaiserait encore plus c'est d'aller courir, se vider la tête, ne penser à rien d'autre qu'à mettre inlassablement un pied devant l'autre. Paloma court peu. Généralement, elle sprinte quand ça va mal, vite, encore plus vite, toujours plus vite, jusqu'à en perdre haleine et espérer cracher son palpitant sur le macadam. C'est une façon de purger son corps en le soumettant à une pression qui brûle plus fort que de l'acide mais une douleur du corps, qui annihile tout le reste. Cependant, la course d'endurance, c'est pas son truc parce que c'est une démarche beaucoup plus saine. Ses pas de loups la mènent jusqu'au dressing, elle enfile un short couvrant à peine ses jambes qui lui semblent s'évanouir de jour en jour et file en direction de la forêt. Elle court à son rythme, longtemps et ça lui fait un bien fou de s'évader dans les sous-bois où la chaleur est plus supportable, moins étouffante. C'est sur le chemin du retour, le corps ankylosé mais ravi, qu'elle aperçoit Gaëtane qui se balance. Paloma pourrait poursuivre sa route mais elle pile pour pivoter et la rejoindre. Elle l'aime bien Gaëtane, mais elle a l'impression qu'elles se sont ratées à un moment donné sans pour autant prendre des direction diamétralement opposées elles se sont croisées et puis éloignées sans qu'elle l'explique. Et c'est un peu con. Elle lui adresse un sourire, se laisse choir sur la balançoire la plus proche d'elle et défait ses cheveux noués pour les sentir voleter autour d'elle quand elle se balancera. Paloma conserve les pieds bien ancrés au sol et repose un regard attentif sur Gaëtane. Elle la dévisage un instant, admire silencieusement - à travers l'examen de ses traits - le parcours accompli par la rouquine et la libère de ses iris noisettes pour les plonger dans l'horizon. « Ça a un truc apaisant la balançoire, tu ne trouves pas ? » C'est une question soufflée, un peu idiote, qui lui est même pas destinée au fond. Une réflexion naïve amenée par la sensation qui étreint dans ce genre de cas ; celle de pouvoir s'envoler à force de se balancer, de s'envoler si haut que plus rien ne comptera ou n'aura d'importance. « Ma mère m'interdisait d'en faire quand j'étais môme. » poursuit Paloma sur le même ton sans savoir pourquoi elle balance ça. C'est vrai mais c'est pas très intéressant comme réflexion. Son enfance a été de toute façon découpée en deux ; les choses qu'on lui interdisait et celles qu'on lui déconseillait. C'était pas au monde de s'acclimater à son handicap c'était à elle de se plier au monde et comme la patience ne régnait pas chez elle, il était bien plus simple de la priver d'un tas de divertissements plutôt que de l'aider à les apprivoiser sans le sens le plus précieux.

Paloma n'est pas la plus douée pour communiquer. Généralement, elle se lie lentement, en douceur. Elle reste en retrait, observe, apprend, connaît et après le reste se fait progressivement, naturellement. Elle s'attache vite - trop vite - mais c'est plutôt la fille sur la réserve vers laquelle il faut aller et non celle qui va spontanément imposer sa compagnie. Elle n'a pas de mal à laisser les autres entrer dans sa bulle mais l'effort doit venir d'eux, parce que Paloma ne sait pas faire ça, elle est souvent maladroite avec les mots et peu loquace. Le problème c'est que Gaëtane non plus n'est pas la plus éloquente et ça rend souvent leurs échanges brefs pour ne pas dire superficiels. Elle s'en rend bien compte et ça l'ennuie, c'est aussi pour ça qu'elle s'est spontanément dirigée vers elle. Parce qu'elle ne saurait même pas dire à quand remonte leur dernière conversation, en dehors des banalités d'usage qu'on prononce quand on croise quelqu'un sans pour autant cesser toute activité pour le rejoindre. C'est pas fameux comme tentative mais ça a le mérite d'être sincère et puis elle sait pas, mais elle le sent bien Paloma. C'est un peu naïf comme constat mais le lieu, le temps, son état d'esprit, y'a un peu tout qu'est réuni pour essayer de retrouver la simplicité des premiers moments même si la Gaëtane qu'elle imaginait aux castings ou au tout début n'a rien à voir avec la Gaëtane découverte au fil des semaines. Elle l'imaginait fragile, friable, elle rêvait de la protéger, alors qu'au final la rouquine est bien plus forte qu'elle, elle le sent. Sa façon de lancer la conversation est bien entendu maladroite, inconséquente, mais la réponse de sa camarade la surprend et Paloma rive sur elle des prunelles concernées, attentives. « Une perte de temps ? » Sa voix feutrée fait écho à la sienne, teintée de surprise et presque d'indignation. Comment on peut dire à une môme que s'amuser, c'est une perte de temps... Paloma hausse les épaules et se balance doucement, d'avant en arrière, sans laisser ses jambes décoller. « Comme j'y voyais rien, ma mère craignait que je blesse quelqu'un » Elle dit ça d'un ton égal, parce qu'elle en est revenue, Paloma. C'est drôle en y repensant. Pour la majorité des parents, l'inquiétude aurait été que leur fille se blesse, elle, dans la manoeuvre. Mais non, la sienne l'imaginait plutôt percuter un autre gosse qui passerait devant ou derrière elle alors qu'eux, ils avaient des yeux pour l'éviter. Paloma interrompt son balancement et glisse des yeux curieux sur Gaëtane : « Y'a des choses qu'on t'a interdit pendant ton enfance ou ton adolescence que t'auraient aimé connaître, avec le recul ? » qu'elle demande avec sa voix d'berceuse qui caresse plus qu'elle n'interroge. Après tout, la balançoire c'est futile, mais ça doit pas être la seule chose inconnue au bataillon pour la rouquine. Paloma n'a pas eu une enfance facile et ça l'a forgée, en quelque sorte. Ca a attisé son besoin de s'accrocher aux autres, de s'y attacher, de faire en sorte de compter pour eux comme ils comptent pour elle. Grandir seule, isolée, ça lui a donné envie du contraire et si Paloma aime la solitude, elle est très dépendante des autres et des relations qu'elle noue. Y'a qu'à voir comment elle a pu tomber pour le premier gros con passé devant son nez juste parce qu'il était là et qu'elle avait toute une vie à rattraper. Et ça n'a jamais changé. Paloma a besoin des autres parce qu'elle a trop souvent été seule, elle a besoin d'aider comme elle aurait aimé qu'on l'aide et elle a besoin de nouer les relations fortes qui lui ont fait défaut jusqu'à ses dix-sept ans quitte à s'manger des murs et des déceptions à la pelle.