Qui aurait cru qu’il serait si difficile de sauter le pas, ce n’est pourtant pas faute d’avoir imaginé cet instant depuis que j’ai eu confirmation que mon fils était bel et bien né et qu’il avait été adopté. Je n’ai eu de cesse de songer à ce moment, à ce que j’allais dire aux parents adoptifs de mon enfant… A tout ce que cela impliquait mais maintenant j’hésite. Je ne crains pas de devoir assumer toute cette partie de ma vie, il est grand temps que je porte mes couilles. Non, je suis effrayé à l’idée de chambouler la vie de ce petit bonhomme qui a pris l’habitude de vivre dans une famille probablement parfaite. Il est jeune, à quatre ans que peut-on comprendre de ce que j’aimerais être capable de lui dire ? On ne peut pas réellement se rendre compte de la réalité de la vie à cet âge-là, il ne pourra pas mettre des mots sur une situation qui lui sera en quelque sorte imposée, comment faire comprendre à un enfant de cet âge qu’il a été adopté et que son vrai père se tient devant lui ? Je me liquéfie au fur et à mesure que je songe à tout cela, les mains sur le volant de ma voiture. Je n’ai pas fait toute cette route pour repartir les mains vides, je dois au moins le voir mais je ne sais pas si je vais être soulagé ou mettre les deux pieds en plein milieu de sables mouvants.

Est-ce le début de la rédemption ou un aller simple pour l’enfer ? Suis-je capable d’endurer cette torture que représente le fait de pouvoir découvrir mon fils sans le retrouver au quotidien ? Puis-je réellement être calme et accepter que d’autres personnes s’occupent de ma chair, même s’ils le font probablement mieux que je ne le ferais jamais ? Et qui suis-je pour me pointer comme une fleur après quatre ans en demandant des comptes à des personnes qui n’ont jamais rien souhaité d’autre que du bonheur ? Mon cœur bat cruellement vite dans ma poitrine, mes doigts longent fébrilement le volant sur lequel je suis appuyé depuis quelques minutes. Je m’en sens incapable, j’ai peur de ce que tout cela va faire naitre en moi. Je descends de ma voiture que je ferme à clé, mes jambes sont à deux doigts de flancher. Putain mais pourquoi n’ai-je pas plus de courage que cela ? Je me mordille la lèvre nerveusement et m’arrête net avant d’avoir atteint le portail qui mène à l’entrée de la maison de cette belle petite famille. Je ne peux pas, je n’y arrive pas alors que mon esprit m’hurle de le faire. Je recule et observe les environs, un petit banc se trouve un peu plus loin et je décide d’aller m’y assoir pour réfléchir. Je m’assois, soupir et glisse mon visage entre mes mains.

J’halète, j’étouffe, incapable d’affronter une réalité qui me pétrifie. Que va-t-il se produire lorsque je vais franchir le seuil de cette porte, quand nos regards vont se croiser pour la première fois et que je vais découvrir mon fils ? Je redoute le choc que cela pourrait me faire, je panique à l’idée de ne pas être capable de contenir cette lave brûlante qui ne demande qu’à entrer en éruption et à se déverser. Pour le moment tout cela ne sonne pas complètement réel, je n’ai pas encore été confronté à mon passé et je possède donc en quelque sorte le choix. Celui de prendre mes responsabilités, de porter mes couilles et de foncer toute baissée ou celui d’être faible et de me retourner pour ne plus jamais revenir. Il est très simple de trouver des arguments pour et contre chacune de mes deux options mais il y a néanmoins un point essentiel qui entre dans cette réflexion, et qui fait dangereusement pencher la balance. Cet enfant est ma chair, mon sang, il porte le même ADN que moi et je ne peux tout simplement pas l’ignorer. Pourquoi suis-je donc en train d’hésiter ? Assis sur ce banc à tenter de maitriser le tremblement agaçant de mes jambes tellement lourdes que j’ai l’impression que je ne serais jamais capable de me servir d’elles à nouveau. La réponse est simple, je me trouve peut-être à deux doigts de la destruction d’un foyer, d’une famille et je ne suis pas certain d’être suffisamment insensible pour aller jusqu’au bout.

« Qu'est-ce que tu espères en y allant? » Je sursaute, relève la tête. En voilà une bonne surprise, je ne pensais pas apercevoir Ana aujourd’hui, elle aussi devant cette maison dans laquelle se trouve le fruit de nos amours. « Putain tu m’as fait peur ! » Que je lui signale en plaquant la paume de l’une de mes mains contre ma poitrine. Le fait qu’elle soit venue est une bonne chose, nous allons pouvoir discuter sans avoir à faire attention pour ne pas révéler notre secret et j’en ai besoin, il y a tellement de choses à propos desquelles nous devons parler tous les deux. « Rencontrer mon fils pour commencer… » Je marque une pause, dois-je aller jusqu’au bout ? « Je… » Je cherche mes mots. « J’ai contacté un avocat pour me renseigner et… Je songe sérieusement à entamer une procédure pour récupérer la garde ! »

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