11/03 feat ariadne +

Qu’y a-t-il à faire en dehors de la marche ? Pas grand-chose. A la lenteur des escargots, le temps défile. Gekko le trouve long, ce putain de temps. Il ne peut cesser de penser aux bénéfices qu’il est en train de louper, aux stratégies marketing qu’il pourrait développer, aux évènements qu’il pourrait organiser pour promouvoir ses produits. Non, au lieu de faire bouger les choses, d’être utile à l’économie de son pays, il ne fait que bouger son cul par des incessants allées et retours entre le campement et la forêt. Il a déjà les fesses bien fermes, pas besoin de toutes ces balades en forêt pour le raffermir. Après une énième journée qui se veut être interminable, il est sur le chemin du retour le menant à sa tente. La nuit qui ne va pas tarder à tomber, il préfère accélérer le rythme pour arriver avant que le soleil ne se couche. Malgré son sérieux, son air froid, rigide et inexpressif, sa maturité, il a ses propres faiblesses, comme tout le monde. Ce gros gaillard est un véritable froussard. Affronter une salle remplie d’actionnaires ? Pas de problème. Se promener la nuit tout en ayant le risque de se faire attaquer par une bête sauvage ? Il hurle à la mort. Niveau crédibilité, zéro, je vous le confirme. Mais il n’y peut rien. Difficile pour lui de contrôler ses peurs. C’est une des rares choses dont il n’a pas le contrôle d’ailleurs. Une tare. Donc lorsqu’il s’aperçoit qu’il fait déjà nuit noir, qu’il est encore loin d’arriver et que soudain un bruit étrange surgit de nulle part, il passe en mode « marche rapide ». Sur sa route, il tombe nez à nez avec une jeune femme. De son regard, elle l'interroge. Oui, il y a quelque chose derrière qui le poursuit. Une bête sans doute. Instinct de survie, il pousse légèrement la jeune femme au-devant du danger, histoire qu'elle soit la première à être dévorée, puis il prend ses jambes à son cou et file se cacher derrière un arbre. Ce n'est pas un gentleman, il n'est pas compatissant, doux, courageux, le prince charmant ce n'est que dans les contes de fées. Derrière son arbre, il est essoufflé, apeuré. Tel un automatisme, il prend son pouls. Son rythme cardiaque est bien trop élevé et sa tension est loin d'être bonne. Comme on lui a appris, il fait quelques exercices de respiration pour se relaxer. Quelques sueurs perlent sur son front, mais petit à petit il reprend son calme. D'ailleurs en parlant de calme, il n'entend même pas la jeune candidate se faire dévorer par la bête. Était-ce un mauvais pressentiment ? Sans doute. La seule chose qui le préoccupe ce n'est ni la candidate, ni cette fausse alerte, mais bien le fait de retrouver son calme. Quel con à s'exciter au moindre bruissement de feuilles.

Des distractions, il y en avait peu dans le coin. On tournait très vite en rond. L'ennui les guettait tous, dont Ariadne. Les occupations se faisant rare, il fallait les créer. Ce n'était pas gagné, vu le peu de matériel qu'ils avaient à disposition. A force, ils allaient tous devenir fous. Elle était à deux doigts de la folie. Elle avait besoin de se défouler, de transférer son énergie sur autre chose que la parlote. Sa mâchoire en devenait douloureuse à force. A défaut, elle se retrouvait à se créer ses propres jeux, ses propres délires parce qu'à un moment donné, elle ne tenait plus en plus. Elle avait la bougeotte sans être hyperactive. Une énième marche en perspective, mais cette fois pour de la nourriture. Elle s'était portée volontaire pour ramener des provisions à son clan. Du pain, des poires et de la pomme de terre. Rien de plus basique, mais nourrissant. Elle portait tout à bout des bras. Pas très pratique, c'est vrai. Elle s'en sortait plutôt bien et marchait à un rythme plus lent qu'ordinaire. Sans qu'elle n'y attende, elle tomba sur un gars paumé. Interloquée, elle eut à peine le temps de s'écarter qu'il la bouscula légèrement la faisant perdre son équilibre. Toutes les provisions tombèrent à terre. Elle lâche un juron féroce. « Putain ! » Elle souffla, s'empressa de tout ramasser car elle avait été retardée par cet abruti. Agacée, elle enleva de la terre des poires à l'aide de la manche de son sweat. Elle continua à ramasser tandis qu'elle lâcha une remarque des plus acerbes en s'adressant au type planqué derrière cet arbre. « Tu pourrais t'excuser quand même, merde. » Elle s'arrêta un instant car ses jambes ne tenaient plus. Elle se massa la nuque pour détendre ses muscles. Elle était exténuée.  « Fais chier. », qu'elle soupira. Elle toisa l'arbre, l'incompréhension se lisant sur ses traits. Elle pouvait comprendre qu'on puisse avoir la frousse, mais il y avait des limites comme même. Le courage se perdait de nos jours. Elle finit par s'agacer de nouveau. « Bon. T'as fini de te planquer là. » Elle se laissa tomber au sol et joua avec son médaillon en attendant que l'autre daigne montrer son nez.

Certes il aurait préféré être doté de beaucoup plus de courage. Mais tout le monde se déplaît tel qu'il est. Intel aurait préféré avoir des lèvres beaucoup plus pulpeuses, bidule aurait préféré être plus populaire auprès des gonzesses, machin aurait préféré avoir au moins un ou deux neurones pour mieux réussir à l'école. La nature est plus forte que nous. Elle a beau avoir offert l'intelligence, la réussite professionnelle, un bon statut et niveau social correct à notre Gekko, il reste un gros froussard. Une poule mouillée, un lâche. Il l'assume et il n'en a pas honte. Il voit sa peur plus comme un instinct de survie. Quelque chose de normal pour un être humain. Sacrifier les autres pour mieux se conserver. C'est vache, mais c'est en quelque sorte la façon dont il voit les choses. Pousser les autres au-devant du danger pour mieux se protéger. C'est ce qui vient d'arriver avec cette jeune candidate. Tombée au mauvais endroit, au mauvais moment. Elle se retrouve violemment bousculée et volontairement surtout, par Gekko, qui lui file se cacher derrière un arbre croyant être poursuivi par une bête sauvage. En réalité il a été surpris par un bruit anodin qu'il a transformé en un animal. Derrière son arbre il est beaucoup trop préoccupé à tenter de retrouver son calme qu'il n'entend guère ce que la jeune femme lui dit. D'un côté à ses yeux elle n'était qu'un appât, donc pourquoi irait-il se préoccuper de ce qu'elle peut bien raconter. Donc il ne bouge pas de sa position, son souffle encore haletant, il est nécessaire qu'il retrouve rapidement son calme et ses esprits. Quelque chose d'inoffensif pour une personne peut se transformer en un véritable cauchemar pour une autre. Les apparences sont généralement trompeuses et ce grand dadais ne joue pas la comédie ou n'exagère en rien la frousse qu'il vient de se faire. Il inspire, respire tranquillement. S'excuser ? Sortir de sa planque ? Pour qui ? Quoi ? Sa préoccupation première reste sa petite personne et en ce moment même, sa petite personne a besoin de retrouver son calme.

Tout partait d'une bonne intention. Elle s'était portée volontaire pour se ravitailler en nourriture pour ce soir. Alors qu'elle avait tout bien calé comme il fallait pour éviter que ça ne tombe parterre, elle avait été bousculée par un individu sans-gêne. D'abord surprise, puis mécontente de la situation. Toute la nourriture s'étant éparpillé un peu près partout, il fallait faire vite. Mais elle se retrouva vite découragée quand elle ne parvint pas à tous les rassembler. C'était d'un air résolu qu'elle abandonna un moment avant de rebondir plus tard. Pour l'instant, elle s'intéressait au cas de l'abruti planqué derrière cet arbre. Non, elle ne l'avait pas oublié. Il mériterait une correction. Elle demandait d'ailleurs des excuses qui ne venaient pas. Elle n'entendait plus rien à part une souffle de plus en plus suffoquant. Elle arqua un sourcil. Elle soupçonnait qu'il jouait la comédie. Et bien, elle ne l'aurait pas. Elle était bien plus maline que cela. Elle se releva, prête pour lui tirer les bretelles à celui-ça et se dirigea vers la cachette du type. Elle contourna l'arbre et découvrit un candidat tout pâlot, le regard presque vide. « Merde !  » Elle ne comprenait pas ce qui se passait. On avait l'impression qu'il étouffait. Elle s'empressa de lui venir en aide. « Tiens bon. », qu'elle lui murmura. Histoire de lui faire prendre conscience de sa présence. Elle le poussa légèrement en arrière pour qu'il s'allonge lui maintenant le cou afin de reposer sa tête sur son sweat qu'elle avait préalablement retiré. De la sueur perlait sur le front du candidat. Elle sortit un mouchoir brodé et épongea doucement son front. Elle resta près de lui. « Ça va mieux ? », l'interrogea, à la fois inquiète et soulagée de le voir reprendre des couleurs. « Tu m'as fais une belle frayeur », dit-elle avec un semblant de légèreté. Elle tremblait encore.

Les gens peuvent trouver ça étonnant de voir comment un type froid, rigide et sans coeur peut au moindre craquement suspect prendre ses jambes à son cou et fuir comme une fillette. Il ne le fait pas exprès, c'est un mauvais comédien et il a la réputation d'avoir une franchise que certains trouvent sanglante et sans vergogne. Il n'a pas honte et préfère penser que c'est une sorte d'instinct de survie. Bien sûr il préférerait que personne n'assiste à ce genre de spectacle. Il n'a pas peur du jugement, des moqueries, il craint surtout de la compassion des personnes qui peuvent le surprendre dans un tel état de choc. Il n'a pas besoin d'aide, n'en désire et la repousse. Habitué à se débrouiller seul, à faire face à ces frayeurs sans assistance, il ne veut pas qu'on s'inquiète pour lui. La peur occasionné par la possibilité d'être poursuivi par un animal sauvage est apparente. Son visage est palot et des sueurs perlent sur son front. Mais il tente calmement de reprendre ses esprits. Maintenant que la situation est clarifiée, il peut retrouver son calme. Sauf qu'entre-temps la candidate bousculée arrive, le surprend et adopte la réaction qu'il redoutait tant, elle s'inquiète. Il tente de la repousser un peu, c'est dans sa nature. Lorsqu'elle lui éponge la sueur du front à l'aide d'un mouchoir, il grimace. Il ne veut pas qu'elle le touche. Il déteste qu'on le touche. Il n'a rien contre elle. Il n'aime tout simplement pas ça. Assit et appuyé contre l'arbre, l'épisode de « je me fous la frousse tous seul » commence à passer. Même si le fait d'être soudainement plongé dans l'obscurité de la nuit fait qu'il est toujours méfiant et inquiet. « Je n'ai pas besoin que vous vous inquiétez ... » Commence-t-il à dire avant de poursuivre. « Ce n'est qu'une frayeur passagère due à l'environnement hostile où nous nous trouvons ». Il ne se justifie pas, mais énonce simplement un fait. Ouais sauf que ce con qui est habitué à ce que son secrétaire se charge de gérer ce genre de situation à sa place (à noter c'est la seule personne dont il accepte l'aide et dont il tolère la présence) se retrouve légèrement bloqué. La peur de s'aventurer dans le noir complet pour rejoindre le campement est présente.