La plaine était aux yeux de Sayid une métaphore de ce que représentait cette semaine : beaucoup de vide et l'obligation pour faire ses preuves de savoir s'en accommoder. Et la chose n'était pas des plus aisées pour lui qui avait horreur d'avoir l'impression de se tourner les pouces ... Hors il n'y avait pas grand chose à faire, ici. Si l'on retirait de la liste le fait de barboter au lac entretenir le feu et faire la cuisine constituaient avec dormir les principales activités, et même en y mettait tout son coeur et son application il était impossible de faire durer ses deux occupations des heures entières. Aussi le reste du temps il fallait l'occuper en faisant la causette à ses voisins, chose pour laquelle Sayid tentait de se faire violence malgré qu'il ne s'agisse pas pour lui de quelque chose de naturel, ou en se réfugiant dans ses propres pensées lorsqu'il se faisait tard et que beaucoup avaient rejoint Morphée et les mensonges qu'il promettait à ceux qui acceptaient de le suivre. Se réfugier dans ses pensées n'était pas difficile pour Sayid, il y était habitué et même obligé lorsque l'extérieur et la réalité lui donnaient l'impression de l'agresser avec trop de vigueur, mais dans les circonstances particulières de cette semaine le barbu avait la désagréable sensation que même cela pourrait lui être négatif. Il n'était même pas particulièrement certain d'avoir sa place parmi les autres candidats, il ne se sentait en phase avec aucun d'entre eux et il se connaissait assez pour savoir que le risque que la situation n'évolue pas par la suite était réel, mais pourtant il avait vraiment envie d'essayer, de faire des efforts. Mais pas ce soir, il était trop tard désormais ... Ce soir il avait simplement besoin de prendre l'air, et de s'éloigner de celui qui partageait sa tente et qui, même s'il n'était pas dérangeant, réduisait tout de même de par sa simple présence l'espace vital que Sayid préférait d'ordinaire se garder pour lui seul. Seul pourtant, il avait réalisé qu'il ne le serait pas même en s'éloignant du campement, lorsqu'avançant lentement sur l'herbe il avait remarqué une silhouette dans la pénombre presque au même moment qu'il avait entendu une voix s'en élever pour lui signaler « Bonsoir. C’est Agata. » Agata. Il lui avait fallu une seconde ou deux pour que dans son esprit se mettent à défiler les visages des candidats jusqu'à retrouver parmi ceux-là celui qui correspondait au prénom qui venait de lui être énoncé. « Sayid. La tente à côté de la tienne. » Des fois que cela l'aide à situer un peu mieux à qui il avait affaire. Il avait bien conscience de ne pas être le candidat le plus facilement repérable, il n'avait pas la prestance d'un Cecil, l'énergie d'une Gigi ou les grands airs d'une Ranja. Lui avait déjà retenu presque tout le monde en revanche, mais il était habitué à se souvenir des autres plus facilement qu'on ne se souvenait de lui. « Tu peux t’assoir avec moi pour regarder les étoiles si tu veux. Bien que techniquement je ne sois pas en droit de te dire si tu en as le droit ou pas. » Pour une fois, il aurait été en mesure de comprendre le sens de la phrase sans qu'elle n'ait besoin de se justifier ensuite, mais une justification était toujours bonne à prendre. Ainsi il était certain de ne pas comprendre de travers, comme cela lui arrivait parfois. Son cerveau pouvait être tellement rapide pour certaines choses, mais tellement lent à la détente pour d'autres. « Je n’y connais pas grand-chose en astronomie mais le ciel est magnifique ce soir. » Comme pour vérifier les dires de la jeune femme, Sayid avait relevé un instant les yeux vers le tapis d'étoiles qui s'étendait au-dessus de leurs têtes, et soupirant de manière presque involontaire il avait commenté « Je trouve ça triste. » Réalisant après coup seulement que le raisonnement qu'il avait eu intérieurement n'était pas forcément le même pour la jeune femme, il avait précisé ensuite « La plupart des étoiles que l'on peut voir briller sont déjà mortes. » Oh il savait bien, la mort faisait partie de la vie, mais à son humble avis vivant valait beaucoup mieux que mort, et ce n'était pas parce que la joie de vivre ne se lisait pas sur son visage au premier coup d'oeil qu'il n'en possédait pas. Gardant le silence quelques instants, il avait pris le temps de décortiquer dans sa tête sa propre phrase, et après quelques secondes il avait demandé à voix basse, d'un air presque penaud « Je viens de plomber l'ambiance ? » Il ne l'avait pas fait exprès, ce n'était pas son intention première lorsqu'il avait fait cette remarque ... Il n'avait pas réfléchi, une fois encore. Ou pas assez vite en tout cas. Secouant légèrement la tête, comme fatigué de sa propre personne, il avait finalement suivi le conseil de la jeune femme et s'était baissé doucement afin de venir s'asseoir sur l'herbe, à côté d'elle. « Il faudra m'aider à me relever. » avait-il tout de même cru bon de préciser d'un ton neutre.

Cela faisait partie de ces choses que Sayid n'avait pris le temps d'apprécier et d'observer que tardivement : la nature et ce qu'elle avait à offrir. De son pays d'origine il n'avait que quelques vagues brides de souvenirs, et il n'était en fait qu'un citadin pure souche, n'ayant pas quitté son berceau londonien avant que sa vie d'adulte ne soit déjà bien entamée, malgré le domaine d'études dans lequel il avait désiré se lancer. En cela il avait trouvé à la ville de Kinshasa l'équilibre parfait de ce qui le définissait : l'effervescence d'une ville qui ne dormait jamais, et pourtant les étendues de nature et la diversité d'espèces que l'Afrique avait à offrir. A Londres les animaux subsistaient dans un zoo - sur lequel il ne cracherait pas, il y avait été stagiaire pendant trop de temps pour se permettre de cracher dans la soupe - et l'air ambiant restait chargé d'une pollution et d'un brouhaha auquel aucune capitale occidentale ne parvenait à échapper. Alors le britannique était perplexe, comment la production avait-elle réussi ce tour de force de leur donner l'impression illusoire d'être perdus au beau milieu de nul part quand pourtant ils se trouvaient au cœur de Los Angeles ? Le ciel au-dessus de leur tête était-il bien réel, la chaleur entièrement naturelle, et la végétation authentique ? Rien ici ne lui semblait véritablement naturel, à vrai dire, mais parce qu'il connaissait sa tendance à la méfiance exacerbée il était incapable de dire s'il pouvait avoir confiance dans cet environnement ... Alors il faisait avec. Comme les autres, comme la quarantaine de personnes rassemblées ici, et comme celle assise sur un coin d'herbe et à qui il n'avait pas eu besoin de signaler sa présence pour qu'elle en prenne conscience, se présentant automatiquement en ayant sans doute elle aussi l'impression de ne faire que ça depuis le début de la semaine, répéter son prénom en se demandant combien de temps les gens mettraient à le retenir. Pour Sayid la chose était aisée, d'autant plus qu'Agata n'était autre que l'occupante de la tente à côté de la sienne « Oh oui je vois qui tu es. » lui avait-elle d'ailleurs à son tour répondu lorsqu'il avait fait cette précision. Elle était bien l'une des rares, ceci dit, mais Sayid avait lui-même sans mal ne pas avoir déployé des trésors d'effort pour se faire remarquer. « C'est étrange de voir que l'on vit tous à côté des autres, presque entassés et qu'au final, on se connaisse tous si peu. » Oh, à leur décharge ils n'étaient là que depuis quelques jours, c'était encore un peu court pour espérer développer un esprit de cohésion, et la tombola n'avait pas été entièrement propice aux rapprochements et à la conversation en fin de compte, chacun se contentant de se satisfaire ou de maugréer après avoir reçu son lot. « Mais si tu me dis quelque chose sur toi tu ne seras plus vraiment une inconnue. » C'était une simple constatation, bien qu'en réalité Sayid soit mal placé pour faire ce genre de suppositions puisqu'il n'était lui-même pas du genre à étaler sa vie avec le premier venu, même les choses les plus insignifiantes et impersonnelles. Pour le moment en tout cas, tout ce qu'il savait de la jeune femme c'était qu'elle n'était pas une experte en astronomie, et à vrai dire lui non plus ... Il trouvait seulement cela joli, mais son intérêt n'était jamais allé plus loin. Et son intention n'était à la base pas de plomber l'ambiance lorsqu'il avait fait une remarque sur les étoiles, même si Agata avait malheureusement confirmée qu'il aurait pu trouver plus optimiste. « Oui un peu. Je t’avoue que je ne m’attendais pas trop à cette remarque. Mais au moins je le saurai. » Il avait dégluti lentement, s'étant trouvé une nouvelle raison de se sentir momentanément stupide, et finalement il avait marmonné un « Désolé. » tout juste audible. Cela n'enlevait rien au côté joli et reposant de la vue du ciel, ceci dit, et Sayid n'avait pas forcément besoin de cela pour se sentir mélancolique, de toute façon. Il avait donc fini par accepter l'invitation d'Agata et s'était assis à côté d'elle, non sans faire remarquer qu'elle aurait donc la charge de l'aider à se relever. Ce n'était pas négociable. « Et tu comptes sur moi ? Je ne suis pas très épaisse ni très musclée. » Rictus amusé tandis qu'il allongeait ses jambes dans l'herbe et s'appuyait sur ses avant-bras tout en reposant les yeux sur la jeune femme « Et je ne pèse pas non plus le poids d'un éléphant, tu devrais pouvoir gérer. » Et puis il n'avait pas non plus dit qu'il faudrait le traîner jusqu'au campement, simplement qu'il faudrait lui filer un coup de main pour se remettre sur ses deux jambes « Et il y a une raison à cela ? Parce que si je dois risquer de perdre un bras dans l’histoire, j’aimerais autant savoir pourquoi. » Perdre un bras, elle n'était pas du tout dans l'exagération, à part ça. Décidant finalement de s'allonger dans l'herbe il avait croisé ses bras derrière sa nuque et cherché des yeux l'étoile la plus brillante ; Parait-il qu'on l'appelait l'étoile polaire. Est-ce qu'elle était morte, elle aussi ? Il aurait bien posé la question, mais cela aurait voulu dire plomber une nouvelle fois l'ambiance, alors au lieu de ça il s'était contenté de répondre à celle d'Agata « Y'a une raison oui ... Si tu ne m'aides pas je vais rester coincé ici toute la nuit, et je finirai par prendre racine. » Bon, en vérité il finirait bien par parvenir à se remettre debout tout seul, mais cela prendrait plus de temps et cela ne l'aiderait pas à se sentir moins stupide. Elle n'avait assurément pas envie d'avoir cela sur la conscience, non ?

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