@Maha

J’me suis taulé ce matin. C’était pas le petit boum mais l’image d’un mec complètement éclaté par terre. J’me suis pris les pieds dans le bordel qui commence déjà à inonder la chambre. Il en faut plus pour m’agacer mais j’me retrouve avec une belle auréole de cagole violacée sur le genou gauche. Pour une fois que j’peux sortir mes shorts de plagiste… je savais que me lancer dans une quelconque notion du style m’apporterait que des emmerdes. Bref ça mérite bien une clope cette merde, maintenant que j’ai fini de constater les dégâts apparents. Cylindre coincé entre les lèvres, pomme dans une main et l’autre prête à dégainer le briquet dès l’instant où j’aurais le premier orteil dehors je constate qu’on squat ce qui est devenu mon spot. La petite brune qui me prenait pour un taré. Si vous voulez mon avis pour moi c’est elle qui l’est hein, mais j’aime bien. J’suis pas très difficile. « Attention, un aigle pourrait venir t’attaquer. » Je m’accoude à la rambarde, allumant ma dope. Je suis resté sur cette histoire de bestiole dans les bois, excusez-moi. « Tu sais, il t’attrape, t’emmène, et pouf. Tchao Maya. » Hasta la vista. Attendez. « Maha. » Oui, petite rectification. Mes prunelles soudainement plantées dans les siennes lui font preuve de toute ma désolation face à la situation, il est pas bien grand mais bon c’est déjà ça. « Ca vient d’où d’ailleurs ? » Ma première taffe expirée, je croque à pleine dent dans la belle pomme juteuse, le regard provisoirement curieux dirigé sur elle. Ca sera une info inutile mais j’ai envie de savoir.

J'allume rapidement mon bâton cancérigène. J'ai juste le temps de tirer une taffe que je suis rejointe par l'excité de service. Je lui adresse un sourire en guise de salutation. Je l'écoute avec une certaine attention. Il se fout de ma gueule, bien évidemment, je lève les yeux au ciel, je pose une main sur ma poitrine, théâtrale, parce que ça me fait mal d'être incomprise comme ça. «Au moins, j'étais crédible » je proteste faiblement parce que je n'ai pas envie de démolir point par point sa petite théorie. Je fronce simplement les sourcils à l'entente de sa question, bon, je ne l'emmerde pas parce qu'il ne s'appelle pas Min ou Xao alors je trouve son intérêt plus que superflu. « C'est arabe » je lui dis en haussant les épaules. « Je suis Palestinienne » je l'informe parce que j'imagine que ce n'est pas inscrit sur ma tête en lettres capitales, je ne suis pas vraiment typée, et c'est tant mieux. Même si en vérité, je suis techniquement Israelo-Palestinienne, j'évite de le préciser pour des raisons qui me semblent évidentes. Mes opales le dévisagent de haut en bas, un instant. «On te bat ? » je demande alors avec un rictus moqueur en découvrant l'épiderme marbrée de son genou. «J'ai senti qu'une victime sommeillait en toi » je conclus hâtivement en haussant les épaules avant de tirer une nouvelle taff. J'ai envie de lui dire qu'il faut réagir dès maintenant avant de prendre l'habitude de se taire. Evidemment, je ne vois que sa partenaire pour pouvoir faire cela, enfin, une personne assez proche physiquement de lui. «Tu penses que si je vais voir ta partenaire pour échanger mon asiatique contre toi, ça peut passer ? » je demande alors de ma voix légèrement en me moquant mais au moins Léopold est plus vivant que Gekko. Il est un peu déviant, mais un peu plus fun, enfin, ce n'est pas bien difficile aussi.

Passer de Grenoble à San Francisco ça fait un choc thermique plutôt important alors autant dire que se griller une clope sur un balcon sous une chaleur peu conventionnelle ça fait du bien. J’aurais presque pu faire la star avec des lunettes de soleil tiens… mais bon bref. « Ouais. » J’hausse les épaules à peine convaincu même si je sais que mon inconscient sait que je sais que je suis tombé en plein dedans. M’enfin elle a trop de fierté pour avouer qu’elle a eu les trouilles de se retrouver seule dans une forêt sombre donc j’estime que j’étais dans le vrai. Ca arrive à tout le monde de faire appel à Léo pour de l’aide, il faut pas avoir honte. Je la regarde, mastiquant ma pomme et lâchant un « Hm » détaché entre deux crocs tandis que mon cylindre se consume petit à petit dans mon autre main. Je n’irais pas plus loin sur le sujet, de toute façon elle m’attaque déjà. Avec les mots cette fois-ci, contrairement à notre précédent tête à tête. Ma réponse immédiate sera un coup d’œil vers l’horizon, le temps d’avaler ce que j’ai dans la bouche. « C’est Mylah. » J’me fais passer pour une victime assez sereinement je dois dire. Si Maha a senti que j’étais un martyre moi je ressens tout le contraire à son propos. Cette fille a du venin. Je tire une taffe, pivotant mon regard vers elle toujours les deux coudes appuyés sur la rambarde du balcon. « Aucune honte de te faire un commerce d’esclaves sur mon dos ? Non ? » Bah oui bien sûr que non j’sais bien. Et j’crois même qu’il y aurait des chances pour que Mylah accepte en plus de ça, l’autre type a l’air ennuyeux comme elle les aime. « Dommage pour toi j’aurais pu exaucer ton vœux. » Avec mon petit ticket d’or qui était parti à la poubelle. J’hausse les sourcils, fier de moi, un sourire narquoi imprimé sur le visage. Il n’empêche que je pouvais comprendre avec le peu d’empathie que je possède qu’il soit difficile de tomber sur un presque muet et total rabat-joie. Cauchemar. « Tu dois souffrir de solitude. Tiens, tu veux une pomme en guise de lot de consolation ? » Je croque dedans avant de la lui tendre bien sûr, parce qu’il est bon ce fruit rempli d’OGM.

J’réponds au conseil de Maha par un croc, l’attention plus perdue dans le paysage que tournée vers sa personne. La violence c’est un truc que j’comprends pas, j’passe mon tour quant à l’éventuelle idée de frapper qui que ce soit ici. J’alterne avec une taffe, posant mes prunelles sur la brunette. Comme je m’en doutais elle se fou de me considérer comme un pauvre esclave. C’est les yeux bridés, je l’sais. Discrimination. Comme j’suis sympa j’me lancerais pas sur l’histoire de son peuple. « Revois ta notion de bien traitance pour la prochaine fois. » que je lance à tout hasard entre deux taffes. Elle est trop piquante pour que quiconque soit satisfait de ce qu’elle balance. Même moi c’est pour dire. Je suis réduis à rien avec cette fille, j’comprends que ça fasse tiquer le mec frigide. « Ah parce qu’en plus il faut t’être utile, tu demandes beaucoup. T’es un peu le genre de nana à prendre le beurre, l’argent du beurre, l’usine, les employés, les matières premières, les voitures de fonction et même tous les crayons étiquetés. » Je fais le compte avec les doigts qui demeurent libres. J’aurais pu en rajouter encore plus puisque de toute évidence Maha veut tout. Même un partenaire qui lui tienne compagnie, ça encore ça se comprend. J’en viens à lui offrir l’opportunité de croquer dans un fruit gouteux sans que ça lui coûte un rond. Elle refuse vous pensez bien. Je lâche un rire parce que quand même cette fille se la raconte et ça m’amuse. « Tellement désespérée que même une proposition généreuse se fait passer pour de l’enthousiasme. La tristesse. » Sourire sur les lèvres je me redresse, tirant une nouvelle fois sur ma clope. « Tu m’fais de la peine Maha. » Je laisse la fumé toxique s’échapper d’entre mes lèvres, le regard posé sur elle dans une malice moqueuse comme à mon habitude. « Je te souhaiterais ton bonne nuit du soir si c’est ça qui te chagrine tant. » Je lui imite même en prime la moue de bébé boudeur que je lui attribue mentalement.