Sayid ne déjeunait pratiquement jamais, question d'habitude, ou plutôt de non-habitude, mais aussi depuis qu'il vivait à la réserve question de moyens ; La nourriture qu'ils ne consommaient pas le matin c'était de la nourriture qu'ils pouvaient garder pour le reste de la journée, et c'était un garde-manger qui tenait un peu plus longtemps avant d'être renouvelé. Dans leur situation actuelle, où chaque centime avait son importance, c'était une nécessité. Généralement il se contentait donc d'une tasse de thé, parce qu'aussi cliché cela puisse-t-il être pour un britannique Sayid était bien incapable de se passer de thé, et depuis qu'il était ici ses habitudes n'étaient pas réellement différentes. Mais il était difficile de ne pas prendre de mauvaises habitudes quand la plupart des candidats passaient la moitié de leur journée à grignoter, y'en avait même certains qui auraient tout intérêt à se calmer un peu s'ils voulaient toujours rentrer dans les fringues de leur valise à la fin du jeu, et c'était peut-être à force de voir de la bouffe lui passer sous le nez à longueur de journée que Sayid se mettait à avoir faim à des heures totalement aléatoires. Et là, à même pas onze heurs du matin, il avait faim. Assez pour qu'après sa balade habituelle en forêt il n'ait pris la direction de la cuisine à la recherche d'un truc pour se remplir l'estomac, n'importe quoi. Et n'importe quoi c'était une pomme et un paquet de bonbons, la première parce qu'il avait voulu être raisonnable et la seconde parce que Sayid était tout bonnement incapable de résister au sucre ; S'il devait choisir entre le sucre et le tabac le sucre l'emporterait à plate couture, sans souci. Mâchouillant des crocodiles Haribo tout en se faisant la réflexion qu'il lui faudrait maintenant partir en quête d'un hobbie pour le reste de la matinée, il avait suivi des yeux Agata quand elle était entrée dans la pièce « Salut. Ça fait du bien de courir, t’y vas parfois ? » Il était resté silencieux un instant, parce que de toute façon cela ne se faisait pas de mâcher la bouche pleine et qu'en présence d'Agata, fille de bonne famille, il se sentait en devoir de faire preuve de politesse et de bienséance. Et puis il était amusé, non pas par l'ironie de la question mais plutôt par la satisfaction de voir qu'il était capable de faire oublier sa condition. « Oh ... Je suis désolée Sayid, ce n’est pas ce que je voulais dire … » Elle était devenue écarlate, encore plus que sa séance de footing ne l'avait déjà rendue, si tenté que ce soit possible, et ne laissant pas le temps au britannique de répliquer elle avait continué en bafouillant. « Enfin tu peux peut-être courir, je ne sais pas … Je … Je me tais. » Un léger éclat de rire, et chez Sayid c'était d'autant plus inhabituel que même lui semblait en avoir été surpris, reprenant bien vite son sérieux et son impassibilité apparente et habituelle. « Je peux courir, oui. Pas avec ça, » il avait désigné ses pieds avec son menton « mais je peux. » Bon pas au point de participer aux prochains jeux paralympiques, c'était comme pour le reste on avait un niveau ou on ne l'avait pas, et Sayid n'était pas Pistorius. « Bonbon ? » lui avait-il finalement proposé tout en tendant le paquet dans sa direction d'un air calme. « Il ne faut pas t'excuser d'avoir oublié. Moi non plus je n'y pense pas tout le temps. » Parce que cela faisait tellement partie de lui maintenant, et depuis tellement longtemps, qu'il faisait les choses de manière automatique et naturelle ; Il avait depuis longtemps dépassé la phase de comparaison entre ce qu'il faisait et ce qu'il aurait du faire s'il avait toujours ses deux jambes. « Je peux te poser une question ? » Il changeait de sujet. Pas par gêne ou par volonté de noyer le poisson, mais parce qu'il n'y avait rien de plus à en dire. Et déposant son paquet de bonbons sur le plan de travail tandis que la jeune femme lui donnait l'autorisation de continuer, il avait repris « Au prime, quand le détecteur t'a demandé si tu avais trouvé ce que tu étais venue chercher tu as répondu non. Qu'est-ce que tu cherches ? » C'était peut-être un peu présomptueux de sa part de poser cette question, mais Sayid n'était pas le genre à prendre des pincettes, même avec les gens pour qui il avait estime et respect.

C'était sans doute parce que tout le monde voyait en lui quelqu'un de maussade qu'on s'imaginait de lui qu'il ne pouvait que se vexer quand on lui mettait le nez sur son statut d'handicapé. Alors qu'en fin de compte il n'y avait que ceux qui ne l'étaient pas pour s'imaginer que c'était forcément un problème insurmontable, un truc sur lequel le concerné devait passer son temps libre à se lamenter ... Peut-être que c'était véritablement le cas pour certains, mais ça ne l'était pas pour Sayid. Quand il avait avoué à Allen se sentir mieux maintenant, en fin de compte, ce n'était pas de la poudre aux yeux mais simplement la vérité. Parce que son accident lui avait permis de faire le tri dans sa vie et de se délester de tout un tas de choses ; Certaines qu'il regrettait amèrement, encore aujourd'hui, mais d'autres dont se débarrasser lui avait été extrêmement bénéfique. Alors Agata n'avait définitivement pas à s'inquiéter d'avoir gaffé ou de l'avoir vexé, il n'en était rien, et si lui arrivait à en faire abstraction sans en avoir conscience, il ne pouvait qu'en être de même pour les autres. Histoire de changer de sujet - et pour se montrer poli - il avait proposé un bonbon à la jeune femme, mais secouant légèrement la tête elle avait tout aussi poliment refusé « Non merci, il y a trop de sucre. » A vrai dire, il n'était pas le moins du monde étonné par cette réponse. Parce qu'Agata semblait ce genre de personnes qui ne faisaient jamais d'excès, et semblaient se contenter de ce qui était utiles sans jamais accorder de crédit à quoi que ce soit qui semblait futile. Mais soit, il n'insisterait pas, et histoire de clore convenablement le sujet précédent il avait clairement établi le fait qu'elle n'avait pas à s'excuser et que si lui n'y pensait pas sans cesse il n'y avait pas de raison pour qu'autrui s'en charge. « Tant mieux, c’est vrai que j’ai tendance à oublier. » Elle avait baissé les yeux d'un air gêné, et il n'avait pas insisté autant parce qu'il n'y avait rien de plus à dire que parce qu'il ne souhaitait pas la mettre inutilement mal à l'aise. Il était champion pour mettre les gens mal à l'aise vis à vis de son handicap quand il en avait envie, il reconnaissait même sans mal que parfois il jouait à l'handicapé parce que ça l'arrangeait bien, mais ce genre de stratagèmes il n'avait pas envie de les appliquer avec Agata. Au lieu de cela il avait fait dévier le sujet vers elle, parce qu'une question lui trottait dans la tête depuis qu'il avait entendu son détecteur de mensonges, et que Sayid n'était pas capable de garder pour lui les questions auxquelles il n'avait pas de réponse. Il voulait savoir ce qu'elle venait chercher ici, puisqu'elle semblait ne pas l'avoir trouvé, pas encore. « J’ai trouvé ce que je recherchais en quelque sorte : je voulais vivre quelque chose de différent de ma vie de tous les jours, et c’est le cas ici. Mais je n’ai sans doute pas trouvé … le courage, que j’étais venue chercher. » Il l’avait détaillée du regard, sans vraiment ciller lorsqu’elle avait apporté une réponse à sa question. Parce qu’il n’allait pas chercher à la convaincre du contraire, il l’avait déjà remarqué lui, qu’elle manquait parfois un peu de courage et n’osait pas trop s’aventurer en dehors de ce qu’elle connaissait et maîtrisait. Il ne lui jetait pas la pierre, lui aussi s’accrochait à ses habitudes par besoin de se rassurer, mais prendre sur soi une fois de temps en temps il essayait de le faire aussi. Ce n’était pas toujours couronné de succès, mais il essayait malgré tout. « Tu n’as jamais envie de faire un truc fou ? De, je ne sais pas, t’autoriser à faire un truc sans te soucier de ce que les autres vont en penser, ou de quoi tu as l’air ? » Il n’était pas en train de lui demander si elle l’avait déjà fait, il était tenté de dire qu’il connaissait déjà la réponse, ce qu’il voulait savoir lui c’était si elle en avait envie. Et s’il se permettait de poser la question c’était parce qu’il était certain qu’il ne manquait pas grand-chose pour la convaincre. « La plupart du temps les gens s’en foutent. » La peur d’être ridicule ou de se faire mal voir c’était surtout dans sa tête à elle que ça se passait. « Et je doute qu’un petit écart de temps en temps ce soit ce qui t'empêche de devenir sénatrice. » Parce que c’était bien de là que tout partait, non ? Sayid était ce genre de personne qui n’avait aucune espèce d'intérêt pour la politique, mais il lui semblait que cela tenait à coeur à  Agata, alors il tentait de raisonner en conséquence, comme toujours. « Qu’est-ce que tu es venu chercher toi ? » Il n’était pas étonné qu’elle lui retourne la question, mais sa réponse à lui était, du moins c’était son avis, beaucoup moins intéressante sans qu’il ne puisse rien faire pour adapter ce fait aux intérêts d’Agata. « L’argent. C’est beaucoup plus terre à terre que tes raisons à toi. » Beaucoup moins noble aussi, peut-être, mais Sayid ne venait pas d’un milieu pareil à celui d’Agata ou Mylah, où l’argent n'était qu’une bagatelle. « La réserve où je travaille est au bord de la faillite, si on ne trouve pas de quoi remplir les caisses d’ici six mois on devra se séparer de nos animaux. » et ils se retrouveraient tous au chômage, accessoirement, mais pour Sayid qui avait développé un attachement démesuré aux animaux qu’il étudiait, c’était surtout l’optique d’en être séparé qui lui était insupportable.