Il ne s'était pas fait prier pour quitter le plateau du prime une fois les résultats annoncés, sa tendance à l'excès l'empêchant de cacher une grimace agacée lorsque Gekko avait été sauvé, conservant ainsi la cagnotte qu’il avait accumulé en piochant dans celles de ses camarades. Sayid aurait presque préféré que cet argent termine dans la cagnotte de Shay, simplement parce qu’il avait la rancune tenace. Lorsque Sayid était contrarié il retombait généralement avec facilité dans ses principaux travers, le pessimisme et l’alcool en faisant tous les deux partie, aussi il n’y avait rien de vraiment étonnant dans le fait qu’une fois Agata sauvée - et de cela il était satisfait, l’un n'empêchait pas l’autre - il se soit éclipsé sans demander son reste pour rejoindre le bar de l’hôtel. Là il pourrait bougonner tranquille, à priori, même si les minutes passant il n’était plus trop certain des raisons pour lesquelles il était contrarié. Le britannique avait toujours cette tendance à s’emporter facilement puis à remettre ensuite en cause le moindre de ses gestes et la moindre de ses paroles, remettant du même coup en question toute une situation qui au premier abord lui était apparue limpide. « Donc c’est comme ça que tu as l’intention de gérer la situation ? » Il avait entendu quelqu’un arriver, reconnu Agata lorsqu’elle s'était installée à côté de lui, mais relevé les yeux vers elle uniquement lorsqu’elle s'était adressée à lui. « Je n’ai jamais prétendu être ni courageux, ni raisonnable. » s'était-il justifié d’un ton neutre, bronchant à peine lorsqu’Agata s'était emparée de son verre pour le vider d’un trait. Sayid la fixait maintenant d’un drôle d’air, à la fois intrigué et amusé par cette soudaine décision de jouer les canailles quand en réalité elle ne lâchait jamais entièrement prise. « Ça passe toujours mieux la deuxième fois. » qu’il lui avait fait remarquer, devant sa grimace. « Mais si tu bois moi aussi. » Il était arrivé avant elle après tout, et elle n’était pas sa mère, elle n’allait pas l'empêcher de boire. Ce n’était de toute façon même pas sa propre mère qui aurait pu l'empêcher de le faire. Remplissant à nouveau à moitié le verre du liquide ambré qui attendait dans la bouteille à sa droite, il avait secoué légèrement la tête lorsque l'américaine lui avait fait remarquer « Bon alors, tu devais m’expliquer. » il regrettait d’avoir dit ça, avec le recul. Mais il ne pensait pas vraiment qu’elle reviendrait à la charge, à vrai dire. Il avait soupiré légèrement, attrapant un second verre et abandonnant le premier à Agata. Elle en faisait ce qu’elle buvait, le boire ou non, c’était sa décision à elle. « A toi ça va paraître ridicule. » avait-il enfin fait remarquer, à propos de sa demande. Ce qui chez Sayid avait de l’importance n’en aurait probablement aucune chez elle, pour des raisons qu’ils n'étaient plus sans ignorer ni l’un ni l’autre. « Je l’avais déjà entendu cette excuse, tu n'es pas la première à l’utiliser avec moi. » Ses doigts s'étaient refermés sur son verre, machinalement, et contre un véritable effort de sa part il avait relevé les yeux vers Agata. « J’ai obtenu une bourse pour intégrer une grande université. Sans ça je n’aurais jamais fait d'études, mes parents n’avaient pas les moyens pour ça et de toute façon mon père refusait que je fasse des études, probablement que son égo n’aurait pas supporté que je devienne plus intelligent que lui. » Il avait ce genre de mentalité réductrice, son père, et ce n’était pourtant même pas le pire de ses défauts, il l’avait prouvé par la suite. « Et j’étais bien là-bas, je crois. J’avais l’air en tout cas. Mais quand tu es juste là grâce à une bourse et qu’en plus tu t’appelles Abdul-Jarrah ça suffit pas d’être bien, on te fait croire que tu fais pas tâche dans le paysage mais au bout du compte tu restes toujours un cran en dessous. Sayid, oui c’est un brave garçon, mais enfin tout de même, il ne vient pas du même monde. » C’était la conversation qu’il avait surpris entre Hallie et sa mère en descendant un peu trop tôt l’escalier qui menait au hall d'entrée. Et c'était exactement la même formule qu’avait utilisé Agata lors du prime précédent, comme un mauvais gimmick. « Quand tu as vingt piges et qu’un adulte te dit ça tu le crois. Des années après avec le recul tu te dis que c’est juste la façon de penser d’une bourgeoise étriquée qui espérait mieux pour sa fille. Et puis finalement quinze ans après tu réalises que les filles se mettent à penser comme leur mère. » Il n’essayait même plus de cacher son amertume, maintenant. Elle voulait son explication et il lui avait donnée, il y avait probablement là suffisamment pour comprendre pourquoi malgré toute l’estime qu’il avait pour Agata il ne pouvait pas simplement jouer l’autruche et faire comme si elle n’avait rien dit. Il ne lui restait pas beaucoup de fierté à Sayid, mais le peu dont il disposait encore était facilement piquée au vif. « Mais c’est sans doute toi qui a raison, et moi qui me suis cherché des excuses pendant trop longtemps pour nier l'évidence. C’était injuste de ma part de te faire payer la répétition d’un truc que je n’ai simplement pas digéré. » Il datait de bien avant elle son complexe d'infériorité, ce n’était pas elle la responsable. Approchant son verre de celui d’Agata en le faisant glisser sur le comptoir, il avait trinqué silencieusement comme pour clore le débat ; Il n’attendait pas de justification supplémentaire de la part de la jeune femme, à priori, sauf si elle y tenait absolument. Lui était déjà dans l’optique de passer à autre chose, et finalement il avait reporté son regard sur Agata pour la regarder dans les yeux. « Je n’avais pas le choix pour tes indices. Sept mille euros c’est beaucoup d’argent. » Il ne s’excusait pas puisqu’il rangeait la notion d’excuse dans la catégorie des choses que l’on regrettait d’avoir fait, et lui referait exactement la même chose si la situation se présentait à nouveau. Il aurait simplement préféré avoir à pénaliser quelqu’un d’autre qu’Agata.

Sayid buvait beaucoup par ennui, maintenant. Y'avait bien une époque où il buvait souvent, même trop pourrait-on dire, et surtout il buvait pour de mauvaises raisons. Il buvait par provocation, par désir d'ajouter une chose supplémentaire à la liste des interdictions décidées par son père et auxquelles il s'était appliqué à déroger, à chaque fois. Parce qu'au jeu de celui qui se montrerait le plus con Sayid et son géniteur s'étaient longtemps fait concurrence, particulièrement les dernières années de leur relations, ces années où Sayid avait cessé de le craindre et d'en avoir peur. Mais maintenant il buvait surtout par ennui, alors finalement c'était plutôt pour ça que véritablement par contrariété qu'il buvait maintenant ; Parce qu'il ne savait pas quoi faire d'autre et qu'il était trop contrarié pour espérer trouver le sommeil. Sa réaction devait en tout cas paraitre des plus prévisibles puisqu'Agata n'avait pas mis longtemps après le prime pour débarquer, et lui reprocher de gérer sa contrariété dans la boisson. D'autant plus ironique que c'était finalement elle qui avait sifflé le verre de whisky qu'il s'était servi, mais si elle buvait alors lui aussi. « Je ne vais pas m’y opposer. » Tant mieux, parce qu'elle se serait heurté à un mur. Sayid avait horreur qu'on lui dise ce qu'il devait faire, et une fois certain de la volonté de son interlocuteur il se faisait souvent un malin plaisir de faire le contraire, parce qu'il ne se privait pas d'une occasion d'énerver quelqu'un une fois qu'il était certain de ce qui fonctionnerait. Il n'avait pas vraiment envie d'en arriver là avec Agata. Elle n'était pas là pour l'empêcher de boire de toute façon, elle n'avait même pas refusé le verre qu'il venait de lui servir ; Elle attendait seulement les explications qu'il lui avait promis, mais auxquelles il avait espéré échapper. « Ce n’était pas une excuse. » s'était-elle d'abord défendue tandis qu'il faisait référence à sa réponse, celle qui avait provoqué la situation à la base. Et peut-être que ça n'en était pas une en effet, Sayid n'avait simplement pas trouvé d'autre mot qui correspondait mieux, et cela ne l'avait pas empêché d'entamer son explication. Au fond ce n'était pas que Sayid était peu loquace, simplement qu'il ne savait jamais quoi dire, qu'il manquait de conversation ... Mais quand on lui posait une question il pouvait devenir bavard, pour peu que la situation exige qu'il donne des détails. Et là il se contentait de répondre à la question d'Agata, il ne cherchait pas d'excuse ou de coupable et il n'avait pas la prétention de penser que ce qu'il dirait ferait changer la vision des choses de l'américaine, mais au moins elle ne pourrait plus dire que sa réaction n'avait aucun sens ou n'était pas justifiée. Elle l'était pour lui, en tout cas. « Non je n’ai pas eu raison de dire ça Sayid. Et parce qu’une personne t’a dit ça un jour continues à le penser ? » Il la fixait d'un air curieux, ne s'attendant pas vraiment à ce que ce soit ce qu'elle retenait au final. Et puis elle n'y était pas du tout, ce n'était pas aussi simple ; Il était malléable pourtant, il savait que même s'il n'en disait jamais rien l'avis des autres lui importait beaucoup, souvent trop. Mais ce n'était pas que ça. « C'était pas n'importe quelle personne. » qu'il avait alors répondu d'un air légèrement penaud. Et ce n'était pas la seule à le penser non plus, Sayid n'était pas dupe, ce n'était pas parce qu'on ne lui disait pas les choses en face qu'il ne savait pas ce qu'il en était officieusement. « Si une personne comme moi te dit une chose comme ça, c’est parce qu’on ne voit pas plus loin que le bout de notre nez et qu’on ne veut surtout pas. Je t’assure que tu ne devrais pas y prêter attention. Je suis idiote d’avoir dit ça, je le sais. Je suis désolée Sayid, d’avoir dit ça, je ne savais pas tout ce que ça impliquait. » Il n'avait rien répondu dans un premier temps, portant son verre à ses lèvres sans attendre qu'Agata se décide à en faire de même avec le sien ; Il n'était même pas certain qu'elle déciderait de le boire. Mais ce n'était pas forcément au goût de tout le monde au fond, il comprenait, surtout quand on était habitué au goût acidulé de cocktails cinq étoiles. « Tu l'aurais pensé, de la même façon. Tu ne l'aurais simplement pas dit à voix haute, et je préfère une vérité désagréable qu'un mensonge de complaisance. » Et puis au fond d'habitude c'était toujours à lui que l'on reprochait de manquer de tact, de dire les choses telles qu'il les pensait sans se soucier de si cela pouvait être vexant ou non. Ce n'était pas un hasard s'il faisait en sorte de donner le moins souvent possible son avis ici, il savait que cela finissait toujours de la même façon. Il passait pour un connard, pour parler vulgairement. « Et pour ce que ça vaut, je préférerais être avec quelqu’un comme toi qu’un de ces fils à papa. » Voilà que cela sortait un peu de nul part, maintenant. Et surtout Sayid avait le plus grand mal à croire qu'il s'agisse de la pure vérité, et pas plutôt qu'une phrase destinée à le faire se sentir mieux quand en réalité il n'en avait plus vraiment besoin. C'était toujours difficile de revenir en arrière, lorsque l'on avait convaincu Sayid de quelque chose. « Le problème n'est pas là ... j'ai été agacé d'être réduit à mon "milieu" mais ça veut pas dire que j'ai pas conscience de ce que c'est d'être avec moi. Je suis invivable, c'est encore pire sans mon secret, et c'est pas ce que je te souhaite. » Ce n'était pas ce qu'il souhaitait à qui que ce soit, de toute façon, ce n'était pas un hasard si rien ne tenait jamais avec lui. Celles qui ne fuyaient pas c'était lui qui les faisaient fuir, fatalement. « Mais ça crève les yeux que tu t'enfermes dans un truc qui te convient pas parce que tu oses pas. T'as pas moins le droit que quelqu'un d'autre d'avoir la vie dont tu as envie, et ça m'agace que tu continues de raisonner comme si être raisonnable c'était plus important que d'être heureux. » Ça crevait surtout les yeux depuis qu'elle le lui avait avoué à vrai dire, depuis qu'il savait donc quoi mettre sur cette impression qu'il avait vis à vis d'Agata mais sans parvenir à l'identifier. Il n'était naturellement perspicace, Sayid. Mais ce qu'il savait en tout cas c'était que lui était heureux, dans un sens, depuis qu'il avait envoyé se faire voir tout ce qui le tirait vers le bas ou lui donnait l'impression de ne pas être assez bien. Il avait sacrifié beaucoup, s'était délesté de tout un tas de choses et parfois certaines lui manquaient toujours ... Mais il avait la vie qu'il avait choisi. Et c'était bien pour préserver cela, pour préserver un mode de vie qu'il avait choisi, qu'il comptait tellement sur l'argent de sa cagnotte, assez pour que passer à côté de sept mille euros ne soit pas envisageable pour lui. « Je m’en fiche de mes indices Sayid, je ne suis pas ici pour l’argent. Je comprends que tu aies pris l’argent, c’est plus important pour toi. Si je le pouvais je serais même prête à te donner l’intégralité de ma cagnotte. » La réponse de la jeune femme l'avait fait tiquer, il n'avait jamais caché le fait que ce soit le besoin d'argent qui le poussait à participer, et il n'avait pas honte d'avantager sa cagnotte au détriment de quoi que ce soit d'autre, toujours, mais il n'en était pas désespéré pour autant. « Attends, j'ai jamais caché que j'étais ici pour le pognon, et je crache pas sur une occasion d'augmenter ma cagnotte, mais ... je suis pas désespéré. » Quoi que si, désespéré il l'était, ce n'était pas tout à fait ce qu'il voulait dire. « Je m'abaisserai pas aux pratiques de Gekko, à prendre dans la cagnotte de quelqu'un d'autre. » Rancunier ? Beaucoup, quand il s'agissait de gens comme Gekko pour qui une cagnotte comme celle de Sayid représentait de l'argent de poche et rien de plus. Le japonais ne s'était peut-être pas rendu compte, ou alors il n'en avait rien à foutre, et au fond ce n'était plus vraiment le problème de Sayid désormais. Mais qu'on ne vienne pas demander au britannique de cautionner, parce que c'était au dessus de ses forces. « Tu devrais boire ton verre, sinon je vais finir par le faire. » disant cela il avait fini son propre verre, pour appuyer son propos.