@scarlett

Mes pupilles agitées cherchent une tâche rougeâtre qui se détache de tout le monde. Il ne me faut qu'une minute, pas plus. Je repère sans trop de difficulté la rousse dehors. J'enfile une veste pour combattre le froid, j'attrape un paquet de clopes pour faire illusion ainsi qu'un briquet. Mes mains dans les poches, j’accélère le pas pour aller la rejoindre. D'un geste presque doux, l'un de mes bras l'enlace, le dos courbé, parce qu'elle s'est posée. Mes doigts s'en vont presser avec affection son épaule, toute cette mise en scène simplement pour me frayer un chemin facile jusqu'à son oreille, pour qu'elle soit la seule entendre. « Ton regard m'oppresse Scarlett, cesse» je lâche d'une voix tranchante et sans appel, mes mots visant volontairement un endroit que je lui sais sensible. J'ai l'impression qu'elle traque le moindre de mes faux pas avec son omniprésence, je me rends compte parce que je sens son regard pesant dans mon dos, ça me rend plus folle qu'autre chose. C'est peut-être l'effet recherché. Je ne suis pas cristal et j'aimerai qu'elle me fasse un peu confiance. Je la relâche immédiatement, supprimant le moindre contact avec elle, j'instaure rapidement une distance entre nous, surtout parce que je suis debout et elle assise. Je l'observe un certain moment, silencieuse, me rendant compte que je ne suis qu'une pâle copie d'elle, une version moins colorée. Un corps étranger qu'elle n'arrivera jamais à intégrer malgré tout sa bonne volonté. Je tente de briser le silence que je lui ai imposé, de force. « Tu sais ce qu'on dit des prisons ? » je lui lance d'un air bien plus badin avant de s'installer en face d'elle, un vaste sourire sur mes lèvres. « Qu'il n'y a pas de fenêtre en libre accès » je soupire simplement parce que je sais très bien qu'elle est parfaitement capable de saisir. « Donne-moi des noms » je lui demande parce qu'elle sait très que je suis curieuse de savoir avec qui elle pourrait avoir potentiellement un bon feeling, oui, parce qu'on est qu'au stade des hypothèses.

Quinze heure, le temps ne passe pas vite. Elle se retrouve dans un espèce de tourbillon, elle ne sait jamais quelle heure il est et oublie trop souvent où elle se trouve. La rouquine à toujours eut besoin de repères aussi simple que des horaires de travaille. Ici elle est totalement inutile, et elle n'a rien du tout à faire. Rien de mieux que de se laisser emporter par le tourbillon. Alors son horloge à elle, c'est celle de la pause clope. Quelle heure est-il ? L'heure de la cinquième clope de la journée. Celle qui lui donne le prétexte pour rester dehors, un endroit que tout le monde fuit à cause de ce temps hivernal qui vous gèle la peau. Scarlett elle aime bien, c'est pas pire que l'Autriche en ce moment. Elle aime bien sentir le froid sur sa peau, parce que c'est la preuve qu'elle n'est pas totalement dysfonctionelle. Mais d'un seul coup alors que la fumée s'échappent de ses narines, une chaleur nouvelle s'installe sur ses épaules. Cette odeur elle la connaît bien et instinctivement elle vient caresser la main de la demoiselle qui vient l'étreindre. Elle lui balance un reproche dans les oreilles, Scarlett se crispe et observe Jade se tenir éloigné d'elle. « C'est mon rôle de veiller sur toi. » Qu'elle lui dit d'un ton presque maternel. C'est son rôle oui et elle souhaite s'y tenir le plus longtemps possible. Parce qu'il y a rien qu'elle fait aussi bien que veiller sur la rouquine. Elle continue de la tenir en distance et Scarlett n'aime pas ça, elle se sent comme une étrangère face à elle. Une nana lambda qu'elle tient à l'écart parce que c'est trop souvent comme ça qu'elles font. Sauf qu'elle n'est pas une nana lambda. « Tu m'as tenue à l'écart Jade. » Et elle continue encore maintenant, jusqu'à ce qu'elle se décide à se joindre à elle autour de la table. Pendant que la clope de l’aînée se consume. « Non, je ne sais pas. » Elle ne sait rien sur les prisons. « Tu fais dans l'humour maintenant ? » Qu'elle lui rétorque le sourcil levé. « T'as quoi dans la tête ? » Elle ajoute une voix tinté de reproches, en tirant le col de la demoiselle pour qu'elle n’attrape pas froid. « Jade ? » Elle lui répond dans un sourire absent, parce qu'elle voulait des prénoms et qu'elle n'en a qu'un de valable. Elle sait pourquoi, il lui faut plus de temps que ça, il lui faut une éternité. « Toi ? » Elle sait bien Jade que Scarlett lui pose la question principalement pour se tenir informé de ses fréquentations.

Je l'écoute, presque désabusée. Mon incisive s'en va martyriser la peau de mes lèvres. Je ne comprends pas pourquoi elle tient tant à ses responsabilités qui la font couler, et moi, je suis sensée la regarder s'enfoncer, sans rien faire, sans rien dire. « Et le mien, de rôle ? » je lui demande de ma voix fluette parce qu'il semble bien que ce soit elle qui distribue les personnages. Je sens que tous les muscles de Scarlett se tendent. Je l'observe un instant, je lis en elle comme un livre ouvert et je sais pertinemment que la suite ne me plaira pas. Je pourrais presque rouler des billes si je n'avais pas peur de ses représailles. La phrase fatale arrive, j'en étais certaine, elle l'avait mal pris. « Je savais que tu allais me le ressortir, j'en étais sûre » je balance avec lassitude, mon regard couleur ciel se confrontant à ses prunelles émeraudes. Il est vrai que cela fait un jour que je l'évite, volontairement en plus. Je m'installe non loin d'elle. J'étais à peu près certaine que mon trait d'esprit n'allait pas tellement la satisfaire mais sa réaction m'arrache un rictus assez amusé. « Oui, parce que tu es plus jolie quand tu souris » je me moque délicatement en fronçant mon nez, plissant légèrement les yeux avant de lui sourire. Une de mes mains s'en va presser affectueusement son genou pour dérider un peu. Elle me rhabille en grognant, je la laisse faire pour une fois. « Personne ne veut savoir » je lui réponds avec une certaine lassitude, tout en étant très premier degré. Je lance une question, un autre sujet pour la distraire, l'écarter une fois de plus. J'en profite pour m'allumer une clope. C'est mon prénom qu'elle tire au sort, mes lèvres s'étirent en un fin sourire. « Un autre ? » je lui demande en soupirant longuement comme si sa réponse ne me convient pas, surement parce qu'au fond, elle ne me surprend pas. Je n'ai pas envie qu'elle se gâche cette semaine par ma faute. C'est déjà lourd à porter, alors je préfère qu'elle aille voir un peu ailleurs. Scarlett me retourne la question. « Je ne sais pas » je la plagie en esquissant une simple moue. « On va dire que je n'arrive pas à pointer les insupportables dans le lot, ils ne se détachent pas encore clairement » je lui glisse simplement avant d'hausser les épaules avec une certaine indifférence, je l'avoue.

Elle l'évite depuis le début de l'aventure et la première chose qu'elle lui dit c'est un reproche. Tout son corps se crispe, parce qu'elle ne supporte pas la voix qu'elle lui offre dans le creux de son oreille. Une voix distante qui contraste totalement avec cette chaleur qu'elle vient déposer sur ses épaules. Pourquoi venir lui caresser les épaules si c'est pour lui offrir un reproche, ce reproche éternel qu'elle ne comprend jamais. Bien entendu qu'elle l'observe, qu'elle veille sur elle. C'est d'une évidence même, c'est son rôle et elle ne peut pas lui reprocher d'en faire trop. Elle en fait bien assez. Et puis elle a besoin, elle sait bien ça Jade. « C'est de danser. » Qu'elle lui répond dans un léger sourire. Mais un sourire qui ne tient pas bien longtemps, elle se sent seule, elle sent toute un océan glaciale entre elles deux. Pire encore, elle a été mise à l'écart par la rouquine, elles sont deux dans l'histoire elle peut pas la laisser toute seule tout en sachant les difficultés qu'elle a avec les autres. Elle tente d'être à peu près honnête avec tout le monde pour l'instant, mais ça ne prend pas. Bien sûre qu'elle le savait. Et ça déroute un peu Scarlett, elle comprend pourquoi elle l'a évité, pourquoi elle s'est mêlé aux autres. Mais ça lui reste un peu sur le cœur, parce qu'elle aurait aimé vivre le début de l'aventure à son bras. « Bien sûr que tu savais. » Son regard glisse sur la demoiselle, la scrute et l'observe d'un air admirateur, parce qu'elle s'en sort pas trop mal elle. Scarlett le sait bien qu'elle s'en sort, parce qu'elle parle aux autres, parce qu'elle se crée des idées sur les autres. Et qu'elle fait de l'humour. Scar pince des lèvres, ouvre un grand sourire. Parce qu'elle veut la voir sourire. Et y a qu'elle qui a le droit à « son » sourire. « Moi je veux savoir. » C'est évident, elle n'a même pas besoin de le préciser, mais elle lui dit tout de même au cas où elle aurait oublié que Scar s'intéresse à toutes les méandres de son esprit. Parce qu'il n'y a quelle ici qu'elle retient. Elle hausse les épaules, tirant sur sa cigarette presque terminée. « Khadija peut être. » Elle en sait rien à vrai dire, mais peut être que c'est celle qui lui laisse un souvenir un peu plus marquant que les autres, sans pour autant être marqué au fer blanc dans son esprit. C'est peut être bien la seule pour l'instant qu'elle associe à un prénom et nom une âme, un regard ou une aura. Et toi alors ? Semble dire son regard de biche qu'elle pose sur sa cadette. Du positif, dans l'absence de négatif. « Si j'y arrive pas Jade, m'en veux pas. » Parce que ça lui semble mal barré pour l'instant.

J'essaie de lui faire comprendre que j'ai besoin d'espace, de toute façon, je suis qu'elle sera toujours là, dans les parages. Je crois que je devrais me taire non ? Je n'ai pas envie de l'angoisser ou même lui faire de la peine. Mes prunelles scrutent son visage avec une certaine attention, à la recherche de la trace d'une moindre émotion. Je lui demande une direction à prendre, elle, elle pense qu'elle doit veiller sur moi, et dans mon cas ? Je suis simplement une errante. Elle croise pendant un instant mon regard presque fuyant. Sa réponse me fait presque de la peine. Une simple moue se dessine sur mon minois de poupée. « Tu m'as vu danser récemment ? » je lui demande d'un air presque nostalgique. Je souffle presque bruyamment en la regardant. Elle me reproche ensuite de l'avoir mise à l'écart, et encore la semaine n'est pas encore consommée. Scarlett. Je lui lance un regard plutôt appuyé. J'y peux rien, j'ai parfois tendance à l'écarter, que ça soit autant pour elle que pour moi. Cela ne peut qu'être bénéfique pour nous deux. On a besoin de respirer, non ? Sa réponse me fait naturellement sourire. Je bats des cils. « Mais toi, tu n'es pas normale » je ris simplement avant de déposer un bisou sur sa joue. On voit tout de suite que Scarlett se détache du lot, c'est pour ça qu'elle veut savoir comment fonctionne mon cerveau. La rousse me sort un prénom qui m'est inconnu. « Elle est comment ? » je m'interroge avec un regard presque curieux parce que j'estime avoir tout de même un droit de regard discret sur ses relations. Je n'arrive même pas à la visualiser. Elle ressemble à quoi ? Je fronce simplement les sourcils. Je lui offre une réponse qui ne ressemble à rien mais elle s'en satisfait. De toute façon, je n'ai rien de mieux à lui donner pour l'instant. « Tu auras essayé » je me contente de dire d'une voix sereine en haussant les épaules. « On n'est même pas sûre d'être prise tu sais ... » je lui rappelle simplement alors cela ne sert à rien de s'imaginer le pire. « T'inquiète » je souffle simplement en posant ma frêle main sur mon bras.

Scarlett sait bien pourquoi elle prend souvent du recul avec elle. Oui elle comprend bien que ce n’est pas toujours facile pour elle d’avoir Scarlett qui la regarde tout le temps et qui fait attention à chacun de ses gestes parce qu’elle est beaucoup trop inquiète pour elle. C’est que la pauvre Jade c’est bien l’unique personne pour laquelle elle s’inquiète, alors forcément c’est un peu étouffant. Mais le truc c’est que Scar n’accepte pas, non elle ne veut pas que la petite la rejette de cette façon. Parce que c’est aussi l’unique personne capable de lui faire autant de mal. Elle l’aime, l’adore, mais tout cette amour lui fait souvent beaucoup de peine. C’est compliqué pour elle, comme c’est compliqué pour Jade. Toute cette histoire n’est faite que de paradoxes. « Je ne désespère pas de te voir danser bientôt. » Qu’elle lui répond, en lui caressant sa petite joue rosée par le froid ambiant. Son regard se veut compatissant, parce qu’elle sait bien que son commentaire lui a retourné le cœur. Et qu’elle n’avait pas spécialement réfléchit sur le moment. Parce qu’elles peuvent tout se dire et tout se faire endurer. Il n’y a rien à faire, elles vont pas se quitter. C’est comme quand Jade lui rappelle qu’elle n’est pas normale. Le petit cœur de Scar se serre, mais ça l’empêche pas de sourire et de lâcher un rire franc quand elle vient lui claquer un baiser sur la joue. « On est bizarre ouais. » Les bizzaros. Rien à faire contre la nature. Elles en viennent à parler des gens qu’elles retiennent, c’est compliqué pour Scar, mais elle arrive à lui sortir le prénom de Khadija à force de se souvenir des moments passés ici. « Je ne sais pas, elle a des grands yeux clairs, elle est brune. » C’est bien tout ce qu’elle peut lui dire sur elle, pour l’instant du moins. Mais y a plus urgent, y a cette éventualité qu’elle n’y arrive pas Scar, qu’elle n’arrive pas à faire de nouvelles rencontres. Elle préfère la prévenir, parce que pour l’instant elle est complètement perdue ici. Pas plus que d’habitude, mais ça reste son tourbillon habituel. Mais Jade à raison, elles ne sont même pas sûre d’être prise. « Ouais c’est vrai, peut-être qu’on aura juste eut le droit à la case prison. » La voilà qui s’essaye à son tour à l’humour. Elle écrase sa cigarette sur la table en pierre et laisse échapper les dernières volutes de fumée par ses lèvres. « Pour le prime ? » Qu’elle lui demande anticipant déjà la fin de la semaine. « Tu vas papillonner ? » Ou comment lui demander de ne pas trop l’oublier ou du moins lui accorder deux trois regards en cette soirée compliquée. Dans un élan d’affection elle vient s’approcher de la petite et lui offre une étreinte chaleureuse, autant qu’elle en profite tant qu’elle l’a devant elle. Parce que Jade va certainement continuer à jouer les filles de l’air.