Assise à même le sol, Gael regardait les hautes grilles en face d’elle. L’américaine essayait de se mettre à la place de ceux qui voyaient cette grille pour la première fois, en sachant pertinemment bien qu’ils ne les franchiraient qu’une seule fois. C’était un peu morbide, comme jeu mental, mais Gael était parfois un peu remplie d’idées bizarres. Elle imaginait pas mal de choses. Des choses qui lui faisait froid dans le dos, et quand elle entend des bruits de pas dans son dos, elle ouvre la bouche et parle. « Si ça se trouve, c’est aussi un peu une leçon, tu vois ? » L’inconnu est dans son dos, elle n’a pas tourné la tête vers lui, ou elle. « Pas forcément pour nous, mais pour ceux qui regardent l’émission. ‘Regardez comment ils galèrent, comme c’est désagréable, comme ils aimeraient être ailleurs. Ne faites pas de crimes, et vous pourrez rester libre.’ » Elle marqua une pause, et tourna la tête pour voir la fille de son équipe qui avait le langage d’un camionneur. Et encore, c’était pas forcément sympa pour le camionneur. « C’est surement un peu débile, mais les médias se targuent toujours d’être donneurs de leçons. » Elle haussa les épaules.

J'avais jamais trop regardé Orange in the New Black pourtant j'étais sûr que cette série me plairait bien. En même temps tout ce qui montre la femme comme un être libérée, sans tabou, ni complexe gagnait facilement mes faveurs.  Après le contexte pénitencier de la série nuançait la question de manière intéressante.  Ce qui rapprochait, comme pas mal de mes camarades d'abysses l'avait remarqué avant moi, indubitablement notre contexte de vie actuel et celui de la fiction.
D'ailleurs, depuis que j'avais mis les pieds dans cette prison, je ne me sentais pas forcément à l'aise.  J'avais trop vu de films, lu de livre à la Midnight Express sur les horreurs des prisons pour ne pas faire le rapprochement avec notre environnement. Sauf que nous ici, on jouait, on gagnait dans l'argent à être filmé en prison. Vu comment on en chiait déjà pas mal, cela faisait pas mal relativiser et voir les choses sous un genre nouveau. D'ailleurs sans que je ne sache trop pourquoi, mes pensées trouvèrent rapidement un vois pour les exprimer à ma place en la personne de Gael, ma chef d'équipe de la team Rowan. Surpris qu'elle ait comme lue dans mes pensées. Je tiquais un peu sur l'instant puis lui répondrais :
Si, si tu as très certainement raison. Cupidon adore bousculer les habitudes des candidats en les confrontant à l'inattendue. Cela c'étant renforcé depuis la saison dernière et la création des abysses.
Au-delà de ça, Fake Lover était une émission très populaire. Il est vrai que pour des jeunes voir leurs héros télévisuels derrière les barreaux allait surement les faire réagir. En bien comme en al, certain ne voulant pas vivre le même calvaire que nous, tandis que d'autres pourraient tout faire pour passer quelques jours à l'ombre, cela afin de nous ressembler.
Je pense exactement comme toi. Après, je pense qu'au-delà de la télé donneuse de leçons il y a aussi la télé créatrice de défis et d'objectifs à atteindre. J'ai donc peur que des jeunes veulent venir en taule afin d'être comme nous.
On était souvent des modèles pour ces gosses qui se cherchaient des repères afin de se comprendre et de s'accepter tels qu'ils sont. Je savais de quoi je parlais puisque plus jeune j'avais été comme eux, j'avais cherché qui j'étais. À cette époque-là, je regardais Fake Lover et il est vrai que certaine des demoiselles présentes dans l'émission me fascinaient et voilà que quelques-années plus tard, j'étais à mon tour dans cette télé-réalité. Comme quoi, de manière plus ou moins consciente on finissait par toujours par suivre une sorte de chemin tout tracé par le destin. Un dédale labyrinthique ponctué d'embûches et de virages divers et variés mais qui finissait toujours par atteindre son but.

Gael tourna la tête vers Zélie pour l’écouter. Et d’un coup d’un seul, ses jugements sur la jeune femme s’envolèrent. Elle se disait que, peut être, Zélie était bien plus intelligente que ce qu’elle n’avait cru au départ, à cause de la première impression qu’elle lui avait laisser. Curieuse de la découvrir plus en profondeur, la jeune femme était également heureuse de pouvoir discuter un peu avec elle. « Je n’ai pas suivi la saison dernière, malheureusement. Mon travail m’a pris beaucoup de temps. » Elle haussa doucement les épaules. Son travail était sa passion, elle se fichait bien de devoir sacrifier quelques petits mois de sa vie, dans des périodes plus intenses. Gael ne répondit pas tout de suite ç sa seconde hypothèse. Le nez légèrement en l’air, elle était songeuse. Finalement la jeune femme se tourna vers elle. Tout son corps pivota pour lui faire face. « Tu as raison. C’est un peu flippant, d’ailleurs, tu ne trouves pas ? Je pense que parfois, ils en montrent trop. Ca pourrait donner des idées… Hm, content Cupidon ? » Elle leva le nez, alors que les caméras étaient plutôt tout autour d’elle, surement. « Quoi que là, c’est toi qui leur a donné cette idée, en l’énonçant tout haut. » Elle sourit, amusée de rentrer dans une sorte de jeu un peu mental.

Même si je ne la connaissais pas très bien, je commençais à apprécier Gael. La jeune femme avait l'air d'avoir la tête sur les épaules, concentrée sur son travail et pas sur les bêtises de la télévision. Enfin ça, c'est ce qu'elle me disait. D'ailleurs quel travail pouvait autant passionner une jeune femme… J'étais curieuse de le découvrir.
D'ailleurs, si ce n'est pas indiscret. Tu bosse dans quoi ?
Je l'imaginais bien chef d'entreprise où quelque chose du style. Une femme, un peu garçon manqué à la tête d'une équipe de garçons. Un peu comme une chef de chantier au féminin, vous-voyez le délire. Perdu dans mes pensées, je continuais malgré-tout de l'écouter. Au fond, j'étais plutôt d'accord sur le fait que la production parfois en montrait un peu trop, que cela pouvait donner des idées. Le content Cupidon me fit même bien rire. Une fois remis de mon petit fou rire, je reprenais :
Ils ne font que montrer un condensé des actions des candidats monté de manière à faire passer le message qu'il veule. Au fond, quand tu dis qu'ils en montrent trop… Il suffirait juste que les candidats en fassent moins. Donc, nous cette année.
Je n'étais pas sûr que critiquer ainsi la production, c'était bien pour nous. Mais bon, un peu de sincérité, dans ce monde de faux-semblants n'avait jamais fait de mal à personne. Pour revenir aux jeunes Gael reprenait mes paroles, ajoutant une précision qui me rendait un peu confuse.
Tu n'as pas tort… Ce n'était pas forcément volontaire. Quoique là avec tout notre discours, si on n'arrive pas à fomenter une révolution. C'est qu'on est vraiment nul.
En même telles des vieilles mégères, cela faisait plusieurs longues minutes qu'on critiquait la télévision, les jeunes, la production. Dans une bonne optique de base, celle de rendre le monde meilleur. Mais je dois bien admettre que pour ceux qui regardaient le programme, ils auraient pu penser que le but recherché était tout autre.

Gael inspira longuement, elle haussa les épaules. « Je suis coach sportif. Aux USA, ce genre de truc peut prendre du temps. » Avec la malbouffe, la peur des cancer, cette nouvelle vague de bien-être via le sport… Bref. Gael hocha la tête, doucement. « Oui, mais je ne parle pas que de cette émission… Tous les médias en montrent trop, que ce soit après des catastrophes naturelles ou pas, enfin… Il y a des choses qu’on a pas besoin de montrer, tu ne penses pas ? » La conversation avait un peu dévier, mais elle sentait qu’en discuter avec Zélie serait… Stimulant. Gael lâcha un rire à sa prochaine réponse. « Ne t’en fais pas, cette discussion ne passerait probablement jamais à l’antenne… On critique trop, ou alors, il vont nous faire passer pour des commères jamais contentes. » Gael s’en fichait un peu, elle verrait bien ce qu’elle pourrait faire pour rétablir son image en sortant, mais pour le moment elle allait juste vivre son aventure sans changer de personnalité. « Et sinon, tu fais quoi toi, dans la vie ? »

Gael était donc coach sportif, quel étrange métier. Je ne vois aucun intérêt à guider les gens dans leur pratique sportive quotidienne. Après, on ne peut pas dire que je sois une experte dans ce domaine. Moi, je préférais largement l'intellectuel au physique. Après, curieuse comme je suis, je ne pouvais pas m'empêcher d'essayer de glaner quelques informations supplémentaires :
Intéressant… Mais, coach pour qui ? Monsieur et madame tout le monde ou des célébrités ? Et puis, je te rassure, je suis sûr qu'ici aussi les coachs sportifs sont surbookés.
En même temps, de nos jours, le sport était devenu à la mode. Les salles de sports étaient toutes bondées alors que les bibliothèques de province elles se vidaient un peu plus chaque jour. Comme quoi le culte de l'apparence prenait bien de plus en plus le dessus sur celui de l'intelligence et du développement culturel. La télévision à travers les émissions de télé-réalités débiles comme on pouvait en voir sur certaines chaines françaises, contribuant très largement à la diffusion de ce nouveau modèle sociale. En attendant, j'étais parfaitement d'accord avec Gael, autant sur le fait que les médias en montraient trop dans tous les domaines, que sur le fait que cette séquence serait surement coupée au montage. De toute manière vu que j'étais lancée, je n'allais pas m'arrêter de parler maintenant. On m'avait conseillée d'être moi-même dans ces abysses et ben les messieurs de la production, ils n'allaient pas être déçus :
Je pense surtout qu'on est, depuis quelques années, entrée dans une ère de sensationnel. Il faut toujours montrer des images encore plus violentes, encore plus choquantes afin de capter l'attention. Avec les réseaux sociaux, les hommes ne regardent plus vraiment les infos, ainsi pour attirer leurs attentions, il faut de la tension, du drame. Il faut leur faire ressentir des émotions qu'ils n'ont pas forcément devant leurs écrans d'ordinateurs. Mais personnellement, je trouve cela absolument navrant…
On n'a pas besoin d'être dans l'excès d'images et de sons. Notre monde ne tourne déjà plus très rond, il n'est, donc, pas nécessaire d'en rajouter une couche.
J'assume pleinement être une vielle commère dans un corps de jeune fille. Enfin, je ne sais pas si à vingt-six ans, on peut considérer que je suis toujours une jeune fille… Mais bon, peu importe, s'il diffuse cela, je suis sûr que cela va faire réagir. En bien ou en mal, cela ne laissera personne indifférent c'est une certitude.
Avec ça, je pense qu'on en avait fini avec notre couplet politico-social. On pouvait revenir à un sujet de discussion plus classique, mon travail par exemple.
Je suis archiviste à la bibliothèque nationale de France. Je passe la quasi intégralité de mes journées, le nez dans les bouquins, à trier, ranger, classer, des millénaires d'histoire... Au fond, quand on est aussi proche de ce qu'a fait l'homme auparavant. On se rend bien vite qu'il n'apprend jamais de ces erreurs.
Dans l'ensemble quand on regarde bien dans les détails. On se rend vite compte que c'est souvent les mêmes erreurs qui ont fait chuter l'être humain, les mêmes bêtises pour les mêmes guerres. Même si bien sûr, il y a toujours des exceptions. En plus, celle-ci sont nombreuses, mais justement, si l'homme regardait un peu plus souvent dans son rétroviseur, je suis persuadé qu'aujourd'hui, il ne s'en porterait pas plus mal.

Spoiler: