DEAD MAN'S CHEST
@salvador

Premier réveil. Première grasse-mat’. Au final, le fait de m’endormir tôt hier soir puis après de me faire réveiller par un coussin marshmallow m’a tenu éveillé quelques heures. Du coup, j’ai veillé et j’en ai profité pour explorer la maison un peu plus durant la nuit. C’est pourquoi, ce matin, à treize heures, je pionce encore. Faut dire qu’après une semaine sur un lit de prison laissant à désirer, un matelas moelleux me fait le plus grand bien. Du coup, j'émerge tranquillement puis je m'étire sans retenu, ce qui attise l'attention d'une de mes camarades de chambre. Khadija ou Kadhi pour les intimes. Elle se ramène et s'installe au bord du lit. Je lui adresse un fin sourire tandis qu'elle regarde de près les dessins gravés sur mon bras. « Merci. » Je crois bien que c’est la première personne qui me complimente sur mon tatouage. Faut dire aussi qu’il est tout récent. Il a un mois et demi, à tout casser deux mois. J’ai plus de croûte à présent, ni besoin de mettre de la crème en permanence et je crois qu’il sublime dorénavant. « Non, je suis pas doué en dessin. Mais j’ai donné les directives. » Bien évidemment, j’ai pas laissé un total champ libre au tatoueur. Je lui ai dit ce que je souhaitais précisément et il m’a fait un croquis. Je lui ai fait faire deux trois changements et ajouts puis le tour était joué. J’étais pleinement convaincu. Faut dire que j’suis pas allé chez un tatoueur miteux. Ça a pris du temps et ça m’a coûté bonbon mais j’étais décidé. Il le fallait. Mon tatouage est lourd de sens. « Et toi, des tatouages ? » J’en ai pas franchement l’impression ou alors elle les cache bien. « Ton anglais est parfait. Où tu as appris ? » Mais je sais qu’elle est française. Primo, je l’ai retenu lors de sa présentation. Puis même si son accent est impeccable, je sais reconnaître la french touch en tant qu’américain.

Mon tatouage fait dorénavant partie intégrante de moi. Je l’oublie encore, parfois, vu qu’il est récent mais j’en suis fier. Il me fallait une marque et celle-ci est parfaite. Khadi semble l’apprécier et je n’en suis que flatté. Je l’ai pas fait dans ce but là mais si certaines personnes le trouvent beau alors tant mieux. Quant à elle, elle souhaiterait également une vague en tatouage qui s’apparenterait à l’œuvre d’Hokusai. « Je vois. » Bon choix. Le tableau est beau donc ça ne peut être qu’une bonne idée si c’est vraiment ce qu’elle veut. Maintenant, je connais pas bien son rapport à l’océan et pourquoi elle souhaiterait ça. De toute façon, elle fait bien ce qu’elle veut, c’est son corps après tout. « Bizarre. » Je déclare alors suite à toute cette explication sur son anglais. Je comprends parfaitement d’où vient son niveau, c’est pas ça qui me turlupine c’est juste que je l’aurai pas imaginé mannequin et ce, même si elle est très jolie. « Je t’imaginais pas dans ce milieu-là. Ça te plait ? » C’est surement cliché mais j’imagine les jeunes modèles plutôt superficielles et prêtes à tout pour la gloire. Or, ça semble pas vraiment le cas de Khadi. Du coup, j’imagine que c’est pas forcément simple pour elle d’être entouré de nanas comme ça. Enfin simple supposition comme elle en fait une de moi qui serait que je sois surfeur. « Ça m’arrive. Dans mon sommeil. Mais non. » J’vois bien qu’elle aurait préféré que je réponde par la positive car c’est une passionnée, ça se voit mais hélas, j’en ai jamais eu l’occasion et ce, même si mon style s’apparente à celui d’un surfeur. « Et toi, depuis combien de temps ? » Depuis toujours, j’en ai l’impression. Je sais pas si elle est professionnelle ou non, mais ça m’intéresse. Je crois que je suis friand d’histoire et que j’attends juste qu’elle me raconte la sienne même si j’sais que y’a cette histoire de secret en travers.

Khadija est une très belle femme, c’est incontestable mais j’aurai quand même pas imaginé qu’elle soit mannequin. Non pas à cause de son physique mais plutôt par la mentalité du métier. Une mentalité dont j’ai beaucoup d’à priori qui semblent au final être un peu infondés vu le descriptif de la belle brune. J’suis bien content au final de me tromper là-dessus et d’écouter son parcours en tant que modèle photos. Je la laisse raconter son récit sans la couper ni même prononcer quelque chose. « J’imagine que ça paye bien ? » Elle est pas obligée de répondre, c’est clairement ma curiosité qui parle. En tous les cas, je comprends qu’à la base, ce job est plus alimentaire qu’autre chose. « T’as beaucoup voyagé ? » Ça a peut-être aussi d’autres avantages. Celui-là d’ailleurs est nettement pas négligeable. Je trouve ça génial de voyager tout en travaillant. Je me dis que c’est un peu l’idéal. Je ris tout de même lorsque Khadi pense que je pourrai être moi aussi model. Elle m’a bien regardé ? Je trouve que j’ai des kilos en trop et puis mon look… bon… j’imagine clairement pas avoir le physique d’un mannequin. Néanmoins, je décide de retenir les deux derniers adjectifs qu’elle prononce. « Sexy et viril ? » Un nouveau rire grave et net se fait entendre. J’ai franchement du mal à croire qu’elle parle de moi. Je sais que je suis pas repoussant mais je m’imagine pas non plus autant séduisant que ça. « Tu as déjà participé à des grosses compétitions ? Reçu des prix ? » J’imagine que oui. En presque quinze ans de pratique, on peut supposer qu’elle fait du surf à haut niveau. Je suis pas spécialiste mais je me dis que son niveau doit être impressionnant. J’aimerai bien la voir à l’œuvre du coup mais y’a pas de plage ici et puis, en Irlande, j’suis pas sûr que les vagues et la météo soient toujours au rendez-vous. En parlant de ça, maintenant, c’est à mon tour d’expliquer en quoi l’océan ou du moins les vagues sont importantes pour moi au point que je m’en fasse tatouer une sur le bras. « La vague c’est… c’est un point de non-retour. Elle est censée tout emporter sur son passage. Censée... » Je suis présent physiquement mais le mental est ailleurs. Je pense, simplement. Et je suis submergé par des émotions que je tente tant bien que mal de contenir. Pas facile. J’crois que l’intervention de Cupidon tombe à pic. Il faut pas que j’en dise plus. Pas maintenant. « C’est pas cool ça. On doit s’embrasser et j’me suis même pas brossé les dents. » Evidemment, je plaisante. Je comptais pas mettre la langue. Un simple smack suffira. Enfin à condition qu’elle accepte car je vais pas lui forcer la main non plus. J’ai pas envie de perdre de l’argent mais je vais pas devenir irrespectueux en lui violant ses lèvres juste parce que Cupidon me l’a demandé. Y’a des limites.

Je sais pas si le mannequinat paye bien. J’imagine que oui et que ceux qui exercent ce métier peuvent en vivre. Mais j’apprends que pas forcément. C’est pas tant payé que je l’imaginais surtout à cause des marges que les agences se prennent. Je débite un son bref grave pour montrer ma surprise. Néanmoins, Khadija m’apprends que maintenant, elle gagne beaucoup plus surtout qu’elle commence à se faire connaître. Elle estime pourtant ne pas faire grand-chose mis à part être belle. « La beauté, ça s’entretient. » C’est du travail mine de rien car c’est pas quelqu’un de négligé qui va finir mannequin. Et puis, y’a du travail derrière. Se faire un book, se faire un nom, c’est pas si simple j’imagine. Le succès, ça se mérite et je pense qu’elle le mérite et que tout ne s’est pas non plus fait en un claquement de doigt. « Mais je comprends. » J’imagine qu’elle doit être bien plus fière de gagner de l’argent grâce à ses compétitions de surfeuse car son travail est plus visible et qu’elle allie passion, plaisir et boulot. « Arf.. » Je m’exprime alors déçu de découvrir qu’au final, y’a bien des voyages autour du monde pour les model photos mais que ce ne sont aucunement des sorties culturelles et qu’ils n’ont pas vraiment le temps d’en profiter. « Tu vois, c’est pas si facile de prendre la pose. Ton argent est mérité. » Maintenant qu’elle m’a raconté son expérience du pôle nord à Paris, je reste encore plus persuadé qu’être mannequin, ce n’est pas qu’être beau ou belle et qu’il y a beaucoup de travail derrière même si on le voit pas forcément. C’est surement pourquoi je serai incapable d’en être un. Enfin après tout, j’en sais rien, j’ai jamais essayé mais déjà, faudrait-il que j’en ai le physique et ça j’en doute, malgré ce que Khadi peut me dire. Elle semble sûre d’elle d’ailleurs à ce sujet et ça me fait sourire et même presque rougir. J’la laisse avoir le dernier mot là-dessus et je la questionne plutôt sur son métier de surfeuse. Est-ce qu’elle a déjà participé à des grosses compétitions ? Oui, bien sûr ! Le contraire m’aurait étonné. « Whaou. Bravo. » Que dire d’autre face à tant d’exploits ?! Je me sens limite ridicule à côté moi. A part recevoir la récompense du meilleur pirate, j’ai jamais rien reçu d’autre. Ou alors j’ai la mémoire courte. Mais j’crois pas. J’vaux vraiment pas grand-chose. En parlant de moi, j’explique, sans donner trop de détail non plus, pourquoi je me suis fait en partie tatouer des vagues sur mon bras. Khadi pense comprendre. Elle se dit que j’parle du danger des vagues comme elle peut le connaître en tant que surfeuse. Ouais, dans un sens, c’est ça. Mais j’pense pas qu’elle saisisse tout. De toute façon, il n’y a rien à saisir là-dessus, je ne suis qu’un imbécile. « Je ne lui en veux pas. » J’affirme simplement pour clore la discussion à ce sujet. C’est pas à lui que j’en veux. Non, c’est pas à lui. […] « Tant pis pour toi, tu ne poseras jamais tes lèvres sur celles d’un américain. » A moins que ça ne soit déjà fait avec un autre, en fait. En attendant, j’suis pas mécontent de cette intervention de Cupidon. Non pas car j’ai envie de choper la candidate mais plus car ça m’arrange de changer de sujet. Enfin là, en l’occurrence, on est censé se servir de nos bouches autrement que pour parler. Mais c’est pas gagné car pour l’instant, l’ambiance est plus à la rigolade qu’autre chose. Moi je parle de dentifrice et elle de French Kiss. Puis j’ai pas envie de lui violer ses lèvres même si je préférerai conserver mon argent. Elle apprécie ça d’ailleurs. « Je ne voudrai pas t’infliger ma mauvaise haleine du matin de force. » Je plaisante alors tout en sachant que j’ai pas une mauvaise haleine aujourd’hui car si c’était le cas, je crois bien que Khadi aurait fui depuis longtemps. Puis de toute manière, on est censé se faire un vif baiser, pas se rouler des patins. D’ailleurs, c’est le moment. Les cheveux caramel de la candidate viennent se frotter aux miens tandis que mes prunelles grises se plongent dans ses yeux verts et que nos lèvres et nez s’entrechoquent en toute délicatesse. Mes paupières se ferment un instant et se rouvre l’instant d’après quand le visage de la candidate s’est décollé du mien. La sensation que je ressens est particulière. « Non. » Je réponds simplement d’un ton ferme avant de me reprendre à toute vitesse. « Enfin… je suis seul. » Et célibataire. Sans quoi, je ne me serai certainement pas permis ce baiser et ce, même si ça n’est qu’un jeu.