Plus les jours passaient, plus ma curiosité pour ce nid d'amour grandissait. Tous les jours, je découvrais une nouvelle pièce, un nouveau recoin à farfouiller de fond en comble. J'étais comme une enfant, ne sachant pas tellement quel cadeau de noël ouvrir en premier. Je m'étais donc fait un petit planning afin de rien oublier et en ce vendredi soir j'avais donc décidé de passer du temps dans la salle d'arcade. Cette pièce ne m'était pas complètement inconnue puisque j'avais eu l'occasion d'y mettre les pieds pour tirer la roulette russe en début de semaine. Face à moi, de nombreuses bornes de jeux plus ou moins récentes, un flipper, un jeu du marteau etc…
Mon choix se porta presque immédiatement sur le flipper. J'avais toujours aimé jouer à ce truc quand j'en avais l'occasion. C'était simple, ludique et surtout absolument pas discriminatoire. Les filles ayant autant de chance de gagner à ce jeu que les mecs. D'ailleurs en parlant de mec, alors que je m'apprêtais à entamer une partie en solitaire, j'apercevais Colin, le garçon terrible du nid d'amour, à travers l'embrasure de la porte. Sautillant presque pour aller le rejoindre, je posais délicatement ma main sur son épaule, lui demandant :
Une petite partie de flipper contre moi, ça t'intéresse…
Afin de m'assurer que sa réponse serait positive. Je décidais de m'amuser un peu en appuyant sur le point faible des hommes, leur orgueil.
À moins que l'idée de perdre contre une fille ne te fasse peur.
Je ponctuais cela par un sourire angélique. J'étais une vraie petite diablesse dans un corps d'ange. Aujourd'hui, je voulais m'amuser et à ses dépens Colin risquait bien d'être le dindon de la farce.

Il sent que la roulette russe et lui, c’est une affaire qui va marcher. Colin est joueur, certes il est venu ici pour amasser un maximum de fric, mais il apprécie le goût du risque et il est prêt à mettre sa cagnotte ou sa place ici en jeu chaque semaine, car il est difficile de résister à cette roulette. Pourtant, il devrait être vacciné contre elle après avoir été nominé dès le premier soir et par la faute de Gael, mais il ne perd pas espoir de lui rendre la monnaie de sa pièce. C’est bon enfant, elle ne pourra pas lui en vouloir. Il n’a tiré qu’une seule fois la roulette, il lui reste donc un tirage, et il est plus que tenté de l’exercer maintenant. Sauf qu’à peine a-t-il franchi le pas de la porte qu’une silhouette sautillante qu’il reconnait arrive jusqu’à lui. La folle furieuse dépose une main sur son épaule et il ne tarde pas à s'en saisir pour la faire retomber le long du corps de la jeune femme, avant d’affiche un faux sourire. « On est pas amis, hein. » Au cas où elle ne l’aurait pas enregistré. Elle a l’air particulièrement heureuse de le voir, il préfère remettre les choses à leur place dès le départ. En réalité, il aimerait aussi éviter d’être trop familier avec elle, afin d’éviter une présentation détaillée de tous les objets sordides qu’elle a foutus dans sa valise et qu’elle pourrait lui foutre dans le cul au détour d’un couloir, vu comme elle a présenté les choses le premier soir. « J’suis terriiiiiifié, tel que tu m’vois j’fais des efforts surhumains pour pas m’pisser dessus. » Il ponctue sa réflexion d’une mine soudaine attristée. Bouhou, il ne répond plus de rien, il est de nouveau le petit garçon effrayé par le terrible monstre sous son lit, ahah. « Surtout que l’flipper c’est vraiment un jeu qui fout la pression, hein, il y a pas mieux pour s’affronter, surtout dans un parc d’attraction. » Encore, s’affronter au stand de tir à la carabine ou près de l’arbre à pinata serait plus logique et intéressant qu’une partie de flipper. « J’suis surpris, en tant que féministe casse-couilles j’pensais que t’voudrais un affrontement au jeu du marteau, histoire de montrer à quel point t’es mon égale, blablabla. » Qu’on ne se trompe pas, Colin n’a rien contre les féministes, ça lui fait ni chaud ni froid comme tous les sujets importants, c’est juste qu’il trouve la folle furieuse hyper ancrée dans son délire de femme libérée alors qu’il a rien demandé à la base, hein, lui il venait juste tourner la roulette et voilà qu’il passe pour le connard de service.

Il faut croire que depuis le tout premier soir, lors de notre entrée dans la prison et ma petite blague sur les sexs toys, que je possédais pas bien sûr. Colin c'était mis à avoir peur de moi. Surement craignait-il que je lui enfile quelque chose dans le postérieur. Le pauvre, s'il savait que je me foutais de sa gueule… Sa manière d'être, ce côté petit con, branleur et prétentieux m'irritait au plus haut point.
Très drôle, très très drôle…
Un soupir d'exaspération s'échappait de mes lèvres entrouvertes. Le pauvre, il devait encore se croire devant ses potes dans sa cour d'immeuble de banlieue. Sauf que voilà, ici, ces faux semblants, ne fonctionnait pas avec moi. Pas plus que ces piques dignes d'un gamin de maternelle. Après, il avait raison, mais bon je ne voulais pas de véritable affrontement. Juste le taquiner un peu et jouer avec quelqu'un.
Niveau intellect, je te dépasse surement et de très loin… Maintenant, niveau force, je ne voulais pas de véritable affrontement, mais simplement m'amuser avec un autre candidat. Puisque tu passais par là et que j'étais persuadée que tu dirais non à ma proposition, j'ai juste décidé de te brusquer un peu pour te forcer, doucement, la main. C'est tout.
Il y avait rien de plus, rien de moins. Revenant vers le flipper je me retournais vers le jeune homme :
Alors on joue ?
Que je sache, il n'avait pas ouvertement refusé ma demande. Avec ce que je venais de dire, j'allais au moins avoir le mérite d'être au courant. Même si sa réponse, je pouvais sans doute la prévoir d'avance.

La folle furieuse est un peu trop amicale avec lui, il préfère la remettre immédiatement à sa place, car, clairement, s’il y a une personne qui fait partie de sa liste des cas sociaux candidats à cette émission, c’est bien elle. Elle n’est pas forcément méchante ; elle est juste chiante. Si les gens ont tendance à penser que lui se donne un genre, il en va certainement de même pour la folle, qui essaie probablement de compenser un traumatisme d’enfance. Peut-être qu’elle a vécu dans une famille où on ne la laissait pas s’exprimer, alors elle ressent le besoin de hurler les conneries qui lui passent par la tête, alors que, vu le niveau, il serait préférable qu’elle apprenne à se la fermer. Il ne sait pas pourquoi il reste dans la pièce alors qu’il sait pertinemment que le courant ne passera jamais entre eux, probablement par amusement à l’idée de la pousser à bout, de continuer cette joute verbale où elle se contente de répondre le strict minimum en s’avouant – indirectement – vaincue. « Mais j’saiiiis, je comprends pas pourquoi j’fais pas une carrière de comique, j’me ferais un paquet de fric. » Il faut qu’il songe à une reconversion. « Par contre, entre toi et moi, un conseil, t’lances pas de le cinéma, t’es clairement nulle, ou alors t’peux juste prétendre à un razzie. » Ce qui n’est pas forcément une fierté. Quoi que. « Enfin, si ça s’trouve c’est le seul truc que t’peux prétendre remporter de ta vie, alors fonce. » D’autant plus qu’elle ne gagnera pas leur petit affrontement (si celui-ci se fait) malgré qu’elle en soit persuadée. « Et niveau modestie aussi, hein, c’est flagrant. » Un peu plus et il s’inclinerait devant elle face à tant de sagesse. « Parler comme si t’étais un livre de philosophie veut pas dire que t’es intelligente. » Sérieux, elle est née dans une famille de bourge pour parler comme ça ? Parce qu’entre la négation, les points énoncés les uns après les autres, la leçon de morale déguisée, il a l’impression d’être retourné au lycée. « Sinon, y’a un truc qui s’appelle demander, t’sais, c’est tout simple, ça prend deux secondes et t’as pas besoin de sauter sur la personne. » C’est tout un concept, il lui faudra du temps pour le comprendre. « Ouais, non, j’ai pas cinq ans. » Le flipper, il persiste, ça n’a rien d’intéressant comme affrontement. « Mais vas-y j’te regarde, j’peux faire le pompom boy aussi si t’veux. » Trop dévoué. « Tu vas te rétamer, car t’es périmée. » Il scande, en bougeant légèrement les mains pour l’encourager. Ça vole pas haut, mais eh, il doit faire honneur à son statut d’imbécile face au génie qu’est Zélie.