Il se réveille, le corps tout engourdi, la tête lourde. Une légère migraine peut-être. Il s'affaire à se parer d'un peignoir et hâte le pas, en se dirigeant vers la cuisine où il a entreposé la veille dans le frigo une trousse qui contient ses médicaments. Il débarque dans la salle d'eau, la trousse sous le bras. Il ne remarque aucune présence. C'est soulagé qu'il avance devant les lavabos et sort de la trousse un stylo contenant une cartouche d'insuline. Il règle la dose d'insuline prévue et la vérifie à maintes reprises pour en être sur. Il enlève son peignoir. Torse nu, il pince la peau de son ventre et vise l'endroit exact où il se piquer. Une fois l'aiguille introduite, il compte jusqu'à quinze. Il retire l'aiguille. Il aperçoit le reflet de Jade dans le miroir. Il se fige, grimace légèrement, se retourne et la regarde dans les yeux. Elle l'a pris sur le fait. Il pose le stylo d'insuline sur le rebord du lavabo, braquant ses prunelles sur elle. Son éternel sourire s'efface pour faire place à un air plus grave. « Je suis diabétique. », qu'il l'informe d'un ton neutre, en arquant le sourcil. Que pouvait-il dire d'autre, à cet instant ? La vérité simplement. De toute façon, elle l'aurait découvert tôt ou tard, d'une façon à une autre. A quoi bon de le cacher. Néanmoins, il préfère que cela ne s'ébruite pas trop. Il sait qu'en la personne de Jade, il peut lui faire confiance. Le temps s'est suspendu à cet instant. Un certain gêne s'installe entre deux. A lui de leur en délivrer. Il reprend ses esprits et la gratifia d'un sourire amical. « Je ne vais pas en mourir. Ne t'inquiète pas. » Si il surveille bien son alimentation et s'injecte régulièrement sa dose d'insuline, tout ira bien pour lui. Jade ne semble pas convaincu.

Je m'extirpe sans trop difficulté des draps. Je crois qu'il serait temps que je me bouge. En sous-vêtement, j'attrape une robe ample que j'enfile. Je préfère éviter les heures de rush dans la salle de bain parce que je m'assume pas mon corps marqué par l'effort de la danse. C'est comme s'il avait dix ans de plus. Et je n'ai pas envie de croiser Scarlett qui pourrait constater que je continue à me gratter frénétiquement jusqu'au sang parfois, nerveusement, sans faire attention à ses menaces, je n'y crois tellement plus. Sur le chemin de la douchée, je tire sur mon élastique et libère ma crinière feu indomptable. Sur le seuil de la pièce, je fronce les sourcils, quasiment stoppée dans mon élan. Je m'arrête net, mes prunelles acérées se braquèrent sur Lino en plein mouvement. Les traits de mon minois se figent pendant un certain moment alors que mes mains s'en vont couvrir le creux de mes coudes, par habitude, pour protéger mes veines. lorsque je me tombe avec effroi sur l'aiguille. Il m'annonce qu'il a le diabète mais qu'il ne va pas en mourir. Il pourrait prévenir avant de balancer des informations de cette importance ! « Je m'en doute » je laisse échapper d'une voix blanche avant d'esquisser quelques pas gracieux dans sa direction pour examiner de quoi il retourne. « Enfin j'espère » je me corrige parce que je n'en sais rien. « Ça fait mal ? » je lui demande simplement avant que la pulpe de mon index n'aille se poser simplement sur l'endroit qu'il vient de piquer. Je ferme les yeux, presque instinctivement pendant une seconde. « On fait un beau tableau » je me moque simplement en nous observant à travers le miroir. Lui avec son aiguille non loin et moi côté avec mon corps décharné et ses blessures. On ne ressemble à rien ce matin. « Tu ferais mieux de la ranger, ou de la jeter » je lui lance histoire qu'il n'oublie pas son instrument de torture.

Ce matin, il s'est réveillé, exprès à ces horaires-là pour administrer sa dose quotidienne. En débarquant dans la salle d'eau, il a pris soin de vérifier s'il n'y a personne en vue. Il préférait que les candidats le sachent le plus tard possible. Alors qu'il se piquait, une personne choisit de faire son entrée au mauvais moment. Le reflet de Jade lui parvient. Il s'est tout de suite figé sur place, ne sachant comment réagir à cet instant. Il lui révèle alors sa condition, précisant que sa maladie n'était pas mortelle. Du moins, tant qu'on prenait sa dose insuline tous les jours. Au quotidien, cela nécessite de l'organisation et du zèle. Si il ne fait rien, il risque de faire des crises. Et encore, si il ne surveille pas sa glycémie, cela aura le même résultat. Evidemment, il ne crie pas sur tous les toits qu'il est diabétique. Rares sont les personnes qui sont au courant. A part sa famille, bien sûre. Ce n'est pas forcément un secret. Cela concerne sa vie privée. Mais en signant pour cette émission de télé-réalité, il savait que sa maladie allait être révélée au grand jour. Il s'est fourvoyé en pensant que personne ne remarquerait. Étrangement, le fait que Jade soit au courant le rassure un peu. Toujours est-il que cela reste gênant. Il sent son doigts toucher sa peau. Cela fait-il mal ? « Non. Pas depuis mes onze ans, en tout cas. », qu'il rétorque. Un rire nerveux s'échappe de ses lèvres. Sa condition de santé ne date pas d'hier. Il a été diagnostiqué très jeune. C'est héréditaire, il paraît. Il sait que son oncle l'a également et son père avant lui. Il s'y est fait à la douleur. La piqûre n'est pas pire que les crises. Il regarde en bas et tarde sur ses pieds décharnés. Il soupire : « Et toi, tes pieds ? » La danseuse a des pieds usés. Ses orteils ont été malmené. Il relève les yeux et regarde son reflet dans leur mémoire quand la rousse a commenté leur mine du matin. Il ricane. « Ne m'en parle pas. », réplique-t-il, faussement ennuyé. Il entreprend de retirer l'aiguille du style à insuline et sort de sa trousse de toilette un emballage plastique pour y mettre l'aiguille, prévu à cette effet, quand elle l'a prié de jeter l'aiguille tout de suite.  « Tu n'aimes pas les aiguilles, on dirait ? », l'interroge-t-il sans une once de moquerie dans la voix. Il tient à revenir sur son diabète.  « Si tu as des questions concernant tu-sais-quoi, te gène pas. » Il tient en lui parler pour la rassurer sur certains points. Et c'est conseillé qu'il la prévienne des risques possibles.

J'essaie d'imprimer le fait que Lino soit diabétique et tout ce que cela implique pour lui, mais il est vrai que je suis au courant de rien concernant ce domaine, qu'il ne m'en veuille pas. Je tente d'arrêter de le fixer avec une certaine insistance parce que je dois être super gênante et je le mets mal à l'aise j'imagine. D'ailleurs, est-ce qu'il a mis Scarlett au courant ? Je me rapproche de lui, détruisant petit à petit la distance qui nous séparant. J'écoute sa réponse avec une certaine attention. « Tu étais super jeune » je constate de ma voix blanche alors que je glisse un coup d'oeil vers l'aiguille. Il finit par me renvoyer la balle, c'est de bonne guerre, j'avoue, à force d'être trop curieuse ... « Je ne sens plus rien » je lui indique avant de me pencher instinctivement vers l'avant pour apercevoir l'état de mes pieds, à l'image de ma vie en fait. Je lui offre une jolie pointe pour lui montrer que le sacrifice physique a généralement toujours une contrepartie. « Mais ce n'est pas le pire » j'annonce simplement avec sourire avant de tirer légèrement sur l'élastique de ma robe dans le dos pour lui offrir une meilleure vision. Une fine cicatrice le parcourt de gauche à droit, à l'horizontal. Un porté qui a mal tourné, le remplaçant de mon partenaire initial n'a pas su me retenir et je me suis écrasée à pleine vitesse contre le grand miroir mural de la salle. Je ne me suis même pas arrêtée, j'ai recommencé le porté parce que la représentation était dans deux semaines, autant dire que je me suis souvent écroulée sur le parquet à cause de ce type. Un véritable amateur à mon sens, ou alors simplement un soliste égoïste. « Ça m'angoisse» je réponds en dodelinant de la tête face à sa question. « Tu es obligé de faire ça tous les jours ? » je lui demande en le dévisageant. « C'est possible que tu fasses une crise, je sais pas ? Et si oui, on est sensé faire quoi ?» je l'assène avant d'en finir. Mes opales bleutées se perdent un instant dans les siennes, parce que j'aimerai être un minimum au courant quand même, histoire de ne pas être paralysée par l'incompréhension si ce genre de situation venait à se produire.