+ @Naveen

Alors que l'alcool dansait dans ce qui n'était plus qu'un fond de verre, mes prunelles se laissaient séduire par les reflets du lustre miroitant sur le liquide. Je n'avais pas beaucoup bu, non, c'était mon seul verre, pourtant je sentais que c'était largement suffisant pour ce soir, comme de peur d'être aspiré dans quelque chose que je ne serais pas capable de contrôler. Je n'étais pourtant pas connu pour être irraisonnable, aussi, je ne savais pas vraiment ce qu'était que perdre pieds à ce point. Peut-être était-ce une légende, oui, peut-être n'était-ce qu'une excuse que les gens s'étant perdus en chemin se trouvaient pour échapper à la justice du quotidien. J'en doutais. Parait-il que mon père avait connu l'alcool, qu'il ne le supportait que trop bien à ses yeux, et que ma mère, elle, supportait ses cris. Il ne la battait évidemment pas, non, je ne vivais pas une de ces vies clichées à l'américaine, l'enfance type du mec qui tourne mal, dont tout cloche dès le départ. Lui, il avait préféré partir. Et pour tout vous dire, je ne le blâmais pas, restant convaincu que ma mère avait toujours été mieux sans lui. Que j'avais été mieux sans lui. Pourtant mon enfance n'était pas dorée, mon adolescence encore moins, mais j'avais survécu, j'avais grandi, et aujourd'hui encore je prenais un jour de plus. Et ça me travaillait. Enormément même, vous n'aviez pas idée. Je n'avais pas réellement l'impression d'être plus mature, ou de me sentir vieillir d'une année de plus, principalement parce qu'il ne s'agissait que d'un jour s'additionnant aux milliers que j'avais déjà à mon compteur. Si je n'avais pas été aussi fatigué, peut-être aurais-je même tenté de vous en calculer le nombre. Mais là tout de suite, j'étais bien trop pensif pour réaliser que oui, depuis une petite heure maintenant, je fêtais mon anniversaire. Le quinze décembre, rahlala, cette date me suivrait toute ma vie, et en avait vu des vertes et des pas mûres. Petit, j'étais réellement en colère contre ma mère d'avoir accouché à cette date. Trop près des fêtes de Noël, voyez-vous, ce qui faisait que j'avais parfois l'impression d'avoir moins de cadeaux que les autres. J'avais toujours été quelqu'un d'assez matérialiste oui, et ce dès mon plus jeune âge. Aujourd'hui, je m'en fichais bien des cadeaux, surtout dans un endroit comme celui ci. A vrai dire, je pensais à tout autre chose. Je pensais à Naveen. Depuis la dernière fois que nous nous étions réellement parlés, quelque chose me travaillait, une pensée, une parole que j'avais envie de lui dire. Pourtant, je n'arrivais jamais à trouver le bon moment. Aussi, en me rendant dans sa chambre, je fus assez surpris de n'y trouver personne. Instinctivement, je m'étais ainsi allongé sur son lit pour l'attendre, et au fil des secondes, mes paupières s'étaient finalement refermées. Ça n'était que quelques minutes plus tard, lors que je sentis une présence penchée au dessus de moi que celle ci finirent naturellement par se réouvrir. C'était lui, et il devait certainement se demander ce que je faisais là. A vrai dire, pendant une demi-seconde, c'était la question que je m'étais posé à moi-même, avant de finalement m'en rappeler. Et comme par peur d'oublier, sans la moindre formalité, j'avais lâché d'une voix encore légèrement enrouée. « Tu n'as pas donné ton premier baiser. » en me redressant légèrement, je tentais alors de me justifier « Ce que j'veux dire c'est que... t'as pas à t'en faire des personnes que t'as embrassé ici. C'est quand tu commenceras à avoir de vrais sentiments pour quelqu'un que tu sauras, que tu le donneras. » A mes yeux, le simple fait de poser ses lèvres sur celles d'une autre personne ne faisait pas qu'il s'agissait d'un baiser. Non, un baiser, c'était un pacte, un cadeau. C'était bien plus que ce que ce jeu pouvait exiger.

On aurait pu croire qu'avoir passé une partie de la nuit d'hier dans les coulisses plutôt que dans sa chambre, aurait incité l'indien à se coucher tôt pour rattraper quelques heures de sommeil. Mais il n'en était rien. Non, Naveen n'avait semble-t-il aucune intention d'être raisonnable, lui qui à défaut d'investir son lit avait investi l'extérieur, et s'était promené, longuement, à travers le jardin. Il l'avait fait pour profiter de la fraîcheur de la nuit, parce qu'il savait que viendrait le moment où il quitterait cet endroit et où ce genre de détails finiraient par lui manquer au même titre que tout le reste. Mais il l'avait aussi et surtout fait pour penser, pour ressasser toutes sortes de choses, et pour dompter certaines de ses appréhensions, qu'elles soient liées aux nominations à venir, ou au reste. Il s'était ainsi promené de longues minutes, puis de longues heures, quittant la résidence en fin de soirée pour finalement se retrouver à errer dehors à une heure tardive. Surpris, mais pas affolé, l'indien avait alors entrepris de rentrer, puis avait pris la direction de sa chambre. La pénombre ne l'aiderait pas à se repérer sans risquer de réveiller ses camarades, mais il pouvait d'ici apercevoir une silhouette allongée sur son lit, qu'il identifia dans un premier temps comme étant celle de Cody – après tout, il était plutôt logique que son partenaire s'y trouve à plus d'une heure du matin. Seulement, à mesure que ses yeux s'habituaient à la lumière, ladite silhouette lui apparaissait un peu plus clairement, et il ne mit pas bien longtemps à réaliser qu'il s'était trompé, que ça n'était pas celle de Cody mais plutôt celle d'un candidat qui n'avait a priori aucune raison de se trouver là, parce qu'il croyait savoir qu'il ne dormait pas dans la même chambre que lui. Car c'est Grey qu'il identifia bientôt, et au dessus de qui il se pencha alors, intrigué par cette présence inattendue. Et tandis qu'il crut sentir une odeur inhabituelle, forte et saisissante, le candidat s'éveilla et l'indien resta quelques secondes sans pouvoir articuler un mot, complètement pris de court, parce qu'il espérait peut être secrètement qu'il ne se réveillerait pas de si tôt et qu'il n'aurait pas à improviser un dialogue dans ces conditions. « Grey, qu'est-ce que ... » Il souffla alors, sans toutefois pouvoir terminer sa phrase, car bientôt son camarade énonça quelques mots qui le troublèrent légèrement. Il faisait visiblement référence aux baisers que l'indien avait du échanger la semaine passée, et se montrait rassurant quant à leur sens, à leur symbolique. « Oui, c'est … c'est ce que je me dis. Ou ce que j'essaie de me dire, plutôt. » Il esquissa un sourire un peu embarrassé sans trop savoir si Grey avait une chance de le voir, puis finit par s’asseoir sur le coin du lit, en liant ses mains entre elles. « Mais plus j'y repense, et plus j'ai le sentiment que c'est le revers de la médaille. Que c'est une façon comme une autre de payer mes choix, mon insoumission, et mon indépendance. Toutes ces choses dont je suis fier mais qui ont forcément des mauvais cotés. » Parce qu'être célibataire à vingt-neuf ans, sans avoir jamais fréquenté personne, ça ne pouvait que le placer dans des situations inconfortables à la première occasion. Ces baisers auraient pu être anodins s'il en avait déjà fait l'expérience au préalable, mais découvrir ce genre de contacts de cette façon, ça l'avait bouleversé . « Grey, est-ce que … tu as bu ? » Il demanda finalement, d'une voix partiellement inquiète, parce qu'il avait beau ne pas être le mieux placé pour reconnaître les effets – et l'odeur - de l'alcool, il avait comme l'impression que le jeune homme n'était pas tout à fait lui-même. « Je peux faire quelque chose ? Te ramener jusqu'à ta chambre, peut être ? » Parce qu'il n'avait rien contre l'idée de passer un moment avec lui, mais tout de suite les circonstances ne lui paraissaient pas idéales. Son camarade somnolait à moitié, ce qui ne lui faciliterait pas les choses, surtout s'il venait à s'endormir au beau milieu de son lit, l'obligeant à passer la nuit ailleurs, et à prévenir Cody qu'il avait tout intérêt à faire de même s'il ne voulait pas faire nuit blanche.

Je m'étais endormi, et ce sans même que je ne comprenne comment ni pourquoi. La fatigue générale très certainement. Il y avait tellement de choses à faire, à dire par ici, que les heures de sommeil n'en étaient souvent que trop réduites, surtout pour quelqu'un comme moi qui était habitué à ses huit à dix heures de sommeil par nuit. Je n'avais pourtant pas l'air si fatigué que ça, non, il s'agissait simplement d'un autre rythme à prendre. Je n'étais plus trop habitué à la vie en communauté depuis que j'avais atterri au Canada, et que je m'y étais installé. C'était une toute autre vie, oui. Aussi mes paupières s'étaient voulues lourdes, comme un piège tendu par Morphée pour que Naveen me retrouve ici, coupable, quelques instants plus tard. C'était sa présence qui avait fini par me réveiller, et ce sans que je ne sache trop vous expliquer comment ni pourquoi. Cela dit, il m'était toujours plutôt facile de deviner lorsque quelqu'un se trouvait à mes côtés, dans le noir ou non. Je pouvais ressentir comme une chaleur venant se mêler à la mienne, et ce même si je ne savais pas trop bien comment nommer cela. Naveen semblait assez surpris de me voir, et dans l'excitation du moment, j'en venais même sans forcément le réaliser à lui couper la parole. J'avais besoin de lui dire ce que je pensais, qu'il n'avait pas à s'en faire pour les baisers qu'il avait pu délivrer. Probablement parce qu'au fond, je me sentais encore assez coupable de lui avoir volé ce qui était l'un de ces premiers baisers, alors que je ne me sentais pas forcément méritant. J'étais attaché à l'indien, c'était indéniable, et ne voulais que ce qu'il y avait de mieux pour lui. C'est fou comme l'on pouvait se lier rapidement avec les autres dans une aventure comme celle ci. Cela ne faisait que quelques semaines que nous nous connaissions, et pourtant, j'avais l'impression d'en savoir plus sur lui que sur la plupart de mes proches. Mes sourcils se froncèrent instinctivement lorsqu'il me répondit que c'était ce qu'il essayait de se répéter, mais qu'il pensait également qu'il s'agissait là d'une punition pour ses actions précédentes. Je ne voyais pas ça vraiment de cette manière là, non. « Franchement, je ne pense pas. » murmurais-je légèrement pensif. « Tu ne peux pas comparer tes choix de vies avec les actions de Cupidon... Et je continue à croire que tu as choisi ce qui était le mieux pour toi. » Du moins à sa place, j'aurais très certainement fait les mêmes choix, qu'importe les conséquences que ceux-ci engendreraient par la suite. « Y'a rien de mal à vouloir être indépendant, à faire ses propres choix. » Mais peut-être disais-je cela d'un point de vue qui n'était pas forcément objectif, moi qui avais au final toujours du évoluer dans un cadre strictement personnel, et ce depuis ma majorité. C'est alors que Naveen me demanda si j'avais bu, ce qui me fit me remémorer du reste de la soirée. « Non. » lâchais instinctivement avant de me corriger « Enfin si, mais pas beaucoup. » Assez pour qu'il arrive à le sentir, cela dit. J'étais pourtant loin d'être ivre, qu'on se le dise. Ça faisait même un moment que j'avais perdu cette habitude. Un verre, ça n'était pas grand chose. « Je veux bien que tu t'allonges à mes côtés. » lui signalais-je finalement, comme s'il s'agissait de mon propre lit et qu'il était l'invité, ce qui n'était pas forcément le cas. J'en venais même à me décaler très légèrement pour lui faire de la place. « Juste quelques minutes, et puis lorsque tu voudras dormir, je partirai. » Je n'en étais pas au point de vouloir le déranger consciemment, qu'on se le dise.

Si l'indien se réjouissait toujours de retrouver une compagnie agréable, dans l'immédiat il était plus gêné qu'autre chose par la présence de Grey sur son lit. D'une part parce que c'était un espace qu'il ne se voyait jusqu'ici partager qu'avec la personne qui avait été désignée comme son partenaire, et d'autre part parce que son camarade ne se serait certainement jamais installé là s'il était dans son état normal. Et tandis qu'il s'approcha furtivement pour se pencher au-dessus de lui, l'indien crut effectivement sentir une odeur particulière, qui bien qu'elle ne lui parle absolument pas, l'amena instantanément à imaginer que Grey avait pu boire. Ce dernier ouvrit en tout cas un œil après quelques secondes, plaçant l'indien dans une situation plus inconfortable encore, car si jusqu'ici il s'était demandé comment il pourrait le ramener jusqu'à sa chambre sans réveiller tout le monde, maintenant il se demandait ce qu'il pourrait bien lui dire, alors qu'il était décidément pris de court. C'est finalement Grey qui amorça la conversation, en faisant référence aux baisers que Naveen avait du échanger la semaine passée, suivant la volonté de Cupidon. Et bien que gêné, l'indien ne put que le rejoindre sur sa façon de voir les choses, car lui-même savait que ces baisers n'auraient jamais la même symbolique que ceux qu'il pourrait un jour être amené à partager avec la personne qui partagerait sa vie. Mais à coté de ça, il ne pouvait s'empêcher de penser que cette histoire était une façon comme une autre de payer ses choix, notamment celui d'être célibataire à son âge. Et sur ce point-là, Grey semblait en désaccord avec lui. « Tu crois au karma ? » Il lui demanda alors, sincèrement curieux, avant d’ajouter. « Moi, oui. Et il y a une règle qui dit que chaque action génère une force qui nous revient ensuite. En d'autres termes, que l'on récolte le fruit de nos actes, que ce soit dans cette vie ou dans les suivantes. » Ici, il tendait donc à penser que le fait de s'être jusqu'ici privé d'une vie de couple, avec tout ce que ça impliquait, l'avait placé dans une situation délicate, car il s'était retrouvé à vingt-neuf ans, à échanger son premier baiser avec un homme, puis avec trois autres personnes, sans jamais avoir expérimenté ça avant. « Ce ne sont pas quelques baisers qui changeront mes principes et mes motivations, rassure-toi. » Il reprit ensuite, parce que la voie de l'indépendance était celle qu'il avait choisie et qu'il suivrait jusqu'au bout, même s'il devait finir par se marier, et même s'il devait un jour s'attirer les foudres de ses proches. Osant par la suite demander à son camarade si celui-ci avait bu, il eut évidemment un peu de mal à le croire lorsqu'il commença à prétendre que non, avant de finalement confesser le contraire. « Assez pour que tu te sois trompé de chambre, visiblement  » qu'il souffla alors, un peu taquin. Ça ne le dérangeait pas en soi, mais ça le perturbait dans le sens où il avait du faire face à un imprévu, à une situation qu'il n'aurait pas pensé vivre. La requête de Grey eut en tout cas le don de le surprendre plus encore. « Que je m'allonge ? » Il était perplexe, forcément. « Si tu veux, oui, mais … si Cody vient se coucher, il risque d'y avoir une personne de trop dans ce lit. » Et ça l'embêterait que son camarade s'imagine qu'il lui avait trouvé un remplaçant, ou qu'à cause du baiser de l'autre jour il ne voulait plus dormir avec lui. « Bon, c'est ... c'est d'accord. » Il finit toutefois par ajouter, s'allongeant à coté du jeune homme, les muscles un peu tendus et en manifestant toujours un certain embarras. Il finit par tourner son visage vers le sien et par poser la question qui lui brûlait les lèvres. « Pourquoi est-ce que tu as bu, Grey ? » Il ne le jugeait pas, mais il aimerait comprendre. « Est-ce que tu es malheureux ? Tu veux peut être en parler ? A moi ou bien à quelqu'un d'autre. » Il ne savait pas s'il était nécessairement le mieux placé pour l'écouter – il avait beau avoir eu des contrariétés, il ne s'était jamais réfugié dans l'alcool pour autant – et était donc disposé à aller trouver quelqu'un d'autre, si nécessaire, à condition que cette personne ne dorme pas bien sûr.

Naveen avait ingurgité tous ces principes qui m'étaient pour la plupart inconnus, et qui ne traduisaient que de la différence de nos cultures, de nos croyances. Il semblait personnellement impliqué dans tout ce qui pouvait toucher aux croyances de son pays, ses dieux, et tout ce qui pouvait toucher à une spiritualité, à une force supérieure. Moi, j'étais là, bête, toujours à me demander si j'avais le droit de compter sur quelqu'un d'autre que moi-même, si j'avais la possibilité de me laisser aller, de donner la main à un dieu qui n'était pourtant pas physiquement présent, et avec qui j'aurais l'impression d'avoir une conversation de sourds. Je crois que je n'étais simplement pas fait pour la religion, principalement parce qu'il y avait bien trop de zones d'ombres pour réussir à convaincre un Saint Thomas comme moi. Et pourtant, je faisais des efforts, et j'étais curieux. Curieux de découvrir la façon de penser des autres. Celle de Naveen notamment, qui était presque à l'extrémité opposée de tout ce que j'avais pu connaitre jusqu'ici. Je l'avouais, quelque chose chez lui me fascinait, comme si malgré une certaine innocence, il arrivait à planer au dessus d'une vie que je n'étais pas forcément capable d'expliquer. J'avais l'impression que lui avait déjà réfléchi à tout, et que même si sa vie n'était pas forcément parfaite, il savait pertinemment ce qu'il voulait et là où il se rendait. C'était faux, bien évidemment, mais je n'avais pas le recul nécessaire pour m'en rendre compte, du moins, pas à ce moment là. L'indien évoqua le karma, alors que je lâchais un « Je... Je n'y ai jamais vraiment réfléchi. » confession peut-être quelque peu honteuse pour celui qui avait l'air d'y croire dur comme fer. Le fait que chaque action puisse avoir une répercussion directe sur notre futur. Ça n'était pas si bête que ça, non. Et alors que mes pensées s'enfonçaient peu à peu dans cette hypothèse, sans réellement y trouver un dénouement plausible, les nouvelles paroles du brun les firent taire sans concession. Pourtant, ça n'était que lorsqu'il évoqua le fait que je m'étais trompé de chambre que je repris la parole. « Non, je ne me suis pas trompé. » je t'attendais, tout simplement. « J'ai du finir par m'assoupir, je crois. » Je ne savais plus trop à quel moment j'avais été déconnecté de la réalité, ni même combien de temps s'était écoulé entre ce moment et l'arrivée du brun dans la pièce. Encore légèrement sonné par ce réveil, j'avais la nette impression d'en avoir perdu tous mes repères, et ce alors que mes prunelles océans se raccrochaient aux siennes sans forcément m'en rendre compte. Je le priais de s'allonger à mes côtés, allant même jusqu'à lui faire une place, mais je le sentais tout de même gêné. Quelque part, j'avais peur qu'il me tienne indirectement rigueur de cette histoire de baiser. J'aimais parler avec lui, et ne souhaitais en aucun cas que cette aventure mette en péril tout ça. « Si Cody arrive, je m'éclipserai. » soufflais-je sans trop chercher à lutter, parce que de toute façon, c'était son lit à la base, et que je n'avais aucune raison d'y dormir. Et puis Jade finirait par se poser des questions. Mais peut-être pouvions nous simplement se parler, du moins avant de rejoindre nos draps respectifs. Il se décida à me rejoindre, et après quelques secondes, alors que son visage était tourné vers le mien, il me demanda pourquoi j'avais bu, et si j'avais besoin d'en parler. Mes sourcils se froncèrent légèrement. Non pas que j'étais gêné d'en parler, plutôt que je ne savais pas forcément quoi répondre à ce moment précis. Ou disons que je n'avais pas forcément fait le lien. « C'est... c'est une vieille habitude. J'avoue ne pas avoir trop réalisé sur le moment... » non, je n'avais pas forcément d'excuse. Et je n'avais d'ailleurs pas non plus forcément envie de m'en trouver. « C'est juste que je m'étais dit que cette année, j'aurais enfin l'occasion de fêter mon anniversaire avec ma mère. » Mais au lieu de ça, j'étais ici. « J'me trouve assez égoïste, en fait. » Et je ne voyais pas bien en quoi il pourrait me contredire là dessus. Certes, j'avais mes raisons de me retrouver dans une aventure comme celle ci, mais est-ce que cela valait réellement le temps que j'aurais pu passer avec elle ? Je n'en savais rien. « J'ai même pas senti le goût de l'alcool. » avais-je fini par capituler pas franchement fier. Parce que non, je n'avais pas réfléchi, et que ce verre s'était descendu tout seul. Je n'avais jamais été ce que l'on pouvait appeler un alcoolique, non, car je n'étais jamais réellement tombé dans la consommation excessive. Mais lorsque je ne me sentais pas forcément bien, mes réactions pouvaient parfois être imprévisibles, autant pour moi que pour mon entourage. Après un court instant à observer le plafond, mes prunelles étaient retombées dans les siennes, comme pour annoncer que c'était à son tour de parler. Comme si nous jouions à la roulette russe, la vraie. « L'autre soir, tu as dit n'avoir jamais été en couple. » C'était ce qu'il avait mentionné en réponse à la question que quelqu'un lui avait posé lors du dernier prime. « C'est parce que tu n'as jamais rencontré quelqu'un qui te plaisait ? » A vrai dire, j'avais de la peine à y croire. Du moins, à son âge, il avait forcément du trouver une ou deux personnes à son goût, que ça soit simplement physiquement, ou bien mentalement.

Si sa mère pourrait assurément énumérer une quinzaine de qualités qu'elle trouvait à son fils, Naveen de son coté se contenterait de posséder la plus précise à ses yeux : la tolérance. Il avait voyagé depuis l'Inde et avait débarqué en Irlande, au beau milieu d'un peuple dont il ignorait jusque dans les coutumes, tout en sachant que chaque personne qu'il serait amené à rencontrer serait différente de lui de par ses habitudes, ses points de vue et ses convictions. Et ça lui convenait très bien, parce qu'il ne demandait qu'à échanger avec des gens qui ne lui ressemblaient pas, et parce que la différence avait du bon parfois. Souvent, même. Le karma faisait probablement partie des choses auxquelles il était l'un des seuls à croire au sein du jeu, mais ça importait peu. Il n'avait pas besoin que ses convictions soient celles des autres, ni que tout le monde se persuade des mêmes finalités. Ici, Grey disait n'avoir jamais réfléchi à l'idée qu'une action engendre une conséquence, et il ne l'en blâmait pas. « C'est normal, ce n'est simplement pas autant ancré dans ta culture que dans la mienne. » Il souffla alors, avec la bienveillance qu'il tâchait d'adopter dans ces moments-là, car la dernière chose qu'il voulait c'était mettre quelqu'un mal à l'aise à cause de ce genre de choses. Mal à l'aise, il l'était toutefois quelques peu de son coté, depuis que Grey lui avait confirmé avoir bu de l'alcool, avant qu'il ne suppose qu'il avait au moins bu de quoi se tromper de chambre. Mais la réponse de son camarade le prit de court. « Oh alors, c'est moi que tu attendais ? » Il n'avait pas envisagé cette hypothèse, mais ça expliquerait le fait qu'il se soit posé sur son lit. « Je suis désolé, je suis sorti pour me balader et je n'ai pas vu l'heure passer. Je ne pensais pas que je rentrerai aussi tard. » Il se sentait du coup obligé de se justifier, parce que l'idée que Grey ait pu l'attendre alors qu'il se promenait à l'extérieur était plutôt déplaisante. Face à la requête que formula ensuite son camarade, il resta en tout cas un instant sans trop savoir quoi faire, car il n'était pas certain que s'allonger auprès de Grey les avancerait beaucoup. « Ou bien j'irai dormir ailleurs, ne t'inquiète pas. Je n'étais pas à grand chose de passer la nuit dehors, après tout. » Il répondit néanmoins, parce que si vraiment son partenaire voulait récupérer sa place, il se savait capable de leur laisser le lit. Il se décida finalement à le rejoindre, prenant place à ses cotés, avant de se risquer à le questionner sur les raisons pour lesquelles il avait pu boire. Parce qu'il n'était pas seulement alcoolisé, il semblait aussi morose. Et tandis qu'il prêta attention à la réponse du candidat, l'indien se redressa bientôt légèrement, relevant un détail essentiel à ses yeux. « Ton anniversaire ? Oh, c'est aujourd'hui ? » C'est ce qu'il supposait à la façon dont il le disait, et c'est vrai que comme chaque événement un tant soit peu joyeux, ça l'emplissait d'un certain enthousiasme. « Janamdin ki hardhik shubhkaamnaayein » qu'il reprit dans un sourire, parce qu'il lui tenait à cœur de lui présenter ses vœux, et dans sa langue maternelle ça n'était peut être pas plus mal. « Je sais, c'est moins glamour dans ma langue que dans la tienne. » Il esquissa un sourire plus amusé, avant que sa mine ne redevienne un peu plus sérieuse cette fois. « C'est dommage que tu ne puisses pas être avec elle, mais … vous aurez d'autres occasions de le fêter ensemble. Être ici ne te rend pas égoïste. Tu le serais si tu ne pensais pas à elle, or c'est le cas. » Il culpabilisait visiblement, ce qui était compréhensible compte tenu du fait qu'il avait confié s'être récemment réconcilié avec sa mère. Mais c'était dommage de se miner le moral à cause de ça, sa mère ne le voudrait certainement pas.  « Tu sais, je ne suis pas sûr d'être auprès des miens pour mon anniversaire, moi non plus. » Il y pensa subitement, parce qu'il ne savait pas combien de temps il passerait encore dans cette aventure, mais la nouvelle année était maintenant proche. « Il faut que tu trouves un autre moyen de t'apaiser lorsque tu culpabilises ou que tu n'es pas dans ton assiette. Je suis sûr qu'à cet instant, tu ne te sens pas beaucoup mieux. » Il avait du boire à défaut de savoir comment se changer les idées, seulement le résultat était plus désolant qu'autre chose, et lui pas plus heureux, c'est certain. Laissant le silence s’installer tout autour d'eux, l'indien accorda à nouveau son attention à son camarade lorsque celui-ci fit référence au prime, et à un moment bien particulier. « C'est vrai, oui. Un moment de solitude parmi tant d'autres. » Il exagérait un peu, mais il est vrai qu'il s'était senti humilié lorsqu'il n'avait pas pu donner de réponse et qu'il n'avait donc rien remporté. A la question que lui posa Grey, il se pinça les lèvres. « A vrai dire, j'ai fait des rencontres formidables. J'ai côtoyé des gens passionnants, attachants, que ce soit lorsque j'étais jeune, ou plus récemment. Mais je n'ai jamais cherché à séduire, et n'ai jamais abordé qui que ce soit avec cette idée-là. Alors je ne me suis jamais vraiment demandé ce qui pouvait me plaire chez quelqu'un. » Et c'était certainement incompréhensible aux yeux de Grey, autant que c'avait du l'être aux yeux de leurs camarades, lorsqu'ils avaient appris qu'il n'avait jamais été en couple. « Ici, je me le demande parfois. Vous êtes tous si différents qu'il m'arrive de vous observer en me demandant ce qui pourrait me plaire, chez chacun de vous. D'énumérer des détails, physiques ou caractériels. » Il ne savait pas s'il devait en avoir honte ou non, mais il ne voyait aucune raison de ne pas le lui confier. Il ne faisait rien de mal, il s'intéressait simplement aux personnes qui vivaient avec lui. « Qu'est-ce qui te plaît, toi, chez Lloyd-Snö ? » Il finit par demander, en vrillant son regard au sien. « Son physique, essentiellement ? Ou bien tu es sensible à son intelligence, ou peut être à son humour ? » C'était peut être maladroit de sa part d'y faire allusion, mais ayant constaté un rapprochement entre les deux candidats, il souhaiterait comprendre, se mettre à la place de Grey pour peut être y voir plus clair de son coté. Le fait qu'il aborde le sujet ne signifiait pas qu'il approuvait la situation, mais les juger ne l'intéressait pas. Il laissait ça à ceux qui étaient en droit de le faire.

Bien entendu, je savais ce qu'était le karma, et si je n'étais plus franchement certain d'où j'avais pu entendre cette notion pour la première fois, c'était tout de même quelque chose qui pouvait revenir de temps à autres, mais plutôt par ironie qu'autre chose. Naveen, lui, il semblait être né avec cette croyance, comme si ce qui pouvait être une blague aux yeux de certains occidentaux était réellement quelque chose qui avait de la valeur de l'autre côté du globe. J'avais du mal à m'y faire. Non pas que j'émettais un jugement là dessus, puisque je n'y connaissais pas grand chose, mais surtout du fait que deux personnes puissent être aussi opposées au niveau de leurs croyances. J'avais conscience qu'il fallait de tout pour faire un monde, évidemment, mais je restais convaincu que malgré ces différences, il y avait quelques autres choses que deux personnes comme nous avions en commun. Lorsqu'il me demandait si c'était bien lui que j'attendais, j'hochais vaguement la tête sans pour autant prendre la peine de lui donner une réponse orale. Du moins, pas avant qu'il en vienne à se justifier. « C'est rien. Je ne crois pas avoir attendu très longtemps, de toute façon. » Et de toute façon, ça n'était pas comme si je m'étais annoncé d'une quelconque manière, non, bien au contraire. Mais je n'avais pas non plus envie de me montrer trop insistant, et d'aller perturber Naveen dans ses occupations habituelles. J'en venais à me demander ce qu'il avait pu faire dehors aussi tard, mais décidais de négliger cette question, trouvant que ça ne me regardait pas forcément. « Non, non, t'en fais pas, je partirai... » Plus les secondes s'écoulaient, et plus j'avais l'impression de me sentir bête, de gêner. Et dieu sait que c'était bien la dernière chose que je voulais et ce même si là tout de suite, je ne m'en rendais pas forcément compte. Il me souhaitait ce qu'il me semblait être un bon anniversaire dans sa langue natale, et un léger sourire venait étirer mes lèvres. « Ça a l'air surtout sacrément long et difficile à prononcer pour seulement deux mots. Mais j'aime bien. » repris-je avec ce même sourire avant d'ajouter « Merci, t'es le premier à me le souhaiter je crois. » Probablement parce qu'il n'était qu'une heure du matin, et qu'aux yeux de beaucoup, nous étions encore la même journée que la précédente, du moins tant que la nuit ne s'était pas écoulée. Toujours est-il que je serais bien incapable d'apprendre la langue de Naveen, je crois bien. Du moins pas sans de réelles difficultés. Je savais parler un peu français, un peu espagnol, mais on ne pouvait pas dire que c'était réellement ça non plus. Les prochaines paroles de l'indien eurent le don de me rassurer quelque peu, alors qu'il ajoutait bientôt ne pas être certain d'être près de ses proches lors du sien. « On le fêtera ici, c'est pas grave. » D'ailleurs je me demandais « Vous faites quoi à manger, pour un anniversaire ? » C'était bête, mais je l'imaginais mal manger un gâteau au chocolat en soufflant ses bougies. Mais peut-être n'étaient-ils pas si loin que nous sur ce point. Ça n'était qu'un anniversaire après tout. Naveen ajoutait qu'il fallait que je trouve un autre moyen de m'apaiser, que l'alcool n'était pas forcément une solution, et j'approuvais d'un hochement de tête. « Non, t'as raison, je ne me sentais pas forcément bien. » enfin « Mais là, ça va mieux. » Probablement parce que parler me faisait toujours du bien. Et tout le monde avait plus ou moins compris que j'étais du genre à avoir la parole plutôt facile, et ce même si je ne confiais pas forcément mes sentiments au premier venu. Clairement pas, même. « D'habitude, je fais de la boxe pour me détendre. » Ça pouvait paraitre paradoxal, puisque la boxe était un sport plutôt violent, mais celui ci m'aidait à m'épuiser, et donc à relâcher tout ce qui pouvait être tendu dans mon corps. L'état d'épuisement laisser ensuite place à un certain confort. Et alors qu'il avait pris place à mes côtés, un silence s'était installé le temps d'une poignée de seconde, ayant l'impression de le mettre mal à l'aise. Alors, je tentais une question en rapport à Dimanche dernier, me disant que ça serait de circonstances. Et puis, ça m'intéressait également. Par chez lui, il n'avait ainsi jamais cherché à séduire, chose qui nous opposait totalement, puisque j'étais plus ou moins constamment dans un jeu de séduction de mon côté, même si la plupart du temps, c'était principalement pour m'amuser plus que pour faire de réelles avances. Ici, il se demandait ce qui pourrait lui plaire, et j'avouais facilement que cette pensée me faisait sourire. « Je trouve ça bien, ça veut dire que tu t'ouvres. Que tu envisages la possibilité de trouver quelqu'un. » Ou du moins, de tenter de plaire, et c'était quelque chose que je trouvais tout de même assez important lorsque l'on parlait d'épanouissement personnel. Sa prochaine question eut d'ailleurs le don de me faire arquer un sourcil. Mon regard, lui, avait quitté celui du brun pour s'échouer sur le plafond. « C'est physique. » Clairement même, autant de son côté que du mien. « Mais il est marié, et les valeurs du mariage sont très importantes pour moi. J'ai pas envie d'être un de ces gars qui brise un ménage, ou qui n'est pas capable d'assurer pour sa famille. » J'avais pas envie d'être mon père. « De son côté c'est pareil, je pense. On s'entend bien, c'est tout, mais il ne se passera rien. » J'en étais sûr et certain, et de toute façon, tout était déjà très clair dans ma tête. « Et puis, de toute façon, ça n'est pas forcément la personne qui m'attire le plus ici, à la base. » soufflais-je alors qu'un sourire étirait à nouveau mes lèvres. Comme Naveen avait pu le dire, tout le monde était incroyablement différent ici, et dans tous les cas, il me fallait encore un peu de temps avant de considérer le fait de pouvoir faire de réelles avances auprès de qui que ce soit. C'était trop tôt au niveau de ma précédente rupture, au niveau de l'ordre que j'avais à faire dans ma tête. Au niveau de la certitude de tout le reste, de la suite. « C'est la réponse à laquelle tu t'attendais ? » Je ne savais pas trop pourquoi le brun s'était soudainement intéressé à la relation que je partageais avec Lloyd, ni même ce qu'il pensait à ce sujet. Et j'avais bien conscience que le tout pouvait parfois être légèrement confus, surtout lorsque l'on ne savait pas exactement tous les détails, ni réellement ma façon de penser.

A présent que Naveen savait que Grey l'attendait lorsqu'il s'était posé sur son lit, il ne pouvait évidemment s'empêcher de culpabiliser. Car lui qui avait traîné dehors une bonne partie de sa soirée serait rentré plus tôt s'il avait su que son camarade le cherchait. Il fut néanmoins rassuré lorsque celui-ci avoua ne pas être là depuis bien longtemps, ce qui l'amena à sourire. Il mouva cependant la tête au moment où Grey laissa entendre qu'il partirait si jamais Cody arrivait avec l'idée de récupérer son coté du lit. Il ne le retiendrait pas s'il souhaitait les laisser, mais l'indien se savait capable d'aller dormir ailleurs, lui aussi. Peut être Cody avait-il toutefois trouvé un autre endroit où dormir, ce qui expliquerait qu'il ne soit pas encore apparu dans la chambre. C'est en tout cas sur cette pensée que l'indien ne tarda pas à présenter des vœux d'anniversaire à son camarade, qui gagnait un an aujourd'hui. Il les lui souhaita cependant dans sa langue, loin d'être aussi glamour que l'anglais, ainsi le commentaire de Grey était légitime, mais amusant. « A vrai dire, on le traduirait plutôt littéralement comme « Je te souhaite un joyeux anniversaire ». Bien sûr, il existe des versions abrégées, mais en terme de respect on préfère généralement celle-ci. » Dans sa famille, en tout cas, on s'était toujours souhaité un bon anniversaire de cette façon. Entre frère et sœur, entre mère et fils, oui, il avait toujours été question d'un certain respect, même dans l'intimité familiale. « Les autres te le souhaiteront dans la journée. Ta partenaire, notamment. » Il le rassura ensuite, dans un sourire, tandis que Grey faisait remarquer qu'il était le premier à le lui souhaiter. A une heure comme celle-ci, la plupart des candidats dormaient déjà, mais demain Jade et les autres ne manqueraient pas de le lui souhaiter. Il confessa ensuite de son coté qu'il n'était pas sûr non plus d'être auprès des siens pour son anniversaire, et esquissa un large sourire à la remarque de Grey. « Oh, ce serait génial ! » Il les voyait après tout comme une sorte de deuxième famille, alors fêter son anniversaire en compagnie de ses camarades serait forcément agréable. Il lui restait à espérer qu'il en aurait l'occasion. « Eh bien, on organise généralement un grand repas. Chez moi, on mange par exemple du curry végétarien et toutes sortes de plats typiques. Et en dessert, on prépare souvent un gâteau de semoule, généralement aux raisins secs. C'est une recette que ma mère maîtrise particulièrement bien. » Sa mère était une excellente cuisinière, mais les gâteaux de semoule était sa spécialité, si bien que c'était devenu une sorte de tradition, au fil des ans. En tout cas, maintenant que Naveen savait pourquoi son camarade avait bu, il lui paraissait nécessaire qu'il trouve un autre moyen de noyer sa peine. Grey disait toutefois aller un peu mieux, et c'était une nouvelle réjouissante. « D'ici demain, ce sera sûrement comme s'il ne s'était rien passé. » Il ne savait pas de quelle façon on récupérait d'une soirée comme celle-ci, mais il lui paraissait évident qu'une bonne nuit était le remède à tout. L'indien afficha cependant une mine décontenancée lorsque Grey lui avoua qu'il faisait généralement de la boxe, pour se détendre.  « De la boxe ? Ce n'est pas un peu ... dangereux ? » Il avait une image assez violente de ce sport, mais peut être à tort. Grey lui donnait l'impression d'aimer prendre des risques, mais si c'était le moyen qu'il avait trouvé pour s'apaiser, c'était une bonne chose dans le fond. La conversation dévia par la suite sur son célibat – évoqué lors du prime – et le fait qu'il ne sache pas tellement ce qui était susceptible de lui plaire, chez quelqu'un. C'était une question qu'il ne s'était jamais vraiment posé, du moins avant d'arriver ici. Car au milieu de gens si différents, de personnalités qu'il n'avait pas l'habitude de côtoyer, il se surprenait à se poser des questions inhabituelles. A la remarque de Grey, il se pinça les lèvres. « Ici, tu veux dire ? » C'était sûrement ce qu'il voulait dire par là, ainsi l'indien reprit. « Je n'exclus aucune éventualité, c'est vrai. Mais je ne suis pas certain d'être dans le même état d'esprit que les autres, alors … j'ai peut être tort. » Il esquissa un sourire timide, parce qu'il était souvent dans son propre monde, mais gardait malgré tout une certaine lucidité. « Ce que je veux dire, c'est que mes proches, et surtout mon père, m'ont toujours vu comme quelqu'un de sentimental, ou de ... fleur bleue, je crois que c'est l'expression que vous utilisez. » Il n'était pas encore tout à fait évident pour lui d'utiliser ce genre d'expressions, mais il essayait malgré tout de les inclure progressivement à sa façon de parler. « Et dans un jeu comme celui-ci, c'est peut être risqué. » Parce que même sans être venu avec l'idée de faire la rencontre de sa vie, il s'était peut être inconsciemment laissé convaincre par le concept de l'émission. Et maintenant qu'il était ici et qu'il voyait combien tout était paramétré, calculé et mis en œuvre de façon à créer un véritable spectacle hebdomadaire, il craignait un peu de se bercer d'illusions si un jour son regard venait à changer sur quelqu'un. Mais dans l'immédiat, c'est un rapprochement qui ne le concernait pas qu'il s'était permis d'évoquer, non pas avec l'idée de porter un jugement, mais parce que ça le rendait curieux. Il se demandait ce qui chez Lloyd-Snö plaisait à Grey, et il semblerait que ce soit essentiellement son physique. L'indien l'écouta avec attention tandis qu'il ajouta qu'il ne se verrait pas briser son ménage, une idée rassurante à ses yeux. Il confia aussi que Lloyd-Snö n'était pas forcément la personne qui l'attirait le plus à la base, un point sur lequel il ne se permit pas de l'interroger. Ce n'est finalement que lorsque Grey chercha à savoir si sa réponse était celle qu'il attendait, que l'indien reprit la parole. « Je ne sais pas vraiment ce que j'attendais comme réponse, mais je suis content de te l'entendre dire. Parce que je ne vous juge pas, mais … je ne peux pas dire que ce soit l'idée que je me fais du mariage. » Il confessa alors, dans un sourire, parce que s'il y avait bien quelqu'un qui ne risquait pas d'encenser l'infidélité, en dépit de sa tolérance, c'était lui. Pensif, il mit ensuite quelques instants à reprendre la parole, osant alors aborder un sujet plus délicat. « Tu ne le sais peut être pas, mais … chez moi, des gens sont régulièrement emprisonnés parce qu'ils ont embrassé ou entamé une liaison avec une personne du même sexe qu'eux. » Sa mine s'attrista légèrement, tandis qu'il soupira. « J'espère que tu sais que … ce n'est pas une idée que j'approuve, et que j'ai l'esprit plus ouvert que ça. » Le fait de vivre au sein d'une société comme celle-là ne signifiait pas qu'il approuvait ce genre d'idées. Lui, il croyait en celle que chacun était destiné à une autre personne, et ne voyait pas en quoi le sexe avait finalement tant d'importance. « La raison pour laquelle on ne célèbre pas de mariages homosexuels par le biais de notre site, et ne mettons pas en contact des personnes du même sexe, ce n'est pas parce que nous sommes contre … mais parce qu'on ne veut mettre personne en danger. » Sunil et lui en avaient souvent discuté, et ils s'étaient entendus sur le fait qu'il valait certainement mieux ne faire courir aucun risque à personne. « Vous semblez tous fascinés par ma culture, et c'est vrai que j'en suis fier, mais … il y a beaucoup de choses qui ne vont pas, dans un pays comme le mien. » La pénalisation de l'homosexualité n'était finalement qu'un problème parmi d'autres. Les mariages arrangés, la condition des femmes, les règlements de comptes entre castes et les viols étouffés par des institutions comptaient aussi parmi les fléaux rattachés à son pays. Et lui qui tâchait toujours de se concentrer sur des points positifs avait pour autant toujours eu du mal à occulter le fait que son pays n'était sûr ni pour lui, ni pour sa famille, ni pour personne.

Avant l'année dernière, cela faisait un moment que je n'avais pas fêté mon anniversaire en famille. Ma mère étant la seule qu'il pouvait me rester, je savais qu'il ne fallait pas que je merde une nouvelle fois, que je la déçoive. A vrai dire, je ne savais pas non plus bien ce qu'elle pouvait penser de ma participation à ce jeu. Elle avait bien tenté de me soutirer quelques informations quant au pourquoi j'avais décidé de m'y inscrire, mais sans réussir à en retirer quoi que ce soit. Alors oui, je ne savais pas si voir son fils à l'écran lui faisait plaisir ou non, mais maintenant qu'elle me connaissait mieux, maintenant qu'elle avait pris conscience de la personne que j'étais devenu, je crois pouvoir avancer sans trop me tromper qu'elle ne s'en faisait pas. Qu'elle savait que je faisais ce jeu pour de bonnes raisons, et non pas pour l'argent à la clé, la gloire ou même le renom. Tout ça, ça ne m'intéressait pas vraiment. Je fêtais donc mon anniversaire dans le nid, sans la moindre famille à proximité. Pourtant, j'étais heureux d'être entouré de personnes que j'estimais, et ce même si je trouvais cela quelque peu étrange puisque je ne les connaissais que depuis deux à trois semaines. A croire qu'un jour équivalait à deux semaines par ici. C'était très certainement le fait de vivre vingt-quatre heures sur vingt-quatre ensemble qui devait jouer. « Vous avez l'air de tenir beaucoup aux formules et politesses, et au respect. » repris-je pensif, avant d'ajouter « Désolé si mon comportement est parfois un peu gênant, tu ne dois pas avoir l'habitude. » Je n'en savais rien à vrai dire, mais il est vrai que j'avais une facilité déconcertante à prendre la parole, à devenir tactile ou même à plaisanter sur des sujets qui pouvaient parfois mettre mal à l'aise certaines personnes. Je ne m'en rendais souvent compte qu'après coup. Aussi, je préférais que Naveen me dise s'il souhaitait que je calme certains côtés de ma personnalité, histoire qu'il se sente plus en confiance à mes côtés. J'étais peut-être imposant, mais je ne m'estimais pas pour autant mauvais d'une quelconque manière. « Certainement oui. » Il n'était qu'une heure, personne n'avait encore réalisé que nous avions changé de jour, et si ma partenaire savait que c'était maintenant mon anniversaire, les autres en prendraient probablement connaissance dans la journée, comme un bruit de couloir. Et apparemment, nous allions peut-être avoir le privilège de fêter celui du brun ici, dans quelques temps. Il pouvait compter sur moi, en tout cas. Du moins, si j'étais encore dans les parages. L'enthousiasme de celui ci eut rapidement le don de me faire sourire, et ce avant qu'il m'explique ce qu'ils pouvaient manger un jour de fête comme celui ci, par chez lui. Du gâteau à la semoule, vraiment ? « Je n'veux pas remettre en cause les talents culinaires de ta mère, mais je suis certain qu'un gâteau à la semoule, ça ne vaut pas un bon fondant au chocolat. » soufflais-je amusé. On remarquait bien la différence de culture, l'indien contre l'américain. Mais j'y tenais à mon fondant, voyez-vous. Dans tous les cas, Naveen semblait assez surpris de découvrir mon moyen de me relaxer, il en venait même à me demander si la boxe n'était pas trop dangereuse. « Ça dépend de la pratique, si c'est des entrainements, ou bien de vrais matchs. Tu peux aussi te contenter de taper un punching-ball. » lui répondis-je après m'être tourné vers lui, d'avoir dressé ma garde, et d'avoir déposer un faux coup de poing sur son épaule, qui arrivait tellement lentement qu'il ne fit au final que l'effleurer. Simplement pour mimer le geste à la parole. « Ça m'aide à relâcher la pression. » Pas besoin de taper qui que ce soit, ni de faire mal à quelqu'un, il suffisait juste de se dépenser. « Je te montrerai si tu veux. Promis, c'est sans danger. » Du moins pas tant qu'il ne montait pas sur un ring, et très clairement, ça n'était pas ici qu'il allait pouvoir exercer le moindre match. Et de toute façon, je crois bien que personne n'oserait donner de coups à Naveen. Nous en venions ensuite à parler des rencontres de l'indien, et de ses relations. Apparemment, il n'excluait pas l'éventualité de trouver quelqu'un ici, dans cette aventure, et il fallait bien avouer que j'étais assez surpris par cette réponse. Il se reprochait également le fait d'être fleur bleue, et que cela pouvait lui porter tord dans un jeu comme celui ci. « Je ne pense pas que ça puisse te porter préjudice, non. » j'avais beau réfléchir à toutes les éventualités, ça n'était pas forcément une mauvaise chose à mes yeux. « Il n'y a qu'à voir ta popularité ici, beaucoup de gens t'apprécient pour qui tu es. Être fleur bleue, ça ne changera pas ça, je pense même que ça ne te rend que plus attachant. » C'était mon point de vue, mais peut-être que d'autres avaient plus de mal avec ce genre de choses, je n'en savais trop rien. « On a beau être dans un jeu, je ne vois pas pourquoi les sentiments des gens ne seraient pas réels. » Du moins, c'était ce que j'osais espérer. Ce que je voulais croire. D'ailleurs sa prochaine question concernant Lloyd me surpris quelque peu, probablement parce que je ne m'attendais pas à ce que qui que ce soit s'intéresse à cette relation, et encore moins Naveen que j'imaginais assez extérieur à tout ça. Il me disait être tout de même satisfait de ma réponse, et que l'image renvoyée par tout cela n'était de base pas forcément l'idée qu'il se faisait d'un mariage, et j'étais plus ou moins d'accord. Maintenant je ne connaissais pas la relation qu'avait Lloyd avec son mari, et de toute évidence, il n'avait commis aucun faux pas jusqu'ici, contrairement à ce que d'autres pourraient croire, voire dire. Il n'avait fait que se plier aux règles du jeu. Naveen m'expliqua ensuite ce qu'il se passait dans son pays, qui n'était pas encore en accord avec l'homosexualité, et je fronçais légèrement les sourcils, me doutant bien que le brun n'était pas inclus dans cette façon de penser, notamment au niveau des restrictions de son site de rencontre. « J'en doute pas. » ma main était machinalement venue caresser le dos de la sienne, le temps d'une courte seconde, avant de finalement revenir le long de mon corps, histoire de ne pas le gêner davantage. « Ta famille pourrait l'accepter ? » cette question s'était échappée de mes lèvres sans que je ne puisse réellement la retenir, ou même prendre le temps de la peser. Mais maintenant qu'elle était mise sur le tapis, c'était trop tard. « Que tu aies une relation avec un homme. » Ou une personne que ses parents n'approuveraient pas, par exemple. Car je me doutais qu'ils devaient avoir des exigences sur ce sujet, et que le jeune homme n'avait peut-être pas forcément envie de les décevoir.