14/12 , 18h - just to dance with you.

I'M HAPPY
JUST TO DANCE WITH YOU
@greta

De nouveau le tapis de course, de nouveau la forme. Avec, cette fois, son iPhone, son au max, une musique entrainante de mise pour dynamiser son sport. Ce genre de son qui passe sur la plage pendant les compétitions de surf, et qu’elle entend faiblement depuis l’océan… Elle adore ça, c’est toute une ambiance. Elle ferme les yeux tout en entamant les pas chassés sur le tapis de course, vitesse presque maximale pour éprouver son équilibre, se laissant porter par la musique. Elle était seule dans la salle, jusqu’à ce que la porte s’ouvre. Ses yeux aussi, dans le même temps, et elle aperçoit Greta, une candidate nominée en même temps qu’elle la semaine dernière, et sauvée dans le même timing. Elle sourit. Elle voulait justement faire sa connaissance, ça tombe vraiment bien. Khadi saute du tapis jusqu’à terre, attrape son téléphone pour mettre la musique sur pause. — Hello, lance-t-elle à Greta dans un sourire de bienvenue. Attendez… elle se souvient, à présent. Elle avait repérée Greta lors du tout premier prime, parce qu’elle fait carrière dans… la danse. — Dis, Greta, tu m’apprendrais une chorégraphie, un jour ? Elle demande, le regard brillant d’envie. — Tu sais, des mouvements, des pas… des trucs pour briller un peu en soirée… Non, parce qu’à part onduler et se déhancher comme une pétasse, en boite, la meuf lambda ne peut pas vraiment rivaliser avec Michael Jackson. Peut-être Greta pourrait-elle lui donner quelques ficelles ?... Ou peut-être souhaite-t-elle surtout faire son sport et qu’on lui foute la paix, à voir. Elle attend donc, de se faire jeter ou non, ses yeux posés sur la femme au corps divin – pas danseuse pour rien, donc.

J’ai besoin de me défouler, de danser, de retrouver ce que je suis au quotidien. Depuis le début des abysses je n’ai jamais vraiment eu l’occasion de pratiquer cette activité qui va, justement, au-delà d’un simple exercice. Je n’ai pas l’impression de travailler lorsque je danse, j’ai tout simplement le sentiment de vivre de ma passion. M’entrainer me procure une sensation de joie immense, d’euphorie qui se confirme lorsque je me produis à Broadway sur des comédies musicales ou des spectacles de danse. Je ne retrouve pas forcément cette euphorie lorsque je participe au tournage de clips ou de scènes chorégraphiées pour des séries télévisées mais cela reste définitivement un exercice que je pratique sans rechigner. Deux semaines se sont écoulées et j’éprouve le besoin quasi vital de danser, pas pour répéter mais pour faire ressortir la pression et tout évacuer. Après une semaine aussi intense que celle qui vient de passer, dont l’apogée fut mon retour du banc des nominés sans avoir été éliminée, j’éprouve le besoin de souffler un petit peu. Lorsque je pénètre dans la salle de Sport, je suis interpelée par Khadija, cette ravissante jeune femme aux yeux perçants, un regard qu’on ne peut oublier. J’en sais quelque chose, c’est ce qui m’a marqué en premier chez elle lorsque nous nous sommes brièvement rencontrées le premier soir, à la prison. Elle me demande si je serais prête à lui apprendre une chorégraphie un jour, comment dire non ? A partir du moment où on me parle danse je ne réponds plus de rien. « Bien-sûr, tu aimerais apprendre quelque chose en particulier ? » Je maitrise tellement de danses qu’il me serait presque impossible de ne sélectionner qu’une idée sur le champ, là, tout de suite. Il me faudrait l’observer un peu pour mettre au point un stratagème, pour mettre le doigt sur la danse qui lui irait le mieux. « Tu as déjà fait un petit peu de danse… Khadija, c’est ça ? » Je la questionne, histoire de me faire une idée du niveau qu’elle peut avoir. « En échange… Je veux en apprendre un petit peu plus à ton sujet, deal ? »

Elle ne rêve pas, elle a bien devant ses yeux une danseuse… professionnelle. Le rêve de toute nana incapable de danser correctement en boite, autrement qu’en se trémoussant débilement. Enjouée et plus motivée que jamais, Khadi se détourne sans concession de son tapis de course pour consacrer toute son attention à Greta. La danseuse la détaille rapidement, et Khadi se dit qu’elle doit sans doute évaluer ses possibilités – et impossibilités aux vues de sa physionomie. Elle s’entraine à l’équilibre et à la souplesse pour le surf, a de bons appuis et des cuisses et un ventre fermes – car sur la planche, on passe beaucoup de temps accroupi, faisant travailler cuisses, fessier et abdominaux. Ses bras, en revanche, ne sont pas vraiment musclés, sa nuque est assez raide et son dos, à force de s’écraser dans les vagues, est dans un état relativement mauvais. On ne parlera pas de ses chevilles trop fines qui, à force de porter des talons dans le milieu de la mode, ne sont pas des plus solides. — Oui, tu sais, quand je suis en soirée, les gens passent du Beyoncé, et je ne sais jamais comment danser dessus… En essayant de reproduire la véritable choré de Beyoncé, je me rendrais ridicule, je pense, elle confie d’un air sombre. Le souci, pour elle, c’est que comme elle plait, en règle générale, on la regarde beaucoup en soirée. On l’attend au tournant sur une musique sensuelle, on guette ses ondulations. Elle a une pression dingue, et ne sachant pas bien danser… c’est compliqué d’être à l’aise. Elle secoue négativement la tête. — Non… Il paraît que je chante juste et assez bien, dit-elle avec une pointe d’espoir levant les yeux vers Greta – comme si elle était membre du jury de The Voice. — Mais je n’ai jamais fait de danse. Comment dire… Son truc à elle, c’était plutôt le skate, le roller derby… Pas vraiment le genre d’activité qu’on associe à une douce petite fille qui chausse des pointes de classique avec des étoiles dans les yeux… Elle sourit à Greta en entendant sa proposition, et acquiesce. — On va même dire que si tu fais de moi la nouvelle Madonna, je te donne mon secret, plaisante-t-elle tandis qu’elle se remémore les chorégraphies incroyables d’une des meilleures danseuses de sa génération. Madonna n’est peut-être pas la meilleure des chanteuses, mais elle a don pour la danse, Khadi l’a toujours admirée.

Danser ce n’est pas une tâche facile, on aurait tendance à penser que l’on nait avec du talent ou, au contraire, avec une incapacité à aligner deux mouvements de manière correcte. Laissez-moi vous dire qu’il ne s’agit que d’une légende foireuse loin d’être ne serait-ce qu’un tant soit peu réelle. Je ne suis pas née danseuse, je le suis devenue à force de travail. Certes j’ai eu des facilités, beaucoup, mais je me suis cassée les fesses à la salle de sport pendant des années pour apprendre à exprimer de l’émotion dans chacun de mes mouvements, pour développer ma grâce, une aura qui fait d’une chorégraphie une œuvre d’art au-delà de la technique. Je m’acharne depuis une poignée d’années sur la danse contemporaine que je souhaite plus que tout maitriser à la perfection et chaque jour je m’aperçois des progrès que je fais. La danse c’est une forme artistique rigoureuse, il n’est pas possible de se lever un matin et de devenir danseuse, il faut le ressentir, avoir le sens du rythme. Ainsi, lorsque Khadija me demande de lui donner un coup de main, même si j’ai conscience que je ne ferais pas d’elle une vraie danseuse, je me sens immédiatement investie d’une mission… La rendre moins ridicule et lui mettre le pied à l’étrier, on ne sait jamais si je faisais naitre une vocation ! Pour l’heure, il ne s’agit que de lui apprendre quelques mouvements histoire qu’elle puisse impressionner en boite de nuit, il y a déjà du pain sur la planche croyez-moi. L’une de ses remarques m’interpelle. « Tu sais chanter ? » Je suis très curieuse, d’autant plus lorsque l’on touche à l’un des domaines que je connais, pour l’avoir expérimenté sur certaines comédies musicales auxquelles j’ai participé. « J’ai une idée, et si tu me montrais ce que tu as en toi, que je me fasse une idée ? » Il doit bien y avoir un moyen de trouver une chanson de Beyoncé à mettre tout de suite, non ? « Pour danser comme Beyoncé il faut avoir une certaine sensualité en soi, vouloir séduire, tout est dans le corps mais également le regard. Oh et puis… Avoir des formes aussi, c’est ce qui nous rend si irrésistibles quand on commence à danser ! » Nous, les femmes qui ne sommes pas adeptes de la taille zéro, avec des fesses, de la poitrine, un corps certes plus « rond » mais musclé à la fois. « Madonna hein ? Tu veux un mouvement de Madonna ? » Je bondis, improvise les paroles de sa célèbre chanson Vogue et commence à reproduire les pas de son clip plus célèbre encore que la chanson, les bras tendus, en avant en arrière, les mains en permanence en mouvement.

Chanter, non, il serait très narcissique de dire qu’elle « sait », mais on lui a déjà fait remarquer qu’elle chantait juste, et ça, ce n’était pas donné à tout le monde. Elle a de l’oreille, elle reconnait les fausses notes des sons et des chansons des autres, qui lui heurtent l’oreille et la font grimacer. Pour autant, elle n’a jamais souhaité exceller en la matière, loin de là. Elle chante pour la déconne, sous la douche, en plein air, avec des potes, en surfant… De fait, dans une moue peu convaincue, elle hausse faiblement les épaules. — Je ne sais pas… Tiens, je vais te chanter une chanson que j’aime bien, tu jugeras toi-même ? Comme ça, ça réparera la honte que je vais sans doute me taper en dansant devant toi, elle ajoute dans un sourire. Elle entame une chanson iranienne, dans la langue de ses parents, une chanson qui, sans grande surprise, évoque la révolution et la liberté – du moins les nouvelles croyances qu’elle a suscitées, avant de les tuer dans l’œuf. Sa voix résonne dans la pièce, se répercutant sur les murs et les yeux de Khadi brillent alors que ses lèvres s’appliquent à prononcer les mots iraniens pleins d’une fougue délicate, aux –r profonds et aux voyelles hautes. Elle y met du cœur, de l’émotion, repensant à ses parents lorsque l’un commence à la chanter et que l’autre le suit dans la foulée – ils la terminent en se regardant tous deux avec le même sourire, sous les yeux de leur fille, française et incapable de réellement revivre avec eux l’intensité de ce chant qui mêle le combat, la guerre et une incroyable paix. Elle chante la dernière note et s’arrête, observant la réaction de la danseuse avec intérêt. Greta lui demande de danser, ce qui a le don de créer en Khadi une pointe de panique. — Pas toute seule… Avec toi c’est possible ? Au moins, elle se sentirait moins ridicule… Parce que bon, séductrice sensuelle… Ouais, moyen. Formes, courbes… Moyen aussi quand on regarde Khadi, plus taillée pour le surf et enfiler des fringues taille 36 que pour exécuter une danse orientale sensuelle. Ni une ni deux, Greta lui reproduit à la perfection un mouvement de Madonna, les bras tendus, mains s’enroulant dans l’air, son corps ondulant merveilleusement dans l’espace. Elle semble savoir exactement où placer ses pieds, comment faire tourner ses mains, et elle chante si bien en plus de savoir danser que Khadi l’observe, démunie, presque honteuse devant tant de talent, bouche entrouverte. — Géant, elle murmure sans cesser de se nourrir de chaque geste de Greta, essayant de tout retenir et de le reproduire à la première occasion… seule dans la salle de bain.

**Contenu sponsorisé**