L'aventure est différente de ce qu'elle imaginait. Elle n'avait pas pensé un seul instant que ce serait pour elle le terrain d'autant de nouveautés. Et finalement elle commence à se rendre compte qu'en dehors d'ici elle n'avait pas à se forcer, que c'était facile de ne pas s'arrêter sur les autres. Que c'était facile de n'être qu'une emprunte éphémère dans l'imaginaire des âmes qu'elle croisait. Ici, on la regarde, on l'observe et peut être même qu'on se fait une opinion toute nouvelle sur sa personne. Parce que typiquement on n'apprécie pas Scarlett sans pour autant la détester, elle reste cette oiseau mystérieux trop étrange pour qu'on ait envie d'aller l'approcher. La donne à changer à une vitesse étrange. Elle croit bien qu'elle ne perd la tête, toujours à se demander si elle est seine d'esprit, si elle fait partie de la réalité. Toujours à avoir l'envie de se pincer pour être certaine d'être bien là, présente et non dans une réalité fantasmée. Là voilà qui se glisse hors de son lit en pleine nuit, faisant bien attention à ne pas réveiller son partenaire. Il manquerait plus qu'il la questionne sur sa destination. Elle enfile le jean qu'elle a laissé traîné au pied de son lit, parce que pas d'humeur à être organisée. Un gros pull en laine vient couvrir ses épaules nues quand un foulard lui lui couvre la nuque. Elle attend d'être devant la porte pour enfiler ses boots et file à l'anglaise sans trop savoir ce qu'elle va bien pouvoir faire dehors en pleine nuit. Mais l'idée de l'aventure la séduit bien assez pour oublier qu'elle pourrait attraper froid ou se perdre dans le domaine à force de ne pas bien faire attention à ce qui l'entoure. Ses longues jambes parcours le jardin, survole l'arbre à piñata sans même y faire attention tellement la nuit est épaisse. Et puis elle arrive devant son carrosse de métal, le bus 142. Il est désert et un petit sourire satisfait se pose sur ses lèvres à l'idée de pouvoir y passer la nuit si ça lui chante. Pour l'instant elle a dans l'idée de compter les étoiles pour lui occuper la tête, elle entre tout de même dans le bus pour y chopper la lampe à huile qu'elle allume non sans difficulté. Elle quitte la boite de métal, la lumière à bout de bras ayant dans l'idée de monter sur le toit pour s'y allonger la couverture qu'elle tient sur l'épaule comme unique compagnon. Sauf que la tâche lui semble insurmontable, comparant la hauteur du bus à celle du toit du monde. Un bruit se fait attendre derrière elle, la rouquine pivote tranquillement pour éclairer le visage de Khadija. Elle reste inerte un moment, se demandant si elle est réelle. Mais bien entendu qu'elle l'est. Alors un petit sourire se place sur son visage, le sourire qui tente de la rendre plus agréable qu'elle ne l'est. « J'aimerais monter sur le toit, t'en penses quoi ? » Idée folle ? Ses prunelles vertes sont dans l'attende d'une réponse positive et d'un plan d'attaque, ne souhaitant surtout pas qu'elle la dissuade en lui expliquant pas a + b que l'idée est pourrie, presque autant que le métal qui compose le toit de son carrosse moderne.

Il y a la chaleur dense, presque dérangeante de leur chambre-dortoir, les respirations entremêlées, la brève sensation d’étouffer un peu, tout en restant vivant. Dans l’entre-deux. Il y a les bruits du dehors, dans la nuit froide, et, les yeux grands ouverts rivés sur le plafond noir sans le voir, elle pense à l’océan. A ces matins avant le lever du soleil, quand ils descendent tous la côte, dans leur combinaison noire, bleue marine, planche sous le bras ou sur la tête. Leurs pieds s’enfoncent dans le sable froid que le soleil du jour n’a pas encore rendu brûlant, ils sentent l’air glacé et salé leur fouetter le crâne et faire pleurer leurs yeux. L’océan est toujours là, sans les attendre et sans savoir qu’ils sont venus le chercher. Ils se moquent du froid et des étoiles impassibles dans le ciel noir quand ils se jettent dans l’eau foncée, ventre à planche, et pagayent de leurs bras pour se lover plus loin, encore plus loin dans les bras de l’océan. Elle arrive presque à entendre, en s’évadant de la chambre du nid, les bruits des vagues et des clapotis de la nuit, sans les cris des enfants, les voix des touristes de la journée. La nuit, cet endroit n’est qu’à eux. Seuls au monde sur leur île déserte, communion totale avec l’inconnu – car celui qui pense connaître l’océan est un fou. Personne ne connaît personne. L’océan se fout de toi. Elle se redresse et se glisse hors des draps, ses pieds touchant le plancher tiède. Elle enfile un sweat doublé, un bonnet, un jean et ses tennis. L’envie de ressentir la froideur de l’Irlande endormie la taraude. Elle est déjà dehors, et ses mains s’engourdissent tandis qu’elle allume une cigarette entre ses lèvres. Une petite lueur brille dans le noir, semblable à un phare éloigné aperçu depuis un bateau de pêche. Elle s’y dirige, attirée comme un papillon par sa lumière dorée. Le bus sauvage, demandé par Scarlett, se dessine dans la pénombre. La lumière bouge au rythme d’un corps qui la tient à bout de bras. Khadi quitte l’obscurité pour lui faire face, et son regard croise celui de Scarlett elle-même. Elles ne s’attendaient pas à se croiser. Le cœur de Khadija semble s’arrêter quelques secondes alors qu’elle est tiraillée entre l’envie de faire demi-tour et de la laisser faire ce qu’elle a à faire, et celle de ne pas la quitter, maintenant qu’elle l’a enfin retrouvée pour passer du temps avec elle. La regarder, pas trop, la sentir près d’elle, se repaitre de cette sensation d’exister auprès d’un être hors du commun. Scarlett ressemble à un tableau vivant, saisissant. Elle est belle, mais sa plus grande force n’est pas là : elle fait rayonner ce qui se trouve autour d’elle. Le bus, une fois qu’elle est contre lui, n’a plus la même physionomie. Jade, à ses côtés, semble bénie par un halo de lumière d’or. Khadi observe sans le lui rendre le sourire de convention de Scarlett, écoute attentivement sa requête avant de lever les yeux vers le toit du bus. Elle repose son regard sur Scarlett, consciente de ne pas lui avoir donné en retour un sourire qu’elle n’avait, de toute manière, pas mérité. — J’en pense rien, on le fait, dit-elle simplement en calant sa clope au coin de sa bouche. Elle s’approche des roues du bus et pose le pied sur le châssis. Une impulsion la hisse d’un bond et son second pied prend place à côté du premier tandis que ses mains s’accrochent au vieux rétroviseur. Elle grimpe des deux pieds sur le rétroviseur qui menace de casser, mais elle ne lui en laisse pas le temps, patinant sur le pare-brise jusqu’à pouvoir sauter sur le toit. Il ne faut pas peser trop lourd pour cet exercice, parce que les rétroviseurs ne sont pas solides, mais pour Scarlett, aucun problème. Depuis le toit, Khadija se penche et observe la jeune femme comme un chat posé sur un balcon observerait la rue. C’est bon, elle a une couverture. Il faudra la partager, sinon Khadi finira en hypothermie et l’aventure Fake Lover sera ridiculement courte pour elle…

Les envies se succèdent dans sa tête. Tous les jours elle a envie d'une chose nouvelle, peut être parce que le faite d'être enfermé ici sans travail, sans quotidien la force à sortir de ses habitudes et à aller chercher la nouveauté pour qui elle n'avait pas de réelle affinité jusqu'ici. Ça lui prend comme ça, en pleine nuit de sortir de la maison. Pour sentir l'air sur son visage, le froid lui glacer les oreilles et lui mordre les joues. Elle apprécie la solitude que lui offre le lieu qu'elle a crée en cette nuit froide, la demoiselle s'éclaire à la lumière de lanterne qui occupait le carrosse de ferraille. Elle a l'impression de vivre une aventure extraordinaire, d'être une exploratrice d'un autre temps. La présence d'une nouvelle âme la coupe dans son moment de solitude, elle vient éclairer le visage de Khadija. Quelque chose lui dit qu'elle ne sera pas un obstacle à son introspection nocturne. Et y a peut être même une petite part d'elle qui avait hâte de se retrouver en sa compagnie, ce qui la déroute totalement. Il ne faut pas qu'elle commence à inclure les autres dans son écosystèmes, parce qu'elle va certainement finir par être déçu le jour où ils vont comprendre qu'elle n'a rien d'une muse mystérieuse. Qu'elle n'est qu'une fraude. Pourtant, ses pupilles sont ravis de retrouver Khadi, quand son sourire lui se veut de circonstance. Elle dit le fond de sa pensée à la belle méditerranéenne, lui demandant son avis sur les risques qu'elle aimerait prendre dans l'idée d'aller se rapprocher des étoiles. Elle n'émet pas d'objection et l'invite même à le faire tout de suite. Scar la contemple, gracieuse, fine et dynamique se hisser comme une grande sur le bus. Elle contemple sa témérité avec envie, observe son regard déterminé qui illumine son visage même dans la nuit noir. Scar regarde, observe et essaye d'apprendre de ses mouvements tout en l'éclairant à la lanterne pour ne pas qu'elle se blesse. Elle arrive avec aisance sur le toit, ne faisant que tremblé légèrement le vieux rétroviseur. La brune semble dans l'attente et Scar comprend que c'est à son tour. Qu'elle doit essayer d'être aussi agile, alors que son truc à elle c'est plus rester assise pendant des heures sur l'assemblage d'une robe d'actrice. On l'a vu sur le prime, le sport c'est pas son truc. Et c'est déjà quelque chose d'assez dingue qu'elle puisse réussir à sa déplacer avec autant de chaleur dans ses courbes. Mais ça s'arrête à la marche. « Tu prends ça ? » Qu'elle demande à la brune en lui tendant d'abord la lampe à bout de bras puis ensuite la couverture. Scar n'a pas peur, n'est pas inquiète, elle se refait le film de la monté de Khadi et comme elle débute son ascension sur le châssis. Sauf que ce n'est pas naturel chez elle et rapidement elle se trouve bloquée dans trop savoir comment faire. Finalement elle arrive par un miracle – sans aucuns doutes – à se hisser sur le rétroviseur qui tremble. Peut être que finalement elle a peur et vient demander de l'aide du bout des bras à la jolie surfeuse. « Tu peux ? » Qu'elle demande comme le vent prête à se retrouver déséquilibré par une brise légère.

Depuis son balcon, chat hautain avec vue d’ensemble sur le dessous, elle peut à tout loisir contempler Scarlett. Dans sa simplicité, dans sa débilité. Scarlett jauge l’espace tout en hauteur qui la sépare du toit sur lequel elle veut monter. Pas aussi agile qu’une sportive comme Khadi, c’est plus dur pour elle à appréhender, et c’est normal. Sans doute pour certains, cette hésitation, cette incapacité à se mettre soudainement à voler telle une colombe montrerait que Scarlett n’est qu’une fille comme les autres ;  pour Khadi, ce n’est qu’un détail de plus qui s’ajoute à son charme envoûtant. Ses hésitations. Ses impossibilités. Elle hoche la tête et se penche pour saisir la lampe-tempête des mains de Scarlett, la reposant à ses côtés sur le toit, puis la couverture, qu’elle hisse jusqu’à elle et la dépose là où elles s’assieront toutes les deux dans un instant. Ses grands yeux verts, légèrement bridés, retournent à l’observation de Scarlett, tandis que cette dernière pose un pied hésitant sur le châssis et se lance. Pas si mal, songe Khadija tout en remarquant que les mains de Scarlett trouvent leurs prises là où il faut. Mais ça s’arrête au rétroviseur branlant, sur lequel Scarlett reste suspendue. Sans arriver à bondir sur le pare-brise et y courir en surplace jusqu’à créer l’adhésion nécessaire à la montée, Scarlett pose sur Khadija un regard qui, pour la toute première fois, semble vouloir dire « j’ai besoin de toi ». Une chaleur étrange s’empare de Khadija, plus heureuse qu’elle ne l’a été de toute la journée. Cette fois, c’est certain, Scarlett s’adresse bien à elle. Elle la voit même, à son étonnement, tendre vers elle ses deux bras comme un tout petit enfant attend la prise au cou de sa maman. Elle sourit, sur le point de fondre littéralement devant cette poupée, bras tendus vers elle, attendant d’être entourée et hissée contre un corps rassurant jusqu’au point d’arrivée. Khadi ne se fait pas prier, et se penchant vers elle, elle l’attrape dans ses bras, sentant la tiédeur de son corps se mélanger à la sienne. Ses cheveux sentent l’herbe comme si elle s’était allongée dedans pendant une heure, un jour d’été. Ça sent une fleur qu’elle n’a jamais sentie, et la peau de son cou a des effluves de talc. On dirait qu’elle a dans ses bras un bébé. De son poids, semblable à celui de Scarlett, Khadi n’arrive pas à la hisser sur le toit aussi facilement que l’aurait fait un homme, ou une femme plus puissante. Aussi, elle attend de Scarlett qu’elle l’aide en poussant du pied le rétroviseur pour se donner une impulsion. Leurs regards se croisent, et sans doute leurs esprits fonctionnent-ils à l’unisson à toute vitesse. Cette situation absurde… et délicieusement… familière. Elle a la sensation d’avoir déjà vécu cette scène. — Je ne te lâcherai pas. Plutôt mourir. — Je retomberais peut-être avec toi, lâche-t-elle dans un souffle tandis qu’elle la resserre dans ses bras, — mais je ne risque pas de te lâcher. Scarlett peut en être certaine. Pourtant, pour sauver sa peau, Khadi aurait été prête à lâcher bien des gens. Ils se le disent souvent, à l’océan, entre surfeurs : si tu vois que je me noie dans une vague comme celle-là, une vague comme ça, laisse-moi. Parce qu’ils mourraient à deux, et ça n’aurait plus aucun sens. Elle sait, d’avance, que dans une telle situation, elle sera la seule à se noyer, ou celle des deux qui s’en ira en essayant de retourner sur le sable. Elle sent le pied de Scarlett donner un grand coup sur le rétroviseur, qui s’arrache et tombe à terre. Comme juré, Khadija retient Scarlett et la hisse jusqu’à elle. Toutes deux sur le toit, Khadi s’appuie en arrière, retenue par ses bras tendus et ses mains à plat contre le métal cabossé. Elle reprend son souffle, et observe Scarlett en face d’elle.