Tout commence à lui manquer. De la présence de son mari aux rires de sa fille en passant par des choses plus ridicules, comme les appels de la clinique ou les pas de ses voisins dans l'appartement du dessus. Il s'en veut un peu d'accorder à cette nostalgie ne serait-ce qu'une minute par jour, parce que Lloyd sait qu'une fois qu'il met le doigt dans l'engrenage il finit par passer des heures à tenter de retirer son bras avalé par la machine infernale de la tristesse. Pour se remonter le moral il ne connaît qu'une solution. Les recettes de Mormor Bridgith. Ces desserts de son enfance que ses frères et sœurs et lui ont passé leurs jeunes années à reproduire avec la bienveillante grand-mère paternelle. Hier il a mis les écorces d'églantines à tremper, parce que la Nyponsoppa demande du repos pour que les églantines rendent tout leur goût et se ramollissent pour être mixées le lendemain. Après avoir passé plus d'une heure en cuisine, -les recettes suédoises mêmes les plus simples demandent toujours du temps, parce que la cuisine est une pièce chaude où la famille se réunit autour des fourneaux pour partager un moment de vie, plus qu'un repas- il peut enfin mettre la touche finale à la recette. C'est en général à Elliot que revient la tâche de monter la crème fouettée, parce qu'il était le plus vif de la fratrie quand ils étaient enfants, alors qu'Uli est de corvée macarons. Althea et Lloyd-Snö, eux, ne sortaient pas des jupes de leur grand-mère. Aussi réaliser les préparations habituellement confiées à ses frères et sœurs n'a pas été de tout repos mais il n'a pas fait honte à la recette traditionnelle. Quand Greta et Naveen entrent dans la pièce, l'heure du repas approchant, il ne peut résister à l'envie de leur proposer une assiette de soupe -froide- d'églantines. « Je viens de finir, vous voulez goûter à une recette typiquement suédoise ? » qu'il demande avant d'ajouter, pour plus de précision. « Ça s'appelle une Nyponsoppa, c'est une soupe froide d'églantines accompagnée de petits macarons et d'une crème fouettée vanillée. » Avec délicatesse Lloyd sort trois assiettes, s'ils n'en veulent pas il ne les remplira pas, ce n'est pas grave. Mais lui meurt d'envie de se sentir at home, alors il dépose quatre demi-macarons dans l'assiette avant de verser une louche de soupe au centre, le liquide se répartissant en une couche uniforme entraîne la flottaison des petits biscuits. Le tableau ne serait pas complet sans qu'il n'ajoute une quenelle de crème fouettée au milieu de l'assiette. Tadam !

Une faim de loup, je crois que je pourrais engloutir un réfrigérateur entier si je m’écoutais. Probablement pas, une simple assiette me suffira à coup sûr, mais sur le moment, l’estomac criant famine, il me parait évident qu’il reste de la place pour une bonne dose d’exagération. A chaque fois c’est pareil, le sport me fait cet effet, il m’affame comme un animal que l’on laisserait sans ressources pendant un petit moment. Mes collègues danseurs sont toujours amusés de me voir profiter de la moindre petite pause pour me ruer sur une barre chocolatée ou n’importe quelle autre douceur qui me permet de repartir avec l’énergie nécessaire pour patienter jusqu’à la prochaine pause. Un véritable estomac sur pattes je vous dit. Il faut dire que j’ai été habituée par ma famille à manger plus qu’à m’a faim, les repas concoctés par ma mère, encore plus ceux préparés avec amour par ma grand-mère, réunissaient la famille entière et pourtant il restait toujours de la nourriture pour quinze de plus. Ce matin je me suis levée tôt pour m’entrainer un petit peu, la danse me manque cruellement, je n’ai jamais été coupée aussi longtemps de ma profession, de cette passion qui me permet de carburer au quotidien et de vivre confortablement, à l’abri du besoin. J’ai rattrapé le retard accru ces deux dernières semaines et le moins que l’on puisse dire c’est que je me suis défoulée sur plusieurs styles de musiques. J’en ai profité pour répéter quelques numéros qui appartiennent au prochain spectacle que je présenterais à Broadway, il me tient particulièrement à cœur puisque je vais en être la chorégraphe et productrice, un grand pas en avant et le début d’une nouvelle aventure. Après une bonne douche chaude revigorante, plus de place au doute, j’ai réellement besoin de me sustenter. Sur le chemin je croise Naveen avec qui je papote un petit peu, nous sommes à priori tous les deux affamés et attirés par une odeur assez originale, je ne crois pas reconnaitre le moindre ingrédient. Lloyd cuisine et nous accueille comme un chef, il désire nous faire découvrir un plat de Suède dont le nom… Ouais, pas sûr que je puisse le prononcer correctement. « Comment tu prononces cela ? » Je lui demande, en espérant qu’il répète lentement pour que je puisse en faire de même. Si, comme le fait remarquer Naveen non sans humour, le nom ne donne pas forcément envie je ne peux pas en dire autant de ce que j’ai sous les yeux, la gourmande que je suis est intriguée. Je m’installe à la table, à côté de Naveen, et le laisse poser une première question à Lloyd sur son pays natal, serait-il un petit peu nostalgique ? C’est ce que fait ressortir cet endroit, la nostalgie, il nous laisse le temps nécessaire pour réfléchir à notre passé, à notre vie. Une thérapie assez originale ! Lorsque Naveen parle du mari du jeune garçon, une question fait tilt et je ne me gêne pas pour expliciter, comme toujours. « Tu crois que ton mari va te tenir rigueur de ce que tu as fait avec Grey ? C’est bien lui que tu as embrassé non ? » J’ai peut-être mal entendu les dires de Cupidon qui, si je me souviens bien, a diffusé la fameuse petite musique pendant l’une de leurs conversations. Naveen se tourne vers moi pour me demander qui goûte en premier, sa remarque me fait sourire d’ailleurs. « Oh l’excuse pourrie pour se jeter en premier sur ton assiette. Je te laisse l’honneur de commencer ! » On ne sait jamais, si Lloyd tente de nous empoisonner il aura le temps de mourir avant que je ne pose mes lèvres sur la moindre petite cuillérée de son plat. « Dites-moi, comment se passe votre début d’aventure ? Comme vous l’imaginiez ou pas du tout ? »

Naveen n'a pas le temps de dire qu'il compte faire de son dessert la découverte de sa journée que Greta a débarqué et qu'elle veut lui faire répéter la prononciation de la soupe d'églantine. Ça fait sourire Lloyd que les gens soient aussi ouverts à cette part de sa culture. « T'as bien raison, c'est une découverte que tu ne regretteras pas ! Promis ! Et ça se prononce ny-po-on-tzop'a. » décortique-t-il pas sûr que ça l'aide beaucoup. Le son « tz » est un peu difficile pour les américains qui n'ont pas réellement d'équivalent linguistique auquel le rattacher. Naveen mentionne son pays natal, pensant probablement que Lloyd a grandi en Suède. « Je suis né aux États-Unis, la famille de mon père est une famille d'immigrés mais on passait nos vacances d'été tous ensemble en Suède. C'est plus les petits plats de ma grand-mère qui me manquent. » explique-t-il avec un sourire. Les vacances dans la campagne suédoise avec ses cousins et cousines restent des souvenirs merveilleux, c'est là qu'il a vraiment appris la langue, plus qu'à la maison où sa mère ne le parlait pas vraiment à l'époque, avec le temps elle a pris l'habitude et le comprend bien mais n'est pas bilingue pour deux sous. Ce n'est que lorsque Naveen flatte ses talents de cuisiner que Lloyd éclate de rire. On voit qu'ils sont encore bercés d'illusion le concernant. « Hahaha, non ! Non ! C'est pas moi qui cuisine à la maison. Personne ne cuisine. Je fais des desserts et c'est à peu près tout, on mange principalement des take-out. Notre frigo ressemble à une carte du monde culinaire, t'as de la bouffe française, de la russe, de la thaïlandaise, du libanais... » de l'indien, du chinois, du grec, du turc... il aurait pu continuer la liste pendant longtemps. Mais non, ils ne cuisinent que très peu. Au départ ils ont essayé de s'y mettre pour Mei, mais on finalement décidé que si les take-out étaient assez bien pour eux, ils seraient assez bien pour elle aussi. Et il n'est pas peu fier de dire que sa fille mange équilibré et qu'elle a une culture culinaire vachement développée pour son âge. La question de Greta l'irrite un peu, mais il sait bien que tout le monde se pose la question, c'est normal, un mec marié embrassant un autre gars... C'est pas comme s'il avait embrassé Enola aussi hein ? Mais ça personne ne le relève. « C'est bien lui que j'ai embrassé. Et mon mari ne me tiendra rigueur de rien, on a nos règles et il sait que quoiqu'il se passe ici, ça n'a pas d'importance à mes yeux par rapport à ce qu'on a lui et moi. » dit-il en haussant les épaules. Ses deux camarades se chamaille pour savoir qui va commencer à goûter. Qui va servir de sujet test. Ça fait sourire Lloyd qui veut bien jouer les médiateurs. Il sait que ce sera bon, il connaît la recette par cœur et a gouté les ingrédients séparément. « Vous embêtez pas, je vais commencer et vous verrez si je tombe raide mort.  » plaisante-t-il en plongeant la cuillère dans la crème fouettée et en la remplissant de soupe. Il porte la pièce d'argenterie à sa bouche et ferme les yeux, se retrouvant projeté dans des souvenirs d'enfance on ne peut plus joyeux. Il lève un pouce pour dire que la bouffe est sûre et attend de les voir s'attaquer à ce dessert. Il aime bien faire découvrir sa culture. Quant à savoir comment se passe son aventure, il n'a rien de mal à dire. « Plutôt très sympa, les gens sont assez cool et puis... la fête foraine c'est quand même bien sympa comme thème. » dit-il en replongeant sa cuillère dans la soupe à la pèche pour un demi-macaron.