Il marche seul depuis cinq minutes, dix peut-être. Le temps passe et trop vite et trop doucement dans le nid. Chaque pièce lui paraît morne ce matin, peut-être parce que la gueule de bois qu'il se paye cloue son cerveau contre un mur et lui inflige une migraine retentissante. Lloyd ne sait plus exactement pourquoi il a bu autant, peut-être pour oublier qu'il a encore une fois soumis Khadija au vote du public, l'entraînant dans sa chute une fois de plus à cause de la roulette. Les mots ne suffisent pas à exprimer à quel point il se sent con. Allen qui a dit de leur relation qu'elle était un grand soleil risque de devoir y ajouter quelques nuages. Snö taperait bien du poing contre un mur, mais chaque vibration causée par ses pas lui tire une envie de grimacer, son cou le torture. Parce qu'il n'a même pas dormi dans son lit la nuit dernière, squattant un canapé pour ne pas déranger Khadija à qui il avait annoncé, avant de rejoindre Colin, qu'ils étaient tous les deux nominés grâce à la roulette. Les effluves d'alcool ont effacé de sa mémoire la réaction de sa partenaire, mais il doute qu'elle soit très contente de lui au réveil. Quand il entre dans la chambre, elle a l'air vide, une première. C'est pas plus mal. Il se déshabille, oubliant l'espace d'un instant les caméras et profitant du fait que personne ne regarde pour ne pas avoir à se cacher, puis enfile un boxer et un t-shirt et se laisse tomber sur le lit. Une seconde plus tard, ou peut-être une dizaine de minutes plus tard, Lloyd entend la porte s'ouvrir et, par réflexe, tente de se cacher sous la couette. C'est sans compter sur les bruits de pas qui s'arrêtent au pied du lit. « Je suis désolééé. » supplie-t-il en sortant la tête -de déterré- de la couette. « En plus t'as dit que j'étais pas indispensable à ton aventure maintenant tu dois te dire que je suis un vrai poids ! » ajoute-t-il en se rappelant qu'elle ne l'a pas mentionné comme une personne indispensable. Ce qu'il conçoit parfaitement, franchement il s'en fout même. Mais la vérité c'est que si elle ne l'estimait pas indispensable mercredi ou jeudi dernier. Ce matin elle devait avoir envie qu'on la dispense de lui.

La main de Khadija se perd dans ses cheveux courts et il hésite entre soupirer d'aise ou gémir de douleur. La whisky et la téquila n'ont vraiment pas fait bon ménage c'est une leçon à retenir pour la prochaine fois qu'il décidera de boire en compagnie de Colin. Le gamin doit avoir moins mal au crâne que Lloyd, parce qu'il ne se remet plus aussi bien que lorsqu'il avait dix-neuf ans de ses beuveries mais aussi parce que le cadet a passé une bonne partie de la soirée à la bière là où Lloyd alignait les whiskys pur. Elle murmure qu'il ne sait pas s'arrêter et ça le fait rire. Histoire de détendre l'atmosphère il répond, la langue un peu pâteuse. « Dans la bouche d'Arthur c'est un compliment, mais ça c'est uniquement parce qu'il est content qu'on ait encore une vie sexuelle animée après six ans de mariage. » C'était une plaisanterie entre eux de se dire qu'ils avaient un mariage qui fonctionne grâce à leur compatibilité sexuelle. Sans être obsédés ils ont tous les deux une libido assez difficile à satisfaire et s'ils se sont donnés le droit de coucher avec d'autres personnes -avec de multiples conditions répertoriées dans un petit contrat- ce n'est qu'une bouffée d'air frais, de nouveauté, avant de retourner vers la personne qui leur convient le mieux. Une façon d'apprécier encore plus le corps qu'ils possèdent la fois d'après. Elle ajoute qu'elle n'a pas décidé d'arrêter de l'apprécier et il grommelle satisfait :« Faut voir le bon côté des choses. T'es probablement la plus malchanceuse des partenaires mais t'es aussi celle qui va recevoir le plus de massages toutes saisons confondues. » Parce que bon, il se sent coupable malgré la générosité de Khadija et qu'étant physiquement incapable de lancer une campagne de soutien en la faveur de sa partenaire -il finira par donner des consignes de vote à Arthur via Twitter- il ne voit d'autre moyen de se faire véritablement pardonner que de se montrer dévoué à elle. « Viens. » l'invite-t-il en se relevant un peu et lui faisant signe de venir sous la couette qu'il tient maintenant par dessus sa tête. Une fois qu'ils sont protégés par l'enceinte du château fort, de la cabane serait peut-être plus exact, il explique : « Je faisais tout le temps ça avec ma sœur Althea quand on était petits et que nos parents nous envoyaient nous coucher tôt parce qu'ils recevaient des amis. Bon on avait un système d'éclairage et même de suspension mais... ça fera l'affaire. » Le tout était un amas complexe de fils à linge tendus au travers d'une pièce, une construction digne des petits monstres qu'ils étaient. Ces soirées, qu'ils finissaient par passer dans la chambre de Lloyd à jouer aux aventuriers de l'arche perdue, ou encore des enfants à la dérive loin du monde des adultes, sont parmi les souvenirs les plus chers qu'il possède de son enfance. « C'est qui la personne qui te manque le plus en ce moment ? » questionne-t-il enfin. Les gens qui lui manquent son tellement nombreux qu'il ne sait pas par où commencer. En dehors des évidences que sont son mari et sa fille.

La plaisanterie de Khadija le fait rire. Les gens ne connaissent pas Arthur, à force de leur en parler il a l'impression qu'ils le connaissent mais ce n'est pas le cas. Ils ne peuvent pas vraiment comprendre à quel point il est parfait pour lui, à quel point son visage ciselé et ses yeux bleus le font fondre. Déjà parce qu'ils ne l'ont jamais vu et puis parce que les mots ne suffisent pas à l'expliquer. Certains disent que l'amour rend aveugle. Pour ne pas s'être marié en étant amoureux de son époux, Lloyd peut affirmer qu'il est lucide sur le sex-appeal de son homme. C'est une des raisons qui ont fait que leur couple a si bien fonctionné dans Gift ved første blik : ils avaient dès le départ une alchimie -et donc une attirance physique- forte. « Si tu voyais la tête d'Arthur -et son corps- tu comprendrais qu'à moins qu'il se laisse complètement aller, même dix ans ne pourraient me dégoûter de coucher avec. » Et encore peut-être qu'il resterait avec. Pas pour des raisons financières ou pour sa fille -ils sont très clairs sur le fait que si un jour ils viennent à divorcer, Mei sera leur priorité- mais parce qu'en dehors de son enveloppe charnelle parfaite, la personnalité d'Arthur est complètement compatible avec ce que Lloyd attend d'un partenaire. À la fois rassurant et piquant, drôle et protecteur, malin et pragmatique, Arthur est un savant mélange de ce à quoi ressemble l'homme parfait dans l'idéal Lloydien. « Mouais... en plus maintenant j'ai un appareil pour te masser le crâne. Franchement si le droit me fatigue un jour, je pense vraiment que l'idée de me reconvertir dans les massages peut marcher. » fait-il en référence à l'une de leurs premières conversations, le sourire aux lèvres. Sous la couette il fait chaud, pas assez pour qu'il étouffe, mais suffisamment pour que son gross pull lui paraisse de trop. Quand Khadi lui répond et que c'est sa bande de potes qui lui manque le plus, Lloyd lui caresse doucement la main. Il veut pas la rendre triste, surtout pas. Alors il l'interroge, peut-être un peu maladroitement. « Vous surfez même l'hiver ? » Ça lui paraît un peu fou, déjà qu'il a du mal à aller dans la mer pendant l'été parce que l'eau froide et lui ne sont pas très bons camarades. Alors au mois de Décembre ? Non, il ne se voit pas du tout embarquer dans cette aventure. « Tu as pas essayé de voir si dans la piscine à vague tu pouvais « surfer » ? Il doit bien y avoir une mini-planche pour imiter les sensations. » demande-t-il un peu bêtement. Mais il a pu constater la semaine dernière que la piscine faisait de forts courants, ce n'était même pas le mode « vague ». Alors si Khadija trouve une planche, même une de celles que les maîtres nageurs utilisent pour apprendre aux enfants à nager, elle pourra peut-être expérimenter des sensations sinon similaires au moins légèrement ressemblantes. « Chez toi c'est des plages de sables ou de galets ? J'aime pas trop le sable, malgré tous les efforts de Maureen on en retrouve dans tous les coins de la maison une semaine après être allés à la mer. » Maureen, leur femme de ménage. Parce qu'évidemment Arthur refuse de faire le ménage et que Lloyd n'a pas le temps -entre deux dossiers- de s'occuper du gros œuvre et de sa fille. Maniaque qu'il est, il a exigé qu'une femme de ménage s'occupe de leur appartement deux fois par semaine -le lundi et le vendredi- pour garder les lieux viables. Bien sûr Arthur a proposé, en sachant pertinemment que Lloyd refuserait, de quitter leur appartement de trois cent mètres carrés pour un logement deux fois plus petit, histoire de soulager la quantité de tâche ménagère. Cette divagation touchant à sa fin Lloyd active le mode curieux. Celui qu'il utilise quand il est avec ses sœurs, ses ami(e)s ou un témoin qui lui cache quelque chose de compromettant. « Bon, parlons franchement. Le mec le plus sexy du nid à tes yeux c'est lequel ? Et puis, il se passe quoi entre Naveen et toi ? » Il ne veut pas la mettre mal à l'aise, mais si tel est le cas, il en tirera les conclusions qui s'impose. Lloyd lui fait signe de boucher son micro si elle ne veut pas que la production diffuse de bande sonore. Pas bête l'abeille.