« AHAH ! » J’hurle en bondissant de derrière la porte pour surprendre mon camarade la main dans le sac. J’étais tout à fait sérieuse la semaine dernière lorsque, pendant mon interview avec Rowan, j’ai menacé la personne qui osait se servir de ma crème de nuit sans m’en demander l’autorisation de subir d’affreuses souffrances s’il ne se dénonçait pas immédiatement. Personne n’a osé venir me voir et quelqu’un a de nouveau utilisé ma crème quelques jours après, ce soir je crois tenir le responsable bien que ce dernier soit l’un des seuls candidats que je n’avais pas soupçonnés. A vrai dire, je pensais qu’il s’agissait d’une fille jusqu’à maintenant. Les stéréotypes, encore et toujours, j’ai la preuve devant les yeux qu’il faut se méfier de tout le monde. « Tu pensais pouvoir utiliser ma crème de nuit sans avoir à faire face aux conséquences, j’ai pourtant prévenu la semaine dernière ! » Je n’irais pas chercher plus loin, c’est bien Lloyd-Snö, premier du nom, qui tient entre ses mains ma crème, celle qui a disparu l’autre jour pendant quasiment vingt-quatre heures, j’attendais une lettre de rançon mais on me l’a gentiment ramenée. J’aurais pu avoir accès aux caméras mais j’ai préféré me la jouer Sherlock Holmes et partir à la chasse sans trop me faire repérer, prendre le temps nécessaire pour prendre sur le fait l’imposteur. J’attrape l’oreille de Lloyd que je tire de sorte à ce qu’il recule et lâche tout de suite mon petit pot de crème. « Tu vas voir, je vais te passer l’envie de te servir de ma crème sans en avoir demandé l’autorisation, VOLEUR, HORS LA LOI ! » Je m’emballe en l’entrainant avec moi vers la sortie de salle de bain, je n’ai aucune idée de la punition que je pourrais lui infliger, espérons que je trouverais en chemin.

Lloyd recrache l'eau qui lui a servi à son bain de bouche au bicarbonate de soude. Il déteste ce goût mais l'hygiène dentaire est l'une des principales leçons qu'il a dû enseigner à Mei alors il se voit mal ne pas montrer le bon exemple. Encore en boxer, la serviette autour du cou de sa douche post-séance de vélo du soir, il va pour jeter le tube de dentifrice à la poubelle quand il aperçoit un pot de crème qu'un autre habitant n'a pas jeté dans la poubelle mais bien derrière. Se penchant pour le ramasser il ne lui faut pas plus d'une seconde pour se rendre compte que le pot de lotion n'est pas vide. C'est le moment que choisit une voix pour hurler à son oreille. « Greta ? » fait-il incrédule devant le spectacle qu'elle lui offre. Elle est folle ou bien ? « Ta crème ? » qu'il demande de plus en plus dans le flou quant à ce qui est en train de se passer autour de lui. Elle a prévenu la semaine dernière ? Est-ce que Greta a enfin été touché par un Alzheimer précoce ou une forme de démence chronique ? Lloyd est le genre de mec pacifiste dans la vie de tous les jours même s'il est plutôt combatif en cour. Mais quand elle lui saisit l'oreille et le tire loin du lavabo il crie, soudain en colère : « EH LÂCHE-MOI ! » Cette fois c'en est trop. Si les gens, et par les gens il veut bien sûr parler de Greta, pensent qu'ils peuvent lui marcher dessus et l'agresser physiquement de la sorte, ils sont dans le faux. « Non mais je sais pas ce que c'est ton problème mais faut te faire soigner ! » crache-t-il en s'attrapant l'oreille. Il n'a pas vraiment mal, c'est désagréable plus que douloureux mais là n'est pas la question. C'est une violation de son intégrité physique qu'il n'avait tout bonnement pas sollicitée. « Ton pot était caché derrière la poubelle je l'ai juste ramassé. Je me doute bien qu'à ton âge l'état de ta peau doit avoir besoin de beaucoup d'entretien mais sérieusement t'as un souci de possessivité. » conclut-il vénéneux. Cette meuf a un pet au casque et il ne sait pas quoi faire d'autre. Lui asséner un crochet du droit dans le nez pour la calmer n'est pas la solution mais ça lui remettrait peut-être les idées en place.

J’ai horreur que l’on m’emprunte mes affaires sans en demander l’autorisation. Combien de fois me suis-je retrouvée dans cette situation au boulot, dans les coulisses entre deux scènes où tu dois te changer très rapidement et qu’une autre danseuse se permet de te piquer tes affaires plutôt que d’utiliser les siennes. Le temps perdu est immense et tu ne peux pas parvenir à te préparer efficacement pour te présenter sur scène comme il est prévu. Alors oui, bien-sûr, personne ne s’en rend compte parmi l’audience mais ceux qui bossent sur le spectacle depuis des mois eux perçoivent la différence. Il n’est pas vraiment question de crèmes dans ces cas-là mais plutôt de costumes, éléments de coiffure et autres détails qui font la réussite d’une pièce stylistiquement parlant. J’ai tellement perdu de temps à cause de cela que j’ai du mal à tolérer qu’on me prenne mes affaires au quotidien, surtout que le vilain voleur s’amuse à m’emprunter cette maudite crème de nuit depuis deux bonnes semaines, j’ai prévenu le prime dernier, aujourd’hui je passe à l’action et je n’hésite pas à tirer l’oreille à Lloyd qui peut s’estimer heureux que je me contente de cela. Voyez-vous… Je n’ai pas envie d’être éliminée à cause d’un comportement foireux, le tirage d’oreille devrait suffire. A moins qu’il ne continue à me parler sur ce ton, je le regarde, interloquée par son comportement. « Tu voles les produits des autres et après c’est moi qui doit me faire soigner ? Non mais c’est une blague ! » Je souffle, exaspérée, en reprenant ma crème. S’il m’avait demandé l’autorisation je lui aurais généreusement proposé de s’en servir autant qu’il le désirait, les jeunes oublient tous la politesse et pensent que tout leur est dû. Il m’hurle que ma crème était derrière la poubelle, étrange, je fronce les sourcils et l’observe longuement pour démêler le vrai du faux, je suis très mauvaise à cet exercice. « Tu n’as jamais utilisé ma crème ? Jamais ? » Je répète, suspicieuse. Le voilà qui ose sous-entendre que je suis vieille et que ma peau a cruellement besoin d’être entretenue. La guerre est lancée vous m’entendez ? ELLE EST LANCÉE ! « Je n’ai pas soixante-dix ans non plus, ma peau est très bien comme elle est au naturel, je la préserve. » Et puis… Et puis… « Baisse d’un ton quand tu t’adresses à tes ainés jeune homme, j’ai peut-être quarante balais mais j’peux encore te botter le cul si tu me manques de respect ! » Oh la défense pourrie, toujours est-il qu’il me doit des excuses… Je m’excuserais ensuite si je me suis trompée et qu’il n’est pas le voleur de crème que je pensais avoir pris sur le fait.

Elle l'accuse encore et encore, c'est presque une litanie. Bientôt n'en pouvant plus, excédé de la démonstration d'entêtement et -il sera franc là dessus- de ce qu'il considère être de la pure stupidité. Lloyd finit par lâcher d'un air narquois : « Tu ferais une putain de mauvaise avocate... » Elle n'a à aucun moment apporté de preuve qu'il était le voleur, ce serait comme dire d'un mec retrouvé avec l'arme du crime entre les mains mais aucune autre preuve qu'il est coupable pour sûr sans mener d'enquête. L'arme du crime, ici le pot de crème, est entre les mains de Lloyd par pur accident et bon courage à elle pour prouver le contraire. « Écoute, Greta, je sais pas si t'es sénile ou si quelqu'un s'amuse à déplacer tes affaires parce que tu ressembles à une furie quand on touche à ce qui t'appartient, mais faut que tu redescendes d'au moins trois étages sinon ça va mal se passer entre nous. » fait un Lloyd pragmatique, posé, bien que ses mots soient piquants à souhait. La didactique d'une plaidoiries est un art subtil qu'il maîtrise parfaitement, Greta en revanche est simplement une femme un peu trop impulsive dont l'esprit est trop occupé à compter les pas pour ajouter deux et deux. Faire les maths à la place ne dérange pas Lloyd, ça l'ennuie juste profondément. « Putain... t'es longue à la détente. J'en ai rien à foutre de ta crème. Pour être honnête je trouve même qu'elles puent toutes les crèmes de cette marque. » ajoute-t-il d'un air distrait, comme un complément d'information. C'est pas de sa faute si son expérience avec la marque qu'utilise Greta n'est pas bonne, mais il est clair qu'il n'irait pas se tartiner la gueule d'une couche de crème qui lui donne la nausée. Il est conscient que la beauté est éphémère mais il préfère la voir passer plutôt que de se rendre malade.« Je baisserai d'un ton quand mon aînée le méritera. Et je t'en prie, signe ton avis d'éjection de l'aventure en me bottant le cul. Une personne de moins à éliminer c'est toujours ça de gagner. » minaude-t-il forçant un peu le trait du mec légèrement insupportable. Après tout, Cupidon doit déjà trouver ça moyen qu'elle lui tire l'oreille, mais si elle veut carrément botter le cul de Lloyd, il se laissera faire. Une de moins c'est toujours ça de pris. C'est pas possible d'être aussi gamine à quarante piges. Il vaut peut-être mieux qu'il continue de creuser, ça risque de lui donner des indices sur le secret de la Mamie de la promotion.

« Je n’ai jamais cherché à être avocate, cela tombe bien ! » Lloyd-Snö a cette habilité à prendre un ton supérieur face aux autres qui m’insupporte peut-être un petit peu à présent. Au début je trouvais cela marrant, je n’y prêtais pas vraiment attention mais puisque j’en suis victime je trouve tout de suite cela plus agaçant. Il n’a pourtant pas de quoi ramener sa fraise, surtout pas devant une femme plus âgée que lui qui en a bavé toute sa vie pour être prise au sérieux et réussir. J’ai promis à mon fils de me tenir mais j’ai bien du mal à respecter cet engagement, la faute à une impulsivité incontrôlable. Pour être bien dans ma peau j’ai besoin d’exploser, c’est ce qui m’évite de devenir vache et rancunière. Vous verrez que dans une dizaine de minutes je trouverais à nouveau Lloyd sympathique, c’est peut-être pour cela que j’apprécie tout le monde ici, parce que je passe à autre chose immédiatement lorsqu’ils m’agacent. « C’est une menace que tu es en train de faire petit ? » Je lui demande, prête à remettre les pendules à l’heure sur une chose, je n’ai aucunement peur de lui. Il ne m’impressionne clairement pas et je ne le connais pas suffisamment pour craindre de le vexer ou de me le mettre à dos en ne me comportant pas bien. Au contraire, j’aurais tendance à répondre à son ton hautain par un comportement encore plus dans la provocation, juste pour aller là où il semble m’attendre. Il ose critiquer cette crème que j’adore, AFFRONT ! « Elles puent peut-être Monsieur, mais elles sont efficaces, c’est le principal ! » Ce n’est pas comme si l’odeur de ma crème allait déranger quelqu’un lorsque je file au lit, peut-être Pablo mais il n’a jamais rien dit alors bon… Il minaude, toujours aussi arrogant et m’incite à le frapper afin que je sois éliminée. Alors oui mais non, je refuse de partir sur une note aussi négative. « Non, je ne frappe pas… Je préfère faire vivre un enfer sur la durée. Tu n’as néanmoins pas volé ma crème, tu ne mérites donc pas que je le fasse… Sauf si tu continues à me parler avec cet air suffisant que je déteste ! »

Snö laisse échapper un : « Encore heureux. » à la mention du fait que Greta n'a jamais cherché à devenir avocate. Elle a bien raison, qu'elle lui laisse le droit et qu'elle se concentre sur ses pas de deux, ça vaut probablement mieux.Lloyd n'a jamais cherché à faire l'unanimité, au fond qu'on l'apprécie n'est qu'un plus, si ça ne passe pas avec certaines personnes il ne va pas pleurer. L'idée même qu'il « menace » la bonne femme lui semble farfelue. À la limite dire qu'il l'a mise en garde ou qu'il l'avertit de ne pas le pousser trop loin parce qu'il pourrait à son tour exploser comme elle et que ça risquait de ne pas être beau à voir. Mais, menacer est un mot un peu fort à son goût. « Pas une menace, juste une mise au point. » dit-il d'un air distrait, pas tout à fait dans le moment tant il lui semble surréaliste. Pas aussi surréaliste que lorsqu'elle répond à son commentaire sur l'odeur des crèmes de la marque qu'utilise Greta qu'il trouve assez désagréable. Parler avec elle ce soir c'est comme parler à un mur. Pas moyen d'en tirer un brin de coopération. « La question de leur efficacité n'est pas en doute, je tentais juste de t'expliquer pourquoi je ne peux pas être celui qui vole ta crème. » Elle fait vraiment aucun effort pour comprendre ce qu'il dit, peut-être qu'elle n'a tout simplement pas envie d'admettre qu'elle est en train de passer pour une tarée. C'est quand elle dit qu'elle ne frappe pas qu'il s'étouffe presque mentalement. Elle ne frappe pas ? Tu parles, elle ne frappe pas dans l'émission parce qu'elle flippe de se faire virer. Sinon Lloyd la voit bien être le genre de nana à dire à ses ennemi(e)s dans la troupe de danse de faire attention à eux parce qu'elle va y aller « Oklahoma style on their asses ». Mais c'est la fin de la phrase qui interpelle Snö. Lui suffisant ? Il n'a rien fait pour mériter ça sinon répondre à ses conneries avec une ironie bien sentie. Elle manque vraiment pas d'air. « Un air suffisant ? J'ai pas commencé à me montrer suffisant avec toi Greta, je n'ai fait que répondre à tes accusations avec le plus de sérieux possible. » C'est à dire pas beaucoup de sérieux parce que les accusations sont ridicules, presque autant que la réaction de Greta est démesurée face à l'importance du prétendu affront qui lui a été causé. Au fond, elle est tellement extrême que Lloyd finit par se demander si c'est pas elle qui avait égaré sa crème et qui s'est convaincue que quelqu'un la lui avait volée. Toujours généreux en matière de bons conseils Lloyd se permet de lui dire : « Tu sais... elle a beau être hyper efficace ta crème, si tu t'énerves autant tu vas te faire des rides malgré tout. C'est un peu contre-productif. »

Je préfère lever les yeux au ciel plutôt que de gaspiller ma salive en répondant à Lloyd qui semble prendre un malin plaisir à me faire remarquer que je n’aurais pas été une bonne avocate. Comment peut-il en être certain ? Je n’ai pas suivi le moindre cours de droit, je me serais peut-être révélée sous un autre jour si je m’étais lancée là-dedans ? Comment peut-il savoir s’il aurait été bon ? Il est le premier à ne pas se prendre pour de la merde mais que vaut-il vraiment ? Ce n’est pas ceux qui ont le plus confiance en eux qui s’en sortent le mieux. Personne n’a jamais aimé les figures arrogantes, être modeste c’est la clé pour être respecté et il perd progressivement tout le respect que je ressentais à son égard. J’ignore si c’est la colère provoquée par la perte de ma crème et la découverte de celui que je pense être le coupable pendant quelques minutes mais je diabolise Lloyd qui ne fait rien pour me donner une autre image de lui. Je n’ai pas mes règles, il n’y a rien pour justifier mon comportement, je suis juste fidèle à moi-même. Je prends tout à cœur, je vis chaque chose à fond et je suis excessivement impulsive… Un comportement qui plait ou déplait, il n’y a pas de place pour un juste milieu, pas de place à l’harmonie, juste de l’excès. Je fonctionne comme cela depuis plus de quarante ans, la seule fois où j’ai tenté d’atténuer ma personnalité je l’ai payé très cher, je me suis promis de ne plus jamais vouloir être différente. Que cela plaise ou non. « Tu pourrais très bien dire cela pour te défendre, toi qui semble si rodé. » Référence à ce qu’il m’a dit sur les avocats quelques secondes plus tôt. Plus le temps défile et moins je l’imagine en train de me dérober ma crème, il m’a plutôt l’air d’être l’un de ces mecs qui pensent que ce qui ne leur appartient pas est nul, vous savez, ceux qui ne trouvent rien de bien si ce n’est ce qu’ils ont. « Tu ne t’entends pas parler alors ! » Je me contente de poursuivre lorsqu’il s’indigne de ma réflexion sur sa suffisance, son ironie pue l’arrogance et j’ai horreur de cela. Il surenchéri en me mettant en garde, d’éventuelles rides pourraient faire leur apparition si je continue à m’énerver de la sorte. « Possible… » Que répondre de plus ? Le silence nous plonge dans un moment diablement gênant. « Désolée pour ton oreille… » Je me contente de rajouter, mettre de l’eau dans mon vin me parait tellement difficile, je suis encore toute énervée, sur les nerfs.