Parfois, Colin a réellement l’impression de vivre dans une maison de retraite. On se fout de son âge en estimant qu’il devrait aller au lit à vingt-et-une heures précises, pour autant il est toujours l’un des derniers debout. C’est fatiguant. D’accord, il a tendance à fuir la compagnie des autres et à mieux se porter quand il n’est pas confronté à eux, mais s’ils pouvaient se tenir loin de lui uniquement la journée et l’aider à occuper ses nuits, il ne serait pas contre. Déjà qu’il peine à savoir que faire de sa carcasse en pleine journée quand le nid est éveillé, la nuit il ne lui reste plus beaucoup de solutions, excepté celle qui consiste à se faire courser par Joe dans le parc d’attraction, mais il n’est pas très sportif, alors bon. À une heure pareille, il ne peut compter sur les attractions puisque leurs tenanciers disparaissent pour aller dormir. La production aurait dû engager des chinois, afin d’éviter les problèmes d’horaires dépassants ceux autorisés par la loi, leur permettant ainsi d’exploiter leurs employés une partie de la nuit. Mais non, fallait penser aux droits de l’homme, à la bonne image de l’émission, blabla. Et qu’est-ce que ça donne ? Un Colin qui fait les cents pas à l’intérieur du nid, passant de la cuisine pour y piquer de quoi grignoter à la salle de contrôle dans l’attente d’apercevoir une silhouette encore éveillée. En réalité, certains candidats le sont encore à cette heure-ci, mais en se joignant à eux Colin prendrait le risque de les interrompre, et il est tellement bien élevé qu’il ne peut concevoir cette idée. Enfin, c’est surtout qu’il n’a pas envie de se retrouver au milieu d’une partie de jambes en l’air impliquant Lawrence, Khadi, Lino, Naveen, bref, la moitié des candidats en fait, il a beaucoup de peine à suivre les affinités de certains. On pourrait presque mettre en pratique la théorie des six degrés de séparation. Il faut qu’il se penche sur la question, tiens. C’est d’ailleurs le premier de ses camarades qu’il rencontre en arrivant près de la piscine, après qu’il se soit enfin motivé à aller tester celle-ci. Il s’en est tenu éloigné jusqu’ici, ne ressentant pas le besoin d’exercer la moindre activité sportive ni de se confronter à la cohue qu’un tel lieu provoque, mais en vue de l’heure avancée, il pensait être débarrassé de la seconde option, c’est sans compter sur le Prince Disney qui doit bien entretenir ses abdos, après tout. Enveloppé dans sa serviette par gêne de s’afficher face à un Lawrence – et non pas pour des raisons de musculature – il se rapproche du bord de la piscine quand Lawrence y arrive à l’issue de sa traversée. « T’en as encore pour longtemps ? » Il demande, sans aucune animosité, mais parce qu’il aimerait autant disposer du lieu sans compter sur le candidat, sachant que ce ne sera pas une partie de plaisir ni pour l’un ni pour l’autre vu le peu de choses qu’ils ont à se dire. Enfin, si la réponse est négative, ça n’empêchera certainement pas Colin de profiter du lieu, mais s’il peut dégager Lawrence, il n’est pas contre. Il aura essayé, au moins. Voyant d’ailleurs que Lawrence ne semble pas prêt à quitter les lieux, il finit par hausser les épaules avant de balancer rapidement sa serviette dans un coin et de plonger dans l’eau avec toute la grâce qui caractérise l’américain. « Va falloir faire avec. » Il lance, faisant référence aux longueurs qu’il exécutait. Maintenant il y a un autre truc dans la piscine, qu’il fasse gaffe. Il s’impose, mais il accepte aussi la présence de Lawrence, c’est sa façon d’être redevable après le geste du Prince Disney la semaine dernière, et aussi à certains de ses propos qui avaient quelque peu laissé Colin sceptique, mais pas d’une façon désagréable. « Ah, c’est leur fameux système de vagues ? » Il questionne Lawrence en s’approchant du mécanisme, histoire de faire un effort, mais faut pas trop lui en demander non plus. « On parie combien qu’il s’enclenche pile quand j’m’approche ? Vu que si t’es pas dans l’coin c’est pas drôle. » Parce que le candidat semble lui porter tout autant la poisse que Gael, il ne serait donc pas étonné de finir presque noyé quand le mécanisme se sera déclenché alors qu’il arrivera à son niveau. « Tu diras aux autres que j’les déteste. » Adieux déchirants oblige. Et sur ce, il se met en tête de s’approche du fameux système, curieux de savoir s’il peut malgré tout le déclencher manuellement, puisqu’il est presque tenté de le tester.

Il se le répète constamment, pourtant il n’arrive pas encore à l’enregistrer : il est impossible d’être complètement seul dans ce nid. Quoi qu’il ait prévu pour s’occuper, il n’est jamais le seul à avoir eu cette idée, et quand il pense enfin disposer d’un lieu dans le calme et la solitude, il est très rapidement interrompu. Il sait que le principe de la colocation est de vivre les uns avec les autres et de, par conséquent, jamais être tranquille, ceci dit il ne serait pas contre l’être de temps à autre. Ils sont de moins en moins nombreux et Cupidon a mis les petits plats dans les grands pour les occuper, il y a suffisamment d’endroits pour qu’ils s'abstiennent de se marcher dessus, et pourtant c’est ce qui arrive. Même quand il pense éviter les heures de pointe il a la désagréable surprise de tomber sur quelqu’un, comme c’est le cas ce soir lorsqu’il se rend à la piscine couverte. Comble de malchance pour Colin, la personne qui profite des lieux n’est autre que Lawrence, candidat avec lequel il n’est pas forcément en bons termes et dont il se passerait volontiers de la compagnie. Raison pour laquelle il lui demande s’il en a encore pour longtemps, et il semble que ce ne soit pas le cas. « Parce que mes aptitudes à la natation sont hasardeuses et j’voudrais pas que tu imagines nécessaire de me faire du bouche à bouche. » La nage du petit chien, vous connaissez ? C’est exactement ce que donne Colin dans une piscine. Ou pas. Mais dans le doute, autant le faire croire à Lawrence pour qu’il puisse obtenir une réponse à sa question, un peu plus sympathique que celle que Colin s’apprêtait à répondre avant qu’il songe au service que lui a rendu le candidat la semaine dernière. « Parce que j’ai pas envie de rester en ta compagnie » à un type qui a nettoyé votre bordel, même pour Colin c’est limite. N’étant finalement pas motivé à attendre debout comme un imbécile que Lawrence quitte les lieux, Colin décide de sauter dans la piscine sans aucune délicatesse, imposant ainsi sa présence à un Lawrence qui semble concentré sur son activité sportive, et qui devra désormais faire avec un énergumène dans l’eau. Lui se focalise plutôt sur le système de vagues, qu’il ne connait pas pour ne pas avoir l’habitude de fréquenter cet endroit. Il s’en approche, avant d’émettre une supposition de circonstances. Prince Disney étant là, le système va se déclencher pile quand il arrivera devant, et la violence des fausses vagues manquera de le noyer. Mais heureusement pour lui, il peut compter sur super Lawrence pour le sortir de ce mauvais pas. « Si, totalement, mais tu sais quoi ? J’suis pas dupe, j’sais qu’il se passe un truc pas net dans mon dos, et t’es dans l’coup. » Il précise en observant son camarade, les yeux plissés. La curiosité l’emportant, Colin a très envie de tester ce système, en cherchant un moyen de l’enclencher, ça ne peut pas être qu’aléatoire. Il laisse la responsabilité à Lawrence de faire ses adieux à ses camarades de sa part, en insistant bien sur le fait qu’il les déteste, c’est de bonne guerre. « Nan, par contre tu peux dire à Margaret que ses gaufres vont grave me manquer et que c’était ma seule raison d’vivre. » Ah Margaret, elle va lui manquer quand il ne sera plus là. « J’exige qu’après mes funérailles, retransmises à la télévision évidemment, mes cendres soient dispersées dans l’espace, à grand homme grand hommage. » C’est la moindre des choses, après tout. « Ouais, pourquoi pas, il parait qu’être sur son lit de mort c’est l’idéal pour se confesser, donc on va essayer de coller le plus possible à la réalité. » Il ne fait pas les choses à moitié Colin, s’il doit mourir, autant faire les choses dans les règles de l’art. Et comme il n’a pas de fils caché ni de maîtresse à sortir du placard, il fait avec les moyens du boire, à savoir répondre à la question de Lawrence. « Pourquoi ça t’intéresse ? » Il finit par questionner son camarade, l’imaginant comme l’un des derniers pouvant s’intéresser à son détecteur. « À quelqu’un de super cool, heureux et merveilleux. » Il débute, avec son sourire d’emmerdeur. « Non, franchement, une crème le type, un modèle pour toute une génération. Super bien élevé, un vrai petit agneau, un élève hyper appliqué et brillant, le chouchou des profs, un sportif dans l’âme et un type apprécié de tous. » Portrait très flatteur, peut-être trop, lui il répond à la question, démêler le vrai du faux est le rôle de Lawrence. « Ça pas trop changé, quoi. » C’est vrai, ce n’est pas si éloigné du teigneux du détecteur, après tout, hm.