WHERE ARE WE NOW ?
@naveen

Elle ère, perdue pour la première fois, dans un domaine qui ne lui a jamais semblé si grand. La brutalité de cette soirée de la veille l’a retournée. Personne ne lui avait dit, personne ne l’avait prévenue… Personne n’a semblé surpris excepté elle… Pourquoi ? Pourquoi n’avait-elle pas été mise au courant de l’abandon de Lino ?.... Pourquoi la laissait-il alors qu’ils commençaient tout juste à se connaître, à s’apprécier réellement, se rapprocher ? Comme un animal blessé, elle pousse la porte de la chambre de Naveen et jette un œil à l’intérieur. Elle le trouve, muni de linge fraichement lavé et séché. — Naveen… Sa gorge se serre, elle n’arrive plus à parler. Il lève les yeux sur elle et elle sent des larmes lui monter, sans trop comprendre pourquoi, sans arriver à les trouver stupides. Elle s’avance rapidement, presque au courant jusqu’à l’Indien et se jette dans ses bras. Cette sensation d’être contre un corps ami, précieux, tendre, réchauffe son froid et sèche les pleurs qui entamaient leur course sur ses joues. Elle n’avait qu’une seule question : pourquoi ? C’était sa faute ? Lino avait-il voulu la fuir ? Etait-il malade à cause de son diabète ? Sa mère ou sa grand-mère, ou une de ses sœurs, avait-elles eu un problème ? Pourquoi ne lui avait-on rien dit, pour la protéger ? C’était l’effet inverse qui se passait. La sensation d’avoir été trahie et abandonnée se propageait en elle comme un venin paralysant. Naveen, et seulement lui, saurait la calmer, lui expliquer les choses sans artéfacts, avec douceur, sensibilité et surtout, honnêteté.

C'est avec son sherwani entre les mains que l'indien avait quitté le cellier, plusieurs heures après que Salomée l'y ait laissé seul, parce qu'il s'était entêté à brosser le vêtement jusqu'à ne plus pouvoir y voir la moindre éclaboussure, mais pas seulement. Parce que seul dans cette petite pièce, il avait aussi eu l'occasion de repenser à toutes sortes de choses. A l'issue du prime, bien sûr, et aux conséquences de cette soirée paintball sur son aventure, à lui, mais aussi sur celle de candidats qu'il appréciait particulièrement. Mais à Lino, surtout, ce qui expliquait qu'à défaut d'avoir laissé des traces colorées sur son sherwani, il y avait versé quelques larmes. Parce que Lino, ça n'était pas seulement ce jeune-homme charismatique et spirituel, de qui il n'avait toujours entendu que des paroles sages. C'était aussi et surtout son frère de cœur, celui qu'il avait adopté dès les premières semaines et avec qui il s'était découvert des points communs, plus ou moins inattendus. C'était un membre de sa famille, au même titre que tout le monde ici, mais Lino c'était aussi une sorte de référant, de figure fraternelle qui lui avait tout de suite rappelé Vishal, l'un de ses aînés. Parce que d'eux deux l'italien avait toujours été le plus réfléchi, le plus posé et finalement quelqu'un qu'il avait pris pour modèle, dès le départ. Alors oui, ce départ lui provoquait une peine immense, mais c'était surtout le fait de ne pas l'avoir vu, hier soir, qui tendait à l'attrister le plus. Parce qu'il aurait aimé lui dire qu'il comprenait sa décision, quelles que soient les raisons qui aient pu la motiver, et que ça ne changeait rien à ce qu'il pensait de lui, et d'eux. Pour autant, il culpabilisait quelques peu de se morfondre, parce qu'il savait qu'il n'était pas le seul que ce départ devait affecter, qu'il y avait ici des personnes dont Lino se sentait sûrement d'autant plus proche encore. Scarlett, Jade, mais surtout Khadija, dont il osait à peine imaginer le chagrin. Ainsi, lorsque plusieurs minutes après avoir regagné sa chambre, l'indien la vit entrer, il sentit son cœur se briser une nouvelle fois. Jetant spontanément son sherwani sur son lit, il l'accueillit volontiers entre ses bras lorsqu'elle s'y blottit, et la serra tout contre lui avec la plus grande douceur. « Je ne savais pas, moi non plus. » Il souffla à son oreille, comme pour la rassurer, parce qu'il avait bien vu son expression sur le prime, une expression de surprise, avant d'être empreinte de tristesse. Une expression qu'il avait du afficher, lui aussi. « Et ça me fait beaucoup de peine, mais … je suis sûr qu'il avait de bonnes raisons de partir, et je sais qu'il nous les expliquera. » Qu'importe quand il le ferait, il le ferait et c'était le plus important. L'indien ne pouvait s'empêcher de se faire du souci pour Lino, alors oui, il voulait croire qu'il ne les laisserait pas en plein doute. « Vous vous reverrez, Khadija. Et ce sera comme s'il n'était jamais parti. » Il reprit ensuite, en la délogeant délicatement pour pouvoir croiser son regard, tandis qu'il coinça son visage entre ses joues, et laissa ses pouces y sécher quelques larmes. Ils se reverraient, tout comme Lino et lui se reverraient. Cette fois, il ne l'espérait pas, il en était certain. « Je suis là, moi. J'ignore pour combien de temps encore, mais je suis là. » Peut être que lui aussi finirait par la laisser. Peut être qu'il le ferait dimanche. Mais qu'importe l'issue du prime, à cet instant il était là pour elle, pour essuyer ses larmes, pour l'écouter. Rien d'autre n'importait plus.

Elle n’a plus envie de pleurer. Le rationalisme de Naveen est efficace. C’est vrai, ils se reverront. Peut-être Lino reviendra-t-il à la fin du jeu participer aux derniers jours… — Tu crois que c’est sa santé ?... Elle sait bien qu’elle jette cette question comme un pavé dans une mare : Naveen vient de lui dire qu’il ne connaît pas non plus les raisons du départ de Lino. Les véritables raisons. En tout cas… il semblait qu’il aimait Khadija… Il ne peut pas être parti pour la fuir, n’est-ce pas ?... Elle hoche sagement la tête à l’entente des paroles de Veen. Il suffit juste d’un peu de patience, et ils pourront reprendre là où ils en étaient : faire connaissance, en apprendre plus l’un sur l’autre, comme elle et Naveen avaient pris le temps de le faire pour comprendre ce qu’était leur relation, exactement. Elle sourit lorsque Naveen évoque sa présence, le serrant tendrement dans ses bras comme un petit frère. Elle échappe un rire léger face à ses craintes. — Veen, la côte de popularité ! Elle pose sur lui un regard brillant. — Tu es très, très aimé ici, et même en dehors. Personne ne te laissera partir dimanche, moi encore moins que tous les autres, ajoute-t-elle dans un sourire certain. L’éventualité que Naveen quitte Fake Lover par élimination n’est même pas envisageable. Elle partira avant lui, elle en est absolument sûre. Heureuse d’avoir retrouvé sa présence, elle s’assoit sur son lit après en avoir lissé le dessus du drap. Tirant sa main pour l’inciter à la rejoindre, elle se découvre de ses chaussures et croise ses jambes. — Comment va ton petit cœur, en ce moment ? Ils parlent beaucoup d’elle, ces derniers temps, et Khadija a besoin d’entendre Naveen lui parler de lui, de ce qu’il ressent, de comment il vit l’aventure depuis une semaine. — Je te trouve trop triste, Veen, quand je ne suis pas avec toi et que je t’observe de loin, je te trouve un air qui me serre le cœur, murmure-t-elle en songeant au prime de dimanche, mais aussi à la fin du prime, où Naveen avait l’air si perturbé. Quelque chose le dérange, le démange, il se retient, mais se retient de quoi ?

Voir Khadija dans cet état, ça ne faisait qu'ajouter à sa propre peine, car si l'indien déplorait lui-même le départ de Lino, il prenait d'autant plus à cœur le fait que Khadija doive vivre les choses encore plus difficilement que lui, compte tenu de sa relation avec l'italien – certes confuse pour beaucoup, mais qui pour lui était une évidence depuis qu'il avait vu les images de leur rapprochement. Ainsi tenta-t-il de la rassurer, d'abord en lui faisant savoir que lui non plus n'était pas au courant de la décision de Lino, qu'il l'avait appris comme elle sur le prime, puis en lui assurant qu'ils se reverraient, parce que ça lui paraissait évident et qu'il ne pouvait pas imaginer une seule seconde que l'italien ne le veuille pas, tout comme il aimait se dire qu'il chercherait à garder contact avec lui. « Je ne sais pas, mais … je préfère penser que non. » Il souffla en tout cas à la question de la brune, parce qu'il n'avait évidemment aucune envie d'imaginer qu'il puisse être arrivé quelque chose à Lino. Tout ce qu'il savait de sa santé, c'est qu'il était diabétique, et à cet instant il ne regrettait pas nécessairement de ne pas savoir grand chose de ce genre de maladies, car ça lui évitait assurément de trop s'en faire. Finissant par lui dire qu'il était là, lui, sans trop savoir pour combien de temps encore – parce qu'il pourrait très bien quitter le jeu dimanche et l'abandonner à son tour – l'indien esquissa un fin sourire aux propos de la candidate. « Tu sais aussi bien que moi que ça ne veut rien dire. » La cote de popularité, il ne la détaillait que brièvement chaque fois qu'elle était diffusée, pour la simple et bonne raison qu'il ne lui accordait pas beaucoup de crédit. C'était flatteur, bien sûr, d'être apprécié. Mais il aimait autant le constater auprès des candidats dont il était proche, à travers des mots et non à travers un classement. « Mais si je sors, ce ne sera qu'une question de semaines avant qu'on soit réunis à nouveau. » Parce qu'il savait pertinemment que Khadija avait les capacités d'aller au plus loin dans l'aventure, il ne se faisait absolument aucun souci pour elle. « Et puis, n'oublie pas que tu m'as promis de me faire visiter le coin où tu habites, et de m'apprendre à surfer. » Il reprit dans un sourire un peu plus étendu, faisant là référence à leur échange dans le bain, quelques semaines plus tôt, lorsqu'elle l'avait invité à lui rendre visite au Pays Basque, à l'issue du jeu. « Si mes souvenirs sont bons, tu avais même parlé de me laisser ton lit, mais mon avis n'a pas changé sur la question. » Il était toujours hors de question pour lui de la priver de son lit, autant parce qu'on lui avait appris à se montrer gentleman – ironique, compte tenu de la société dans laquelle il avait grandi – que parce qu'en tant qu'invité, il se contenterait largement d'un canapé. Voyant Khadija s’asseoir sur son lit, il y prit place à son tour lorsqu'elle l'y invita, et ses lèves dessinèrent une esquisse un peu plus attristée, à la question qu'elle lui posa. « Comme celui de quelqu'un qui n'a pas ta chance. » Il souffla tout bas, en vrillant son regard au sien. « Tu as Lino, peut être même Scarlett. Moi, je n'ai personne. » Elle comprendrait sans doute ce qu'il voulait dire par là. Il n'était pas seul ici, bien sûr, mais il n'expérimentait pas les mêmes choses que la jeune femme. « Et ça me rend d'autant plus malheureux que mon cœur, lui, bat pour quelqu'un. » Il baissa doucement la tête, un peu honteux sans doute, alors qu'en soi elle avait peut être fait attention à la rubrique d'Akela, et à certaines choses qui y avaient été diffusées. Il savait qu'il pouvait tout dire à Khadija, qu'elle était l'oreille la plus attentive qui soit pour lui, mais le fait d'avoir discuté avec elle de choses intimes, au fil des semaines, rendait finalement cette confession un peu plus difficile. Sans doute parce qu'elle le connaissait mieux que tous les autres à ce niveau-là, et saurait combien un cœur comme le sien pouvait facilement souffrir quand il était plein de craintes et de doutes.

Se mordant la lèvre inférieure, elle cherche dans le regard de Naveen la substance nécessaire à son apaisement – et elle la trouve assurément. Elle respire, se sent mieux. Elle tente même une proposition qui lui vient, et commence déjà à lui tenir à cœur. — Peut-être qu'on pourra se retrouver tous les trois, un jour, à l'extérieur ? Comme... un trio ? Parce que dans le nid, c'était plutôt séparés en duos.... Ils prendraient sans doute du bon temps à se retrouver tous trois, parce qu'ils tiennent tous les trois les uns aux autres comme une véritable petite famille. Elle voudrait qu'il dise oui. Qu'ils disent oui. Naveen relativise. Si sortie il y a pour l'un des deux, il y aura bien sûr un « après » Fake Lover. Ils ne perdront pas contact... n'est-ce pas ? Elle sourit comme une enfant lorsque Veen lui rappelle sa proposition faite dans le bain, heureuse qu'elle lui soit restée en mémoire. — Je ne te laisserai pas l'oublier, murmure-t-elle dans son sourire. Ça ne se passera pas comme en colonie, où l'on se promettait de ne jamais se quitter et où on finissait par s'oublier après deux lettres, ou deux sms... Ils étaient maintenant adultes. Elle rit au rappel du don de son lit. — Je me permettrai d'insister, Naveen ! J'adore mon canapé-lit, ne t'en fais pas ! Ce serait un honneur de laisser son lit à son petit invité, venu de si loin pour la voir. Elle, elle a l'habitude de vivre à l'arrache, mais elle veut le plus grand confort pour Naveen. Elle sait que sa maman a toujours tout fait pour qu'il soit bien, alors ce ne sera pas Khadi qui le fera dormir sur un canapé. Ils en viennent au sujet critique, celui qui semble attrister Naveen. Attentive à l'extrême, les yeux verts de Khadija sont posés sur ceux de l'Indien, prête à tout entendre. Pas sa chance ? Surprise et dans l'incompréhension, elle se demande soudain en quoi elle est chanceuse. Lino ? Scarl... ? Elle comprend lentement, et étouffe une exclamation. — Veen, il ne s'est rien passé avec Lino, il ne se passe rien du tout avec Scarlett, ce n'est... pas du tout ce que tu crois ! Alors c'est cela, après le prime, Veen pense qu'elle... flirte avec Scarlett ? Mais... elle lui a seulement dit qu'elle est belle, et elles se sont enlacées comme deux amies... Comment... Peu importe, Khadija, peu importe ce qu'on pense de toi. L'important, à cet instant, ce n'est pas toi, c'est Lui. Naveen, et ce qu'il ressent. Tu te poseras plus tard des questions sur toi. Elle fait marche arrière dans ses pensées et l'observe, tendrement. — Alors tu cherches vraiment l'amour, ici, pas vrai ? Sa voix n'est qu'un murmure, dans un faible sourire, qui pourrait être triste mais qui ne l'est pas entièrement, tant Naveen est adorable. De son index, elle caresse le dessous de son menton, juste en haut de son cou. Elle savait que Veen était intrigué, voire très intrigué par le grand amour, depuis leur toute première rencontre. Mais elle ne savait pas qu'il tenait à ce point à le rencontrer ici – contrairement à elle, qui n'est pas du tout venue en y pensant. La remarque de Veen lui met la puce à l'oreille. — Ton petit cœur bat pour quelqu'un ? Elle plisse les yeux, l'observant de plus près. — Lawrence ? Elle souffle doucement, songeant qu'elle tient sans doute le bon prénom, d'après les images du prime et la façon dont Naveen jette régulièrement des regards à l'ancien soldat. Sa tête se penche sur le côté. — Tu es comme moi, toi, tu exprimes facilement ce que tu ressens aux autres... Tu n'as pas choisi l'homme qui se livre avec facilité, on peut le dire... Lawrence est si défensif, tout en armure... C'est normal que Naveen, pour l'instant, se heurte à ses résistances. Elle presse la main de Veen dans la sienne, un geste récurrent entre eux deux. — Pardonne-lui de se braquer parfois, ou de faire des mystères. Je suppose que c'est moins facile pour lui que pour toi de se livrer... Elle l'imagine du moins, parce qu'elle aussi, elle connait un petit peu Lawrence.  Khadija change de position pour s'allonger, sa tête posée sur les cuisses de Naveen, l'observant depuis le bas. — Cela dit, vu les relations compliquées qu'il a l'air d'avoir eues avec les femmes, à ta place, je penserais que j'ai toutes mes chances, remarque-t-elle avec un sourire mutin.

Le départ de Lino leur avait à chacun causé une peine qu'ils pouvaient ici partager, comme deux êtres qui trouvaient en leur compagnie respective un moyen d'aller mieux. Et c'était le cas de l'indien, qui déplorait toujours l'abandon de son ami mais parvenait à relativiser quand les paroles qu'il adressait à Khadija tendaient aussi à le rassurer, lui. A la question que formula la brune, il esquissa un doux sourire. « Bien sûr, oui, ce serait formidable. » Une lueur optimiste brilla instantanément au fond de ses yeux, tandis qu'il ajouta. « Vous pourriez venir passer quelques jours à Bangalore, pour que je vous présente Sunil, et puis vous dormiriez à la maison. L'appartement n'est pas immense, mais on se tasserait. » Il y avait deux chambres, deux lits double, alors ils trouveraient assurément une solution, d'autant plus que Sunil ne se privait jamais d'inviter du monde, lui. « Ensuite, je pourrais vous conduire chez mes parents, à Pondichéry. Quelque chose me dit que si ma mère te pense mariée à Lino, elle t'acceptera beaucoup plus facilement. » Il émit un léger rire, avant de se pincer les lèvres, espérant qu'il ne faisait pas de bêtise en remettant le sujet sur la table. Il lui avait de toute façon assuré que l'opinion de sa mère à son sujet ne changerait rien à ce qu'ils partageaient, tous les deux. Faisant de son coté allusion à la fois où elle lui avait proposé de lui rendre visite au Pays Basque, il esquissa un nouveau sourire à la réflexion de la brune, avant de faire référence à cette histoire de lit qu'elle avait dit vouloir lui laisser, mais dont lui ne se voyait pas la priver. C'était son lit, Khadija était une femme, et il serait son invité. C'était trois bonnes raisons de refuser ce genre de sacrifices. « Alors on risque d'avoir un problème, parce que je sais aussi être sacrément têtu, quand je veux. » Son ton se voulait amusé, pour autant il était sérieux. Elle ne l'avait peut être jamais vu déterminé, mais il est certain qu'il ne céderait pas le moment venu, par principe. Et puis, quand Khadija laissa entendre qu'elle lui trouvait une mine triste, il lui souffla qu'il n'avait pas sa chance, à elle, celle d'être entourée de personnes qui sans doute s'étaient entichées, ou en tout cas attachées à elle d'une façon bien particulière. Face à sa réponse, il esquissa un sourire des plus tendres. « Mais la façon dont ils te regardent ... » Il souffla, songeur, avant de hausser timidement les épaules. « J'aimerais tant que quelqu'un me regarde comme ça. » Il pensait tout particulièrement à Lino, et au regard qu'il avait posé sur elle, dans le bus, avant de lui souffler toutes ces jolies choses qu'il avait encore en mémoire. Le fait de vivre ce genre de choses par procuration tendait à le rendre malheureux, c'est vrai, pour autant il mouva la tête lorsque Khadija reprit. « L'amour ne se cherche pas, il se trouve. » Il était sentimental, c'est vrai, pour autant il n'était pas venu ici avec l'idée de trouver la personne qui lui correspond. Pour lui, ça n'était pas une idée fixe. « Ce n'est pas ma quête. Je n'ai simplement jamais exclu cette éventualité. » Celle de s'éprendre de quelqu'un, de trouver la bonne personne, celle près de qui il voudrait pouvoir faire sa vie. Et le fait est que oui, son cœur battait pour quelqu'un. Depuis plus longtemps et beaucoup plus ardemment qu'il ne voulait bien se l'avouer. Khadija supposa qu'il pouvait s'agir de Lawrence, et il se contenta d'acquiescer, doucement, avec une certaine pudeur. Il l'écouta lui parler de l'américain, approuvant certains de ses propos, puis finit par esquisser un sourire un peu triste. « C'est quelqu'un de très secret, et je n'arrive pas à savoir si c'est parce qu'il n'ose pas dire les choses, ou parce qu'il n'y pense tout simplement pas. » Lawrence ne se confiait pas facilement, c'était un fait. Il gardait beaucoup de choses pour lui et ne s’épanchait pas sur ce qu'il pouvait penser, ou ressentir. « Il ne m'avait pas parlé des deux femmes qu'il a connu, ou seulement à demi-mot. Alors je ne sais pas vraiment quoi penser. » Il craignait, c'est vrai, de n'avoir jamais donné à Lawrence l'envie de confier ces choses personnelles, et de n'avoir peut être pas l'étoffe d'un confident pour lui. « Mais à coté de ça, il est tellement … chaleureux, à sa manière. Il donne peut être l'impression d'être austère par moments, mais avec moi il est toujours si bienveillant, si attentif. » Son regard s'illumina à nouveau, tandis qu'il repensa à toutes ces fois où l'américain s'était inquiété pour lui, où il s'était montré présent, à l'écoute. « Regarde. » L'indien écarta son col pour en sortir la chaîne qu'il portait depuis la fin de la semaine dernière, au bout de laquelle pendait cette fameuse plaque d'identification. « C'est ce qu'il m'a offert, vendredi, pour mon anniversaire. » Son cœur fit un bond en y repensant, car il ne croyait pas avoir déjà vécu un moment aussi troublant que celui où Lawrence lui avait fait ce cadeau, et pas seulement parce qu'ils s'étaient étreints, ce matin-là. « J'ose à peine l'enlever quand je me douche, tellement j'ai peur de la perdre. » Il esquissa un sourire un peu plus amusé, avant que sa mine ne revienne profondément sérieuse, et même un peu tracassée. Laissant l'une de ses mains caresser les cheveux de la brune – qui s'était allongée – il reprit bientôt. « Qu'est-ce que tu ferais, à ma place ? » Sous-entendu : que ferait-elle maintenant qu'Akela avait diffusé les images de son échange avec Lloyd-Snö, sachant que Lawrence les avait certainement vu et devait se poser toutes sortes de questions. Est-ce qu'elle évoquerait le sujet d'elle-même, ou attendrait qu'il le fasse ? Est-ce qu'elle prendrait le risque de souffrir en tentant une approche, ou une déclaration ? Lui, il n'avait jamais fait ça, et il n'était même pas certain de savoir ce qu'il voulait, ou ce qu'il espérait. Il savait que Lawrence était un être à part pour lui, c'est tout. Plus qu'un ami, pas un frère. Quelqu'un qui éveillait chez lui toutes sortes de choses. Quelqu'un qui lui était cher, et même indispensable. Quelqu'un sans qui il ne pourrait pas continuer, ici comme dehors. Et quelqu'un chez qui il aimerait éveiller ces mêmes sentiments, surtout.