À défaut de n'avoir quasiment rien fait de la journée à cause de la fatigue, Quinn était comme une pile électrique, ce soir. Ne cessant de déambuler ça et là dans le nid, il passait de sa chambre, où il fouillait dans sa valise, à la salle de bain dans laquelle il chipotait à tout, faisant mine de chercher des affaires à lui, à la cuisine pour aller se servir un verre d'eau. Finalement, en fin de soirée, le jeune homme finit par s'étaler en travers de son lit, tout habillé, et, sans s'en rendre compte, commença à somnoler, sombrant dans un demi sommeil. Vers vingt-trois heures trente, enfin, il sortit de sa torpeur, sursautant à cause d'une porte qui claquait. De nombreux candidats étaient étalés, comme lui, sur les lits, bavardant une dernière fois avant de s'endormir. De nouveau parfaitement réveillé, il bailla, et sauta sur ses pieds. Après s'être étiré longuement, il quitta la pièce, se mettant à compter machinalement ses pas à mi-voix. « Un, deux, trois, quatre, cinq … » Il avait cette habitude idiote depuis toujours, sans qu'il ne sache réellement ce qui le poussait à la suivre. « … quarante-deux, quarante-trois, quarante-quatre … » Il descendit les escaliers en trottinant, regardant à droite à gauche après quelqu'un à embêter, ou tout simplement après quelque chose pour s'occuper. « … nonante-et-un, nonante-deux, nonante-trois, nonante-quatre, nonante-cinq … » Il se souvint alors qu'il avait laissé son livre entamé à côté de son oreiller, et, effectuant un large demi-tour, il retourna vers les escaliers. « … cent quarante-et-un, cent quarante-deux, cent quarante-trois … » Au beau milieu des escaliers, il croisa Lullaby qui, comme lui, marmonnait des choses incompréhensible. Troublé par cette interférence, il perdit le fil. « Tais-toi, tu m'embrouilles, va falloir que je r'commence ! » s'exclama-t-il en ronchonnant.

Sourcils froncés, dérangé, Quinn essayait de retrouver le fil de ses élucubrations. C'était mécanique. Il avait des manies, comme ça, la plupart du temps stupides et complètement illogiques, mais tenaces. Lullaby, a son air paumé - sans doute reflet de celui qu'il affichait lui-même - semblait avoir également été ramenée à la réalité. En l'entendant, il ne put retenir un large sourire, tandis qu'elle éclatait de rire. Sœur de tic ? « Je... Moi non plus... » Les deux candidats restèrent là, à se regarder. Quinn était assez étonné de constater que sur tous les individus susceptibles de participer à l'émission, la prod avait choisit une fille avec la même habitude bizarre que lui. La seule personne qu'il connaissait agissant de la même façon, c'était, et bien... sa mère. La voix de la blonde le tira de ses pensées. « Hein ? Ah oui, d'accord, mais avec des jambes aussi petites, j'vais vite te distancer. » Ses lèvres s'étirèrent en un sourire innocent et vaguement railleur. Faut dire qu'avec son mètre quatre-vingt-cinq, il avait une bonne tête de plus qu'elle. « À vos ordres, mon général. » Bon, pas pratique de discuter lorsqu'on compte ses pas en même temps. Il était curieux de savoir d'où lui venait ce tic, mais il allait devoir attendre pour le savoir, car déjà il descendait d'une marche, en lui attrapant les doigts pour qu'elle le suive, un sourire aux lèvres, se mettant machinalement à compter.

Il ne semblait pas à Quinn qu'il était si rapide. Pourtant, la main de Lullaby, à côté de lui, semblait le tirer légèrement vers l'arrière. Avançant à une vitesse plutôt normale, ou du moins qui lui semblait normale à lui, le jeune homme marmonnait une suite de nombres. Ce n'est qu'en entendant Lullaby s'exclamer qu'il était en train de cavaler que Quinn tourna la tête, étonné. « Rien du tout, c'est toi qui rêve. » Et il partit d'un grand rire. Elle semblait réellement essoufflée. Nom de dieu, elle ne faisait jamais de sport ? Histoire qu'ils ne soient pas en décalage, il s'arrêta sur une marche, et plia les genoux en l'invitant d'un geste de la tête. « Allez grimpe, sinon on y sera toujours la semaine prochaine » plaisanta-t-il. Elle finit par grimper sur son dos, et enfin, après ce long périple pleins d'obstacles, au bout de quarante-trois pas, il la laissa redescendre, face au frigo. En effectuant une grande courbette, son bras fit un arc-de-cercle vers le meuble. « Mademoiselle est servie. »

Cette situation lui rappela celle avec Savannah dans la bibliothèque où les deux petites blondes en était venues à se faire la courte échelle pour espérer attraper leur bouquin. Évidement, on vous passe la fin, tellement c’est pathétique. Soit. Et, elle en venait presque à regretter de ne mesurer qu’un malheureux mètre soixante-huit face à ce grand dadet qui semblait galoper à côté d’elle. Alors qu’elle, elle tentait maladroitement d’aligner un pied devant l’autre entrainée par la grande gigue. « Rien du tout, c'est toi qui rêve. » osa-t-il, en plus, rajouter avant d’éclater de rire. Puis, il s’arrêta enfin. Parler, compter, marcher/courir. C’était des choses pas tout à fait conciliables pour Lulla. Chaque chose en son temps, avait-elle l’habitude de scander. « Allez grimpe, sinon on y sera toujours la semaine prochaine » plaisanta-t-il. Sa remarque eut le don de la décrisper et de la faire sourire. Et, la demoiselle ne se fit pas prier. Elle posa une main sur son épaule, un pied sur son genou, et légèrement elle se hissa sur son dos, passant, ensuite, ses bras autour de son cou. « Aller ! plus vite ! » lança-t-elle à un moment, taquine, alors qu’ils s’approchaient de la cuisine avant de rire de bon cœur. En arrivant, il s’arrêta et elle descendit. « Mademoiselle est servie. » La poupée blonde lui répondit par une gracieuse révérence. Une fois dans son élément, elle attrapa deux pots et du pain de mie. Armée d’un couteau elle commença à tartiner de la confiture sur le dit pain puis ajouta le beurre de cacahuète. Lulla savait que le commun des mortels, ou plutôt les rares personnes, qui appréciaient se mélange faisaient l’inverse. Mais, elle, elle aimait la chose ainsi et non autrement et non pas, non plus, pour se différencier. Bref. La blonde porta la chose à ses lèvres et prit une bouchée qu‘elle commença à mâcher. Après quoi, elle osa un regard vers Quinn. « Je sais. Ca a l’air dégueulasse comme ca, surtout d’apparence, mais j’te jure c’est vraiment très bon, même trèès délicieux.. » expliqua-t-elle, affichant un large sourire. Vraiment pas de sa faute si les gens n’avaient pas de gout.

Avec un sourire, Quinn se laissa tomber sur l'une des chaises qui entouraient la table, la tournant vers la blonde qui prenait littéralement d'assaut la cuisine. Il se retint de rire, se demandant s'il ressemblait autant à un cannibale en chasse lorsqu'il se préparait quelque chose à bouffer. Tandis qu'elle se préparait un mystérieux repas, il en analysa les aliments, avec perplexité. Pain de mie. Ouais. Puis... confiture ? Miam ! Et enfin, beurre de cacahuète. Étonné, il la regarda enfourner le tout, avant de prendre la parole. « Tu ne m'entendras jamais dire que pain de mie, confiture, beurre de cacahuète est dégueulasse! T'es folle ? Je pourrais manger ça toute la journée ! » Il secoua la tête avec énergie. Comment pouvait-elle ne serait-ce qu'insinuer que ce mélange du feu de dieu pouvait avoir l'air dégueulasse ? C'était, honnêtement, l'un de ses casse-croutes les plus fréquents, lorsqu'il avait le ventre qui criait famine en plein milieu de la journée. C'était assez drôle - mais bizarre - que Lullaby soit une amatrice de ça, étant donné que le nombre de personnes appréciait la mixture était assez... ben... restreint. « Tu sais que tu pourrais être ma sœur ? » Il partit d'un grand rire. Plus il apprenait à connaître la jeune femme, plus il lui découvrait des tics, goûts, et autres, en commun avec lui. Il tendit la main vers le pot de beurre de cacahuète, dénicha un couteau propre, et se mit à en manger distraitement.

Le visage de Quinn s'éclaira au fur et à mesure qu'elle exposait ses exigences. En réalité, plus que le contentement d'avoir découvert en la jeune femme qui se trouvait en face de lui un double féminin, c'était surtout l'idée que finalement, les hommes étaient tous pareils qui le faisait rire. C'est vrai, tous ces tocs qui rythmaient sa vie sans qu'il n'y prête attention, il avait toujours pensé être la seule andouille à les avoir, mais c'était dans ces moments-là qu'on se rendait compte qu'il y avait en fait des centaines, voire des milliers d'autres personnes pensant la même chose. « Mince, moi qui me croyais unique ! » s'esclaffa-t-il de bon cœur. Il était presque incapable de dormir la lumière allumée, ou la porte ouverte. Le pire, c'est que c'était purement psychologique. Il savait que, du coup, il ne dormirait pas. Pouah, le chocolat totalement noir était vraiment quelque chose qu'il ne supportait pas. Il adorait la cannelle, jusqu'à ce que son oncle, beaucoup trop téméraire, ne prépare un plat étrange dont il ne savait même pas ce que c'était, mais bourré de cannelle - ça l'avait traumatisé, et il ne supportait à présent plus le goût. Le tic des pavés était plutôt idiot en soi, mais il l'avait aussi. D'ailleurs, il avait parfois l'air d'un parfait abruti lorsqu'il marchait dans une rue où la disposition des pavés était bizarre. Il avait même le degré supérieur de la manie : les couleurs du passage pour piétons ! Quand à Oasis et Radiohead, la question ne se posait même pas ! Songer à ce qui les rapprochait le fit divaguer un instant. « Tu vas mieux ? » s'entendit-il demander, le regard insistant, sans réellement avoir eut l'intention de poser cette question. C'était venu machinalement et, même s'il désirait savoir, il regretta d'avoir abordé le sujet.