ft. joanee

J'avais des pistes quant aux secrets de certains candidats. Je ne cessais de les observer dans la journée, bien décidé à faire avancer ma chasse afin d'être le premier à buzzer cette saison. La tâche n'était pas réellement aisée, mais quelques ombres de potentielles idées commençaient à se dessiner dans mon esprit, à mon plus grand bonheur puisque je tenais farouchement à être le grand vainqueur sur tout les points. Participer à fake lover, voir remporter l'aventure sans avoir découvert un seul des secrets de la maison n'avait pas franchement d'intérêt selon moi. Perdu dans mes réflexions, je m'étais ainsi dirigé vers la salle aux milles et une merveilles, d'abord pour pouvoir établir une stratégie d'attaque au calme, aussi parce que cette pièce m'intriguait dans sa disposition. Il y faisait noir, complètement, j'avais décidé de refermer la porte derrière moi afin d'éviter une quelconque irruption impromptue. Puis, longeant les murs, effleurant ces derniers du bout des doigts, je me stoppai finalement face au voyant rouge, sourcils froncés. Cette émission était une vraie torture de l'esprit.

Le secret de Placide lui semblait miroiter au-dessus de sa tête, comme s'il aurait suffit de lever les yeux pour l'apercevoir: mais voilà, lever les yeux était, dans le nid d'amour, quelque chose de quasi impossible. Il fallait se regarder, assez pour plaire au public, regarder les autres, assez pour leur plaire, mais également regarder à travers eux, pour percer à jour ce qu'ils essayaient de cacher. Dommage pour eux, il n'y avait pas de secret « trop facile » à trouver dans le nid, et celui de Placide finissait par l'obséder dès qu'elle décidait d'y penser. Elle avait profité de la fin d'après-midi (les autres terminaient leur bronzage autour de la piscine) pour se réfugier dans la salle aux merveilles, caressant les murs noirs et lisses du bout des doigts, passant devant la lumière rouge qui faisait étinceler ses cheveux d'or, se torturant l'esprit à la vision – sacrée persistance rétinienne – des nombreux tatouages de Placide. La porte s'ouvrit, et elle sursauta. La silhouette qui se dessinait dans l'embrasure, elle l'avait déjà rencontrée, grand, larges épaules, cheveux ébouriffés sur le devant, Loup. Loup, qu'elle avait été étonnée de voir aussi populaire, sûrement, pensait-elle, grâce à son physique avantageux, et pas grâce à sa joie de vivre. Le prime lui en avait fait oublier sa propre nomination, qu'elle jugeait bien peu importante. Elle en avait déjà assez vu, lui semblait-il, et, si elle avait décidé de s'investir jusqu'au bout de l'aventure, partir ne lui faisait pas peur, l'argent avait, petit à petit, perdu son importance depuis qu'elle avait réalisé que ses parents ne l'accepteraient jamais – or, c'était pour eux qu'elle était là. Elle leva les yeux au ciel, bien que Loup ne puisse pas les voir, et s'approcha de lui, dans son dos. Seul le voyant rouge éclairait sa silhouette, mais Joan n'avait plus besoin depuis longtemps de voir un humain pour le reconnaître dans le noir profond, et se le dessiner dans les ténèbres. « Que ce soit à trois heures du matin ou à cinq heures du soir, il est impossible d'être seule et tranquille quand tu es dans les parages... »

Des indices n'étaient-ils pas censés apparaitre sur les murs? Je ne comprenais absolument pas le principe, ou du moins l'utilité de cette pièce, voilà deux semaines que nous étions enfermés dans cette maison sans qu'aucun buzz n'ait retenti entre ses murs. Peut-être était-il temps pour Cupidon de donner un coup de pouce à l'ensemble des candidats? Moi le premier, entre autre, et j'en étais presque à supplier mentalement que quelque chose n'apparaisse sous mes yeux. Ce n'est qu'à ce moment que je sentis une présence dans mon dos, présence que je n'avais pas perçu plus tôt. Levant les yeux au plafond dans un automatisme déconcertant à l'entente de cette voix mélodieuse, un petit sourire vint finalement s'afficher sur mes lèvres, sourire que Joanee ne pouvait apercevoir puisque j'avais choisi de ne pas me tourner vers elle. Je préférais feindre l'indifférence. Sa remarque ne fit alors qu'accentuer ce rictus ironique plaqué sur mon visage. Baissant la tête, je répondis finalement d'une voix posée, nullement agressif ou contrarié par ses dires. « Je peux partir si c'est ce que tu désires tant.. » J'étais confiant et me doutais qu'elle ne me laisserait pas filer. Qu'elle le prétende ou non, j'étais intimement persuadé qu'elle appréciait tout de même de m'avoir dans ses parages. Dans tous les cas, l'illusion était bien plus plaisante que la réalité.

Les souvenirs de ce qu'elle avait pu observer, entendre, sentir de Loup depuis leur dernière rencontre s'étaient, comme à chaque nouvelle rencontre intéressante, ancrés en elle mieux que sur n'importe quelle surface. Sans le voir, elle savait son sourire et ses yeux levés au ciel, elle savait son rictus – toujours le même – qu'il s'appliquait à former à chaque fois qu'on frôlait de trop près son ego bien dimensionné. Étrangement, alors qu'elle était venue là seule, elle n'avait pas envie de jouer le jeu de la séduction, pas envie de se faire désirer: il était vrai qu'elle s'était isolée pour réfléchir, et que Loup n'arrivait pas au bon moment, elle n'était pas d'humeur joueuse. Elle était sur le point de le ramener vers la sortie, quand il murmura ces mots, « Je peux partir si c'est ce que tu désires tant... » et ses oreilles se dressèrent comme celles d'un chat qu'on attire avec une pelote de laine bien ronde et bien dodue. Un long sourire malin se dessina sur ses lèvres closes, tandis qu'elle posait deux index sur chacune de ses épaules, juste la pointe, comme pour l'enterrer dans le sol par la seule force de ces légères pressions. Elle approcha de son oreille sa mine devenue joueuse pour y murmurer « Oui, j'aimerais bien, s'il te plait. » Trop tard à présent, elle savait qu'il savait qu'elle ne désirait pas, au fond d'elle, qu'il s'en aille. Et puisqu'elle savait qu'il savait, autant lui faire croire le contraire, même s'il n'était pas dupe.

Prévisible. Un léger frémissement au contact de ses doigts sur mes épaules, je me tournai pour lui faire face, toute trace d'un quelconque sourire effacé sous le poids d'une expression nettement plus sérieuse et déstabilisante. Voilà que je retrouvais sur ces petites lèvres ce sourire si sournois qu'elle arborait à chaque provocation. Non, elle ne voulait pas me voir partir. « Et si je ne suis pas disposé à combler tes désirs? » Lançai-je ainsi pour toute réponse. Cette phrase était porteuse de bien des sous-entendus. Pourtant, je n'en avais pas réellement derrière la tête à sa formulation. Je ne fis cependant rien pour me "contredire", préférant jauger sa réaction avant de simplement me reculer, me postant sous le voyant rouge, mon visage encadré dans la lueur rougeâtre de celui-ci. « Est-ce parce que je te plais tant que tu t'évertues à m'éviter? » Pleines d'arrogance, mes iris accrochèrent les siennes, si bien que j'en avais déjà oublié ce qui m'avait motivé dans ma venue ici. « Non, tu es au dessus de tout cela après tout.. » Fis-je alors dans un murmure tout en glissant mes doigts dans ses cheveux. Je faisais bien entendu référence à notre premier échange dans la maison. Je fis quelques pas dans la pièce en silence, avant de finalement me tourner vers elle de nouveau, en attente. « Pourquoi t'isolais-tu? Perturbée? »

Jouer avec les mots. C'était bien le seul qui savait s'y adonner, par ici, mais est-ce que le public saurait comprendre ce petit jeu, ou ne prendrait-il cela que pour une simple parade destinée à retarder le moment fatidique de l'acte archaïque: la partie de jambes en l'air? Les jeunes femmes et hommes assis devant leur téléviseur sauraient-ils apprécier la froide délicatesse chauffée à blanc qui reliait leurs pupilles, ou se contenteraient-ils d'y voir une danse préécrite par la production? Combler ses désirs. Toujours aussi prétentieux dans son langage, heureusement, elle n'en était pas encore lassée, sinon à quoi bon? Elle soupira et détacha son regard du sien, rompant par la même occasion le lien qu'il avait tissé un instant, promenant ses yeux par dessus ses épaules, par dessus sa tête, par dessus lui. « Tu aimerais bien », dit-elle doucement, comme une femme épuisée par des heures de travail. Elle sourit légèrement à sa remarque, faisant écho à leur dernière, première rencontre, reposant le temps de quelques mots son regard sur le sien. « C'est plutôt ça qui me plait » elle ferma les yeux, ronronnant presque aux caresses entre ses mèches, et, tandis qu'il s'éloignait, elle réadopta son air posé. « J'aimerais emporter un secret avec moi avant de partir », dit-elle dans un murmure plein d'envie, son regard parcourant la pièce inlassablement, espérant que s'y afficherait un indice en rapport avec ce qu'elle cherchait depuis déjà trop longtemps.

« J'aime assez cette idée oui. Je préfère me préserver d'une quelconque déception en m'obstinant à penser que tu es folle de moi. Je serais inconsolable si jamais je découvrais que j'ai fais fausse-route. » Mains dans les poches et tête baissée, je n'attendis pas une réaction de sa part pour me glisser de l'autre côté de la pièce d'un pas nonchalant. C'était un jeu, un simple jeu, une joute verbale qui je l'espérais ne s'arrêterait pas de si tôt. L'intérêt de nos échanges se fanerait assurément si jamais l'un de nous s'en lassait. Prenant appui de mon épaule contre le mur opposé au sien, je me perdis dans sa contemplation l'espace de quelques secondes, mes yeux glissant sur ses longues jambes qui en avaient assurément fait chavirer plus d'un "avant moi". Si jamais elles me faisaient chavirer un jour, bien entendu. Sa petite réplique, teintée par ce ton propre à la confession raviva mes sens primaires de grand joueur. Levant le nez vers elle, je la suivis du regard, observant son manège d'un froncement de sourcil curieux avant de finalement l'interrompre pour enchainer. « Parce que tu as des pistes sur certains secrets? » Je m'avançai vers elle, lui bloquant le passage. De mon doigt, je fis le dessin des courbes de son nez, sans pour autant ne serait-ce que lui effleurer la peau. J'étais soudainement très curieux d'en savoir un peu plus sur la progression de la néerlandaise. D'autant plus qu'elle était, je n'en doutais pas, une adversaire redoutable. « Des pistes sur le mien? »

Elle écouta sa tirade d'une oreille distraite, un fin sourire sur ses lèvres roses, impossibles à discerner dans le noir de la pièce. Loup faisait partie de ces hommes à jamais insatisfaits, poursuivant un idéal qui n'existait que pour eux, et enchainant les conquêtes, qu'ils essayaient tant bien que mal de rendre distrayantes. Il avait pourtant une candide intelligence en lui, une curiosité d'enfant, un goût pour le jeu sain, des éléments puissants qui contrastaient avec cette allure de « grand méchant loup séducteur et à jamais inaccessible », elle le sentait, mais ne lui aurait jamais dit. Du haut de ses années, elle se connaissait parfaitement, et elle savait pertinemment que si Loup n'était que ça, elle ne perdrait pas son temps. Plus intelligent que la masse, il était également plus double, moins facile à cerner, moins ennuyeux et certainement moins repoussant que le commun dans lequel on lisait aussi facilement que dans un livre ouvert aux gros caractères. Il jouait au séducteur caché dans l'ombre, elle faisait semblant d'y croire, et la partie continuait. Auraient-ils pu continuer si l'un d'eux avait soudainement rappelé à l'autre l'odieuse vérité nue, nous sommes deux animaux pensants que la civilisation et les tabous obligent à travestir le besoin archaïque et sauvage du regard de l'autre, de la pression de l'autre, de l'assouvissement cru du désir. Le tableau s'effondrerait sans le moindre doute. Son regard bleu s'entortilla dans celui, plus doux, de Loup, pour s'y lover en ronronnant. « Certainement pas le tien. » Elle s'approcha de lui et effleura ses lèvres des siennes, chatouillant la fleur douce de sa peau. « J'aurais trop peur qu'il soit aussi prétentieux que toi... » Elle recula avec un léger sourire, haussant ses sourcils fins et transparents. « Je serais déçue, c'est certain. Tu es forcément plus que ce que tu montres, n'est-ce pas? » À quelques mètres de lui, son regard jouant toujours dans le sien, Joan avait déjà oublié le secret de Placide, qu'elle cherchait pourtant depuis des heures avec assiduité.

« Je ne suis pas un garçon prétentieux... » Soufflai-je, un brin malicieux et enfantin en sentant ses lèvres venir effleurer les miennes. Me pousser dans l'attente, me mettre en haleine, peut-être même me faire fantasmer, telle semblait être l'objectif de Joanee lorsque la jeune femme en venait à me croiser. Elle était une séductrice redoutable et subtile, moins agressive et plus sensuelle encore que la lionne, ses miaulements doucereux étaient un appel aux caresses. Et pourtant, elle avait l'aisance des grandes manipulatrices, de feindre le désintérêt face au désir. Je me demandais s'il me serait possible de résister bien longtemps à ces pulsions qui s'éveillaient en moi, maquillées sous le prétexte d'une simple chasse au secret, d'un simple petit jeu stupide et pourtant addictif. J'étais dans l'attente, mais mes instincts et mon expérience m'appelaient à la méfiance, parce que les femmes sont les plus belles menteuses de cette terre, et j'en avais connu suffisamment pour savoir repérer les plus farouches d'entre toutes. Je ne prétendais pas que la blonde puisse en faire partie, je ne parvenais à mettre le doigt sur ce qui pouvait bien la différencier des précédentes femmes de ma vie que je m'étais plu à courtiser, idéaliser voir tromper, peut-être même n'était-elle au final qu'une simple "illusion" de plus à mon carnet. Mais je n'écartais pas encore la possibilité que sa démarche ne puisse être motivée que par une bien lugubre stratégie. Que je comprendrais parfaitement, il en allait de soi, mais qu'il serait difficile à digérer pour mon égo si jamais je tombais dans le panneau. « Qu'est-ce que tu sous-entends par là? Je ne suis rien de plus que ce que je te montres maintenant. Le mystère que je t'inspire me vient de plus loin. » Elle s'éloigna d'un pas, je réduisis aussitôt l'écart en m'avançant à mon tour, et ce jusqu'à ce qu'elle n'ait finalement plus d'autre issue, coincée entre moi corps et le mur dressé contre son dos. Je me penchai vers elle, tentant par le simple échange de nos regards de lire en elle. Je ne perçus rien dans ses iris d'un bleu saisissant. « Et toi alors, caches-tu quelque chose qui devrait me dissuader de tenter ce à quoi je songe depuis vendredi dernier? »

Ceux qui ne les avaient jamais croisés que furtivement qualifiaient les yeux de Joan de « doux » et « candides ». Ceux qui, en revanche, avaient entortillé dans ses iris azurés leurs pupilles intriguées y avaient décelé une froideur venue de loin. De ses origines nordiques, peut-être, des lointains guerriers connus pour leur violence et leur capacité au meurtre de sang froid, qui sait, les vikings n'étaient jamais bien loin. Chaque détail de son visage accompagnait les mouvements de son regard, un véritable ballet russe, ses lèvres s'étiraient en un sourire imperceptible, ses sourcils trop fins se haussaient, dénotant avec le désintérêt que criaient ses yeux. « Je ne suis pas un garçon prétentieux... » Nouveau sourire, l'ironie aurait été trop évidente pour la dessiner sur son visage, aussi préféra-t-elle lui offrir un minois attendri. Ça ressemblait au « je suis un bon garçon » des petits diables pris la main de le sac. Son index glissa le long de son torse, de son cou à son nombril, alors qu'il l'obligeait à rapprocher son dos du mur, réduisant à néant tous ses efforts pour introduire entre eux une distance, aussi infime soit-elle. «  Oui, tu es un garçon humble et modeste – très simple, tout compte fait », murmura-t-elle, amusée, en le détaillant de haut en bas comme un acheteur d'art observe un tableau et ses rénovations. Son doigt glissa malencontreusement – c'est du moins ce que son visage exprima – à l'intérieur de son col, et le rapprocha d'elle, son visage à quelques millimètres du sien. «  Si ce n'est que tu ne trouves pas une seule compagne durable, que tu exerces un métier qui n'a rien d'excitant, et que tu es persuadé de valoir 70 000 euros. » Presque contre lui sans l'effleurer, elle cessa tout contact avec sa chemise pour cacher ses deux mains derrière son dos – lui permettant également de s'appuyer plus confortablement contre le mur – l'air d'une petite fille découverte en train de faire une bêtise. Elle ne connaissait pas la vie amoureuse de Loup, mais elle en savait assez pour en déduire qu'il était un homme à femmes, et certainement pas un homme fidèle. Elle ne connaissait pas non plus son métier, mais elle savait qu'un homme comblé par sa vie professionnelle ne participe pas à un jeu pareil. Elle avait une chance sur deux, et elle avait jeté les dés. Un rire léger s'échappa de sa gorge à sa question. « Un poignard attaché à ma cuisse, de toute évidence... »