☼ SIXTINE

Nouvel après-midi où j’ai rien à glander. Il fait froid mais beau. Autant profiter pleinement des quelques rayons de soleil en partant se balader car à force de rester dans le château, il faut admettre que j’en deviens presque claustrophobe. Vêtu de mon éternelle doudoune à fourrure de coyote, je gravis donc la roche pour me rendre en haut des falaises. J’ai mon petit coin habituel. L’endroit qui offre la plus belle vue sur la mer. Je m’installe, sors de mon blouson un petit gâteau sec et là, je vois à même pas vingt mètres de moi un lièvre sortant d’un buisson. Je décide d’envoyer avec douceur un petit bout de mon gâteau non loin de moi. Je reste ensuite immobile pour ne pas effrayer le rongeur. Il avance vers son butin. C’est son jour de chance, je n’ai pas de fusil et je ne pourrai donc pas m’en faire une fourrure. Je pourrais aussi essayer de l’attraper pour en faire un diner mais je risquerai fort de me ridiculiser. Bref. Impuissant, je décide de le laisser festoyer de son côté. Tout à coup, voilà qu’il se barre en quatrième vitesse. Gné ? Je comprends pourquoi quand je vois une silhouette s’approcher. Sixtine, où la nana qui voue un culte aux méduses. « T’as fais fuir mon lièvre ! » que je déclare avec une petite moue. « Franchement ! J’aurais pu te préparer un bon repas ce soir. » Je suis tout à fait sérieux, je chasse, je suis boucher et je cuisine, donc les lapins au miel ça me connait. Enfin évidemment, je n’en veux pas à la jeune femme d’avoir fait fuir l’animal.

Marcher avec les chaussures de Ruben n’est pas une chose aisée, et je mets environ quinze minutes pour parvenir jusqu’aux falaises. Saleté de Cupidon, qui a osé me confier une mission aussi foireuse. Je porte un short qui m’arrive sous les genoux, une chemise entrouverte qui pourrait me servir de chemise de nuit, ainsi qu’une paire de chaussettes hautes. On dirait presque un joueur de rugby mal fagoté, mais ça encore je m’en fiche. Ce sont ces foutues mocassins dans lesquels je flotte qui m’agacent le plus. Je me demande s’il n’a pas les pieds palmés, parce que ça doit bien être un 48 . . . Je parviens tant bien que mal à me hisser jusqu’au plus beau point de vue, apercevant un petit lièvre derrière un rocher. J’écarquille les yeux, l’air émerveillé, et avance à sa rencontre. Néanmoins il ne semble pas ravi de me voir arriver, et ne manque pas de détaler dans l’autre sens. Pf, salaud. Je me rends compte que je ne suis pas seule, le jeune Sonny me reprochant mon intervention si peu discrète. « Y’a pas assez de candidats pour satisfaire ton désir de compagnie ? » Quoi, il voulait s’en faire un pote en l’amadouant ? Je lui jette un regard interrogateur, haussant les sourcils, néanmoins il ajoute une remarque suite à laquelle je suis sur le point de m’étouffer. Il voulait le . . . le bouffer ? « On n’est pas à Koh Lanta, mec. » Je lui jette un regard indigné à la seule pensée de faire cuire l’animal sauvagement chassé dans les falaises. J’ai toujours eu pitié pour les pauvres bestioles, et même si je ne suis pas contre la chasse, je ne m’y livrerai certainement jamais. Je sais bien qu’il faut manger, mais ce ne sont pas mes petites mains qui vont toucher la nourriture vivante, ou mes petits yeux qui vont assister au spectacle assassin. Finalement, je ne regrette pas de l’avoir fait fuir avec mes gros souliers, j’aurais davantage songé à en faire mon animal domestique. Cependant je me reprends rapidement et efface mon air dégoûté, certaine que le Ruben que je dois incarner n’est pas sensible à ce genre de choses. Sauf s’il est secrètement un défenseur des bêtes, il se serait sûrement régalé à l’idée d’un bon lapin cuisiné des mains de Sonny. J’ai d’ailleurs empêché un ‘pauvre lièvre’ de sortir de mes lèvres, cela aurait trahi la Sixtine qui est en moi. « Quoiqu’on pourrait le penser, vu les kilos que j’ai perdu dans ce foutu château. » J’esquisse une grimace, riant intérieurement face à cette démonstration d’un humour fabuleux. Ben ouais, moi je nage dans les fringues de Ruben, c’est comme si le gros gorille se retrouvait transformé en petit chimpanzé. « C'est ça ton boulot, de dépecer les bêtes ? »

Tranquillement entrain de me faire un nouvel ami en haut des falaises, voilà que quelqu’un se ramène et fais fuir ce dernier. Sixtine, amie des méduses mais pas des lièvres. J’observe la jeune femme, aussi bien vêtue que Bozo le clown, avant de lui faire remarquer son manque de tact. « A croire que non. » J’hausse les épaules, légèrement vexé par la remarque de Sixtine. Tout à coup, je me rappelle de son gage. Cupidon à l’aide de son téléphone rose lui a ordonné lors du prime de se mettre dans la peau de Ruben durant toute une semaine. Dur. Je comprends maintenant pourquoi la blonde flotte dans d’immenses chaussures et qu’elle est habillée en tenue de sportif. Je décide de passer outre sa remarque et d'insister en lui indiquant que j’aurais pu faire du lièvre un bon repas. La candidate me parle alors de Koh-Lanta. C’est quoi ça ? Une autre émission télé-réalité à la con basée sur la cuisine ou la chasse ? J’en sais rien. J’ai pas envie de savoir. En tous les cas, la jeune femme me jette un regard noir. C’est quoi son problème ? Encore une militante animalière végétarienne qui lutte contre la chasse et l’usage de vraies fourrures, je présume. Tsss. Elle est pas censée se mettre dans la peau de Ruben, d’abord ?! Je suis sûr que le gaillard est un vrai carnivore et qu’il n’aurait aucune pitié à tuer de ses propres mains un lièvre ou même une loutre. Ah ah. Voilà que la madame me parle des kilos qu’elle a perdus. Décidément, elle joue très mal le rôle de Ruben. Je ne connais pas bien le candidat mais je suis sûr qu’il n’aurait jamais évoqué ses kilos superflus. Alors que je m’apprête à lui faire une remarque désobligeante, elle évoque mon job. « Ouai. Je suis boucher et je chasse aussi de temps à autre. » Je lui lance un regard de psychopathe histoire de la faire flipper. Je suis loin d’en être un mais j’aime en jouer. Heureusement que j’ai pas une tête de meurtrier. « Et toi ? Servante défenderesse de la déforestation et de la cause animalière ? » Je lève les yeux au ciel. La jeune femme m’a poussé vers le sarcasme.

HJ : je te déteste, j'ai rêvé de méduses cette nuit.

Boucher ? Oh merde ça y est, il me fait flipper. On se méfie souvent de Syssoï, mais Sonny est peut-être le véritable psychopathe de la saison. J’ai envie de partir en courant, me remémorant toutes ces histoires de couteau de boucher utilisé par les tueurs en série, les pères désespérés, puis je prends le temps de la réflexion. Après tout, le boucher au coin de ma rue est super sympa, et il me fait des prix généreux. Je me détends légèrement, approuvant ce qu’il vient de me dire d’un hochement de tête. Ah ouais, ouais très intéressant hm. Puis il m'interroge sur ma première réaction de dégoût qui ne lui a pas échappée. A ses yeux, je suis visiblement une chochotte. Non, je ne suis pas une défenderesse de la cause animalière. Déforestation oui, et éventuellement les espèces en danger. Il ne me semble pas que ce soit le cas des lièvres, et je suis pour la chasse pourvu qu’elle soit soigneusement réglementée et surtout respectée. Cela dit je ne m’imagine pas un fusil à la main à traquer ces bestioles, parce que j’ai trop de pitié pour elles. Me retrouver avec du sang sur les mains, très peu pour moi. Cependant je dois penser en Ruben, et un Ruben ne craint pas d’égorger un pauvre lapinou entre ses gros doigts poilus. « Ca va pas ou quoi, je lui tords le cou en deux temps trois mouvements à ton lièvre là ! » Je prends un air de macho complet, soulevant mes gros sourcils refaits au crayon noir. Je me suis reprise, oubliant mon empathie pour les pauvres petits animaux. « C’est seulement que le combat me paraissait un peu déséquilibré, j’serais davantage pour chasser un sanglier, un élan, un truc plus gros quoi. » Genre. Mais ça me paraît crédible, du moins je l’espère. J’affiche un sourire carnassier, poussant le vice plus loin. « C’est quoi l’animal le plus balèze que t’ai descendu ? » C'est bien une conversation de mecs ça, non ?

Spoiler:

La conversation avec Sixtine, en haut des falaises, continue. Si j’essaye d’en apprendre un peu plus sur la candidate, je suis forcé de constater que je parle en réalité avec Ruben. C’est plutôt perturbant. Je suis incapable de cerner si l’air sarcastique de la blonde provient d’elle ou du brun. Néanmoins, il me semble capter que la nana qui voue un culte aux méduses n’est pas insensible à la chasse. Ça me parait logique. Rares sont les femmes qui aiment et pratiquent ce loisir. « Aaaah. Tu m’en vois rassuré. » Un léger rictus s’affiche sur mon visage. Je n’en crois pas un traitre mot de la part de Sixtine. Elle, égorger un lièvre ?! Ah ah ! En revanche, venant de Ruben, ça ne m’étonnerait pas. Et puisque Sixtine est Ruben ou du moins, façon de parler, j’adhère un peu mieux à la véracité de ses propos. D’ailleurs, la blonde imite exagérément mal le candidat. Son air macho et faussement insensible face à la chasse, me fait bien rire. Je l’imagine déjà, en pleine forêt, vêtu des immenses chaussures de Ruben et d’une tenue typiquement masculine, tenir un fusil et se faire dessus à l’approche d’un sanglier. La pauvre blonde ne manque pas de me faire rire. « Un homme. » que je déclare d’une voix grave et sérieuse en baissant la tête suite à la question de la candidate. J’ai envie de la faire flipper un peu plus. Histoire peut-être aussi de tester sa crédulité. « Tu crois que la production aurait laissé participer un mec venant de taule ? » Ma question est tout à fait sérieuse. C’est un moyen d’en connaître un peu plus sur la blonde et ses convictions. « Un meurtrier ? » Je me reprends presque aussitôt. Il faut bien que ma question ait un lien avec la précédente conversation.

Ah ah, ouais ben rassurée moi je ne le suis pas. Je crains à tout instant qu’un nouveau petit lièvre fasse son apparition et qu’il me crie de le prendre en chasse en s’élançant les mains vers l’avant. Parce que maintenant que j’ai prétendu pouvoir égorger n’importe quel animal entre mes doigts puissants, je ne pourrais plus reculer si je veux conserver mes 5 000 euros. Cela dit je suis presque convaincue que Sonny ici présent n’oserait pas aller jusqu’au bout, pas devant toutes ces caméras qui pointent leur nez sur nous. Ca le fait pas trop quand même, un candidat qui poursuit un joli petit être à poils pour le faire cuire. En plus je sais parfaitement qu’il a compris que la Sixtine derrière le Ruben n’est pas friande de ce genre d’activités, et à moins qu’il ne soit un vrai sadique, il n’ira pas me proposer une chasse en bonne et due forme. J’esquisse cependant un sourire plein d’assurance, qui s’efface aussitôt lors de sa réponse. Euh, pardon ? Il déconne là non ? Je deviens temporairement blanche comme un linge, l’imaginant me sortir un pistolet chargé et me pointer le canon dans la tempe en me rackettant ma cagnotte. Ouais bon, en fait c’est plus risible qu’autre chose vu comme ça, mais vous avez compris le principe. Je lâche un rire jaune, le visage crispé. Cela dit je m’approche du jeune homme pour sonder son regard, croisant les bras sur ma poitrine. « Je pense oui. » Eh ouais, ça t’en bouche un coin pas vrai ? Non mais il me prend pour une vraie dinde ? On ne me met pas au four si facilement moi, Monsieur. Je suis parfaitement sérieuse, cependant je ne suis pas en accord avec son dernier mot. « Mais simplement s’il a été victime d’une erreur judiciaire. » Non, je ne vois pas les producteurs nous enfermer avec un vrai criminel, même avec un petit délinquant. Ils n’en ont sans doute pas l’autorisation, de toute manière, même s’ils en éprouvent le désir.