La fatigue avait finalement eut raison de l'énergie nerveuse de la jeune femme, elle s'était écroulée sans un mot sur un divan après le traditionnel repas du soir entre candidat. Elle s'était endormie en plein milieu du discussion sur les mérites comparés de l'argentique et du numérique avec un des candidats. Non pas qu'elle eut trouvée la conversation assommante, loin de là, sa réserve d'énergie s'était épuisée en cours de route et elle avait sombré en quelques secondes dans un sommeil si profond qu'une bombe aurait pu explosée à côté d'elle sans qu'elle réagisse. Elle dormait si profondément que les conversations qui s'étaient éternisés autour d'elle ne l'avait pas réveillée. Les larges cernes bleutées qui ombraient ses paupières closes avaient suffit à convaincre ceux qui désiraient la réveiller pour la forcer à se coucher dans son lit, à la laisser simplement dormir là où elle s'était écroulée. Pourtant alors que le château était depuis longtemps silencieux le sommeil de la belle blonde se troubla, la couverture dont on l'avait recouverte glissa sur le sol, elle se recroquevilla sur elle-même glacée non pas par la température de la pièce mais par un froid glacial qui s'emparait progressivement d'elle. Ses rêves basculèrent au cauchemars. Elle gémit et ses poings se crispèrent tandis qu'elle cherchait à lutter contre les images qui emplissaient peu à peu ses rêves. Elle marmonnait, se débattait contre elle même, froissant le tissu du canapé sur lequel elle reposait. Alors que sa respiration s'apaisait, elle se redressa en hurlant lorsqu'une main la secoua légèrement. "NON !" Dans son élan ils basculèrent tous les deux sur le sol. Lui sur elle. Elle se débattit, encore au prise avec ses rêves, elle étouffait. "LÂCHEZ-MOI!" Elle n'avait plus rien de la jeune femme confiante et taquine du prime, elle n'avait rien de la Sochanna qu'ils avaient côtoyés. Elle ressemblait à une enfant apeurée, elle semblait ... vulnérable.

Je reviens très tard dans la nuit du labyrinthe dans lequel je me suis égaré avec Tweedy. On monte tous les deux rejoindre nos partenaires respectifs, seulement arrivé au lit et après une lutte infernale pour ne pas faire de bruit, je me rends compte que la couette est vide d'âme et qu'il n'y a aucune trace de Sochanna dans la chambre. J'arque un sourcil. Sûrement une escapade nocturne dont elle a le secret. Détestant dormir seul, je m'allonge avec regret contre le matelas, et le temps passe si lentement que j'en suis presque réduis à compter les moutons dans l'espoir de m'endormir, ou de l'apercevoir avant Morphée. Mais je n'ai pas le sommeil. Je veux savoir où elle se trouve, ce qu'elle fait pendant toutes ces nuits passées à vagabonder entre les murs de la maison. Ma partenaire n'est tout de même pas un fantôme, si? Je me redresse dans mon lit, il faut chaud alors je ne me prends pas la peine de me vêtir d'un t-shirt lorsque je décide finalement de descendre au rez de chaussé, à l'aise dans mon bas de pyjama. Sur la pointe des pieds, j'arrive en bas de l'escalier à bout de souffle tant rester discret est un effort pour moi, et tourne les talons vers le salon d'où j'entends des gémissements presque inaudibles. Je m'approche, les sourcils froncés, et aperçois à la lueur de la lune au dehors le visage de la belle endormie, blonde, Sochanna il n'en fait aucun doute. Je me penche sur elle. Son sommeil est agité. Que faire dans ces moments, si ce n'est la réveiller pour tenter de la rassurer? Elle sera bien mieux dans notre lit, pourtant j'ai peur de la faire sursauter ou pire, de l'effrayer en lui parlant. Je choisis de poser délicatement ma main sur son épaule, un genoux appuyé sur le canapé, et manque d'hurler à mon tour quand la cauchemardeuse se redresse brusquement dans un cri épouvantable. Je tente de la retenir avant qu'elle ne m'entraine en arrière mais la surprise me fait basculer et nous voilà étendu tous les deux sur le sol, moi sur elle, elle sous moi, une position qui ne calme en rien ses terreurs nocturnes puisqu'elle panique d'autant plus. « Sochanna! » Je murmure une première fois en tentant de la faire revenir sur terre. « Sochanna, calme-toi! » Seconde fois, elle étouffe. Alors je la secoue brusquement. « Sochanna c'est moi, Hamad! » Ses yeux croisent les miens, je crois qu'elle a compris. Je suis essoufflé, je tremble car l'expérience est traumatisante. Les yeux embués et la mine dévastée, je m'empresse de lui demander d'un ton inquiet: « Respire, calme-toi, c'est moi. Tu vas bien? Dis moi que ça va Soch'.. »

Les cauchemars font désormais partie de son quotidien. Ses nuits sont rarement calmes, aussi loin que remontent ses souvenirs son sommeil n’a jamais été apaisé. Même lorsqu’elle n’était qu’une enfant. Elle avait vu tant de choses, vécu tant d’épreuves au cours de son enfance puis de sa carrière de photographe/reporter dans les pays du Tiers Monde. Autant d’expériences qui avaient tour à tour été traumatisantes ou source d’une grande joie. Ses nuits n’avaient jamais été calme, depuis deux ans les cauchemars s’étaient multipliés, comme pour lui rappeler ce qu’elle avait laissé derrière elle en se sédentarisant. Elle n’avait pas rêvé depuis son arrivée au Château. Elle n’avait que peu dormie depuis son arrivée, trop épuisée pour rêver, trop excitée pour laisser les cauchemars l’assaillirent alors qu’elle sombrait dans le sommeil. Nouvel environnement, nouvelle vie avait-elle songée en pénétrant dans le Château mais de toute évidence on ne pouvait fuir certains souvenirs. Pas plus qu’on ne pouvait échapper au passé. Elle était si épuisée que ses défenses étaient tombées une par une la laissant vulnérable, réceptive aux sombres souvenirs qu’elle possédait. Les ombres s’étaient emparées de son sommeil. Agitée elle se débattait avec ses songes, recroquevillée sur elle-même, dans une position qui rappelait celle d’un enfant. Il avait voulu l’aider en la tirant de ses rêves, il n’avait pas idée de ce qu’il venait de déclencher en elle, une peur panique, instinctive, viscérale. Ils tombèrent lourdement sur le plancher du salon, le poids du jeune homme lui coupa le souffle. Paniquée elle luttait pour reprendre son souffle. Elle luttait pour prendre une simple inspiration mais elle était encore bien trop aux prises avec son cauchemar. Lorsqu’il la secoua l’effet fut immédiat, son coude heurta le plancher et la douleur très légère suffit à la tirer des limbes. Elle s’immobilisa, cessant de lutter contre elle-même. « Hamad. » Souffla t-elle en croisant son regard. Aussitôt le malaise l’envahit en prenant conscience de ce dont il avait été le témoin. Elle leva une main vers la joue du jeune homme consciente que son attitude avait du le troubler, elle lisait l’inquiétude dans ses yeux. Elle était encore essoufflée mais sa respiration heurtée s’apaisait à son contact. « Ca va … Excuse-moi. » Murmura t-elle la voix tremblante. « Dis … Tu veux bien me serrer contre toi un petit moment… J’ai froid. » Elle avait besoin de sentir qu’elle était bel et bien ici et non plus en plein cauchemar. Elle se détestait pour être si vulnérable, si faible mais, il y a des situations contre lesquels on ne peut rien.

Je vois sa main se porter jusque ma joue, je ne fais rien pour esquiver ce geste ou poser des questions. Stupéfait, je me laisse faire, apprécie ce contact même qui m'apaise un peu. Ce n'est pas à moi d'être en panique, pourtant je ne sais comment garder mon calme face à ce genre de situation, d'autant plus quand ce sont des personnes que j'affectionne sincèrement qui semblent souffrir. Je baisse la tête un instant pour reprendre mes esprits et la relève après quelques secondes. Elle me rassure en m'assurant que ça va bien. Elle en vient même à s'excuser et je secoue la tête aussitôt, en signe de négation, de façon à lui stipuler qu'il n'y a absolument rien de grave. Voir Sochanna aussi fragile, elle qui dans mon esprit n'affiche aucune faiblesse, me fend presque le cœur et je m'empresse d'accéder à sa requête lorsqu'elle me demande de la serrer contre moi. « Bien sûr, viens! » J'enroule mes bras autour de ses épaules et guide sa joue jusque ma poitrine battante, déposant mon menton contre son front. Ma peau est particulièrement chaude voire brûlante, j'espère qu'ainsi elle parviendra à retrouver toutes ses couleurs. Je caresse ses cheveux, doucement, et dépose mes lèvres sur son front. Il n'y a absolument aucune ambigüité entre nous, elle sait qu'elle peut me faire confiance, et je sais qu'elle sera là en retour si j'ai besoin. Alors je me contente de nous bercer doucement, les yeux rivés sur le plafond, toujours à genoux sur le plancher du salon. « Pourquoi est-ce que tu t'entêtes à vouloir dormir seule? Moi je suis là si tu as besoin de moi... » Je bredouille dans un murmure, la voix blanche. « Tu me réveilles et j'accours, je veille toute la nuit s'il le faut, tu peux même dormir dans mes bras si ça te permet de te sentir plus en sécurité. » J'enchaine en augmentant le débit de paroles, tout de même froissé de constater que la demoiselle ne parvient toujours pas à trouver refuge à mes côtés dans les moments où il lui est nécessaire d'être un minimum entouré. Non, je ne comprends pas, j'ai l'impression qu'elle n'a pas confiance en moi. Je soupire et me redresse sur mes jambes. « Viens, on va pas rester par terre.. » Je lui tends la main pour l'aider à se relever à son tour, et m'installe sur le canapé.

Depuis près de deux ans elle avait fui tout contact avec les autres, elle avait repoussé méthodiquement les avances, les sous-entendus et les mains tendus, les amitiés, les soutiens. Elle avait ressentie le besoin d'être seule pour réussir à être de nouveau elle-même, elle avait le sentiment qu'avant son retour elle s'était perdue. Elle avait perdue l'habitude de côtoyer d'autres êtres humains, d'apprécier leur compagnie et leur attention. Elle avait perdue l'habitude d'exposer ses émotions, ses pensées au reste du monde. Elle avait perdue l'habitude de se confier, de dépendre d'un autre. Elle ne s'attendait pas à rencontrer quelqu'un comme Hamad, qui lui rappelle à la fois son passé et lui fasse espérer un futur différent. Pourtant, elle n'arrivait pas encore à se confier totalement à lui. Quelque chose en elle l'empêchait d'être pleinement elle-même, elle savait que cette réticence provenait de son passé. De ce qu'elle avait été, de qui elle avait été. Elle savait pourtant que tout était terminé désormais mais rien ... rien n'était jamais facile. Elle ne voulait pas lui imposer cela, l'existence qui était désormais la sienne. Les cauchemars, l'angoisse constante, les sautes d'humeurs, son comportement parfois renfrognée. Elle voulait le protéger, le protéger d'elle-même, de ses angoisses, de sa réalité. Mais, elle oubliait une chose. Il savait. Il n'ignorait rien de ce qu'elle taisait. Il savait et il lui tendait la main. Pour la première fois en près de trois ans elle accepta l'aide qu'on lui proposait car Hamad n'attendait rien d'elle. Il ne désirait pas revoir l'ancienne Sochanna, il ne voulait pas la séduire ou la convaincre que son bien-être passerait par une vie sexuelle bien remplie. Il lui apportait simplement son soutien silencieux, la chaleur de son attention comme remède à tous ses maux. Prisonnière consentante de son étreinte elle laissait doucement la chaleur du jeune homme réchauffer son âme et son coeur. Son comportement était totalement désintéressé, elle se sentait en sécurité contre lui. Peut-être car il était le seul à pouvoir la comprendre au fond. "Merci." Murmura-t-elle en écoutant le son régulier de son coeur. "Je sais... Je voulais seulement ne pas t'imposer cela.... Nous laisser le temps de... Je ne sais pas." Elle soupira et leva lentement les yeux vers lui. Du bout des doigts elle lissa la ride de souci qui s'était creusé entre ses sourcils. Elle fut heureuse de constater que sa main ne tremblait presque plus. "Je n'avais pas prévu de m'endormir, je ne me souviens même pas de m'être assoupis ici. Je discutais avec... je ne sais plus." Oui, entre ses bras elle se sentait en sécurité. Pour la première fois en deux ans ... Elle avait ressentait le besoin d'accepter de l'aide, et quelle aide. Elle l'accompagna sur le canapé, se détachant très légèrement de lui avant de retourner se blottir contre son flanc. La pièce plongée dans le noir lui permettait plus de liberté, la nuit les abritait du regard du reste du monde, lui permettant de dévoiler ses faiblesse à Hamad. "Je ne sais pas pourquoi mais ... Je crois que j'avais peur de ta réaction si jamais je ... Enfin ci cela" elle désigna d'un geste vague la crise qu'elle venait de traverser. "Si cela se produisait. J'ai eu tords"

Le désarroi qui se lit dans les yeux de la demoiselle me touche tandis qu'elle justifie son attitude à mon égard, d'une voix hésitante et chevrotante qui témoigne de sa détresse. Un léger pic de révolte me monte à la gorge à mesure qu'elle s'exprime, je la coupe alors avant qu'elle n'aille plus loin. « Sochanna.. A l'allure où on est parti, on va devoir se supporter encore quelques semaines tous les deux. Tu peux tout me dire, tout partager avec moi. Je suis le seul qui peut comprendre ce que tu es, tu le sais bien, non? » Je lui dis d'une voix sage, tentant de me montrer aussi rassurant que convaincant tandis que son index vient se poser soudainement entre mes deux yeux. Je souris bien malgré moi, les traits de mon front se détendant tandis que la jeune femme lisse cette ride qui le barrait jusque maintenant. Je soupire tandis que nous nous relevons. Inutile de poursuivre plus longtemps, ce sujet est sensible et peut-être a-t-elle besoin de temps avant d'accepter cette main que je lui tends.
On s'installe plus confortablement sur le canapé, et ma partenaire se blottit aussitôt contre mon flanc. Je me saisis de la couverture sur le sol pour venir nous couvrir tous les deux, glissant un bras autour de ses épaules en signe de réconfort, dans un automatisme presque paternaliste. On reste silencieux un instant, et Sochanna avoue soudainement qu'elle avait peur de ma réaction, à cette idée que je puisse la découvrir si fragile. Je bloque son bras dans son geste, le ramenant contre moi tandis que mon visage se tourner vers le sien pour donner plus d'intensité à mes maigres paroles. « Tu peux me faire confiance, je serais là si tu as besoin. » Peut-être pas toujours dans cette aventure en pensant que je pourrais me faire éliminer à un moment ou un autre. Seulement, je prends la cause de la blonde comme étant la mienne, mon objectif peut-être illusoire est désormais de lui offrir de bons souvenirs à l'intérieur de ces murs. J'ancre mes iris dans les siennes, sérieux. Oui, elle a eut tord, mais son intuition quoique fausse est tout à fait compréhensible, aussi je m'empresse de la pardonner d'un léger baiser sur le front. « T'inquiète pas. »
J'ai confiance en nous, en ce duo que nous formons elle et moi. Explicitement complices, je suis persuadé que nous irons loin en continuant de nous épauler. Je reporte mon attention sur l'obscurité qui couvre mes jambes et l'ensemble de la pièce, à court de consolations.

"Je sais. J'ai confiance en toi... Est-ce que tu te souviens de quand on était encore que des enfants et que la vie semblait encore si simple. On liait des amitiés, on accordait sa confiance si facilement... Un rien nous rendait heureux et effaçait les mauvais souvenirs, les peurs. Parfois j'aimerais être encore cette petite fille blonde qui traversait les camps de réfugier avec son appareil photo autour du cou, des nattes blondes ébouriffées et l'avenir encore vierge devant elle." Elle avait murmuré cette phrase, le visage blottit contre son cou. Elle regrettait cette époque de sa vie où tout était simple, elle regrettait les moments de profonde paix qu'elle avait parfois ressentie alors qu'elle n'avait encore que vingt ans. Elle était idéaliste à cette époque, elle pensait qu'elle avait le pouvoir de changer le monde, de faire bouger les choses. Elle pensait qu'en diffusant ses photographies elle contribuerait à sa façon à changer le monde. Elle ne connaissait pas encore le véritable visage de la planète, ni la cruauté des hommes. Elle n'avait pas encore photographié les charniers à ciel ouvert en pleine guerre civile, ni les enfants mutilés dans les cliniques de campagnes. Elle était encore ce que les américains appelaient une "believer", une croyante. Elle avait perdu ses idéaux de la plus horrible des manières qui soit. Elle avait payé chèrement la fin de son "innocence". Consumé par la haine d'autre qu'elle. "Je sais que je peux te faire confiance. Je le sais. Il faut simplement que mon cerveau arrive à emmagasiner l'information et commence à s'y habituer. Je n'ai pas accepté beaucoup d'aide depuis que je vis en Irlande. C'est difficile pour moi de changer mais j'essaye. Je te le promets." Elle lui sourit et glissa un baiser sur sa joue. Avec lui c’était facile, toucher, être toucher, il n’y avait aucune ambiguïté entre eux, dès le départ les liens tissés n’avaient pas penché d’un côté puis de l’autre. Ami. Rien de moins. Rien de plus. "Parle-moi de toi…. Comment c’est d’être un génie de la cuisine ? Comment est-ce que tu composes tes plats ? Tu les vois à l’avance un peu comme avant de prendre une photo ? Tu composes dans ta tête bam ça explose dans tes papilles ?" Elle avait besoin de parler d’autre chose, de chasser les images que son cauchemar avait ramené à la surface. Elle avait besoin de lui. Elle ne l’expliquait pas. Elle savait simplement qu’il comprenait et cela suffisait à l’apaiser. Il savait. Avec lui elle n’avait pas à faire semblant. Elle pouvait compter sur lui. Ils étaient un couple. Un vrai, l’aventure l’avait réuni et ensemble ils iraient loin, aussi loin que possible. Pour se découvrir, se retrouver, être eux-mêmes. Ensemble. Quoi qu’il arrive. Ils avaient quelque chose de spécial, de magique.