Prime de merde. Et je ne dis pas ça seulement pour son dénouement final absolument catastrophique, mais avant tout parce que... parce qu’il s’agissait d’un prime de merde, tout simplement. La seule note positive : l’accès à la salle aux indices, remporté avec brio et contre la quasi totalité de ma cagnotte et de celle de ma partenaire. Je l’ai laissé décidé du montant, je ne devrais pas m’en étonner. Les femmes et l’argent... Ça sort plus que ça ne rentre. Mais bon, je lui fais confiance pour se refaire. Moi, j’aurais un peu plus de mal. Cela dit, la curiosité me pousse à m’y rendre rapidement. Je ne pourrais pas buzzer, et je sais que la frustration sera à son comble, mais c’est un risque à prendre. Et puis, l’animateur qui m’a filé le pass, m’a bien prévenu qu’on ne bénéficiait de l’accès que pour une période de trois heures. Trois toutes petites heures pour mettre à sac une salle complète. Sive n’est pas là, elle s’est barrée avant la fin du prime pour aller squatter le lit, et s’y emmurer. Par acquis de conscience, j’ai bien été jeter un oeil dans la chambre, mais elle dormait. Elle n’est déjà pas très aimable d’ordinaire, alors réveillée en pleine nuit, je doute qu’elle se transforme en soeur sourire. Tant pis, j’irais seul dans la pièce, et je mémoriserais un maximum d’indices pour les lui fournir. Après tout, c’est un privilège en équipe, on a gagné l’accès à deux, et je ne compte pas garder tout ça rien que pour moi. Suivant les instructions fournies par la Prod, je déboule au fond du couloir, et introduis la clef dans une des portes condamnées. Cette dernière cède, et les archives s’offrent à moi. Des coffres, des coffres de partout. De vieux coffres comme ceux dans les films de pirates. Je referme la porte derrière moi, histoire de ne pas inciter les rares éveillés à venir jeter un oeil, et entame directement ma fouille. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là, j’imagine moins de trois heures, sinon on m’aurait foutu dehors, mais j’ai sortis tous les indices, pour les étaler sur le sol, tout autour de moi. Assis en tailleur, je les examine un à un. Je suis si concentré, que lorsque la porte s’ouvre, je sursaute légèrement, anxieux à l’idée qu’un intrus s’infiltre dans MA salle. Je respire à nouveau en découvrant Sive, un faible sourire aux lèvres. « Insomnie, ou c'est vraiment passionnant ? » me demande-t-elle. « On n’a accès à la salle que pendant trois heures, j’ai pas eu le choix. Quelle heure est-il ? » je l’informe et lui demande, histoire de savoir combien de temps il nous reste. Mais elle n’écoute déjà plus, s’insurgeant devant ce que j’ai déjà remarqué. Oui, nos indices sont bel et bien-là. « Le tien c’est celui-là, il me semble. » dis-je en désignant le contenu du coffre numéro 7, un détail d’un tableau de Botticelli. Une madone. Autrement dit, une vierge. « Et si tu parles de celui-ci pour moi... » Je commence en désignant le portrait du coffre 9. « ... Tu te plantes. C’est une gravure de Molière, pas de Shakespeare. Le mien, il est là, je crois. » Et de l’index, je désigne le contenu du coffre 3, la photo de deux squelettes enlacés. « Cela dit, ils pouvaient pas savoir qui viendrait dans cette pièce, j’pense que le choix est un peu aléatoire. Tu vois quelque chose qui te parle ? » je lui demande, finalement, en l’invitant à venir me rejoindre au centre de mon exposition photo.

Il est quatre. Je tente de me remémorer à quelle heure je suis entré ici. Je n’ai pas bien fait attention, mais bien après les deux heures du matin. « Un peu plus d’une heure et demi, il me semble. » Oui, il nous reste plus de la moitié du temps, ce qui, au vu de nos trésors de guerre, peut s’avérer totalement suffisant. Elle a raison, les indices sont parfois trop simplistes, trop évident, ou trop large, mais surtout… ils ne portent pas de prénom. Sive énonce des théories que j’écoute attentivement. Elle parle d’otage. J’aime assez son idée. Mais, en partant du principe qu’elle soit dans le vrai, comment savoir à qui appartient ce secret ? Elle me parle de misogynie aussi. Je me tourne vers l’image qu’elle évoque, et secoue la tête. « Ils sont en tenues de mariés. J’crois que ça va au-delà de la misogynie. » Ensuite, elle passe au partage de cerveaux. Hum… c’est pas si bête. J’vois pas trop comment on peut réaliser ça. Une greffe de cerveau, peut-être ? C’est possible ça ? Elle passe à l’image 10… Geek ou relation virtuelle. Pas bien compliqué, dit-elle. « Pas assez tordu. Regarde toi, tu ne te contentes pas d’être pure… Tu vois ce que je veux dire ? Alors là, la souris forme un cœur, ok, amour sur internet… mais y en a des millions rien que sur Facebook, sans parler de Meetic et ce genre de conneries… » Oui, pour le coup je suis assez d’accord avec elle, pas assez compliqué. Mais quand elle passe à la douzième image, elle me scotche. Je l’écoute puis vrille mon regard sur les deux masques. Comme un con je me suis arrêté au premier degré, et j’ai pensé ‘comédie’, sans chercher à voir plus loin, mais… « Molière, c’est déjà du théâtre, non ? Donc la gravure de Molière introduit un secret concernant éventuellement un comédien ou un auteur de théâtre, peut-être ? Du coup, deux indices sur le théâtre, c’est peut être beaucoup… Tu vois quelqu’un qui pourrait être bipolaire ? » A part elle-même, s’entend. Mais alors que je suis en pleine réflexion, elle me tend une image, et me demande si je sais traduire ça. Mon regard se pose sur la photo, puis se reporte sur elle, sourcils froncés. « C’est de l’hébreux… Mais je n’en comprends pas le sens. Ma connaissance de cette langue est assez… restreinte. » Pas inexistante, juste restreinte, bien que j’ai tenté de m’y mettre à plusieurs reprises, bien que j’ai été forcé de m’y mettre. « Moi c’est l’arabe. » Je confesse, finalement, en détournant le regard pour le poser sur une image. Tiens, celle-là. Je la soulève, la place à côté de mon visage, et propose à Sive. « Greffe de cerveau ? Ablation du cerveau ? Santiago ? »

Une femme battue ? Hum… Je ne sais pas. Je n’aurais probablement pas choisi cette image pour représenter un secret comme celui-ci, mais je suppose que c’est une option à ne pas exclure. Je ne dis rien, je garde le silence et les yeux rivés sur cette image. Puis je reporte mon attention sur l’autre, celle avec la souris. Sive pense à un achat d’épouse via internet. C’est pas con. Des russes… des russes… « A part Syssoï, tu veux dire ? » Petite blague bien moisie, ma marque de fabrique. Je réfléchis… « On a un paquet d’Israéliennes… moins une. » Anouck est partie. Cette pensée me mine légèrement. Je me reprends. « Mais pas de russes, non. » Enfin, pas à ma connaissance. Elle repasse à Molière et sa théorie est intéressante. Encore une fois, je n’avais pas pensé si loin… Ils n’ont pas mit Shakespeare, pour moi, ils ont utilisé un truc à la fois moins et plus subtil. Plus si tu ne connais pas la légende autour de ce cliché et les prénoms donnés aux deux amoureux, et moins si, justement, tu connais l’histoire. Du coup, pour Molière, je n’ai pas cherché dans son œuvre, mais via ce qu’il représente : l’art de la comédie. Je me plante peut-être, Sive a l’air bien plus percutante que moi. Je ne me remets toujours pas de son verdict bipolaire. « Justement, je pense que s’il y a un secret autour de la comédie, alors c’est l’indice Molière. Et vu que je ne pense pas qu’ils nous filent deux indices sur une même personne, je penche pour la bipolarité pour le truc des masques. Un peu comme le flingue et les menottes. C’est le même champ lexical, mais j’imagine qu’il doit vraiment s’agir de deux secrets distincts. C’est quoi borderline ? » Non, je comprends bien l’étymologie du mot, mais je ne savais pas qu’il s’agissait d’un terme médical. Mais elle est déjà passée à autre chose, à savoir ce paysage et cette inscription en hébreux. Je le parle un peu, mais le déchiffre très mal. « Non, sincèrement, je ne comprends pas ce mot, mais… par contre, je sais qui peut te le traduire. » De ma poche je sors un stylo, m’empare de la main de Sive, paume tendue vers moi, et tente de reproduire, au mieux, les pictogrammes. « C’est un risque à prendre. Si tu te montres suffisamment discrète et subtile, elle ne se doutera pas qu’il s’agit d’un indice. Donc… à ne pas faire cette semaine. Voilà. » dis-je, en terminant ma retranscription avant de lui chuchoter un prénom à l’oreille. Puis, nous revenons à Santiago, ou plutôt à ma théorie de l’ablation de cerveau qui me fait penser à Santiago. « La première image est représentative de la matrice originelle, non ? Donc des jumeaux. Ils sont jumeaux les deux frères ? Non, mais c’est un secret tout pourri ça ‘nous sommes jumeaux’… A moins qu’il ne s’agisse d’un type tout seul, enfin on croit qu’il est tout seul mais en fait ils sont deux. Genre Ezequiel… Non, Andreas ! En fait il est pas qu’un seul, ils sont deux et se remplacent à tour de rôle. » Tellement bidon et improbable, que je me marre tout seul de ma connerie. Et puis je me reprends. « Concernant l’échange de cerveaux, ils sont deux sur l’image… Tu penses que combien de personnes peuvent avoir un secret commun ? »

« Syssoï... C'est pas le présentateur, ancien candidat ? » J’hoche la tête. J’ai tendance à oublier que tout le monde n’a pas eu la présence d’esprit de se mater toute la saison passée en accéléré pour se mettre en condition pour celle-ci. Ainsi, elle ignore même qui a remporté la précédente saison ? En même temps, c’est pas super important. Y a mieux à faire, là, sérieux, comme étudier et exploiter au mieux les indices qui nous ont été offert. « J’pense pas que ce soit possible, médicalement parlant, de transférer le cerveau d’un patient A, vers un patient B... Mais faudrait demander à Valentina, elle saura nous répondre. Ou même à Nora, en fait... » Les deux jeunes femmes ayant la médecine comme domaine de compétence, j’imagine qu’elles sauront répondre à cette interrogation, bien que je sois presque sûr que l’échange de cerveaux soit du domaine de la science-fiction. « Mais c’est vrai que... Bah j’sais pas, mais deux frères qui entrent dans ce genre d’émission, j’imagine qu’il doit y avoir genre 90% de chances qu’ils partagent un secret commun. Sinon, c’est qu’ils sont issu d’une famille bizarre passée experte dans l’art de pondre des individus étranges. J’ai entendu un mec dire qu’il pensait qu’ils étaient pas frères. Après les rumeurs d’incestes et tout, c’est vrai que c’est un peu facile de déduire ça, mais ça me semble un peu trop pourri comme secret “nous ne sommes pas frères”... » Ouai, je pense bien qu’il y a un secret commun à creuser par-là, mais je ne sais pas lequel. Si tant est que l’image du puzzle se rapporte à eux. Rien n’est moins sûr, puisque rien n’est sûr. J’vais virer dingue, putain. Elle me parle ensuite d’un truc étrange. Pomper la vie de quelqu’un ? « Ca veut dire quoi, ça ? Pomper la vie de son frère ou sa soeur ? Copier, tu veux dire ? » Ceci n’est pas ma langue maternelle, je tiens à le rappeler. Du coup, certains termes m’échappent totalement. Si bien qu’elle en est réduite à m’expliquer, également, le terme “borderline”. J’écoute attentivement, notant le changement qui s’effectue dans son regard à mesure qu’elle s’enfonce dans ses explications. « Tu veux m’en parler ? » Je lui demande, finalement, parce que non, je ne suis pas totalement débile, et oui, je sais faire preuve de savoir-vivre de temps en temps. Je comprendrais qu’elle ne souhaite pas évoquer un souvenir douloureux devant moi... Y en a tellement que je tais, moi. Elle bifurque sur le mariage arrangé, et extirpe une moue de mes lèvres. « Mariage arrangé, pour moi, ça traduit un choix des parents, et donc quelque chose de mal vécu par les deux mariés. Là, seul le marié semble concerné... Enfin, j’veux dire qu’on voit pas la mariée, alors que d’ordinaire, dans ce genre d'épousailles, c’est elle qui souffre le plus... Bien que ce ne soit jamais drôle pour le prétendant non plus. » C’est à mon tour de parler en connaissance de cause. Mais je préfère changer rapidement de centre d’attention. « Les menottes, ça t’évoque quoi ? Ça peut être la police comme quelque chose de plus... Hum... sexuel, non ? » Je suis perdu.

Je crois que son cerveau est trop rapide pour moi, il passe d’une hypothèse à une autre sans me laisser le temps d’embrayer, d’autant que j’ai, moi-même, mes propres idées qui se fracassent contre mon crâne. Et, pour ne rien arranger, il ne s’agit pas de ma langue maternelle, certain mot, certaine expression et/ou tournure de phrase m’échappe complètement. Alors je me retrouve à lui demander sans cesse de répéter ou de m’expliquer. Elle n’aime pas ça. Si elle ne le dis pas, ça se voit quand même, et pendant l’espace d’une seconde, j’ai envie de lui demander de poursuivre cette discussion en arabe, voir comment elle se débrouille. Mais je m’abstiens. On s’est déjà suffisamment bouffé le nez comme ça. Alors, je me contente d’écouter, de voir si ça concorde avec une de mes idées, ou bien si ça éveille quelque chose en moi. Le truc des siamois me semble envisageable, celle d’Ezequiel a qui il manquerait un bout de cerveau, un peu moins. Entendons-nous, elle a peut être raison, je ne sais pas, mais comme tout dessinateur-slash-photographe qui se respect, je m’appuie énormément sur les indices fournis. Et dans le puzzle, il y a deux personnages, un rouge, un noir, donc à mes yeux, une notion de dualité, excluant totalement un secret solitaire. A mon sens, soit il s’agit d’un secret commun entre deux candidats, soit un secret seul d’un candidat ayant laissé la deuxième partie hors-les-murs. Ou comme sa théorie sur le seul jumeau survivant, pas exemple. Je note l’idée dans un coin de ma tête, elle me semble intéressante, puis on passe à la suite. Bipolarité, Borderline, et autres mariages arrangés. Elle me demande pourquoi ce serait la femme qui souffrirait le plus, et je sens se pointer la question piège, là. J’risque un revers du droit, ou bien ? « Parce que les petites filles sont élevées dans le culte du mariage, là où une majorité de mecs sont élevés dans le culte du sexe. Alors, dans un mariage arrangé, si le mec y trouve de toute manière son compte, la femme un peu moins. » j’explique un peu vite, sans vouloir m’attarder. Une femme enfermée dans un statut avec un homme qu’elle n’aime pas, et en général plus vieux qu’elle, contre ce même homme, privé d’aucune de ses libertés, pas même celle d’aller voir ailleurs régulièrement, pendant que sa gentille épouse s’occuper de lui repasser ses chaussettes. Changeons de sujet, celui-ci m’agace. Le sado-masochisme n’est pas si éloigné que ça du sujet du mariage, mais je prends quand même. « Donc tu pense que c’est plus en rapport avec la justice ? Quelqu’un aura fait de la prison, peut être ? Mais c’est trop vague… Faudrait un motif pour ça. ‘j’ai fait de la prison’, ça suffit pas. » Non, cet indice est beaucoup trop vague. Next. « Et le flingue, il t’évoque quoi ? »