Je rêvais encore que la production nous mette des chevaux à disposition. A chaque fois que je voyais cet endroit, cette envie me prenait les tripes. Une fois de plus, je m'en étais approchée pour voir les vestiges de leur présence. Selles, harnais, des fers même qui trainaient sur la terre meuble. Je ne comprenais pas pourquoi ils avaient laissé cela ici. N'était-ce qu'un acte cruel supplémentaire ? Peu importe. Il ne s'agissait là que de rêveries de gamine. C'est tout juste si je savais monter à cheval. J'avais longtemps supplié mes parents étant petite de me laisser pratiquer, mais leurs refus successifs avaient fini par avoir raison de mes espoirs. Plus tard, j'avais pris quelques cours, mais rien de bien glorieux, caler ça dans mon emploi du temps n'était pas la chose des plus faciles il fallait dire. Quand vous le pouviez, vous oubliiez. Vous crouliez sous la "tonne de choses à faire", vous vous laissiez emporter par la frénésie de la vie citadine, le téléphone sonnant sans arrêt au creux de votre sac, si bien que vous preniez l'habitude de le garder à la main, plutôt, finalement, au lieu de chercher pendant dix minutes toutes les deux minutes parmi les montagnes de trésor que vous y entassiez. Il y avait le travail, puis les amis prenants, les dîners, l'esthéticienne avec laquelle vous étiez presque amie tant vous la voyiez plus fréquemment que votre banquier - et pourtant, vous voyiez souvent votre banquier -, les voyages à droite à gauche, la salle de sport, les soirées qui n'étaient pas celles du travail, et au final, il n'y avait rien. Rien parce que vous étiez enfermée dans un château au fin fond de nulle part. Vous en oubliiez la couleur des rideaux de votre appartement. Vous deveniez dingue. Sûrement pour cette raison que je me retournais dans un sursaut en entendant des bruits de pas. Parce que mon imagination me jouait des tours, ces jours-ci.

D'humeur baudelairienne en cet après-midi de juin, il a consacré une partie de la journée à lire des ouvrages de critique sur la biographie du poète maudit. Il pense s'inspire de ce spleen si particulier pour sa prochaine collection de vêtements à venir. Dès qu'il reviendra dans la ville londonienne, il soumettra les quelques esquisses qu'il aura déjà entamées lors de son séjour dans ce château irlandais. Pour l'instant, il se contente de flâner sans raison apparente d'abord dans la maison. Ensuite, à l'extérieur - près des remparts là où il a failli perdre la vie suite à une chute mémorable dans la boue. Résultat : une veste Armani dans la machine. Elle n'a pas survécu. Le couturier a du en faire son deuil. Qui plus est une de ses vestes fétiches. Il longe le lac en contemplant sa beauté à la lumière du jour. Il sillonne le parc sa canne toujours à portée de main ; il entend de une brève discussion entre deux candidats avant d'arriver aux écuries. Lieu qu'il n'a pas encore exploré. Il y entre. Le bâtiment est tout simplement incroyable. L'édifice a gardé l'esprit équestre d'origine en gardant quelques reliques liées au cheval. Des selles et des harnais de ça et là. Au centre, le cirque. En haut, la grange à foin. Un bâtiment rempli d'odeurs d'antan, faisant resurgir de vieux souvenirs. Cela lui rappelle également ses parties de polo mémorables, dans les campagnes anglaises. Hommes et femmes sont invités à se mettre dans leurs tenues du Dimanche. Un aspect de la culture britannique qui plaît au jeune homme, car lui-même a participé à des parties de polo. Un sport fort noble. Il s'avance dans les allées en observant les dizaines de box qui portent encore les noms des chevaux disparus. Il reconnaît une silhouette familière devant lui. Celle de l'exquise de Sive qu'il a brièvement aperçue ces dernières semaines sans vraiment lui parler. Il arrive derrière elle. Elle sursaute. - Veuillez m'excuser. Je ne voulais pas vous effrayer. Il remarque qu'elle a mauvaise mine. Quelque chose la tracasse sans doute. Il esquisse un sourire qui se veut rassurant et s'empresse de lui demander : - J'ai comme l'impression que vous n'êtes pas dans votre assiette aujourd'hui. Voulez-vous que je vous laisse ? Je comprendrai que vous vouliez un peu d'intimité. Vous pouvez également me parler de ce qui vous chagrine.

C'est Malo derrière moi. Malo que je n'ai fait que croiser ces derniers temps, ce qui est bien dommage. Le candidat avait quelque chose. Un quelque chose que vous ne pouviez pas définir si facilement. Je lui adressais un sourire en découvrant son visage. Comme il fallait s'y attendre, il s'excuse poliment, et me propose de me laisser. Je secoue la tête énergiquement dans la seconde. « Non ! Bien au contraire, ça me fait plaisir de vous voir. » Il parlait d'intimité, et j'eus un rire amer à l'entente de ce mot. Je ne me moquais pas de lui, loin de là. C'étaient mes pensées qui se bousculaient autour de l'idée qu'il avait formulé. « Je crois que j'ai eu bien assez d'intimité comme cela. Pour peu qu'on puisse parler d'intimité en ces lieux. Peut-être est-ce là le problème. Ne rêvez-vous pas de vous étendre sur votre canapé, seul, ne serait-ce que pour une minute, même si vous ne deviez rien faire d'autre que de fixer le plafond ? » Ce serait comme une bouffée d'air frais. J'étais dehors, et l'intérieur de mon appartement me paraissait être bien plus rafraîchissant. Habituellement, c'était plutôt l'inverse. A rester plus d'une demie-heure à l'intérieur, j'y tournais tel un lion en cage. « De quelle couleur sont les rideaux de votre appartement, Malo ? Avez-vous seulement un appartement, ou plutôt l'une de ces splendides demeures dont les londoniens ont le secret ? » Londres comportait en effet peu de buildings à l'image de Paris, ou pire encore, New York. Beaucoup de maisons s'avoisinaient et formaient des quartiers surprenants pour une capitale. « C'est simplement de la nostalgie. », que je réponds enfin, à ses inquiétudes. « Savez-vous parler français ? » Comme je m'y étais attendue dès le début du jeu, le français me manquait cruellement. Il y avait ici beaucoup de candidats parlant cette langue, et pourtant, nous nous en tenions respectueusement à la langue internationale, la plupart du temps.

- Non ! Bien au contraire, ça me fait plaisir de vous voir. Il est sur le point de lui tourner le dos lorsqu'elle l'interpelle le priant de rester à ses côtés. Il se retourne en posant un regard chaleureux sur la jeune femme. Elle semble ailleurs et quelque peu nostalgique. Son regard se perd au loin. - Je crois que j'ai eu bien assez d'intimité comme cela. Pour peu qu'on puisse parler d'intimité en ces lieux. Peut-être est-ce là le problème. Ne rêvez-vous pas de vous étendre sur votre canapé, seul, ne serait-ce que pour une minute, même si vous ne deviez rien faire d'autre que de fixer le plafond ? Il acquiesce. En venant participer à ce jeu de télé-réalité, les candidats savent que l'intimité qui leur serait accordé est impossible car leurs moindres faits et gestes seront retransmis à l'écran. Des milliers de spectateurs avides et hébétés les observant nuit et jour. Même dans l'enceinte des écuries, des caméras ont été placés à des coins stratégiques de l'édifice. Elle lui pose une question : - De quelle couleur sont les rideaux de votre appartement, Malo ? Avez-vous seulement un appartement, ou plutôt l'une de ces splendides demeures dont les londoniens ont le secret ? Une question surprenante de sa part. Inquiet, il la dévisage puis répond d'une voix douce : - Rouge bordeaux, allant parfaitement bien avec mon canapé couleur crème dans un appartement, situé à Mayfair donnant une vue imprenable sur Hyde Park. J'y ai installé mon atelier au deuxième étage. Une habitation bien trop spacieuse pour une seule personne. C'est ma femme qui l'a choisi en pensant qu'on n'aurait plein d'enfants. Il réussit de plus en plus ses émotions en évoquant sa femme. Son regard reste neutre, mais son coeur s'est serré à la pensée de sa défunte épouse. - C'est simplement de la nostalgie. La ville de Londres et ses habitants commencent également à lui manquer. Sa vie quotidienne, surtout sa cousine qui est en charge de sa boutique, en son absence. Être loin de ses proches et de chez soi est particulièrement difficile pour lui. Apparemment pour Sive, aussi. - Savez-vous parler français ?, lui demande-t-elle. Il sourit doucement, puis répond dans un français parfait : - Oui. Je le parle depuis ma naissance. Ma mère était française. Je crois que vous le parlez, n'est-ce pas ?

Il me décrit alors son appartement et je souris, comme étant un peu apaisée. J'aimais m'imaginer les appartements. Selon moi, ils en disaient plus sur la personne que vous connaissiez que n'importe quelle discussion que vous auriez pu avoir avec celle-ci : détermination, motivation, créativité, goût, sensibilité, tous ces traits étaient révélés par les objets entassés, la propreté d'un appartement, le choix des couleurs. C'était sûrement pour cette raison que je chouchoutai autant le mien, même en y passant si peu de temps au final. « Je savais bien que vous aviez du goût. » Je souris malicieusement, me forçant à sortir de ma nostalgie dévorante. Puis, je réfléchis un peu plus sérieusement à ce qu'il vient de me dire. « Et vous n'avez jamais songé à changer d'appartement après ça ? » Puis j'avais parlé de la langue française, et lui de sa mère. Presque malgré moi, j'avais noté l'emploi du passé. « Était ? Voulez-vous dire qu'elle n'est plus ? » Je trouvais cela trop cruel pour pouvoir le concevoir. Cela aurait donc voulu dire qu'il avait perdu les deux femmes de sa vie, en supposant qu'à l'image de tous les petits garçons, sa mère ait été telle pour lui. Mais c'était sorti malgré moi, et je regrettai déjà cette question. Il me semblait que la douleur surgissait à chacune de nos rencontres, que je ne pouvais m'empêcher de raviver des souvenirs trop douloureux. Et même si je découvrais toujours Malo un peu plus, je ne pouvais m’empêcher de m'en vouloir pour cette inconsciente démarche. « Oui, je le parle aussi. Bientôt dix ans à jouer à la française... » Mon accent avait ainsi été presque totalement gommé par conséquent, sûrement parce que j'étais arrivée jeune encore. J'avais tenté l'apprentissage de d'autres langues depuis, mais aucune ne m'allait aussi bien.