Cette forêt était dangereuse, Tweedy en était intimement persuadée. Oui, elle avait toujours été très douée pour ressentir ce genre de choses. Le danger, elle connaissait. Et donc, elle était plus forte que n'importe qui pour le repérer. Alors quand elle se mettait à penser que telle ou telle chose était dangereuse, c'est qu'il fallait absolument là croire. Justement, à ses yeux, cette forêt était dangereuse. Elle ne savait pas si c'était parce qu'elle s'était fait attaquer par une créature cauchemardesque une fois ou simplement parce qu'elle n'aimait pas tellement les endroits lugubres dans le genre, mais une chose était en tout cas certaine, fou était celui qui s'y aventurerait. Ouais bon, c'était valable pour tout le monde, excepté pour Tweedy bien sûr. Parce qu'elle, ça n'était de toute évidence pas d'hier qu'une certaine folie la possédait, raison pour laquelle elle était tout à fait du genre à s'aventurer dans ce genre d'endroits, et en pleine nuit s'il vous plait, tout comme elle était du genre à revenir dans un labyrinthe après s'y être perdue cinq fois, hm. Ainsi donc, armée de tout le courage qu'elle avait en réserves, Tweedy serra les dents et avança au milieu de ces arbres qui lui inspiraient peu confiance, tandis qu'un petit vent venait rendre l'atmosphère déjà angoissante absolument terrifiante. Okay, un film d'horreur se tournerait ici que ça ne l'étonnerait même pas, figurez-vous. Bon, du calme, Tweedy n'allait tout de même y rester. Si beaucoup s'étaient aventurés dans ces lieux et que peu en étaient revenus, ça ne voulait pas spécialement dire que ... Oh non, quelle horreur ! Elle venait de voir quelque chose bouger non loin de là. Quelqu'un devait se trouver à dix mètres d'elle, mais demeurait difficilement identifiable dans une telle pénombre. Bon, de qui s'agissait-il ? De Nora, une fois de plus ? Ou bien d'un ignoble monstre ? Elle se devait d'en avoir le cœur net. Alors, tremblante comme si elle traversais la vallée de l'ombre de la mort, Tweedy avança quelques peu jusqu'à se stopper net. Ouais bon, elle allait tenter quelque chose d'ici, histoire de ne pas risquer une mort trop précipitée. Hum, donc ... « Ne ... ne me faites pas de mal, je ... je suis trop jeune pour finir ainsi, et ... et c'est mon anniversaire aujourd'hui, vous vous rendez compte ... vous seriez monstrueux de m'ôter la vie aujourd'hui, hein ... » Son anniversaire ? Attendez voir, dans la mesure où son anniversaire tombait le jour de la Saint Valentin, l'on pouvait penser qu'elle se foutait très légèrement de sa gueule là ...

J’ai pas envie de voir du monde. En règle générale je m’arrange pour m’entourer le plus possible, passant des heures avec Sive, Valentina, Nora, AJ... Mais par moment, je ressens simplement le besoin d’être seul, sans aura parasitaire, sans présence jugée intrusive sur le moment, juste seul, parfaitement seul, un tête à tête entre moi et ce qui m’attendra à l’extérieur. Cette fois, j’ai trouvé refuge dans la forêt. Après s’être tous mangé, au moins une fois, un miroir en pleine face, plus personne n’y va, trop dangereux paraît-il, sauf si, comme moi, vous avez eu la présence d’esprit de créer des repères en marquant certains arbres, afin de ne plus se contenter de subir. J’ai donc attendu que la nuit tombe et que la moitié des candidats soient ivres mort ou en plein préliminaires, pour me rendre dans la forêt, persuadé qu’ils étaient trop occupés pour ne serait-ce que penser à se rendre à l’extérieur, et de pousser jusqu’au bois maudit. La tête dans les mains, le cul sur une souche, ça doit faire entre une demie-heure et une heure, que je suis ici, lorsque j’entends, au loin, des bruits de pas se rapprochant. Est-ce qu’on me cherche ? J’imagine Sive organisant une battue à travers le parc, lâchant les chiens après leur avoir fait renifler un de mes caleçons, mais je renonce à cette idée en écoutant les pas maladroits. Ça ne ressemble en rien à la démarche aérienne et déterminée de la blonde. Et puis elle gueulerait mon prénom, si c’était elle. Là, les pas ne font que se rapprocher, sans même sembler avoir conscience d’une autre présence, la mienne. Je compte les mètres séparant l’intrus de moi. Dix mètres, puis huit, puis sept, puis cinq... À croire qu’elle sait exactement où je me trouve et se dirige droit vers ma souche... Quatre mètres, trois, deux... Bientôt il me suffit de lever la tête pour découvrir la gorge, le menton et les trous de nez de Tweedy. À quelques centimètres de moi, elle me surplombe, sans me voir, son regard guettant le truc qui bouge en face de nous. J’ai décidé qu’il s’agissait d’un raton laveur, parce que ça fait un moment qu’il est là, et qu’il n’a pas encore cherché à me tuer ou à me raconter sa life, donc il ne s’agit ni d’un tueur sociopathe, ni d’un candidat. Tweedy ne semble pas de cet avis, puisqu’elle se met à supplier le raton laveur de ne pas lui ôter la vie. « Sinon tu peux lui refiler une noisette et j’pense qu’y aura moyen qu’il épargne de ta vie. » j’annonce tranquillement, les yeux rivés sur la bestiole toujours invisible, avant de relever la tête vers les trous de nez de Tweedy. Salut copine.

Tweedy, en faire trop ? Absolument pas. Ce n'était tellement pas son genre, vous savez. Elle n'était pas du tout du genre à exagérer la moindre situation, après tout. Et le fait qu'elle soit présentement en train de négocier avec une prétendue créature horrifique ne faisait aucunement d'elle une jeune femme timbrée. Dites vous bien qu'elle avait simplement tendance à imaginer le pire, et encore, pas tout le temps. Là par exemple, alors que n'importe qui aurait pu penser qu'un animal avait simplement cherché à la fuir, la petite brune s'était naturellement imaginée qu'une créature cauchemardesque, ou à la rigueur un bon vieux tueur en série, se tenait non loin d'elle. Ainsi donc, quoi de mieux pour sauver sa peau que de tenter un dialogue, à coup de "c'est mon anniversaire, épargnez-moi", le truc qu'elle avait du sortir par cent fois dans de vieux cauchemars, hm. Mais si, vous savez, les cauchemars types où l'on croit courir mais où l'on fait du surplace. Quoi qu'il en soit, pas sûr que sa tentative de négociation aboutisse à autre chose qu'à un meurtre sanglant. Mais tandis que la jeune femme attendait une quelconque manifestation de la part de la chose à laquelle elle s'était adressée, elle ne manqua pas de nous faire une semi-crise cardiaque lorsqu'elle se rendit compte que Loxias se tenait à coté d'elle, lui qui venait de prendre la parole. Bon sang, quel inconscient ! N'avait-il pas compris qu'elle était déjà au bord de l'infarctus ? Pourquoi fallait-il qu'il en rajoute, hein ? « Mais ... mais ... Loxias, pourquoi tant de haine ? » s'exclama-t-elle alors, la tête baissée vers le jeune homme, et portant une main sur son cœur pour la touche dramatique de la situation. Elle souffla alors bruyamment et réalisa bien vite qu'elle était sauvée. Bah oui, quelle que soit la créature qui prévoyait de la tuer - oui parce que, cette idée restait tout à fait plausible dans son esprit, hein - elle avait désormais de quoi faire diversion. Parfait, donc. « Ton truc de la noisette est pas mal, mais je m'étais plutôt dit que tu pourrais, disons, te sacrifier pour me permettre de fuir au loin ? Ne t'inquiète pas, on ira chercher ton corps demain matin et tu auras droit à des obsèques dignes de ton courage. Alors, t'es partant ? » Alors là, très franchement, on se demandait comment il pourrait refuser, hein.

« Mais ... mais ... Loxias, pourquoi tant de haine ? » Oups. J’crois que je lui ai fait peur... Enfin, c’est ce que laisse entendre le sursaut qu’elle subit, juste avant qu’elle ne plaque sa main contre son coeur comme pour éviter l’infarctus. « Et encore, j’pourrais être entrain de fumer une clope, te plains pas. » je réponds avec sarcasme, connaissant très bien son aversion pour la nicotine. Voilà, je ne te haie point, Twee-twee. Elle pousse un soupir, j’crois qu’elle est passablement soulagée, la gueuse. Que ce soit un raton laveur ? Ou bien que je sois là pour la protéger des zombies mangeurs de cerveaux ? Visiblement, c’est plutôt la deuxième solution qui l’emporte, à en croire son sympa petit discours sur le sacrifice humain et tout ça. Ouai, parce qu’elle ne compte pas sur moi pour la défendre, non, juste pour me faire bouffer à sa place. Cela dit, elle est sympa, elle se propose de revenir, avec quelques autres, histoire de récupérer mon corps le lendemain matin. Cool, j’aurais donc droit à un hommage funèbre et une sépulture digne de ce nom. Du coup, je la remercie d’un signe de tête, avant de fouiller mes poches à la recherche de mon paquet. Je le trouve dans la poche intérieur de ma veste, et m’empresse d’en tirer une pour l’allumer. Et sous le regard réprobateur de Tweedy, je l’agite en me justifiant : « La dernière cigarette d’un condamné à mort. » Bah oui, elle peut bien m’autoriser ça lorsqu’elle s’apprête à me sacrifier pour sauver sa peau. Et puis, quitte à mourir dans quelques instants, j’en ai plus rien à branler du cancer. « Bon ! » dis-je en me levant, la clope au bec, tout en frottant mes paumes l’une contre l’autre. « Où qu’il est le vilain monstre ? » J’avance dans la végétation, le bois et la mousse crissant sous chacune de mes foulées. Je prends mon temps, m’approchant du bruit tout doucement, pour ne pas l’effrayer. Oui, parce que pour moi, c’est toujours un raton laveur égaré ou un truc du genre... Je me penche, prenant appui d’une main sur le tronc tout proche, écartant les broussailles de l’autre, et découvre... « Ooooh, mon dieu !!!!! » je m’exclame en reculant, ne forçant pas trop sur ma voix pour ne pas effrayer le bestiot. « Un écureuil mangeur d’homme ! » Je tombe à genoux, la tête entre les mains, le regard qui se tourner vers les cieux dans une ultime prière. « Seigneur, je t’offre ma vie, mais épargne celle de Twee-Twee ! » Et mon bras se tend vers l’animal, ma main s’offre, et décidant que c’est trop gros pour lui, mon index s’étend dans sa direction, tandis que je détourne le regard, un revers de main contre mon front. « Va, Tic, je m’offre en sacrifice, voici ta pitance.... Sauve toi, Tweedy, fuis et laisse-moi, voici ma potence.... » Baudelaire, Ze resurrection !

Tweedy et ses délires, c'était toute une histoire. Pourquoi ne pas en écrire un livre, d'ailleurs ? Il se vendrait à quelques millions d'exemplaires - voire milliards, hein - et lui assurerait une renommée internationale, lui permettant de fréquenter la haute société, dominée par des Justin Bieber et des Kim Kardashian en puissance. Le rêve à l'état pur, en somme. Non plus sérieusement, on n'était pas dans la merde si la petite brune se persuadait véritablement qu'une infâme créature habitait ces bois. Parce que maintenant qu'elle était partie dans un délire paranoïaque de niveau quatre, l'on était en droit de penser que Loxias ici présent n'allait pas passer un moment fort agréable. Sans doute regrettait-il d'ailleurs déjà de s'être aventuré dans cette forêt, lui qui ne s'était alors pas imaginé qu'on puisse y rencontrer des grands malades mentaux, à l'image de Tweedy, probablement plus dangereuse que toute créature du coin. Surtout qu'elle risquait fort de lui faire bouffer un arbre si il se mettait véritablement à fumer, hm. Que de provocation, d'ailleurs. Il avait faim, donc. C'est bon à savoir. Et quel dommage qu'il soit justement sur le point de se faire bouffer, le pauvre chou. Oui parce que, dans l'esprit très sain de la jeune femme, l'idéal pour qu'elle s'en sorte serait encore que quelqu'un se porte volontaire pour mourir croqué à sa place, hm. Pour le coup, Loxias n'était pas tellement volontaire, mais qu'importe, il ferait sans doute ça très bien. Il avait l'âme d'une victime, ça se voyait tout de suite. Non mais par contre, il allait vraiment falloir qu'il arrête de la provoquer, hein. Surtout que là, il agitait véritablement une cigarette sous le nez de Tweedy. Ah, mauvais plan jeune homme. Beaucoup étaient morts pour moins que ça, le savait-il ? Oh mais de toute façon, la mort le guettait déjà, alors ... Après lui avoir lancé un regard noir - trèèès noir - Tweedy le regarda se lever et prendre son courage à deux mains pour affronter l'horrible bête. Dans un geste d'une lâcheté incroyable, elle recula alors d'un pas et commença à s'échauffer pour pouvoir effectuer le sprint du siècle au cas où l'on aurait à faire à un débordement. Sauf que là, ça devenait vraiment dramatique. Elle n'en était pas sûre, mais il semblerait que Loxias soit présentement entre la vie et la mort. En même temps, difficile à dire quand on est à ce moment reculée, hein. Alors elle avança doucement, toujours disposée à repartir en arrière au cas où, puis réalisa qu'il avait peut être besoin de son aide. Oh merde, ça tombait mal ça ... Parce qu'il est évident que Loxias n’exagérait pas du tout, ah non. Tout cela était même terriblement réaliste. La petite brune se rapprocha alors pour de bon de son camarade, posant ses mains sur les épaules de Loxias. Malin, parce que comme ça, il lui servait tout de même de bouclier, haha. Bah oui, les écureuils tireurs de flèches, c'était vachement courant dans le coin. « Non, attends ! » fit-elle alors. Euh ... oui ? Mais encore ? Ah zut, la suite ne venait pas. Ah si, voilà. « Je ne veux pas que tu meurs par ma faute, je ... je vais prendre ta place. Oui voilà, c'est à moi de me sacrifier. Les animaux sont mes amis, il ne me fera aucun mal. Et puis, je ne mange que des légumes et des graines, alors il ne me trouvera peut être pas à son gout ... » C'est bien d'essayer de se rassurer, hm. Ah, voilà qu'elle avait une idée de génie ! « Ou alors, on meurt ensemble, unis pour l'éternité. » Bah oui, comme ça pas de jaloux, c'est sûr.

Non, ce n’est pas un bosquet mouvant qui risque de m’effrayer, j’ai vu pire. Et sachant qu’on se trouve dans une émission de télé-réalité relativement grand public, j’imagine mal les producteurs introduire un animal sauvage et bouffeur d’hommes juste pour améliorer l’audimat. Pas besoin de ça avec tous les spécimens déjà présents au sein du jeu. C’est donc sans réelle crainte que je m’approche de la zone de tous les dangers pour y découvrir un petit écureuil bien plus effrayé que moi. Ce qui ne m’empêche pas de, bien évidemment, surjouer la grande scène 4 de l’acte 2, à grand renfort de gestuelles maniérées et prose teintée de lyrisme. Tweedy, elle, pour sa part, a considérablement reculé, et il me semble même qu’elle est entrain de procéder à des assouplissements afin de ne pas se froisser un muscle lorsqu’elle se barrera en courant, m’abandonnant aux griffes et crocs de la bête immonde. Bah oui, ce serait malheureux qu’elle subisse une crampe ou un claquage en rentrant au château, tout de même. Je tourne la tête vers elle, l’invitant à fuir loin et vite. Mais à la place, elle semble hésiter, puis fini par avancer. Quoi ? J’suis pas assez tragique, j’mets trop peu de tension de ma voix pour réussir à faire trembler dans les chaumières ? Ou bien c’est la mention de Tic, peut être ? J’sais pas, toujours est-il que rapidement, la jeune femme se retrouva face à moi, plaquant ses deux mains sur mes épaules afin de contempler l’animal tremblotant auquel je tends toujours mon index. Et voilà qu’elle interrompt mon geste, se proposant même à ma place. Est-ce à dire que la petite taille du colosse la rassure, ou bien ? Elle prétend que son alimentation, à base de graines et de légumes, la rendra impropre à la consommation. « Ou alors ils feront de toi une des leurs, et tu deviendras le premier spécimen d’une nouvelle race, le Tweedeuil… ou le Ecureedy… ou le… » Elle me coupe la parole pour me proposer de mourir ensemble, unis pour l’éternité… hum… mourir ensemble, ok, mais unis pour l’éternité, ça risque d’être problématique quand même. « Ou alors on reste en vie. » Je propose. « C’est bien aussi, ça, de rester en vie, non ? » Haussement d’épaules, puis je me retourner vers Tic ou Tac –enfin l’un des deux quoi- qui semble se passionner pour notre conversation. « On reste en vie, et on adopte un écureuil… t’as pas des graines sur toi, par hasard ? » je lui demande avant de me rappeler que j’ai une barre Carte d’Or dans la poche de ma veste… Chocolat-Noisettes… ça risque de plaire à notre ami à poil. Non ? Sans geste brusque, je récupère la barre, et déchire délicatement le papier, avant de tendre le bout de choco en direction du bestiot. Allez, vas-y, la Caisse d’Epargne.

Dites donc, heureusement que Loxias ne semblait pas du genre à prendre peur face aux tarés, parce qu'il y a bien longtemps qu'il aurait fui Tweedy sans ça, hein. Il faut dire qu'à chaque fois qu'ils se rencontraient, cela donnait lieu à un drôle de délire. Il y eut le flashmob sur Moves like jagger, puis la tentative d'assassinat sur la personne d'un misérable ordinateur, et voilà qu'aujourd'hui, il était question d'une menace redoutable, d'un écureuil probablement plus dangereux encore que ces deux jeunes gens réunis. Oui parce qu'ils étaient bons à enfermer, hein, qu'on se le dise. Entre l'une qui prenait peur devant un animal qu'elle n'avait même pas encore vu, faisant tout un cinéma pour pas grand chose, et l'autre qui n'hésitait pas à aller au devant d'une mort probable simplement parce que sa camarade avait jugé préférable qu'il se sacrifie pour lui permettre de rentrer saine et sauve, l'on était légitimement en droit de penser que quelque chose n'allait pas, hum. Mais s'ils assumaient leur folie, ce qui semblait bien être le cas, tant mieux pour eux après tout. Simplement, maintenant que Tweedy avait face à elle un Loxias prêt à sacrifier sa vie pour qu'elle rentre à tout berzingue dans le château, on peut dire qu'elle n'était pas tellement tranquille. Sa conscience commençait à la travailler, signe qu'elle ne pouvait se résoudre à abandonner ce beau jeune homme à son terrible destin. Ainsi donc, dans un élan de courage, la petite brune n'hésita pas un seul instant - ou juste quelques minutes - à revenir sur ses pas, se rapprochant de son camarade et par la même occasion du monstre qui l'avait déjà cerné - au moins, ouais - afin de voir ce qu'il était encore possible de faire. Et là, naturellement, il lui sembla évident qu'il lui fallait inverser les rôles et ainsi se sacrifier à la place de Loxias. Comme elle le disait si bien, elle avait tendance à bien s'entendre avec les animaux en général - enfin, les gentils disons - et son alimentation semblait lui assurer une certaine survie. Disons que dans le pire des cas, elle perdrait ses bras et ses jambes. Roh, y'a pire dans la vie, hein. La remarque de Loxias la fit alors sourire - parce que rejoindre une tribu d’écureuils, c’était vachement tentant - tandis qu'elle l'interrompit sans la moindre gêne, afin de lui proposer un plan des plus brillants : crever tous les deux. Bon, il y avait aussi la notion d'être unis pour l'éternité, mais pas sûr que ça branche quiconque. Parce que la Tweedy, il fallait déjà la supporter de son vivant, alors après ... Pfiou. Rester en vie ? C'était ça que proposait Loxias ? Bon sang, mais ce mec était un pur génie. Tweedy, elle, n'y aurait jamais pensé. Ah non, jamais. « C'est pas idiot comme idée, ça mérite réflexion » fit alors la petite brune, tandis qu'elle prit un air pensif. Vivre, un concept qui avait son charme, c'est vrai. Quant à son idée d'adopter un écureuil, ça la branchait pas mal. « Oh oui, on pourra lui apprendre à parler ! » Mais oui, bien sûr Tweedy, dix-huit langues même. Bien sûr. Des graines ? Ah non, elle n'en avait pas. Par contre, Loxias semblait décidément être l'homme de la situation, puisqu'il ne tarda pas à sortir une barre chocolatée de sa veste. Miam. « S'il n'en veut pas, j'en connais une qui ne dirait pas non ... » Elle ? Ah non, du tout. Elle voulait parler de ... de la campanule qui les fixait. Courant pour une fleur, n'est-ce pas ?

Courageuse, mais pas téméraire, la Tweedy, elle attend d’obtenir la confirmation qu’il s’agit bien d’un animal de petite taille et de dangerosité 1,5 sur une échelle de 50, pour s’avancer jusqu’à moi et proposer de se sacrifier à ma place. Je me demande ce qu’il en aurait été si l’intrus en question s’était avéré être un diplodocus ou Georges mon yeti ? Certainement qu’elle aurait tapé un sprint plutôt que de m’informer de son alimentation, les yeux rivés sur Tic... ou Tac. Evidemment que j’ai conscience de tout ça, faudrait pas me prendre pour un jambon, non plus, je ne suis pas né de la dernière tempête de sable, puisque je ne me prends que très rarement au sérieux, je la prends, elle aussi, que très rarement au sérieux. Elle propose de me sacrifier ? j’y vais. Elle propose de se sacrifier elle ? je ne la retiens pas, et je propose même une nouvelle race mi-homme, mi-écureuil, animal mythique à la frontière du dahu. Elle propose qu’on meurt ensemble et qu’on vive unis pour l’éternité ? Heu... Là, j’hésite. J’préfère la fin où on survit et où on vit heureux à jamais entourés de plein de bébé écureuil. Proposition, contre-proposition, c’est comme ça que ça marche. D’ailleurs, j’ai le sentiment de n’avoir jamais autant prononcer le fameux « Ou alors... » qu’avec elle. Ma contre proposition semble l’enchanter, elle veut qu’on l’adopte et qu’en plus on lui apprenne à parler. « Parler, marcher, se tenir à table, et dormir sans sa veilleuse. Le B.A.BA quoi... Dans un an, je l’inscris à Stanford, dans deux ans il est docteur en astro-physique, et dans trois ans, il est le premier écureuil dans l’espace ! » j’énonce, tout en tendant la barre chocolaté à l’animal qui semble hésiter. C’est mignon à voir, son espèce de museau qui gigote tandis qu’il n’ose s’approcher pour la renifler correctement. C’est domesticable, au moins, un écureuil ? Enfin, j’veux dire, à part dans Blanche-Neige ou Cendrillon, évidemment ? En attendant, Tweedy m’informe, très subtilement, que si l’écureuil n’en veut pas, elle récupèrerait bien la barre. « Mère indigne. » je siffle et persiffle. « Ôter le pain de la bouche de ta descendance, t’as pas honte ? » j’insiste tout en fouillant, de ma main libre, dans l’intérieur de ma veste, à la recherche de la deuxième barre en stock. « Faudrait lui trouver un prénom, quand même, un truc qui a de la gueule, qui en impose, pas un truc de gonzesse, pour qu’il se tape pas la honte quand il sera dans l’espace. » dis-je en tendant la nouvelle barre toute neuve à Tweedy, toujours dans mon dos. « Genre Vespasien ou Néron ou Plutarque ou Cicéron ou... Bref, pas Chichounou, ni Bibichou, ni croque-noix... » Parce que Croque-Noix dans l’espace, ça fait titre de mauvais porno gay, quand même.

Si l'idée de périr tous les deux et ainsi de demeurer unis pour l'éternité n'était pas nécessairement mauvaise - hum - celle de rester en vie et d'adopter un joli petit écureuil était encore plus tentante. Ainsi donc, il ne fallut pas longtemps pour que Tweedy se montre plus ou moins enthousiaste, ne comptant tout de même pas montrer à son camarade qu'il était un génie car ne tenant pas à souligner sa propre bêtise. C'est alors que la petite brune les imagina, Loxias et elle, en train d'éduquer ce petit écureuil, lui apprenant notamment à parler. Bien sûr que c'était faisable. Ce ne serait peut être pas évident au début, mais elle était persuadée que l'on pouvait véritablement apprendre à un écureuil à parler. Ce serait même un beau défi à relever, d'après elle. Mais voilà que Loxias voyait les choses en grand et faisait déjà mille et uns autres projets plus enthousiasmants les uns que les autres. Lui apprendre à parler, à marcher, on en passe et des meilleures ... Oh oui, ça la tentait, beaucoup même. Et que dire du projet d'inscription à l'université, et de tout ce qui suivait naturellement ? Franchement, elle n'aurait pas pu imaginer de meilleur avenir pour leur petit écureuil. C'est bien simple, elle en avait presque déjà la larme à l'oeil. « Oh mon dieu, je sens qu'on aura de quoi être très fiers de lui » fit-elle alors, toute émue d'imaginer leur rejeton réussi pleinement sa vie. « Ce petit sera brillant ... comme sa mère » reprit-elle, l'air de rien, un peu comme si tout le monde était près à confirmer ses dires, en mode « Ah bah oui, c'est clair qu'avec une maman comme Tweedy, la réussite ne peut que lui tendre les bras à ce p'tit bout. » On y croit tous, n'est-ce pas ? Quoi qu'il en soit, Tweedy trouvait honteux, oui parfaitement, hon-teux, que Loxias se permette de la traiter de mère indigne. Alors quoi, parce qu'elle se permettait de dire qu'elle ne serait pas contre l'idée de se régaler avec cette barre chocolatée dans l'hypothèse où leur écureuil n'en voudrait pas, cela faisait d'elle une mère indigne ? Roh, la voilà meurtrie, et pas qu'un peu. Si elle avait honte, maintenant ? C'en était trop. « Je ne te permets pas, voyons. J'essaye juste d'éviter un gaspillage inutile, voilà tout ... » Bah oui, bien sûr. Et même qu'on la croyait sur parole. Alala. Mais comme le disait Loxias, l'heure était maintenant au choix du nom de leur petit chou. Un truc qui a de la gueule, qui en impose ... Ouais, ça devrait pouvoir se faire. Et effectivement, rien qui soit trop honteux à porter pour cet adorable écureuil. Tweedy afficha un large sourire lorsque Loxias lui tendit finalement une barre chocolatée, ce dont elle le remercia par une gentille petite tape sur l'épaule, puis ricana légèrement face à ses propositions. Ah merde, c'était pas une blague ? Zut. « Bah moi je propose ... Scrat ! » Quoi, comment ça c'était déjà pris ?

Mère indigne, oui, tout à fait, mère indigne ! Parce que le bestiot est toujours entrain de renifler la friandise –et quelle friandise, y a de quoi sustenter trois ou quatre générations de Tic et de Tac- que madame propose déjà de la récupérer pour la faire sienne. Ola, maraude, doucement, y a pas le feu aux flaques. Et surtout, j’ai une deuxième barre sur moi, des fois que la première ne me suffise pas lors de mes longues expéditions nocturnes en pleine forêt chimique. Et pendant que la petite brune s’indigne et prétend ne faire ça que pour éviter tout gaspillage, je lui tends l’autre. Geste qui rencontre l’effet escompté, puisqu’elle se tait instantanément, et me souris comme une gamine devant ses cadeaux de noël. J’ai même le droit à une tape sur l’épaule. C’est vraiment noël, j’vous dis. Et pendant ce temps, je recentre le débat. Quel prénom donner à notre fils-écureuil ? Faut pas oublier qu’étant destin é à une brillante carrière et à un destin prodigieux, il ne peut ni ne doit porter un prénom pourrave qui casserait toute la magie du truc. Je propose des prénoms impériaux avec une certaine aura de prestige, et elle me propose… Scrat ?! « Scrat ?! » je répète avec perplexité. « Comme l’écureuil préhistorique qui passe quatre films à courir après une noisette qu’il n’avale jamais… JAMAIS ?! Pourquoi pas Jean-Claude Duss ? Lui non plus il n'arrive jamais à pécho. » Je m’emporte peut être un peu, là, d’autant plus que le bestiot n’a pas l’air vraiment rassuré. « Essayons de faire un peu plus original, un truc pas encore vu, ni entendu… en tout cas, pas sur un écureuil, quoi. Un truc qui inspire le respect. » J’insiste, en m’asseyant carrément dans l’herbe, lassé d’avoir à tirer sur mes mollets en restant accroupie. « Vois ça comme un entrainement, parce qu’après on sera chargé de nommer le ou les bébés d’Adie, et là ce sera autre chose, crois-moi. » J’annonce, le plus normalement et calmement du monde, en m’adossant au tronc d’arbre derrière moi, le bras toujours tendu vers la petite chose qui ne bouge plus, façon Madame Tussaud. « D’ailleurs, tu penses quoi de Ray-Bee, pour un garçon, et Mina-Violet pour une fille ? Tu penses que je devrais soumettre à Adie direct, ou bien attendre encore un peu voir si je trouve pas quelque chose d’encore plus fort ? » je demande en lui jetant un bref regard avant de reporter mon attention sur l’animal qui s’est enfin décidé à croquer dans la barre. C’est mignon à voir, mais bon, il n’a pas l’air super doué, quand même.