(25/09, 7h12)
NO CHURCH IN THE WILD, W/ RUMER.

La clope au bec; mon seul péché, ma vie est sinon dirigée par des principes on ne peut plus sains; j'avance à l'aveugle, les yeux rivés sur un des volumes des Voyages Extraordinaires de Jules Verne, trouvé sur une étagère poussièreuse de la mairie. Je ne suis pas un grand lecteur, mais sa couverture bariolée m'a tapé dans l'oeil; et puis, il me faut tout simplement trouvé des activités matinales. C'est pas simple de se lever aux aurores quand tous vos autres camarades pioncent jusqu'à pas d'heure, épuisés par leurs soirées interminables. J'y participe aussi à ces festivités, mais contrairement à beaucoup, quatre heures de sommeil me suffisent amplement. Alors, en attendant qu'une âme reposée ne daigne sortir du pieu, j'arpente les ruelles du village sans faire attention où je pose les pieds, où je vais, littéralement happé par le récit de l'auteur de génie. Le temps passe, me semble très long; j'ai l'impression d'avoir parcouru des kilomètres, et pourtant, aucune silhouette humaine à l'horizon. Le village est bien vide à sept heures du matin. Nota bene: songer à m'octroyer de plus longues nuits, histoire de me sentir moins seul le jour venu. Je marche à tâtons, passe un petit portillon que je pousse du bout des doigts, puis interloqué par la soudaine odeur de pot-pourri, je lève les yeux: soudainement face à face avec un mausolée en vieille pierre arborant un bouquet de chrysanthèmes ayant au moins mon âge, si ce n'est plus, je me recule, manquant presque de lacher mon énorme bouquin. Je respire, me passe une main sur le visage: les cimetières m'ont toujours terrorisé. "Oh. D'accord. Putain." Faut quand même être très, très con pour se balader au milieu de dizaines de tombes sans même s'en rendre compte; manifestement, je suis irrécupérable. Je corne la page que je lisais la minute précédente, ferme mon bouquin et entreprend de chercher la sortie: j'ai beau être immense et sur la pointe des pieds, impossible de retrouver le portillon par lequel je suis entré. Et j'arpente les allées, contre-allées, cinq, dix minutes; rien, je suis toujours bloqué dans ce labyrinthe purement létal. Presque angoissé, je m'assieds sur un muret, les coudes sur les genoux, le visage dans les mains, tentant de me reprendre: t'es un grand gars Louis, ces tombes te tueront pas. Pourtant, j'ai l'impression que ça sent le cadavre à plein nez.

C'est définitif, je sais que je vais crever ici: happé par des mains blanchâtres sortant des tombes, asphysixié par l'odeur nausséabonde, ou esseveli sous un mausolée décrépi, qu'importe, ma mort sera lente et douloureuse, sans que je n'ai pu réaliser le rêve d'une vie, celui d'entrer dans la Marine. Si jeune... La tête baissée vers le sol on ne peut plus sec du cimetière, je commence à formuler mes derniers voeux, réfléchis à ce que je pourrais bien léguer de précieux à mes héritiers; une voix me sort de mes songes bien maccabres et je manque de m'étaler au sol tant le choc est vif. Je lève les yeux vers mon aggresseur, à savoir l'une de mes camarades, chétive à souhait, à peine plus grande que le plus vieux de mes neveux, treize ans au compteur: et c'est là que toute ma virilité s'envole, loin, tellement loin. Mon regard se perd entre le sol et ses yeux, ses yeux et le sol, je me permets même un ricanement; elle doit foncièrement me prendre pour le plus ridicules des mecs ridicules on earth. Ma fierté est brisée, retrouve cependant un poil de sa vitalité lorsque la jeune femme dont j'ai oublié la prénom, honte à moi, me témoigne de son avis bien élogieux quant à mon apparence: je lui souris, presque intimidé, et entame une phrase, balbutiant comme un ado prépubère. "Je- euh, c'est très, très gentil, merci, mais tu m'dirais pas ça si tu voyais mes frères. J'joue pas du tout dans la même cour qu'eux à c'niveau-là, ils sont mille levels au-dessus." Elle sent forcément la tension dans ma voix; même un aveugle-sourd-muet le sentirait à des kilomètres à la ronde. Je me frotte l'arrière de la nuque, gêné. "J'peux que te retourner le compliment cela dit." Grand sourire ultra-bright, je me lève, la toise de mon bon mètre quatre-vingt douze. A vrai dire, elle est même très, très belle. Mais là n'est pas le problème. "Hm, ça va surement t'paraître con, mais est-ce que tu sais où s'trouve la sortie de c'truc? Ca fait vingt minutes que je tourne en rond et, très honnêtement..." Je fais une pause, hésite une seconde à lui avouer à quel point je suis faible. "...j'commençais un peu à paniquer. Tu m'sauverais la vie." Oh, et puis merde.