Se balader au bord du lac avait un petit coté apaisant. C'était même agréable, par ce temps. Et puis la vue était tout à fait charmante. Vraiment, à cet instant précis, Raphaël se sentait bien. C'était si rare qu'il ne soit pas embarrassé, apeuré ou simplement attristé par quelque chose. Là, il était simplement détendu, parce qu'il pouvait profiter du paysage qu'il avait sous les yeux sans s'inquiéter de la présence de qui que ce soit. Il était seul, et rien que ça suffisait à le détendre. Parce qu'il avait peur de ses semblables. Parce qu'il les craignait sérieusement et qu'il partait perpétuellement du principe que ces derniers ne vivaient que pour lui nuire. Pourtant, il avait pris la décision de participer à cette aventure, de cohabiter avec un certain nombre de jeunes gens, lui qui était plus insociable que l’insociabilité elle-même, lui qui angoissait à la simple idée de se retrouver au milieu d'une foule. Lui qui avait peur, de tout, et tout le temps. Au fond, il s'était dit qu'on ne le choisirait pas pour intégrer l'aventure. Au fond, il avait pensé ne pas avoir un profile suffisamment intéressant. Pourtant, et quelles que soient les raisons qui ont pu pousser la Production à le sélectionner, il était bien là. Il n'avait d'ailleurs pas manqué de sentir mal lors du premier prime, où tant de monde avait été réuni, où il avait bien cru ne pas pouvoir survivre aux premières heures au sein du village. Et pourtant, en ce jeudi, il était toujours là. Et pour le coup, le fait de n'avoir à supporter personne l'aidait presque à se dire que tout cela allait peut être lui être bénéfique. Sauf qu'il n'était pas venu ici pour rester à l'écart, comme il le faisait à Neuchâtel. Il lui fallait faire des efforts, rencontrer des gens. Parce qu'il lui fallait aller mieux. Même, il lui fallait guérir. Mais tandis qu'il marchait toujours tout près du lac, il sentit une main se poser sur son épaule. Pas brusquement, plutôt délicatement. Mais il sursauta tout de même un tantinet. Il se retourna alors et dévisagea une jeune femme. Elle lui souriait, mais lui ne parvenait qu'à garder cette triste et grave expression qui le quittait rarement. Il avait peur. Oui, honnêtement, il avait peur. Parce qu'il venait d'être rejoint par une jeune femme, et qu'elle l'embarrassait déjà. Surtout qu'elle prit en photo. Oui, elle photographia son visage. Il en fut surpris. Même très surpris. Et maintenant, elle lui demandait son nom. « Raphaël » articula-t-il alors, clairement gêné. Et puis il eut une idée. Si à cet instant précis, il était clairement embarrassé, ça ne l'empêchait pas de faire une tentative de sociabilité. Ainsi donc ... « Et ton nom à toi, quel est-il ? » Oh non, ne comptez pas sur lui pour deviner. Il avait l'air suffisamment idiot pour ne pas chercher à empirer son cas, hm. « Et pourquoi m'avoir photographié, à l'instant ? » ajouta-t-il, visiblement décidé à tenir une conversation. Mais bon, il était surtout curieux hein.

Raphaël n'avait pas tellement l'habitude d'être pris en photo. Il était même extrêmement rare que l'on dirige un objectif sur sa personne. Sans doute passait-il tellement inaperçu que personne, ou peu de monde disons, n'avait jusqu'ici eu l'idée de le photographier. Il se souvenait d'ailleurs avoir souvent refusé d'apparaitre sur la moindre photo de famille, tout simplement parce qu'il avait toujours eu comme le sentiment de n'en avoir jamais réellement fait partie. Il était plus ou moins proche de ses sœurs et s'était toujours assez bien entendu avec sa mère de son vivant, mais les choses étaient devenues délicates au fil des années, et la perspective d'apparaitre en photo aux cotés des membres de sa famille l'avait de moins en moins attiré. C'était comme ça. Ainsi donc, il était pour le moins étonné que sa camarade le photographie de la sorte. Il n'était pas certain d'être dérangé par ce fait, mais il est vrai qu'il ne savait pas tellement quoi en penser. C'était si étrange, si inattendu. Qu'on le photographie, qu'on veuille immortaliser son visage, un visage qui s'était toujours délicieusement bien fondu dans la masse, un visage qui n'avait jamais intéressé grand monde. En tout cas, cette jeune femme lui paraissait sympathique. Il était rare qu'il en vienne à penser cela aussi facilement, mais le fait est que le sourire qu'elle affichait et la gaieté qu'elle laissait transparaitre pourraient presque le mettre à l'aise, ce qui ne serait pas un luxe. Il déclina alors son identité, pouvant constater qu'elle lui avait surtout demandé son prénom pour l'inscrire sur le polaroid qu'elle venait de prendre. Peut être était-elle photographe de profession. Ou peut être pas. Les devinettes n'avaient jamais été son truc, de toute manière. « Enchanté également, Elliot » répondit-il, toujours aussi peu sûr de lui. Mais il essayait de gagner un tant soit peu en assurance, ne serait-ce que pour qu'elle ne parte pas. Au fond, il préférait discuter avec elle que de rester tout seul au bord de ce lac. C'était de ce genres de choses qu'il avait besoin pour aller mieux, et il le savait. Finalement, le jeune homme se décida à interroger sa camarade au sujet de la photo qu'elle venait de prendre. Parce que tout de même, cela l'intriguait. Elle s'expliqua alors et il hocha doucement la tête. Mais tandis qu'il s'apprêta à répondre, elle s'excusa. Visiblement, c'était à son tour d'être gênée. Alors qu'elle n'avait pas de quoi l'être, vraiment. « Ne le sois pas. Ça m'a surpris, mais pas dérangé. Et je trouve ça intéressant. Je veux dire ... de photographier ce qui se trouve sur ton chemin. C'est le genre de choses qui remplissent une vie, qui la rendent intéressante. » Il s'arrêta alors de parler, et soupira lourdement. Mais de quoi avait-il l'air, au juste ? Comment pouvait-il parler de vie intéressante, sachant qu'il avait perpétuellement envie d'écourter la sienne ? « Je ne sais pas pourquoi je dis tout ça. Ce ne sont que des suppositions. Je crains de parler pour ne rien dire. » A défaut de se taire, voilà qu'il racontait n'importe quoi. Tout compte fait, il aurait mieux fait de lui donner une bonne raison de le fuir, hm.

Elliot. Elle se prénommait donc Elliot. Un prénom qui lui plaisait bien, honnêtement. Un prénom qu'il retiendrait également assez facilement, il s'en doutait. Et surtout, un prénom qui allait à ravir au joli visage de son interlocutrice. Si Raphaël s'était montré atrocement gêné au tout début de cette conversation, il est vrai qu'il parvenait légèrement à prendre sur lui au fur et à mesure que les minutes s'écoulaient et qu'il pouvait finalement profiter de la présence de sa camarade sans nécessairement songer à se foutre dans le lac à la première occasion. A croire qu'elle réussissait à le détendre, ce qui n'était pas rien, loin de là. Le fait est que sa mine réjouie et ses multiples sourires avaient le don, non pas de l'embarrasser justement, mais bien de l'apaiser quelques peu. Il se sentait étrangement en confiance à cet instant précis, un sentiment qu'il ressentait si rarement qu'il serait bien impossible pour lui de vous faire savoir à quand pouvait bien remonter la dernière fois qu'il s'était senti aussi relaxé par une conversation. Parce que généralement, ça le mettait dans des états pas possible, à mis chemin entre une crise de paranoïa très prononcée et une crise d'angoisse extrême. Ici, c'était en tout point différent de ce qu'il avait l'habitude de connaitre. Et nul doute que c'était là une très bonne chose. En tout cas, une chose était présentement certaine, Elliot n'avait aucunement besoin de s'excuser, et encore moins de se sentir coupable. Elle parvenait tout doucement à le mettre à l'aise, alors elle n'était pas en droit de penser qu'elle pouvait agir au plus mal, parce que c'était tout le contraire justement. En tout cas, Raphaël ne lui en voulait pas. Comme il le disait, il avait été surpris, mais aucunement dérangé. Et c'était surprenant venant de quelqu'un d'aussi paranoïaque que lui, sachez-le. Mais tandis que Raphaël tenta de définir ce que lui inspirait la manie de sa camarade de prendre en photo ce qu'elle pouvait rencontrer sur son chemin, voilà qu'il se trouva pour le moins ridicule. Il parlait sans savoir, alors c'était assurément malvenu de sa part. Oui voilà, très malvenu. Sa camarade le reprit alors, disant qu'il avait vu juste. Hm, d'accord. Si elle le disait, il voulait bien la croire. Mais voilà qu'elle affirma trouver son visage ... fascinant. Oui, c'est le mot qu'elle venait d'utiliser. Dans un premier temps, Raphaël arqua un sourcil. Puis, rapidement, il se mit à rougir. D'abord un peu, puis beaucoup. En fait, il redevenait quelques peu gêné, mais d'une manière différente disons. Et visiblement, sa camarade rougissait également. Oula, ça devenait grave là. « Merci, Elliot » articula-t-il alors timidement, dans un petit sourire. Au fond, il devait être touché. Oui, touché. Finalement, sa camarade lui posa une question. Une question qui le fit réfléchir. Il connaissait naturellement la réponse, mais n'était pas certain de pouvoir la lui dire. Sans doute par gêne. Quoi qu'elle était différente des autres, non ? Elle ne se moquerait pas, hein ? Hm. « Pour aller mieux. Pour soigner tout ce qui ne va pas chez moi. C'est peut être naïf et trop optimiste, mais j'ai envie de croire à une possible guérison. C'est un peu comme ... comme si c'était ma dernière chance de guérir. » Il posa un regard embarrassé sur sa camarade, avant de soupirer légèrement. Il était pathétique, n'est-ce pas ? Bien sûr qu'il l'était. « Si ça ne t'embête pas, je te retourne la question. » Parce que du coup, il était curieux lui aussi. C'est mal, vous pensez ?

Sourire. Voilà quelque chose que Raphaël avait tendance à faire bien rarement. Et pour cause, il passait son temps à adopter une mine grave, terne et surtout triste. Il n'était clairement pas de ceux qui transpiraient la joie de vivre, et il ne s'en cachait pas. Il pariait d'ailleurs sur le fait que certains téléspectateurs devaient déjà le trouver profondément ennuyeux, avec sa perpétuelle figure d'enterrement et ses airs de chien battu. Pour autant, il venait de sourire. Oui, Raphaël venait véritablement de sourire. Pas d'une manière exceptionnelle, pas comme si on venait de lui retirer tout le poids de ses malheurs, mais tout de même, c'était un sourire, et c'était assurément mieux que rien. Il faut dire qu'Elliot parvenait à l'apaiser. Il la connaissait à peine, mais il lui semblait évident que cette jeune femme ne lui voulait aucun mal, du moins, pas dans l'immédiat. Et c'était véritablement tranquillisant pour lui de ne pas avoir à se méfier pour une fois, de ne pas avoir à anticiper la moindre moquerie, le moindre coup bas. Il avait tellement l'habitude qu'on se montre cruel à son égard, alors c'était assez particulier mais surtout assez plaisant d'avoir à faire à quelqu'un de plutôt compréhensif. Surtout que le fait de savoir que son visage pouvait avoir un coté fascinant n'était pas déplaisant non plus. Certes, cela l'avait fait nettement rougir, mais il n'avait pas manqué d'apprécier la remarque pour autant. Il vit surtout un sourire éclatant orner les lèvres de sa camarade. Elle était donc du genre à sourire beaucoup, ce qui n'était pas son cas. Et maintenant qu'il y pensait, c'était peut être justement le petit sourire qu'il venait de lui adresser qui la contentait autant. Il pouvait la comprendre, vu qu'il devait avoir l'air d'un mort depuis le début de cette conversation. Finalement, il se risqua à expliquer à Elliot la raison de sa venue ici. Et les choses étaient plutôt claires : il aspirait à guérir. Oui, à guérir. A guérir de ce qu'il était, de ce dont il souffrait. Il était fort probable qu'elle le trouve un peu étrange de dire les choses d'une telle manière, mais il préférait être honnête. Ce n'était ni pour l'argent, ni pour la notoriété, ni pour trouver l'amour qu'il s'était rendu ici. Simplement pour tâcher de guérir. Elliot ne réagit pas dans l'immédiat et répondit simplement à la question qu'il venait de lui retourner. Sa sœur l'avait donc inscrite à l'émission. Elle disait alors être une aventurière dans l'âme, ce qui le fit sourire à nouveau. Deux sourires en l'espace de cinq minutes, c'était un jour exceptionnel. « C'est bien d'oser de nouvelles expériences » articula-t-il alors, pouvant alors constater que sa camarade avait perdu de sa bonne humeur. Que pouvait-il bien la tracasser ? Visiblement, ce qu'il venait de dire. Elle l'interrogeait à ce sujet et il se trouvait de nouveau mal à l'aise. Mais il tâcherait de répondre, parce qu'il lui devait une explication. « J'ai beaucoup de problèmes. Des problèmes qui me suivent depuis de nombreuses années. Des problèmes avec lesquels je suis forcé de vivre mais qui m'empêchent de m'épanouir, de profiter de ce qui m'est offert. Des problèmes qu'on m'a conseillé de traiter par thérapie, mais qui demeurent en moi. Des problèmes qui ne disparaitront probablement jamais, mais j'ai tendance à croire que ça ne pourra jamais être pire que maintenant, alors autant tenter le tout pour le tout. » Il n'était pas certain que cette aventure lui soit véritablement bénéfique. Mais il aimait parfois croire que ses efforts pourraient un jour porter leurs fruits. C'était toujours mieux que les jours où il se laisserait volontiers mourir de désespoir, hm.

Raphaël se sentait en confiance. Oui, pour l'une des premières fois de sa vie, il ne ressentait pas nécessairement le besoin de se méfier de l'un de ses semblables. Il se doutait intérieurement que la mine lumineuse de sa camarade y était pour beaucoup, puisque l'expression qu'il pouvait y lire depuis maintenant quelques instants avait véritablement le don de l'apaiser. Elle ne semblait pas mauvaise, méchante, démoniaque. Les gens autour de lui l'étaient bien souvent, pourtant. Mais Elliot, elle, lui paraissait étrangement différente. Avait-elle était épargnée par cette sordide contamination que le reste du monde avait subi et qui poussait la population mondiale dans son entièreté à s'en prendre à Raphaël ? Telles étaient les pensées paranoïaques qui trituraient inlassablement son esprit. Il était maintenant certain que le jeune homme avait un problème, hm. Quoi qu'il en soit, Raphaël ne manqua pas de se rendre compte que sa camarade avait quelques peu perdu de sa bonne humeur. Peut être était-ce par sa faute. Il avait après tout bien conscience qu'il avait généralement tendance à miner le moral des malheureux qui croisaient son chemin. Et de toute évidence, c'était suite à ses propos que sa camarade avait eu l'air quelques peu gênée. Pas comme tout à l'heure, quand elle avait rougi, mais plutôt comme si elle était subitement dépitée. Cela ne transparaissait pas aussi clairement que lorsque Raphaël, de son coté, était envahi par un flot d'émotions déprimantes, mais il est vrai qu'il avait difficilement pu passer à coté de ce petit changement d'expression. Sa camarade fit alors preuve d'une curiosité assez légitime - et moins dérangeante qu'il l'aurait cru - et lui demanda quelques détails au sujet de ce qu'il disait vouloir soigner chez lui. Soyons clairs, il ne se voyait pas mimer clairement le mal qui le rongeait, parce qu'il n'était même pas certain d'en connaitre l’appellation exacte, malgré les nombreuses analyses dont il avait pu être le sujet. Il se contenta de parler vastement de ses problèmes, de ce qui lui gâchait quelques peu la vie, de ce qui l'empêchait d'en profiter véritablement. Mais sa camarade n'en resta pas là. Hélas, elle chercha à en savoir plus. C'était humain, mais ça le dérangeait quelques peu. Ses problèmes, il ne se voyait pas les énumérer un par un. Il en avait tellement, bon sang. Raphaël baissa alors quelques peu la tête, avant d'entendre ses prochaines paroles. Elle disait ne pas le forcer à se confier, ce qu'il appréciait. Il répondit alors à son sourire - oui, jamais deux sans trois - mais poussa bien vite un léger soupire. « Ils sont si nombreux, si divers. Je suis certain de ne pas en connaitre la moitié, en réalité. Mais ils sont bien là, je les sens au quotidien. Je ne sais pas tellement quoi t'en dire, parce que ça me gêne d'en parler. Mais je crois pouvoir affirmer qu'ils font de moi ce que je suis, au fond. Peut être que si je n'avais pas autant de problèmes, je ne serais pas Raphaël. Ce serait une bonne chose. Mais dans ce cas, je ne serais définitivement plus rien. » Lui qui, déjà, n'était pas grand chose ... « Je préférerais sincèrement qu'on parle de toi » reprit-il, dans une moue embarrassée. Parce que cela le gênerait bien moins, mais également parce qu'il était curieux, lui aussi. Et oui.