« C’est terminé. » Répliqua-t-elle d’un ton assuré. Daphne avait quitté le sas en larmes puis s’était directement rendue dans sa chambre pour commencer à réunir ses affaires. Elle n’aurait pas dû écouter Lulu qui, dans un élan d’optimisme, l’avait obligée à déballer l’ensemble de ses valises. Rebelote. Incapable d’obtenir le moindre regret de la bouche des deux animateurs, la jolie blonde s’était mise en tête de quitter l’aventure. Malgré les encouragements de son partenaire, elle touchait le fond. Elle avait pourtant tenté de donner l’illusion de s’être relevée en jouant la garce agressive, sachant pertinemment qu’elle n’avait rien d’une actrice.

La semaine dernière, la jeune femme avait partagé le banc des nominés avec son interlocuteur. Même si elle n’avait pas encore eu l’occasion de faire plus ample connaissance, elle l’avait toujours trouvé particulièrement intriguant. Elle essaya de soutenir son regard mais finit néanmoins par baisser les yeux sur sa longue robe rose pastel qu’elle jugea alors des plus pathétiques. « Parce que toi tu sais qui je suis ? Et rends-moi ça. » Elle récupéra le fer à lisser et referma la valise en question. « Si tu veux te rendre utile, aide-moi à sortir de cette robe. Je ne la supporte plus. » Reprit-elle en lui montrant la fermeture dans son dos. Elle avait choisi cette robe par ironie, elle rappelait en effet celle d’une poupée.

Daphné ne sait plus où donner du regard, moi, sa valise, son fer à lisser, sa robe pastel, la fenêtre, et ainsi de suite, à en faire tourner la tête. Depuis quand son regard ne s'est-il pas posé plus de cinq secondes sur le même objet, sur la même personne? On la croit narcissique et pourtant, elle ne se regarde plus. Son jeu d'actrice n'est pas bon, et elle le sait, ne fait rien pour l'améliorer. Daphné n'a plus rien à perdre, elle est la seule dans ce bocal à bulots qui n'ait plus rien à perdre. Je lui laisse le fer à lisser, qu'elle range dans la valise, par-dessus robes et jupes en désordre, et referme d'un coup sec. Ses paroles vont si vite que je n'ai même pas le temps d'en placer une. Elle me plait, dépassée, tourmentée. D'une main, je tire la languette qui retient sa robe fermée depuis le haut et la descend jusqu'à ses reins, lui permettant de s'extraire entièrement de l'enveloppe. Est-ce que ça suffit pour se sentir libérée? Je ne crois pas, aussi mes ongles sur la peau de sa nuque attendent, prêts à retirer la seconde enveloppe de peau contre mes doigts. « Qu'est-ce que j'enlève d'autre? » Je me glisse devant elle, lui coupant tout accès à sa valise, et retrouvant son regard en face du mien. Si je sais qui elle est? « Un peu plus que du mascara », je murmure en effaçant de l'index le noir qui coulait sous ses yeux. Je baisse les miens jusqu'à sa poitrine et les remonte sur elle. « Beaucoup plus qu'un wonderbra. »

La jolie blonde laissa glisser sa robe le long de ses mollets avant de l’enjamber gracieusement, dévoilant ses sous-vêtements en dentelle noire. Daphne n’avait plus rien à montrer. Sa carapace s’était fissurée dès son entrée dans l’aventure en découvrant son partenaire marié. Sa dignité ne cessait de s’évaporer au fil des jours qu’elle passait ici. Il ne lui restait plus que son humanité, cette partie d’elle-même dont elle avait terriblement honte. Elle restait désespérément focalisée sur l’échec que représentait son douloureux divorce. Que pouvait-il enlever d’autre ? « Mon ego, si tu le trouves. » Gaspard était parvenu à l’attendrir en un temps record. Elle se sentait rassurée de constater que certains habitants continuaient de se soucier de son bien-être, à commencer par Lulu et Ismay. « Je vais te dire qui je suis. Je m’appelle Daphne et je n’existe ici qu’à coups de scandales. J’ai voulu attirer l’attention sur moi, maintenant je récole ce que j’ai semé. » Déclara-t-elle d’une voix chancelante avant d’éloigner le garçon de quelques centimètres.

La vie en communauté – et quelle communauté ! – n'est pas bonne pour l'égo. Elle n'est ni une aubaine ni un remède pour lui. Seulement un froid mordant. Les égos de chacun qui s'entrechoquent se meurtrissent et se déchirent, comme une troupe de loups ne supportant pas de partager un même territoire, et devant le partager quand même. La superficialité de Daphné n'est que feinte, mascarade et déguisement d'animal tentant de se protéger du prédateur. Déguisement qui peut sembler grossier, surtout lorsque l'animal se fait capturer par le prédateur et dépouiller publiquement de son leurre. Je connais déjà ce dont elle me parle. Je sais ce qui s'est passé et je sais qu'elles en ont été les conséquences. Je sais aussi qu'un trait est tiré sur le passé. Je l'écoute pourtant attentivement, la regarde s'éloigner de moi et la rattrape doucement par une mèche de cheveu blond. Le genre de blond qui n'appartient qu'au soleil, à personne d'autre. « Non. C'est ce que tu étais », dis-je à voix basse en observant la lumière blanche de la lampe tenter par tous les moyens d'altérer la brillance de la mèche que j'ai dans la main, sans y arriver pour autant. « On va commencer quelque chose de nouveau. Quelque chose qui te ressemble », je murmure en regardant ces yeux verts cerclés de bruns, tant surpris qu'ils ne songent plus à fuir.

« J’ai déjà essayé quelque chose de nouveau, en étant la grande méchante de l’aventure, et regarde le résultat. C’est plus facile d’être détestée en portant des masques, que de ne pas plaire en montrant son vrai visage. » Répliqua-t-elle légèrement confuse alors qu’il jouait imperturbable avec une mèche de ses cheveux ondulés. Elle se laissa ensuite aller à quelques confidences, révélations qu’elle n’avait jamais osé avouer à Callan. Il s’avérait parfois tellement plus facile de se confier à un inconnu. Elle était de plus persuadée que Gaspard ne porterait aucun jugement. « Je suis divorcée. J’avais juré d’aimer mon ex-mari jusqu’à ce que la mort nous sépare. Comment je suis censée aimer à nouveau tout en sachant que j’ai déjà brisé la promesse la plus sacrée qui soit ? Je ne sais même pas pourquoi je t’ennuie avec mes démons du passé et… j’ai froid. » Elle tourna le dos à son interlocuteur pour enfiler son peignoir qu’elle avait laissé sur son lit. « Pourquoi es-tu si gentil avec moi ? » Demanda-t-elle en défiant le candidat du regard. Elle n'était pas sûre de mériter sa compassion.

Il est étrange, fascinant et perturbant de se rendre compte d'à quel point Daphné est plus lucide que personne ne l'imagine. Son jeu, que les idiots ont cru percer à jour, est calculé jusqu'au moindre détail. Sa souffrance a pu transparaitre, suinter au travers chaque parole jetée, chaque regard qu'elle a voulu venimeux. Et personne ne l'a saisie au vol. Personne. Se repaitre des faux-semblants des autres semblent suffire à nous désennuyer. Nous sommes de piètres animaux sociaux affamés de vide pour remplir notre vide. J'esquisse un sourire en entortillant la mèche de cheveux autour de mon index. « Il n'y a pas de plus beau visage que celui qui se laisse apercevoir au milieu du faux, au milieu du laid, pas de plus précieux trésors que ceux qu'on trouve au fond des coffres rouillés. » Je lâche sa mèche qui rebondit près de sa joue en une anglaise parfaitement dessinée, et attrape sa main dans la mienne. « Si le sacré n'était jamais profané, il n'y aurait pas de pardon. Tu ne m'ennuies pas, c'est moi qui suis venu à toi. » Je caresse doucement le dessus de sa main dans la mienne, l'observant sans ciller, sans sourire. « Je ne suis pas gentil, mais je sais regarder. »

« Si je reste, je n’arriverai pas à me relever seule. Je serai incapable de leur faire face. Revenir sur ma décision sera considérée comme une preuve de lâcheté, je ne suis pas sûre de pouvoir l’assumer. Tu pourras m’aider ? » Service qu’elle ne pouvait demander à Lulu, ni à son partenaire, elle les avait suffisamment tirés vers le bas depuis le début de l’aventure. Gaspard maniait les mots avec une élégance rare, elle n’hésiterait d’ailleurs pas à le comparer au Grand Gainsbourg lui-même. Son soutien serait sûrement des plus précieux, il avait réussi à lui apporter réconfort et sérénité. C’était la première fois que Daphne admettait ouvertement ses faiblesses. En sa compagnie, tout semblait naturel ; elle n’avait pas honte de laisser entrevoir sa sensibilité, elle ne ressentait pas le besoin de se cacher lorsque ses yeux s’embuaient de larmes. « J’aime ce que tu vois en moi. Je préfère mon reflet à travers toi plutôt que dans un miroir. » Il tenait sa main, sensation qu’elle appréciait grandement. Elle lui donnerait le bon dieu sans confession.

Plus notre échange se poursuit, et plus le déguisement de la diva capricieuse tombe en fumée à nos pieds, plus la femme, fragile, nue, plus belle qu'une Ève originelle, se dévoile et tremble. C'était une fausse chaleur, Daphné. Fausse chaleur que les vêtements posés sur ton corps pour cacher ton intimité, un leurre auquel tu as failli croire, mais les autres t'en ont empêchée. Brutalement. Cruellement. « C'est partir qui serait une preuve de lâcheté. Tu n'as rien à perdre, tout à gagner », je dis en la regardant. Moi je ne suis pas de ceux qu'on peut détruire. Pas de ceux qu'on peut faire plonger. Elle pourrait s'accrocher à moi et me tirer vers le fond que nous ne coulerions jamais. Je suis incassable. Je ne sais pas qui elle est, mais je sais qui elle peut être. J'entrevois les possibles. Je souris à sa remarque. « C'est parce que tu ne sais pas regarder. » Parce que le miroir ne reflète que ses yeux. Parce que ses yeux ne savent pas se voir. Je la prends dans mes bras avec douceur et la serre contre moi. « Je vais t'apprendre. »