Ismay avait complètement oublié que les colonnades des thermes étaient complètement effondrées et ce n'est que lorsqu'elle fut confrontée à l'évidence qu'elle déchanta, une expression déçue si flagrante sur son visage que n'importe qui passant par là se serait sans doute posé des questions. Elle était là, toute seule, et à la voir ainsi, on aurait pu penser qu'elle venait de perdre son chien. Non, en vrai, si l'anglaise avait trottiné jusque dans la périphérie du village, c'était parce qu'elle s'était mise en tête de vérifier si, oui ou non, se cacher derrière une colonne était possible. Parce que bon sang, c'était l'une des cachettes favorites des personnages de dessins animés ainsi que dans les films, tout de même, et découvrir que c'était également un manque total de réalisme l'aurait profondément déçue. Vu le budget qu'ils mettaient à faire leurs foutus films, ils pourraient au moins prendre cinq minutes pour vérifier s'ils ne faisaient pas n'importe quoi. Bref, elle était là, à l'entrée des thermes, observant d'un oeil navré les colonnades jonchant le sol quand un bruit de barbottements lui parvint et lui fit redresser la tête avec curiosité. Quelqu'un était là ? à cette heure-ci ? Cela dit, elle-même était bien là, alors ça n'avait pas grand chose d’exceptionnel. Filant jusqu'au bassin principal, elle aperçut une silhouette brune qu'elle identifia rapidement. « Tu es fooolle » s'exclama-telle, horrifiée, dévisageant Elliot avec cet air qu'on prend quand on regarde un fou qui n'est pas vraiment un fou mais qui fait quelque chose de fou. On était en plein mois d'octobre, en pleine nuit d'octobre, même. D'accord, on était en Provence, mais quand même ! La température ambiante devait à peine avoisiner les quinze degrés, alors imaginez DANS L'EAU. Et c'était là qu'elle était, Elliot. Dans l'eau. Trépignant sur place, Ismay sautillait presque autour du bassin, prête à plonger pour récupérer le corps tremblotant et congelé de l'américaine si nécessaire. S'arrêtant finalement sur la largeur du bassin, elle s'accroupi, les bras enrouler autour des jambes. « L'eau doit être gelée ! » s'évertua-t-elle à lui dire. Avec un peu de chance, Elliot reviendrait à la raison et sortirait de là. Ou pas. C'est beau de rêver.

Au crépuscule, je me découvre de toutes mes artifices. L'obscurité ne m'effraie pas, elle me tranquillise. Elle me berce lors de mes promenades nocturnes. Mes yeux s'accoutumant à la pénombre, je me faufile en douce hors de la chambre à pas feutrés. Je traverse la place en catimini, à la dérobée tandis que je fume une cigarette en chemin. Je marche, marche et marche pour arriver en périphérie. Je prends à ma droite qui débouches sur les thermes. Un lieu que j'affectionne en particulier, chargé d'histoire. Les décombres, les colonnades nous ramènent à un passé antique. Ces lieux me ramènent à cet Age d'or. Je me dévêts de mon peignoir, mon regard se perdant dans les profondeurs. En quelques secondes, je suis en deux pièces, l'instant d'après dans l'eau, nageant vigoureusement et adroitement, m'exclamant, flottant à la surface. Sur le dos, j'entraperçois des étoiles éblouissants. Mes paupières se ferment. Mes mains frôlent l'étendue turquoise, en écoutant les bruissements de l'eau contre mon corps. J'émerge de ma léthargie quand une voix déchire la nuit. - Tu es fooolle. J'ouvre les yeux en sursautant légèrement et me manque de me noyer. Je regarde autour de moi d'un air paniqué. J'aperçois le visage inquiet de l'anglaise. Soulagée, je soupire. Ce n'est qu'Ismay. J'arque un sourcil. Ses traits manifestent une forme d'inquiétude à mon égard. Elle s'agite et sautille tout autour du bassin comme pour m'alerter d'un danger. Je la rassure en lui souriant. Il n'y a rien à craindre ici. Je nage vers le bord du bassin où elle se tient à présent, en position accroupie, les jambes maintenues contre elle. - L'eau doit être gelée ! J'ai grandi près de la mer, de l'océan. Je suis dans mon élément. La température est plutôt fraîche. Le bassin est réchauffé. D'où la vapeur qui nous entoure. - N'est-ce pas une nuit splendide pour un bon bain ?, je m'exclame avec un un enthousiasme débordant. Le froid ne me gène pas. J'en ai l'habitude. Surtout dans l'eau. - Allez, viens me rejoindre ! L'eau est vraiment bonne. Tu ne crains rien. Promis ! Mes bras se posent sur le bord du bassin. Le regard en biais, j'arbore un sourire malicieux. J'agrippe son bras et l'entraine avec moi dans l'eau. En effet, je suis peut-être folle. Elle va me tuer dans ... 3 ... 2 ... 1.

« Je te crois sur parole » assura-t-elle avec un sourire, laissant bien à Elliot le loisir de confirmer cette théorie par elle-même. Non pas qu'elle répugnait des bains de minuit, ou même des bains de minuit dans l'eau froide. Le pire, c'était qu'elle s'était déjà jetée dans la Mer du Nord en même temps que cinq de ses meilleurs amis, à moitié nue, vers trois heures du matin. Dieu sait qu'ils en étaient ressortis bien grippés pour la plupart. Mais bon, il lui fallait tout de même être dans un certain état d'esprit et être en une putain de forme de la mort qui tue pour ce genre de trucs. À peine eut-elle le temps de répondre que déjà, Elliot l'incitait à plonger à son tour. Enfin, l'incitait. C'était vite dit. Elle n'eut la possibilité de réagir, non, car elle sentit son bras glisser, son corps être précipité vers le bassin, et enfin, sentir la morsure de l'eau sur sa peau. « Queblrlblrlbltrfrrl... » mais son cri fut étouffé par l'eau qui s'infiltra dans sa bouche et dans son nez, la noyant à moitié. C'est dingue, parce que quand elle était gamine, elle avait eu le réflexe prodigieux de savoir s'empêcher de respirer un quart de seconde après avoir pris conscience que c'était nécessaire. Ainsi, elle pouvait plonger, sauter, tomber dans l'eau, rester de longues dizaines de seconde en apnée sans que cela ne lui pose de problème, et sans sentir le liquide s'infiltrer dans ses narines ou sa gorge. Malheureusement, ce réflexe s'était perdu, et elle avait à présent plutôt la mauvaise tendance à prendre une grande inspiration qui se voulait précédant l'impact mais qui, finalement, se faisait toujours au moment le moins opportun. C'était ce qui se passait là. En voulant retenir sa respiration, elle avait avalé une grande goulée d'eau et par la bouche, et par le nez, si bien que dès que sa tête perça la surface de l'eau, elle se mit à tousser, tousser dans parvenir à s'arrêter, recrachant eau et le nez brûlant. « Elliot, je te ! je te ! » elle fut incapable de terminer sa phrase tellement le choc la faisait balbutier et ce n'est qu'après une longue minute à essayer de s'en remettre qu'elle parvint à se redresser complètement pour vriller Elliot d'un regard scandalisé. « Je te tuerai quand j'aurai repris mon souffle mais n'en profite pas pour filer » et avec un sourire malicieux, elle pressa sa paume sur la surface de l'eau pour l'asperger d'un tsunami miniature.

Je nage dans ce bassin depuis une vingtaine de minutes. Je ne ressens pas les effets du froid sur ma peau. J'ai une résistance au froid plutôt impressionnante, je l'accorde. Quand on a fait cinq ans de natation, on comprends très bien pourquoi. La piscine de mon lycée n'était pas chauffée donc l'eau était parfois glaciale. La température idéale pour les échauffements et les entraînements qui allaient avec. On avait de la chance. Cela se passait à l'extérieur donc le soleil nous accompagnés lors de nos exercices hebdomadaires. - Je te crois sur parole. Elle n'a pas l'air très convaincu ... Elle en veut la preuve peut-être. Une idée de génie vient de me traverser l'esprit. Mais cette idée ne va pas plaire à la candidate. Pas du tout même. Je m'avance vers elle l'air de rien alors que dans ma tête, retentit un rire machiavélique. Je m'approche doucement du bord et la prends par surprise en l'entraînant dans l'eau à ma suite. L'ahurissement est tel qu'elle a failli se noyer sous mes yeux. - Queblrlblrlbltrfrrl... Son cri est alors étouffé par l'eau qui est entrée dans tous les orifices. Le nez et la bouche entre autres. Elle est en train de boire la tasse. Je reste tout de même prêt d'elle au cas où elle se noierait pour de vrai. Elle a de la chance. J'ai mon brevet de secours. Prête à faire du bouche-à-bouche s'il le faut, mais je ne pense pas que cela soit nécessaire car elle remonte (enfin) à la surface. Elle est prise de quinte de toux. Hébétée, elle tousse tellement que sa phrase est incomplète. Elle balbutie : - Elliot, je te ! je te ! C'est le moment où je suis censée prendre mes jambes à mon cou. Mais je reste là à la regarder reprendre ses esprits d'un air amusé. Je pouffe de rire quand elle me menace : - Je te tuerai quand j'aurai repris mon souffle mais n'en profite pas pour filer. J'allais déchanter très vite quand le courroux de l'anglaise s'abattra sur ma petite personne. Elle m'asperge d'eau pour me punir. J'ai les yeux qui piquent. Je lui balance de l'eau à mon tour. On dirait des gamines vraiment. - Alors, l'eau est bonne n'est-ce pas ? Finalement, ma méthode a marché. Dans le processus, j'ai failli la noyer. Mais elle est vivante, c'est ça qui compte n'est-ce pas ?

En fait, Elliot en avait assez qu'Ismay lui chaparde des fringues discretos - ou non - et alors, elle avait décidé de s'en débarrasser pour pouvoir enfin avoir le loisir de porte ce qu'elle voulait quand elle le voulait, sans avoir à faire semblant que non, ça ne la dérangeait pas qu'elle lui emprunte tel ou tel haut. Oui, c'était ça. Obligé. La bougre. Elle ne s'attendait pas à ce que l'anglaise comprenne aussi rapidement son plan diabolique, ah ! et pourtant ! mais elle ne se laisserait pas faire, non non non. Aussi, la menaça-t-elle vaguement, sans réelle intention de mettre un jour sur pied sa vengeance, et sans crédibilité aucune. Passant la main dans ses cheveux, et sur son visage, elle essuya tant bien que mal l'eau qu'Elliot lui renvoya au visage. Rigolant, elle replongea la main dans l'eau, décrocha le velcro de son micro, autour de sa taille, ainsi que l'émetteur près de son cou, et le sortit de l'eau. Zut. La prod n'allait lui faire repayer, pas vrai ? C'était pas sa faute, hein ? Le secouant un instant, elle pataugea dans l'eau et alla le déposer sur le rebord du bassin « J'ai frôlé la mort de si près que mon corps s'est refroidi et du coup, l'eau parait chaude » répondit-elle à Elliot avant de rigoler. Une chose était sûre, elle avait eu l'occasion de s'habituer complètement à la température de l'eau, maintenant. D'ailleurs, c'était presque agréable. Seul un détail gênait encore. Faisant passer le vêtement par-dessus sa tête, elle se délesta de son haut, puis de ses chaussures et de son jean. Un peu mal à l'aise d'abord, inspirant profondément ensuite, se détendant enfin. « D'accord, j'admets... l'eau est bonne » sourit-elle sans pour autant manquer de lui adresser une langue râleuse. Non non, elle ne lui pardonnerait jamais son affront et songeait d'ores et déjà à sa petite revanche. Haha ! Mais pour l'heure, autant profiter de la chaleur de l'eau, tant qu'elle était dedans. Se laissant aller sur le dos, elle mit quelques secondes à se stabiliser à la surface de l'eau, bras écartés, paupières closes, et les cheveux flottant tout autour de son visage. « Je crois que je vais déménager quelque part dans le coin, l'hiver méditerranéen est plus chaud et plus sec que l'été anglais » annonça-t-elle. Oui. Bonne résolution. La Provence, l'Espagne, n'importe où où le climat était plus ou moins semblable à ici. Parce que le climat britannique, elle se rendait compte à présent qu'elle en avait plus que sa claque. Pluie, pluie, et grisaille.