Otello

MARDI 16 OCTOBRE ; 16H38
QUARTIER AUBANEL - RUISSEAU

Un rayon de soleil, cette semaine, c’est un peu comme une culotte entre les draps d’Alix : impossible à trouver et/ou suffisamment inattendu pour être souligné. Alors, quand j’en vois un se profiler à l’horizon tandis que je me trouve derrière les épais carreaux de la bibliothèque, ceux-là même que le temps a fait gondoler et qui transforment en oeuvre de Dali tout paysage se trouvant derrière, j’ai la fâcheuse tendance de m’échapper, tout le temps, de tout temps, de partout, et surtout ici. Mon livre et mon carnet de notes sous le bras, je m’évade. Les ruelles sont désertes, malgré le rayon de soleil, il fait froid, trop froid, même pour moi, surtout pour moi. Mais je préfère encore ça que quatre murs qui m'oppresseront toujours suffisamment demain. Mon blouson jeté sur les épaules, je cherche un coin où je pourrais me poser au soleil, le temps que ce rayon durera. La rue n’étant pas, par définition, super accueillante, je finis par pousser un peu plus loin. Et puis encore plus loin. Toujours plus loin. Je ne m’arrête qu’en atteignant la clairière près du ruisseau, à l’emplacement même où j’avais croisé Tris, la semaine précédente. J’y étale mon manteau, avant de m’étaler moi. J’ouvre mon livre et mon cahier, et reprend ma lecture pimentée de prise de notes. Les alentours sont tellement calmes que je l’entends arriver de loin. Je ne relève pas la tête pour lui offrir la possibilité de poursuivre sa route si le coeur lui en dit. Mais en l’entendant s’approcher, j’entreprends de marquer soigneusement ma page, avant de reposer le bouquin sur mon manteau, tandis qu’il me questionne sur mes trois voeux. Je referme mon carnet de note, en caressant la couverture un instant, tout en réfléchissant. « J'ai le droit à n’importe quoi ? » je demande en relevant la tête brusquement. « Un génie n’est pas censé dire qu’il ne peut pas jouer avec la vie, la mort et l’amour ? » dans Aladdin c’est comme ça, en tout cas. « Et si je formule le voeu d’avoir un quota de voeux infini, comment ça se passe ? » je poursuis en me redressant convenablement, fouillant mes poches à la recherche d’un paquet de cigarettes. « Et si je souhaite de gagner Fake Lover, alors quoi ? On arrête le jeu dans la seconde ? Y a pas conflit d’intérêt un peu quand même ? » Bah oui, à quoi bon rester, sachant que j’ai déjà gagné ? « Ce ne sont que des suppositions, évidemment, j’aurais pu évoquer un changement de sexe ou la paix dans le monde... Ça revient au même. » impossible quoi.

Des voeux. Des voeux. C’est bien gentils, mais s’il existe une limite à son pouvoir de farfadet, autant que je le sache avant de commencer. Parce qu’imaginez que je me lance, et que par trois fois il me dise “impossible.” puis “désolé, ton quota de trois voeux est épuisé.” Non, non, c’est un gros avantage de détenir trois souhaits à exaucer, je n’ai pas tellement envie de ruiner ça. Alors je pose mes questions, et à mesure que je le fais, Malik semble perdre de sa superbe. « Et si on partait tout simplement sur quelque chose de réalisable ? » me demande-t-il tandis que je glisse une cigarette entre mes lèvres. Qu’est-ce qu’il entend par “réalisable” ? « Voilà comment ça va se passer : considère que tout ce que tu viens d'énoncer là, tu peux d'emblée faire une croix dessus. » Tsss, génie du dimanche. C’est bien ma veine. « Qu'est ce qui te manque dans la vie de tous les jours pour être, disons, "comblé" ? » J’allume ma cigarette en songeant sérieusement à cette question. Ce qu’il me manque dans la vie de tous les jours pour être comblé ? En partant du postulat que je ne le suis pas, évidemment. Mais le suis-je ? Soucieux, je lisse, inconsciemment, d’un doigt le pli qui se forme entre mes sourcils. Qu’est-ce que je pourrais bien demander ? J’imagine que la disparition des caméras ne correspond pas à la définition d’un souhait réalisable à ses yeux. Et le fait d’éviter une nomination à Ismay à cause des actions dont j’ai écopé ? J’imagine que non. « Ils sont valables combien de temps, tes voeux ? » je lui demande finalement, à défaut de parvenir à en trouver un correct. « Est-ce que je dois t’en fournir trois dans la seconde, ou bien on peut échelonner le paiement sur toute la durée du jeu, tant que nous y sommes tous les deux ? » J’aimerais autant ne pas avoir à me presser, et donc le sentiment de bâcler. « Et si toi, tu pouvais formuler trois voeux, quels seraient-ils ? » J’y pense, brusquement, il est le génie et moi le client, mais si les rôles avaient été inversé ?

« Je ne suis pas pressé, personnellement. Je considère donc que tu disposes d'un délai indéterminé. Mais si l'on se base sur notre aventure et sur le temps qu'il nous reste au sein de ce jeu, tu ferais bien de te dépêcher, je ne ferai pas long feu ici. » La bonne nouvelle c’est que j’ai carte blanche quant au temps impartis, et que je ne me retrouve pas dans l’obligation de formuler trois souhaits, comme ça, à la va-vite, sans prendre le temps d’y réfléchir. La mauvaise nouvelle est qu’il semblerait que je sois tombé sur le seul génie du monde totalement à côté de la plaque. Il est le grand vainqueur des dernières nominations, et il ose prétendre ne pas faire de vieux os ici. J’hésite à lui demander s’il taxé la botanique d’Asmaa, mais me rappelle à temps qu’il s’agit d’un secret qui ne peut, ni ne doit, être révélé, et surtout pas par moi. « Ecoute, on en parlera jeudi, quand tu verras mon prénom et pas le tien. » Parce que oui, je ne me faisais pas d’illusion. Avec les deux voix en plus offert par ma charmante Gina, sans oublier mon interdiction de nomination par le timide Rapha, j’imagine sans mal avoir placé ma partenaire dans une situation délicate. D’ailleurs, si j’avais un voeu a formuler, ce serait celui-là. Non pas d’éviter la nomination, puisqu’on doit tous y passer, mais m’assurer que tout ira bien pour Ismay si je venais à partir avant elle. Mais avant ça, j’aimerais en apprendre plus sur mon farfadet, et savoir ce que lui pourrait bien souhaiter à ma place. « Je ne donnerais pas le bon exemple, puisque tout serait bien utopique... Je demanderais probablement d'éradiquer tout conflit possible sur cette planète, de trouver un remède aux maladies dites 'incurables',... et de ramener mon père à la vie. » Son dernier voeu me touche de plein fouet, et cette émotion qui m’accroche, je tente de ne pas trop la laisser filtrer. Je l’observe, néanmoins, avec attention, avec intensité. Et je garde le silence un moment. Quand je reprends la parole, je m’emploie a endiguer ces émotions diffuses, et tente un sourire. « On avait dit réalisables, les voeux. Tu ne m’aides pas beaucoup. » j’affirme, accusateur, sans parvenir, toutefois, à me débarrasser totalement des reliquats de ses précédents voeux.

Son visage se décompose sitôt que je parle des prochaines nominations, et bientôt, il s’empresse de s’excuser comme s’il était en faute, alors que rien ne découle de sa responsabilité. Du moins, pas que je sache. Ce n’est qu’un mauvais concours de circonstances, rien d’autre. « Oh pardon, je... tu dois me prendre pour un parfait égoïste. » Je secoue la tête pour le détromper. « Non, pour un parfait pessimiste. » Je le reprends dans un faible sourire. Je n’imagine pas une seconde qu’il soit nominé à nouveau, pas cette fois, pas cette semaine. Ils ont noté sa popularité, ils ne prendront pas ce risque une deuxième fois, pas de si tôt. « C'était pas ta soirée hein, dimanche... » J’hausse les épaules en signe d’impuissance. « J’imagine que tout le monde a eu son compte de plus et de moins. » Sauf que pour ma part, je n’ai rien eu de positif. Le plus positif ayant été ‘n’obtient rien’ que je me suis infligé moi-même. « La seule différence c’est que mes moins je me dois de les faire subir à ma partenaire aussi. » Et c’est pas juste. Alors je préfère changer de sujet, ne pas rester sur cette note négative, et enchainer sur du plus léger. Sauf que, visiblement, ça ne semble pas à l’ordre du jour. Je veux qu’il me parle de ses vœux, et il me parle de son père, de la mort de son père, me rappelant trop douloureusement ma propre perte. «... la, la mort est une chose avec laquelle certaines personnes ne devraient pas plaisanter. » Que suis-je censé répondre à ça ? Surtout moi. Je ne suis pas le plus à même d’évoquer la mort. « Je vois mal comment ce pourrait être un sujet de plaisanterie. » je rétorque néanmoins, incapable de trouver plus réconfortant à dire. « Parfois la mort est nécessaire, mais elle n’en demeure pas moins tragique et cruelle. » C’est ainsi que je perçois les choses, c’est ainsi que je les ai toujours perçues. Il a bien fallu que je me fasse une raison, que je soulage les consciences. Les voies du Seigneur sont impénétrables, paraît-il. Mais ça, je vais le garder pour moi.