W/ CANDACE

Toute la semaine durant, j’avais fait des efforts. Des efforts pour me reprendre en main, pour essayer de trouver une certaine constance, un certain équilibre dans ma façon de vivre cette aventure hautement particulière. Parce que jusqu’à présent, mon parcours avait essentiellement pris une forme tortueuse constellée de nombreux virages en épingle à cheveux. Je ressentais trop de choses. Trop d’émotions contraires, et donc contradictoires. Et je m’y perdais. Je me perdais, progressivement – si tant est que je m’étais un jour trouvée. Toutes mes certitudes s’étaient envolées, et sans toutes mes profondes convictions et mes principes bidons, je me sentais comme nue. J’étais certaine de posséder un esprit farouchement indépendant et plein d’assurance, mais j’avais fini par être déstabilisée, parce que rien ne m’avait préparée à ce que je vivais ici. Alors, j’avais enclenché le système d’alarme. J’avais décidé d’arrêter mes conneries, et de commencer à chercher à comprendre ce qui se passait dans ma tête. L’élément déclencheur ayant sans doute été ma pseudo-baston avec Dani. Je refusais qu’on puisse me pousser à bout aussi facilement, et j’étais dégoûtée par ma propre incapacité à rester de marbre face à des sottises pareilles. Toute la semaine, donc, j’avais vécu selon un rythme plus sain, en théorie. Quasiment monastique. Je m’étais légèrement repliée sur moi-même, mais j’en avais besoin. Sauf qu’au bout d’un moment, boire du thé et manger rien d’autre que des fruits et légumes, ça commençait à me courir sur le haricot. Alors, mes bouquins favoris coincés sous le coude, et un verre de vin dans la main, je m’étais dirigée vers les caves, avec la ferme intention de m’accorder un petit moment de détente. J’avais tenu quatre jours sans boire d’alcool, alors je méritais bien un petit relâchement, non ?

Ils semblent tous être différents ici, l'aventure semble tous les changer, sans exceptions. Tous, pas un ne semble y échapper. J'entends cette remarque à longueur de journée, cette émission les rends différents, ils ne sont plus les mêmes à leur sorties. L'exemple flagrant à mes yeux est sans conteste Raphaël, mais pour lui c'est nécessaire, c'est pour son bien être personnel. Peut être que pour eux aussi, j'en sais rien. Je sais que moi je ne change pas, je suis toujours la même. Peut être que je me dissimule moins derrière des masques ici, peut être que je suis un peu plus authentique, peut être est-ce dû à la vie en communauté. Je n'en sais rien, je n'ai pas besoin ni envie d'évoluer. Je suis telle que je suis et ça me convient tout à fait. Je ne changerais pas sous prétexte qu'une partie de moi sera découverte à un moment donné, je resterais la même. Et a ma sortie je serais aussi cette personne. Mais qui suis-je réellement ? Pas celle que je laisse entrevoir en tout cas. Je suis... Je suis différente. Et dans ma différence, j'erre dans la cave, je n'ai jamais mis les pieds à la cave, trop glauque, trop sale. Je n'aime pas la saleté pourtant j'aime le vin, alors c'est vers cette endroit des caves que je me dirige, les bouteilles de vin. Il parait qu'elles recèle de trésors, parole de Callan, et à ce sujet, il sait vraiment de quoi il parle. Il a de sacrés antécédents. Comme à l'accoutumée, je suis chaussée de talons hauts, je ne mets rien d'autre que des talons hauts de toute façon. Le sol est accidenté, il est marqué par le temps, du sable, ou de la terre je ne sais pas trop, pourtant, je suis parfaitement à l'aise. Dans un coin sombre, près des bouteilles, il y a une silhouette qui ne m'est pas inconnue, elle appartient à Dagga, la jeune femme passionnée des chiroptera. « Tu ne m'as toujours pas dit pourquoi tu te méfiais de moi. » J'annonce en guise de bonsoir. A vrai dire, j'aimerais bien savoir ce que je fais pour attiser cette méfiance exacerbée. Bien qu'en réalité, ça me plait assez ce sentiment que je lui procure. Je m'approche d'elle, mes talons claquent sur le sol.

Je suis installée tranquillement, dans un coin un peu humide d’une des caves, entourée de ce que je préfère en ce monde : des bouteilles de vin et mes livres favoris. J’ai débouché plusieurs bouteilles, correspondant à plusieurs crus, goûtant à un peu de tout. Je compte bien les laisser là en partant, en vrac. En temps normal, je n’étais pas si négligente mais mon potentiel futur départ avait cet effet sur moi, et je comptais bien profiter du temps qu’il me restait sans perdre une seule seconde à ranger des trucs derrière mon passage. Plongée dans la lecture des Lettres à Lucilius de Sénèque en version bilingue, je ne remarque pas immédiatement la présence de Candace, et ce n’est que quand elle m’interpelle que je daigne lever les yeux vers elle. C’était donc ça, les bruits que j’avais entendus d’une oreille distraite : le son de ses talons qui résonnaient contre le sol usé. « C’est vrai. Parce qu’il s’agit d’une impression, et, ici, chaque fois que j’essaye d’exprimer mes impressions, de les développer… Et bien, comment dire. Ça me revient méchamment dans la gueule. » j’admets avec un petit sourire en biais. J’adorais exprimer mes impressions, pourtant. J’étais d’un naturel très franc, très honnête, très direct. J’adorais avoir l’occasion de développer mes pensées, de les partager – même si à l’occasion je pouvais m’avérer un peu joueuse et jeter le doute sur mes intentions. Mais dès que je me confiais, ici, je m’en prenais plein la poire. Quand je dis impression, ils entendent jugement. Je ne porte pas de jugement, pas si rapidement, mais ils font tous l’amalgame, et ça me frustre, toutes ces tentatives de communications stériles qui ne mènent à rien si ce n’est l’incompréhension la plus totale. Mais je peux accorder le bénéfice du doute à Candace ; rien ne m’indique qu’elle réagira comme eux, et j’ai bon espoir qu’elle ne saute pas directement aux conclusions hâtives comme d’autres ont pu le faire. « Il y a des gens qui me donnent l’impression de parler plus qu’ils ne pensent. Toi, tu me donnes l’impression de penser bien plus que tu ne parles. Je ne sais pas à quoi cela tient. J’ai l’impression qu’il se passe plein de choses dans ta tête, et qu’une infime quantité de ces pensées sont traduites en mots. » Je baisse le regard, un peu honteuse. Si ça se trouve, je faisais complètement fausse route. Mais ce n’était qu’une vague sensation, ce n’est pas comme si j’avais véritablement étudié et analysé son comportement. Je ne me basais sur rien de concret, et la logique n’avait rien à voir là-dedans, aussi je ne devrais pas avoir à me sentir idiote s’il s’avérait que je me trompais. « Mais ce n’est qu’une impression. » j’ajoute pour conclure, répétant ce mot pour la quatrième fois.

Nous venons de connaître le résultat des nominations, quand certains se sont mis à pleurer d'autres ont simplement quitté les lieux, le visage blême. Moi aussi je suis partie, mais pas pour pleurer ou maudire les choix de Dagga. Puisqu'il faut bien se rendre à l'évidence, peu importe les choix établis personne n'y aurait trouvé son compte. Je ne suis pas bien certaine que la jeune femme ait trouvé le sien après tout, puisqu'elle aurait très bien pu sacrifier sa partenaire, mais au lieu de cela, elle a choisi de se nominer. Alors c'est bien beau de lui en vouloir mais qui aurait choisi de se mettre en danger pour protéger son partenaire ? Sûrement pas moi. Quoi que, peut être que j'aurais trouvé mon compte en nominant certains candidats après tout. Quoi qu'il en soit je ne m'attendais pas à trouver la jeune femme ici alors que j'étais venue chercher du vin pour finir la soirée. Et pourtant, elle est bien là, installé dans un coin sombre, lisant un livre dont je n'arrive pas à distinguer le titre à cause de la pénombre. Je l'interpelle d'une façon bien particulière. Parce que mine de rien, j'ai cette interrogation sur le bout des lèvres depuis notre dernière entrevue, et je ne suis pas du genre à garder ce genre de choses pour moi. Elle émet quelques réserves. Je fronce les sourcils. « Je me sens insultée que tu puisses penser que je pourrais être capable de ça. » C'est beaucoup trop facile à mes yeux. Les arguments, je suis capable d'en trouver, je suis une bonne oratrice, je suis capable de viser là où ça fait mal mais pas de cette façon. Je l'écoute avec attention, j'ai beaucoup de respect pour Dagga parce qu'en dehors du fait d'avoir beaucoup de goût en matière de littérature elle est très observatrice, et contrairement à ce que peuvent dire les autres, elle ne semble pas porter de jugements hâtifs. Elle semble presque regretter son aveu. Rajoutant une nouvelle fois que ce n'est qu'une impression. Je m'approche et remarque les bouteilles de vin ouvertes et éparpillées sur le sol. « Tu permets ? » Je demande, mais n'attends pas vraiment son accord puisque déjà j'attrape un verre propre et m'en sers un fond. J'hume le contenu, très fruité. Je les porte à mes lèvres et goûte. Excellent. Et puis finalement je me place face à elle, m'appuyant sur un tonneau placé là. « Ce n'est pas vraiment une impression et tu n'as pas totalement tord. Je ne dis pas tout, mais crois moi, ça n'a pas grand intérêt pour vous ce que je garde pour moi. » J'hausse les épaules, finalement, elle aura eu raison de me faire part de son impression puisqu'elle s'avère être parfaitement fondée. Je bois une nouvelle gorgée de vin. « Pourquoi tu as nominée William ? » Je demande finalement tout en essayant de chercher la réponse dans son regard. « Je pensais que vous étiez proches. » Là pour le coup, je dis exactement ce que j'ai dans la tête et il semblerait que la nomination de William m'importe plus que je ne l'aurais pensé.

Spoiler:

Mardi soir et mercredi, je m'étais cachée, me réfugiant dans mon coin autant que possible, ne souhaitant voir personne. Savoir qui allait être nominé sans pouvoir les prévenir, ça me tuait. Regarder les candidats dans les yeux, faire comme si de rien n'était, c'était hors de ma portée. J'aurais voulu me terrer dans mon trou, et ne plus jamais en sortir. À défaut de me trouver un trou imprenable, j'optais pour les lieux les moins fréquentés, comme les caves, ou les maisons abandonnées. Mais clairement, même dans une cave, j'étais susceptible d'être débusquée. Je relève les yeux vers Candace quand elle se dit insultée par les propos. Un sourire mitigé se dessine sur mes lèvres ; je ne suis pas étonnée. “ Ne le prends pas personnellement. J'essaye de penser que n'importe qui serait capable de réagir de cette façon, parce que j'ai essayé de croire dans les autres et ça n'a pas fonctionné. J'en reviens à mes anciennes méthodes. Il n'y a rien de telle qu'une bonne dose de paranoïa et de méfiance. Je sais que tu n'es pas idiote, mais je ne peux plus me permettre le luxe de me fier naïvement aux gens. ” j'explique, espérant sincèrement qu'elle ne le prendra pas mal. Je ne souhaitais pas être insultante, mais je surveille mes arrières, à présent, et je ne compte pas arrêter sous peu. Elle se joint ensuite à moi, et malgré mon désir de solitude je l'accueille avec plaisir, hochant faiblement la tête quand elle me demande l'autorisation - plus pour la forme qu'autre chose - de gouter un des vins que j'ai sortis. Candace confirme mes soupçons, je hoche distraitement la tête, et, même si je l'écoute attentivement, je ne peux m'empêcher d'avoir le regard un peu perdu dans le vague, et de manquer de répartie. J'ai la tête ailleurs, c'est compréhensible, en un sens, j'imagine. Elle me pose une question. Directe. Un peu hébétée, je la dévisage. Je lui suis sincèrement reconnaissante, pour une raison un peu étrange, une raison qui m'échappe un peu, peut-être. “ Nous sommes proches. Je crois. Je l'apprécie beaucoup en tout cas. ” je lâche, et ma voix se brise, parce que je réalise que ce n'est peut-être plus vraiment réciproque - si ça l'avait jamais été. Ma mâchoire se crispe un peu, mais je parviens à retrouver ma fermeté - tant mieux, je risque d'en avoir besoin jusqu'à dimanche. “ Je n'ai pas voulu nominer par affinités. Ça me semblait trop horrible. Bien sûr, j'ai écarté les quatre ou cinq personnes que j'apprécie le plus de mes options. Mais j'ai voulu considérer le reste objectivement. J'ai voulu nominer les gens qui n'étaient pas placés trop hauts dans les côtes de popularité ou dans les sondages. Stratégiquement, parce que ça me laissait plus de chances de rester, et, à ce moment là, je voulais rester, pour ma partenaire. Ce n'est plus tellement le cas. Et... c'est naïf, mais je me disais qu'il n'avait peut-être pas besoin de ce jeu autant que certains des candidats. De la même manière, j'ai nominé Joshua parce que je me disais qu'il avait peut-être envie de retrouver Sven ou Sia, et qu'il n'était peut-être pas attaché à cet endroit autant que Raphaël peut l'être, par exemple. Le plus risible, dans tout ça, c'est que j'ai tellement voulu... Penser aux intérêts de tous avant les miens. Et ils me haïssent tous à présent. J'ai tant voulu être gentille... Mais personne ne l'a remarqué. Je suis sûre qu'Arès est convaincu que je m'acharne contre lui, alors que je l'ai nominé essentiellement parce qu'il a été immunisé puis sauvé ces deux dernières semaines, et que j'estime que c'est un juste retour des choses. Désolée, tu me demandais juste pourquoi j'avais nominé William, et je te sors mon gros déballage. J'en peux juste plus, je crois. Je craque. ” je lui confie, la gorgée serrée, et je regarde ailleurs, un instant, m'efforçant de garder mon calme. À ce stade là du jeu, je voulais juste quitter cet endroit. J'ose pas avouer à Candace qu'un des trucs qui avait sans doute joué, c'est que j'apprécie beaucoup le couple qu'elle forme avec Callan, et que j'avais peur que William soit une menace. C'est idiot, ridicule et puéril, et ce n'est pas du tout mes ognons ; j'ai pas le droit d'agir en fonction de leurs affaires personnelles, pourtant je jurerais que ça m'a influencée. “ Et puis, je voulais pas avoir une attitude anti-jeu. J'ai nominé des gens que je n'imagine pas forcément aller jusqu'aux demies finakes. La vérité, c'est que j'ai sans doute trop réfléchi à tout ça, et j'ai juste fini par péter un câble et donner six noms pour être enfin débarrassée de ce truc. Je suis désolée, pour William. Je suis pas sûre que t'imagines à quel point. ” Dans le genre racontage de life, je venais d'atteindre mon record personnel, je crois. Désolée Candace. Je me sers un nouveau verre de vin - je ne sais plus à combien j'en suis - et en prends plusieurs gorgées rapidement. J'ai vraiment envie de me barrer, bon dieu.

Spoiler:

Peut être que j'ai parlé un peu trop vite, peut être même que j'ai été maladroite dans la sélection de mes termes. Ou alors peut être que j'aurais dû sourire un peu plus, parce qu'il semblerait que ma remarque ait été un peu trop prise au premier degrés. Ce n'était pas vraiment le but. Ceci dit elle n'a pas tord, alors si mon visage pouvait être tendu, je me permet un fin sourire. « Tu as raison de te méfier, parce que je pense que les gens ont tendance à se montrer exécrable lorsqu'il s'agit d'un jeu avec de l'argent à la clé. Ils sont capable de tout même du pire. Et puis après tout, c'est vrai, tu m'as dit que tu te méfiais de moi. De toute façon je ne me sentais pas vraiment insulté, j'aurais pu si j'avais été susceptible, mais ce n'est pas le cas donc j'accepte ton point de vue. Parce que je suis tolérante et que j'accepte l'avis des autres. » Je souris, elle ne peut pas le deviner, elle n'est pas obligé de me croire après tout. Ce qui me révolte c'est la bassesse des gens. Qui serais-je pour lui agir de la sorte alors que je lui ai moi même demandé des explications ? En tout cas elle me les donne, je lui réponds, elle ne réagit, et je n'attendais pas de réaction de toute façon. Elle a l'air chamboulée, j'imagine que le résultat des nominations et surtout la réaction des gens n'y est pas étrangère. Et je ne trouve rien d'autre à lui demander les raisons qui l'ont poussé à nominer William. Parce que je ne comprends pas, et j'aime avoir toutes les cartes en main. Elle confirme mes doutes, ils sont proches. Et puis, elle se lance dans une explication bien ficelée. Une vraie plaidoirie, pourtant je ne l'ai accusé d'aucun crime. Je bois une gorgée de vin tandis que j'écoute avec attention chacune de ses paroles. Visiblement ma question ne pouvait pas mieux tomber. « Tu devrais leur dire. Ou au moins aux personnes qui comptent pour toi. William notamment, j'ai bien qu'il n'avait pas apprécié. Rien ne dit qu'il te croira ou qu'il comprendra tes choix mais ça peut peut être éviter de ruiner votre relation. » Je me contente de dire, je ne suis pas un psy, mais j'ai tendance à énormément observer les autres, je connais le fonctionnement de l'être humain et les réactions sont particulièrement prévisibles. Elle semble confuse, elle semble mal à l'aise aussi, elle n'a pas à l'être, pas avec moi de toute façon. Elle s'excuse pour William mais ce n'est pas ce que je lui demandais finalement. Elle aurait nominé Callan j'aurais été en droit de lui en vouloir, mais je n'ai aucun droit sur William, pas à mon sens. « T'as pas à te sentir coupable. Tu n'as fait que ce que Cupidon t'as ordonné de faire. Peu importe les nominés, il y aurait du des gens pour te le reprocher, et à mon sens c'est purement hypocrite. C'est le jeu, tout le monde doit l'accepter. Toi la première, ne te mets pas dans un tel état. D'autant que tu as été largement punie. » Elle est nominée, elle doit affronter les autres et elle n'est pas assurée de rester face à de tels candidats, elle a payé son tribut. Elle a décidé de se sacrifier pour sa partenaire, visiblement la gentillesse n'est pas récompensé à sa juste valeur, les gens sont stupides, je l'ai toujours dit. « Les gens sont stupides, tu l'as dit tout même... » Je me souviens de notre conversation sur la place du village, peut être que ça la rassurera. Ou peut être pas finalement.

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