Je sais très bien que c’est mal, Térésa va criser devant sa télé mais c’est comme ça. Je bois. Boire pour oublier, c’est le dicton lorsqu’on se pose trop de questions dans ce métier. Boire pour leur faire plaisir aussi, pour que tout ça soit plus facile à entreprendre. Bref mes rapports avec l’alcool étaient délicats mais je pensais assez bien les gérer pour que personne ne s’en soit rendu compte jusqu’à maintenant. Les évènements s’étaient enchainés à une vitesse folle en fin de semaine et j’épuisais mes forces jours après jours. C’est bien beau de ne jamais se laisser aller à la faiblesse mais là… je n’y arrive plus. Si encore elle était là. J’ai l’impression que ça fait une éternité qu’elle est partie. Au fond je suis persuadée que ce n’est pas qu’une impression et que j’ère bel et bien depuis de nombreuses semaines sans mon tandem au sein de cette aventure. J’avale mon énième verre d’alcool, pour tout dire je ne sais même plus sur quelle bouteille je me suis penchée… la seule chose qui est sûre c’est que Callan pousse la porte du bar. Callan, le mec qui ne sait pas tenir sa chienne en laisse. Je m'enfonce au fond de cette vielle chaise en bois autant que je peu, glissant négligemment contre son dossier. « Si tu veux en profiter pour m'interroger c'est le moment de te faire plaisir.» Rien dans mes paroles n'est sincère, elles sont avant tout railleuses, cependant je n'ai même pas pris la peine de m'adresser à lui en le regardant. Non, le fond de ce verre vide est bien plus intéressant. Je suis stone, mes gestes sont au ralenti; il ne tombe vraiment pas au bon moment.

J'évite le bar un maximum, parce que même si je bois à nouveau je sais que la rechuter est facile. On ne guéri jamais vraiment de ce genre de chose. Le temps passe, le besoin disparaît mais l'élément déclencheur, celui qui fait qu'on devient dépendant, il a beau être enterré il peut refaire surface à tout jamais. Je me suis promis quelque chose lorsque j'ai recommencé à boire de l'alcool, plus jamais seul. Plus jamais pour passer le temps. L'alcool ne doit pas constituer une substitution, ou une excuse ou je replongerais. Pourtant j'entre dans le bistrot. Je me dirige vers ce bar, malgré la présence de Nicole que je remarque de suite. Elle se la joue pilier de bar ce soir. Je vois immédiatement le bouteille presque vide sur le comptoir. J'hésite à faire demi-tour parce que ça va encore finir de la même manière, pourtant, elle s'adresse à moi. Je sens tout le sarcasme dans sa voix, pourtant je m'approche tout de même. Je suis suicidaire. « Qu'est-ce que tu veux oublier grâce à l'alcool ? » C'est cliché, mais lorsqu'on boit seul, c'est rarement pour s'éclater. Non, lorsqu'on boit seul c'est parce qu'on veut noyer ce qui nous tracasse dans le fond de la bouteille. Je fais le tour, je passe derrière le comptoir et me fais couler une bonne Guinness. La dernière que j'ai bu c'était lors de la soirée organisée par Zofia, il y a une éternité de cela. Je m'appuie contre le meuble ma chope en main et pose un regard bienveillant sur elle.

Il me demande ce que je souhaite oublier, comme un génie. J’ai discuté de génie lors de mon casting pour parler de Térésa… elle me hante comme si elle n’était plus. C’est fou. C’est… alcoolisé. Je ne fais même pas l’inventaire de tout ce que j’aimerais gommer, ce n’est pas la peine. « Trop de choses. » Beaucoup trop nombreuses et proéminentes pour être oubliées d’ailleurs. Je ne le regarde toujours pas et pourtant je le sens se déplacer. Trop curieuse, je pivote assez pour pouvoir apercevoir ce qu’il fait ; à savoir qu’il se sert une choppe de je ne sais quoi. Ça ne m’intéresse pas, toujours est-il que cela signifie qu’il va rester là à me regarder. J’aurais préféré pleurer seule, espérons qu’il s’en aille incessamment sous peu. « Qu’est-ce qui t’as amené ici ? » Le ton de ma voix est parfaitement plat, je m’en rends compte seulement c’est comme si mon visage s’était fait anesthésier. Je ne peux donc rien y changer. Après tout ça résulte de mon état d’esprit alors bon. Je me tourne vers lui, complètement cette fois, posant mon coude sur le comptoir ma joue vient se coller contre l’une de mes paumes. Je l'observe de mon regard vitreux. C’est négligé ; loin des bonnes manières de maman tiens. « Tu fais quoi toi dans la vie? » Jusqu'à maintenant je m'étais abstenue parce que mon mensonge était vraiment pas crédible mais maintenant je pouvais me permettre de leur demander à tous ce qu'ils faisaient dans leur quotidien. Cool.

Elle est beaucoup trop évasive à mon goût, pour autant je n'insiste pas. Ce n'est pas la peine, je n'aurais pas de réponse de toute façon. Alors je me contente de hausser les épaules, elle ne le verra pas puisqu'elle me tourne le dos mais peu importe. Je contourne le bar afin d'aller me servir une bonne bière. La bière de mes ancêtres, j'aime ce nectar, le goût amère de sa mousse qui reste un long moment dans la bouche. Je l'ignore un moment, parce que mine de rien, je ne suis pas sûr qu'elle a envie de discuter, même si j'avoue que je n'aime pas voir les gens dans un état tel que celui-ci. Même s'il s'agit de Nicole avec qui je ne m'entends pas vraiment, elle reste une personne. « Et bien j'avais envie d'une bière. » C'est une réponse bateau mais c'est bel et bien la vérité. J'avais besoin de sentir l'alcool descendre dans ma trachée. Et comme je ne suis pas seul, je peux m'autoriser cet écart. Elle m'observe enfin alors que je porte le liquide à mes lèvres. Je manque de m'étrangler, je ne m'attendais pas à ce qu'elle me pose cette question à moi. « Je suis dans la sécurité informatique... » Je ne sais pas si ça lui parlera, ça parle rarement aux gens. « Ton métier, il te plait ? » Je présume que oui, j'imagine qu'elle ne le ferait pas sinon, mais on ne sait jamais. Parfois on exerce un métier par dépit et non par plaisir, on s'y habitue et on ne trouve pas la motivation de faire autre chose.