EMMELINE
La fin allait sonner rapidement le glas. Il le savait. Il n’allait pas rester perpétuellement enfermé dans ce chalet, dans cet environnement artificiel. Un jour où l’autre, il devra bien sortir d’ici, il devra bien fuir, s’échapper. Oui. Il s’échapperait d’ici, comme un voleur qui se ferait la mal après le plus beau délit. Ou le plus mauvais, je vous laisse choisir. Un jour où l’autre, il retrouvera l’extérieur comme ils le disent si bien tous. Retrouver l’extérieur. Après plus d’une dizaine semaines enfermés. Dit comme cela, on aurait pu croire qu’il aurait viré fou. Peut-être l’était-il devenu. Mais alors, juste fou amoureux. Et cela n’avait décidément rien d’offensant. Oui. Il ne faisait rien de mal. Il ne lui restait plus qu’une semaine à vivre ici. Ou deux, pour les plus optimistes d’entre vous. Dans quelques jours, quelques heures… il retrouvera cet extérieur. Cette vie d’avant qu’il avait choyé. Il savait bien que plus rien n’allait être comme « avant ». Si « avant » avait existé. Une chose était certaine, une page allait se tourner, et un chapitre allait finir de s’écrire dans quelques jours. Sûrement était-il entrain d’écrire ces dernières pages, en ce moment. Tout cela n’était que métaphore. Emilien n’écrivait pas. Evidemment. Il y avait eu cet entretien, la semaine passée, qui lui avait bien permis de réaliser cette chose : que ce jeu prendra fin. Rapidement fin. Il allait retrouver ces saveurs d’antan qui lui manquaient tant. L’odeur désagréable du pot d’échappement, les klaxons incessants des colériques conducteurs, les premiers rayons du soleil venant embrasser le store mal fermé, la voix endormie et colérique de son père, l’odeur du café matinale préparé avec soin par son paternel, les rires gras de ses frères, Papa, Marco, et David, les rues de Bâle à huit heure du matin, son piano… Il ne savait pas vraiment si son quotidien lui manquait tant que cela ou non. Il était certain que toutes les nouveautés qui se grefferont à sa vie lui feront quelque peu peur. Oui. Peur. C’était peut-être cela sa plus grande crainte. S’imaginer sa sortie. Comment se déroulerait-elle ? Un soupir las s’échappa furtivement entre les fines lèvres du suisse. Son regard se déposa sur le paysage artificiel qui trônait devant lui. Un voile étoilé s’était peint sur le ciel. Ce ciel était-il artificiel lui aussi ? Il ne savait pas vraiment. La nuit était reine, à ce moment précis. Il faisait nuit, tout le monde était couché. Peut-être restait-il encore deux ou trois résistants à cette vile Morphée. Emilien faisait parti de ces résistants, ce soir là. Oui, il avait décidé de faire de la Résistance. Il s’était installé sur la terrasse, assis sur l’un des sièges confortables. Avant de venir jusqu’ici, il avait passé par le stand ravitaillement. Un simple verre de lait. Il tourna brièvement la tête en direction de l’entrée, alors qu’il eut cru entendre une venue derrière lui. Dans le noir, il fronça doucement les sourcils. « Reste, Emmeline ! » souffla-t-il alors, dans le chalet endormi.

Il n’était plus étonné que cela de rencontrer une personne au beau milieu de cette nuit. Il devait certainement il y avoir quelques insomniaques au sein de cette microscopique population, ou bien des somnambules. Les somnambules devaient se faire bien rares, puisqu’il n’en avait rencontré encore aucun au sein de ce chalet. C’était peut-être mieux comme cela. Ainsi, il avait pu entendre quelques pas venant de l’entrée. Ces petits bruits l’avaient fait aussitôt retourner. Sûrement pour se rassurer qu’un fou dangereux n’était pas entré dans les lieux. Il ne manquerait plus que cela. Que quelqu’un en ait contre Emilien et veuille le tuer. Ce n’était bien sûr pas un criminel qui se trouvait ici présent, mais bien une silhouette féminine. Il n’eut peu de mal à trouver un nom à cette masse se dégageant petit à petit dans le noir. Emmeline. Peut-être qu’elle n’arrivait pas à dormir elle aussi. Ce qui expliquerait la raison de sa présence. Il y en avait certainement d’autres. D’autres qui ne lui venaient pas à l’esprit. Il lui demanda alors de rester. De rester ici, de rester avec lui, de rester à ses côtés. Autant profiter de cet instant nocturne avec une personne qu’il appréciait, qu’il affectionnait tout particulièrement, avec elle. Peu importe, il ne l’obligerait pas à rester là si elle n’en avait pas envie. Envie d’être là, envie d’être avec lui. Il ne la forcerait pas. Ainsi, la jeune femme s’approcha, venant finalement à prendre la parole. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres. « Oui… j’ai sûrement dû ne pas être assez gentil pour qu’il ne me laisse pas dormir. » lui répondit, alors qu’elle venait de lui demander si son sommeil lui bouder. Ca devait être cela. Le sommeil lui bouder. Pourquoi ? Emilien ne savait pas vraiment. Il n’en avait aucune idée. Un petit air amusé se peignit sur le visage du suisse. Emmeline lui expliqua que le sommeil, avec elle, était méchant. Elle ne lui avait pourtant rien fait. Emilien non plus. Il fallait croire que Sommeil avait décidé de ne pas être coopératif avec eux, ce soir là. Le suisse fit finalement une place dans ce grand fauteuil dans lequel il se trouvait. « Viens, il doit bien il y avoir assez de place pour nous deux… » souffla-t-il alors. Ce n’était pas comme s’ils étaient tous les deux physiquement imposants. Ils allaient bien réussir à tenir dans ce grand siège. Puis quand il y avait une place pour une personne, il y en avait pour deux. Voilà. Puis ils avaient, pendant un long moment, partagé le même lit. Alors, ça n’allait pas être un fauteuil qui les gênerait. « Tu sais Emmeline… je, je suis désolé d’avoir évoqué notre « baiser » lors de mon interview, c’était… maladroit, vraiment. ». Emmeline avait sûrement dû écouter l’interview du suisse lors du prime, et plus précisément la question la concernant. C’était légitime puisque la question tournait autour d’elle. Alors, il s’excusait d’avoir pu tenir quelques propos. Des propos maladroits qu’il n’aurait certainement pas dû prononcer.

Evidemment, ce n’était pas de sa faute si le sommeil n’était pas coopératif avec lui. Ce n’était ni la faute du fait qu’il avait pu être méchant. Méchant, Emilien. C’était impossible de l’associer à la méchanceté. Emmeline lui expliqua alors que ce n’était pas de la faute. C’était celle du sommeil. Sommeil aimait embêter les gens. C’était tout du moins que la jeune femme lui avait confié. Peut-être avait-elle raison. Pourtant, Emilien ne lui avait rien demandé lui. Il voulait juste dormir. Dormir un peu, un petit peu. Quelques heures. Mais, il était certain que ce ne sera pas tout de suite. Certainement parce qu’il se trouve en compagnie d’Emmeline et qu’il voulait profiter de sa présence. Il n’y avait aucune honte à cela. Il l’invita d’ailleurs à venir s’asseoir à ses côtés. Non pas sur le siège d’à côté. Non. Mais bien avec lui. Après tout, le siège était bien assez grand pour que les deux jeunes gens s’installent. Emmeline vint s’installer rapidement à ses côtés. Il avait même prévu une place à ses côtés. Si ce n’était pas adorable. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres. Alors qu’elle déposa sa tête sur ses épaules, Emilien passa timidement son bras autour d’elle. Ce n’était peut-être pas le meilleur moment pour s’adonner à une étreinte. Il se mit alors à mentionner les quelques mots qu’il avait pu avoir lors de son interview. Evoquant alors le baiser qu’Emmeline lui avait donné. Il s’en excusait d’ailleurs. Il n’avait pas à dire cela. Elle lui disait alors que ce n’était pas grave. Sûrement. Il n’y avait pas eu mort d’homme. Que ce soit après ce baiser oublié, que ce soit après l’interview du suisse. Elle savait que c’était de sa faute, que ce baiser était de sa faute. Elle se disait encore désolée. Elle s’excusait aussi de sa réaction, et de ses événements post-baiser. Un second sourire se dessina sur les lèvres d’Emilien. Elle se disait contente que tout ceci soit derrière eux. Lui aussi, il fallait avouer. Ce baiser avait, pendant un temps, entaché leur complicité, leur amitié. Donnant naissance alors à quelques interrogations. Ce baiser restera malgré tout un mystère. Jamais, Emilien n’avait compris le pourquoi du comment de ce geste accidentel. Elle en avait eu envie, mais pourquoi. Il n’allait pas remettre cela sur le tapis. Il était trop tard. « Moi aussi… » souffla-t-il, alors qu’il déposa un bref baiser sur le front de la jeune femme. « Je crois que… je l’aurais mal vécu si ça nous avait séparé… » reprit-il. Définitivement, oui. Il l’appréciait trop pour penser que ce baiser aurait pu les séparer. Il était presque content de voir que leur complicité était redevenue comme ‘avant’. Avant ce fâcheux épisode. Mais tout cela était à présent derrière eux. «Enfin, notre amitié est bien plus forte qu’un baiser accidentel. ». Ce n’était pas un baiser qui allait se mettre au milieu du chemin de l’amitié. Non. Leur amitié semblait bien plus forte que cela. Bien plus soudée que cela.

Emmeline et Emilien. L’histoire de deux personnes qui ne se seraient sûrement jamais rencontré, sans Fake Lover. Une histoire qui a commencé, il y a onze semaines à présent. Ils étaient entrés ensemble au sein du chalet, ne se connaissant pas même. Le début d’une histoire, de leur histoire. De leur amitié tout simplement. Rien n’était écrit à l’avance. Après tout, peut-être auraient-ils pu s’entretuer dés les premiers jours au sein de ce jeu, comme certains le faisaient avec leur partenaire respectif. Non. Dés le commencement, il y eut cette bonne entente entre eux. Peut-être que le fait qu’ils aient été partenaire, qu’ils aient été « en couple » y était pour quelque chose. Il ne savait pas vraiment à vrai dire. Ce baiser aurait très certainement pu sonner le glas de leur relation, de leur amitié. Evidemment, ni l’un ni l’autre n’avait souhaité cela. Ce baiser n’avait été teinté d’aucune attention de la part de la jeune femme, ni d’ambiguïté. Emmeline avait fait une erreur, elle le savait. Elle en avait conscience. Sûrement parce qu’elle avait embrassé la mauvaise personne, au mauvais moment. Certainement que ce baiser aurait fait moins de bruit si Emilien n’avait pas été en couple avec Ezra. Laissant alors imaginer moult hypothèses au sujet des attentions et des attentes de la jeune femme. Une chose était certaine, Emilien l’aurait mal vécu si ce baiser les avait séparé, avait gâché leur histoire. Leur amitié. Il ne se serait sûrement pas imaginé continuer, son aventure, sans sa petite Emmeline. Elle avait su prendre une place importante dans sa vie. Peut-être était-ce parce qu’Emilien avait tendance à s’attacher beaucoup trop à ces personnes qui faisaient parties de son entourage. Oui. Il s’attachait beaucoup trop. Certes, il ne s’attachait si facilement que cela. Un fin sourire se dessina sur ses lèvres lorsque la jeune fille prit la parole. Elle aussi, alors, elle l’aurait mal vécu. Tous les deux tenaient à leur amitié, à leur complicité. Et leur amitié était bien plus forte qu’un baiser accidentel. Et cela, le suisse ne manqua pas de lui faire remarquer. Heureusement qu’elle était bien plus forte que ça. Un petit soupir s’échappa entre les lèvres du suisse. Vous savez, ce petit soupir de béatitude. Alors que la pièce plongea dans un silence, Emmeline reprit la parole. Elle lui évoqua alors une réponse. Une réponse qui était « oui ». Emilien fronça doucement les sourcils, dans la pénombre. Tentant vainement de regarder la jeune femme. Il ne savait pas vraiment de quoi elle voulait lui parler à cet instant précis. Il semblerait que ce soit la réponse à la question qu’il lui avait posé l’autre jour. Il prit un petit temps de réflexion. Afin de se remémorer très brièvement leur conversation. Alors, elle croyait que la réponse était oui. Elle le croyait. « Tu n’en es pas certaine ? » lui demanda-t-il alors, dans un petit souffle calme. Après tout, peut-être avait-elle des doutes au sujet de sa relation avec Mickey. Si elle avait envie de se confier à Emilien, elle savait qu’elle le pouvait. Il était là pour elle. Toujours là.

Emilien fut quelque peu surpris par les paroles de la jeune femme. Elle évoquait vaguement une réponse. Une réponse que serait oui. Cela laissait planer le temps quelques secondes un voile de mystère sur ces quelques dires. Mais le suisse ne mit peu de temps avant de faire le lien avec leur très brève conversation de la semaine. A vrai dire, ils n’avaient abordé ce sujet que très brièvement. Il fallait avouer qu’Emilien s’était montré un peu trop maladroit ou curieux, en lui posant une telle question. Elle n’avait pas voulu lui répondre, il ne lui en voulait pas. Pas pour si peu. Après tout, elle avait le droit à son jardin secret. Cet endroit rempli de curiosités sans nom pour les autres, et de secrets et confidences pour certains. Ainsi, en quelque sorte, on pourrait penser qu’Emmeline venait de faire entrer Emilien d’un pas timide l’ancre de ses secrets. Ainsi, elle pensait que sa réponse était oui. Elle le pensait, elle croyait. Elle ne devait pas être sûre d’elle, tout du moins, c’était ce que le suisse en avait très brièvement déduit. Peut-être se trompait-il et que la jeune femme voulait tout simplement faire planer un peu plus de mystère autour de sa réponse. D’où la question posée par le suisse. Il préférait qu’elle se confie à lui, plutôt qu’il reste dans ce doute intriguant. Elle n’était pas certaine que ce soit une bonne chose. Il fronça légèrement les sourcils, ne comprenant pas en quoi le fait qu’elle lui ait répondu par un « oui » soit quelque chose de mal. Bien au contraire. Evidemment, cela ne concernait pas qu’un simple « oui », mais cela impliquait bien d’autres choses… plus profondes, plus sentimentales. Pourquoi pensait-elle cela ? Parce qu’elle souffrirait avec cette histoire, comme elle venait si bien de lui dire ? Pourquoi souffrirait-elle ? Elle semblait bien pessimiste quant à l’évocation de cette histoire. Comme si tout cela ne lui prédisait que des choses mals et douloureuses. Evidemment, ce n’était pas le cas. Tout du moins, ce n’était pas comme cela qu’Emilien concevait la chose. C’était peut-être son côté un peu fleur bleue qui ressortait par moment. Ou sensible. Il écouta alors silencieusement les paroles prêchées par la jeune femme, bien qu’il semblait être en désaccord avec elle. Elle disait qu’il serait déçu. Déçu d’elle. Emilien la serra un peu plus contre elle. Un simple geste qui se voulait rassurant. Elle lui demanda alors à son (ancien) partenaire son avis. S’il pensait qu’ ‘il’ sera déçu lorsqu’il saura. Le suisse prit un certain de réflexion avant de répondre, laissant s’échapper un « hum » entre ses lèvres par moment. Il baisa sa tête en direction d’Emmeline, qui se trouvait à présent blottie entre ses bras. « Non. Je ne pense pas… Quand on aime quelqu’un, on ne l’aime pas seulement pour tous ces artifices qu’il peut dégage. Non. C’est… plus profond que cela. On aime quelqu’un pour ce qu’elle est, quoiqu’elle soit on l’apprécierait, on ne se permettra pas d’émettre un jugement ou une critique, parce qu’on l’aime et qu’on sait que cette personne ne nous décevra pas. ». Ce fut les quelques mots que le suisse pouvait lui dire. Après tout, Emilien ne pouvait pas parler et émettre un jugement à la place d’un autre. Ici, il ne contentait de lui faire part de son point de vue, de ce qu’il pouvait bien penser. De comment il concevait la chose, non seulement dans le cas d’Emmeline, mais aussi en général. « Qu’est-ce qui te laisse penser qu’il sera déçu ? Il y a des choses, au sujet de ce que je sais, qui se sont passées dans ton passé et qui te laisse sous-entendre que cette histoire sera teinté de déception ? ». Evidemment. Emilien ne l’obligerait pas à parler si elle n’en avait pas envie. Elle lui en parlerait que si elle en ressentait l’envie. Elle savait bien qu’elle pouvait faire confiance au suisse, qu’il n’irait pas crier cela sur tous les toits. Il se tairait.