lundi vingt sept mai deux milles treize | Hadatt n'était pas doué pour mentir. Il n'était pas doué pour jouer la comédie. C'est pour ça qu'au lieu de mentir ou jouer un rôle, il s'en va. C'est un truc de lâche mais c'est un truc à Hadatt aussi. Et présentement, il savait qu'il ne devait pas fuir. Il ressentait à l'instant même, une de ses affreuses angoisses qui lui prenait la poitrine des fois. Quand il pensait trop trop, et qu'il échafaudait des hypothèses dignes des plus grands complots d'Etats, et ba, il se créait des angoisses. Et là, il angoissait. D'un truc trop bête. Ou pas. Mais il angoissait de ne pas tenir. Okay, c'était drôle, c'était fun, on rencontrait des gens, on fumait, on buvait, on s'éclatait mais putain, etait-ce vraiment ce qu'il voulait? Il savait qu'il n'avait pas le choix mais présentement, il avait juste besoin que quelqu'un le lui rapelle. Alors, fillant à la vitesse de la lumière il avait cherché Cosmas et quand il l'avait trouvé, il s'était réfugier dans cellier avec lui en s'assurant que personne ne les suive. Et enfermé dans cette pièce, il avait besoin de... lui en fait. Juste le voir. Juste lui parler.

« Gamin, tu dois comprendre un truc avec moi ─ Je crois, enfin, je suis sûre, d'être un putain de névrosé. Du genre, sérieux ─ Et que les angoisses que j'ai, sont dûes au trop plein d'intelligence et de polen que je met dans mes roulées ─ Mais mais, ce que je veux dire, c'est que je suis pas un cadeau tu sais. Enfin, ouais ça, tu le sais, mais je crois que plus je vais rester dans ce jeu, pire ça va être ! » lança-t-il alors, de but en blanc, sans savoir pourquoi.

Autant dire que si Hadatt était mon père, chercher ressemblance entre nous était tentative de s'attirer mon corroux - car si, tel père tel fils était un proverbe bien appliquable dans notre situation, je ne voulais en aucun lui ressembler. Il était sympathique, certes ... Drôle. Mais j'avais grandi sans lui, et je ne pouvais pas lui pardonner ceci. Je sais que je suis hypocrite, quand je dis ça, mais, à mes yeux, c'est différent ... Ce n'est pas pareil. Enfin, si, mais bon ... Bref, passons. Toujours est-il que si nous nous étions retrouvés sur le plateau, je m'étais assuré que la majeure partie de mon temps serait consacrée à tisser de solides liens avec les autres candidats, et non à jouer au babysitter de mon vieux ... Mais, et il y avait un mais, il y avait des jours où Hadatt venait me chercher, à toute allure. Et quel fils serais-je si je l'envoyais dans les orties ou paître les champs ? Un fils digne de son père, me répondriez-vous, et vous n'auriez pas tort. Il m'avait emmené dans le cellier, et, si je m'étais initialement demandé s'il comptait se saoûler la gueule avec moi, je compris rapidement qu'il cherchait, plus que tout, un recoin d'intimité dans ce "nid" bourré de caméras. Il se met alors à me parler, me disant que je devrais comprendre quelque chose, avec lui ... Bah, je veux bien, mais bon. C'est pas comme s'il était facile à comprendre, non plus, hein. Il me dit alors qu'il pense être ... Névrosé. Ouais, bon, je l'avais compris, ça aussi, depuis le coup de l'araignée. J'attends qu'il termine sa phrase avant de le fixer, intensément ... Et finalement, je la lui demande, ma question.

- Et ... Tu t'attends à ce que je fasse quoi, au juste ? parce que je ne voyais pas vraiment ce que je pouvais faire pour lui, moi. Mais pour sembler moins froid, je rajoute quand même un :

- Non, parce que si tu as besoin de calmants, je pense que je dois en avoir, quelque part ... Sinon j'irais en chercher au Walmart, c'est pas bien grave.

Vous connaissez cet moment infâme, quand vous venez de passer votre temps à ruminer dans votre barbe plein de choses que vous auriez voulu dire à quelqu'un? Ba Hadatt venait de le vivre, mais un peu en décalé. En fait, l'irlandais avait un temps de réaction tout à fait particulier : autant des fois, il saura réagir sur l'instant à une parole ou un acte, avec intelligence, ou moins dans certaines situations... ou alors, il ne va pas calculer la chose et ça va lui revenir des jours plus tard. Mémoire sélective, vous voyez le topo? Ba allez savoir pourquoi, Hadatt rebondissait sur une discussion qu'ils avaient du avoir il y a longtemps. Très longtemps. Ou alors il avait eu cette discussion avec lui même? aucune idée.

« Des calmants? Des calmants? Tu veux droguer ton vieux pour qu'il devienne un légume et que tu t'occupes de lui jusqu'à la fin? ─ T'a déjà assez à me gérer pardi ─ y'a un Walmart ici? » Puis soudain, il fit une pause, leva le doigt pour lui intimer de ne rien dire avant de faire une drôle de grimace typique de sa part. « J'crois que je me souviens plus de ce que je voulais te parler. »

Cas désespéré. Pauvre Cosmas. Dur d'avoir un père ingérable, contradictoire, lunatique et imprévisible. C'était le plus nul des pères en plus et il ne s'assumait pas tout seul. Pas qu'il est toujours besoin de son gosse, mais il est clair qu'il ne serait pas venu ici s'il n'y était pas, même si ils ne se parlaient pas de la journée... ce qui était peu probable avec le professeur.

« Mais ne parlons plus de moi, comment ça se passe pour toi? T'a reperé une gonzesse à ton goût? La femme de ta vie peut être? » demanda-t-il d'un naturel décontracté, changeant très vite de discussion.

Il m'arrivait parfois de ne pas comprendre mon propre père. Enfin, en même temps, il faut dire qu'il était une réelle énigme pour moi, étant donné que je n'ai pas eu le temps nécessaire pour le connaître comme s'il était "n'importe quel autre père". Malheureusement, aucun mode d'emploi n'existait pour me faciliter la besogne, et je me retrouvais donc contraint à tenter de le déchiffrer au mieux de mes capacités. Et parfois, vous vous rendrez compte que le résultat n'était pas fameux. Comme lorsqu'il essayait de m'expliquer qu'il avait fait un cauchemar et que tout ce que j'avais su en conclure, c'était qu'il voulait une carotte. Allez savoir pourquoi, mais c'était la conclusion que j'avais tiré de son discours, ce jour là. Je ne devais pas être bien éveillé, tout compte fait. En l'occurrence, voyez sa réaction lorsque je lui avais suggéré des calmants, et jugez-en par vous mêmes !

- Ah, parce que c'était pas déjà le cas ? lui lançais-je alors d'un ton désinvolte, mais quelque peu sec. Ouais, y'a un Walmart, ça m'avait surpris, moi aussi ... Ils ont vraiment de tout quoi. Il me dit alors ne plus se souvenir de ce dont il voulait initialement me parler, et je me contentai de rouler mes yeux au plafond en gage d'incompréhension : pourquoi m'autorisais-je encore à être surpris par lui alors qu'il était, au final, assez prévisible lorsqu'on le connaissait bien ?

Et pour tenter de rattraper le coup, le voilà qui tentait de prendre de mes nouvelles. Pour changer, hein, une fois en vingt-cinq ans. Je laissais alors ma main s'écraser sur mon visage avant de la glisser vers le bas, signe de mon incrédulité face à ce qu'il me disait là. Je m'efforçai cependant à lui répondre :

- Ça se passe bien, oui. On peut dire ça comme ça, si on veut. Mais je n'irais pas jusque là non plus. je lui décoche un léger sourire ; je l'aimais bien, quand bien même, malgré tout. Il était amusant, quand il le voulait, c'était indéniable, ça. Et toi ? Ça se passe bien avec ... Kali ? Elle te supporte encore ?