seth
Valeri était de ce genre-là. De ceux qui remettent tout au lendemain, sûrement pour ne pas assumer les pénibles tâches. Vous savez ceux qui attendent que leur évier déborde de vaisselles répugnantes, que le linge sale s'éparpille gaiement dans leur chambre, que la poussière s'accumule sur les vieux bibelots familiaux. On a tous fait parti de ces gens-là un jour ou un autre. Tous. Cela faisait plusieurs jours que Valeri avait retardé le moment crucial où il devrait se rendre à la laverie. Il avait laissé accumulé tout son linge sale dans un coin de la chambre, ne faisant guère attention si ceci pouvait bien déranger les autres. Les autres ? Ils pouvaient bien penser ce qu'ils voulaient de cela, il s'en fichait. Après plusieurs jours de longue hésitation, il décida de faire un peu rangement du côté de son lit. Empilant tout son linge sale dans une grande corbeille. Elle était d'ailleurs bien trop petite pour contenir le tout. Le tas de vêtements dépassé largement. Du bout de ses longs bras longilignes, il avait réussi à se traîner jusqu'à la laverie. Cette tâche devrait être interdite aux hommes. C'est un truc de nénette de faire ça. De laver le linge. Il lâcha un soupir, déjà blasé à l'idée de devoir manipuler les boutons de cette machine infernale. Il avait réussi à la dompter, la dernière (et première) fois qu'il était venu ici. Ça ne devait pas être sorcier. A croire que la fois passée, la chance du débutant avait sonné le glas. Il avait lancé tout son linge, un à un, dans la machine. Parait-il qu'il fallait trier le linge blanc du linge de couleur, mais aussi le coton des autres tissus bien plus délicats... Cette tâche devait être interdite aux hommes, ou tout du moins à lui. Valeri. Tout cela le dépassait et semblait bien trop compliqué pour lui. Séparer le blanc des couleurs, c'était une perte de temps quand même. Lorsque sa corbeille fut vidée, il se pencha alors vers tous les petits boutons qu'il se trouvait en face de lui. Il fronça longuement les sourcils. Vous savez l'un de ces froncements sourcils dont on pensait qu'il nous donnait l'air intelligent, mais bien au contraire, on avait l'air plus con qu'autre chose. Un soupir s'échappa une nouvelle fois de sa bouche. Il se gratta le front, puis se redressa légèrement. « Hé mec ! » haleta-t-il alors en direction de ce nouveau venu. Mec. Que ce soit un homme ou une femme, on appelait tous, à un moment donné, cette dite personne « mec ». Car tout simplement on ne retrouvait plus son prénom. Toi, moi, lui, vous, nous, à un moment de notre vie, on s'est fait appelé 'mec'. Mec, ici. C'était Seth. Il lui avait vaguement parlé les semaines passées. Il n'avait pas l'air bien méchant comme garçon. Enfin... parait-il qu'ici, il fallait se méfier des apparences. Valeri était sûrement bien placé pour vous le dire. « Tu sais comment ça marche cette connerie ? » lui demanda-t-il. Il était peut-être plus intelligent que lui, le Seth. Valeri aurait très bien pu jouer la carte du débutant, appuyant sur n'importe quel bouton... et transformer cet endroit en matinée mousse. Ca aurait été drôle. Très drôle. Enfin... pour vous, oui.

Au pire, si « Mec » n'était pas entré dans la laverie automatique, il se serait débrouillé comme la dernière fois. Oui, voilà. Il aurait, une nouvelle fois, fait les choses sans réfléchir. Mais quitte à avoir un nouveau venu, autant lui demander de l'aide, lui lancer un SOS. Il disait donc savoir plus ou moins.... Il devait certainement savoir bien plus que Valeri. Il n'était pas difficile d'en savoir plus que le biélorusse, à vrai dire. Seth lui expliqua alors qu'il y allait au feeling. C'était un peu de cette façon qui il s'y était pris la première fois, c'est-à-dire il y a peut-être de cela deux semaines (plus ou moins). Il y avait été au feeling et avait simplement appliqué cette douce expression : la chance du débutant. Vous savez cette chance qui nous faisait gagner à tous les coups, cette chance qui nous faisait réussir à chaque fois. On aimerait tous avoir la chance du débutant avec nous, tout le temps. Ainsi, l'homme lui expliqua qu'il y avait des petits compartiments. A chaque syntagmes prononcés par Seth, Valeri hocha légèrement la tête, marquant ainsi sa compréhension. D'accord... il tentait de se récapituler : là, c'est pour la lessive, et là pour l'adoucissant. Ah ? Il ne se rappelait avoir utilisé tout cela pour sa première lessive, l'autre fois. A vrai dire, il avait pris le premier truc qui lui était venu sous la main. Il ne savait plus ce qu'il avait utilisé... il n'avait pas réussi à lire ce qu'il y avait écrit sur l'étiquette. Ou plutôt, il n'avait pas réussi à comprendre. Enfin, son linge avait été propre malgré l'ignorance du biélorusse. Son interlocuteur s'exprimait toujours. Il parlait vraiment beaucoup ce garçon. Valeri n'était pas sûr de tout comprendre. Il parlait de demander à une nana, que celle-ci lui donnerait des conseils bien plus précis... bah d'un côté, c'est normal, c'est un peu leur rôle de faire la lessive. Il parlait d'un instinct. Qu'à un moment donné, il fallait aller à l'instinct. Et aussi qu'il avait eu l'occasion de tester pas mal de trucs ? Quoi comme trucs ? Genre ? Enfin... Valeri ne devait pas être étonné par ces quelques mots, c'était lui qui lui avait raconté son baiser lors du prime, avec un garçon. Olivier. Olive... enfin, un prénom qui commence par « Oli ». Sur ce sujet (du baiser), Valeri pouvait faire profil bas. Lui qui la semaine passée avait embrassé Sully. Coup de tête d'un garçon bien trop prétentieux. Une nouvelle fois le biélorusse hocha la tête. Il est certain que le linge sera bien plus propre, quoiqu'il fasse et qu'il mette dans cette machine. Il hocha la tête, prenant ce qui ressemblait être de la lessive. Il ne savait pas si c'était ça exactement, mais la dernière fois, il avait mis ça dedans. « Alors comme ça, t'es du genre à tester pas mal de chose, toi ? » lança-t-il, pour rebondir sur les quelques mots cités par l'homme auparavant. Il ne savait pas vraiment pourquoi il lui demandait cela. Peut-être parce qu'il était bien trop curieux. Valeri lança finalement la machine, et finit par s'asseoir sur l'un des sièges. Seth lui demanda si c'était sa première fois. Il arqua légèrement l'un des sourcils. Sa première fois ? Euh... Il ajouta alors une petite précision. La première fois que tu faisais une lessive. Là, tout de suite, c'était déjà moins ambiguë. « Non... c'est la deuxième fois, mais l'autre jour, j'y étais au petit bonheur la chance, et je me dis que ça ne devait pas marcher comme ça à tous les coups.Tu n'laves pas ton pantalon ? ». Il demandait juste comme ça. Il l'avait vu enlever son tee-shirt, alors pourquoi pas son pantalon ?

Valeri tenta d'appliquer tant bien que mal les consignes de l'homme. A vrai dire, il ne lui apprenait pas grand-chose. Il se doutait déjà de pas mal de choses, enfin il avait juste eu peu de mourir noyer dans une laverie automatique transformée en matinée mousse. Ce serait une fin terrible, c'est certain. Seth était du genre à aimer tests de nouveaux trucs. Ce détail ne manqua pas à attirer vivement l'esprit du jeune biélorusse. Le concerné se disait alors avide de nouvelles expériences. Hum. Il lui expliqua alors qu'on n'apprenait jamais aussi qu'en arborant le rôle de l'autodidacte, et que l'on apprenait de nos erreurs. Peut-être. Peut-être pas. A vrai dire, il ne savait pas vraiment. Lui, ses erreurs ne l'avaient pas aidé à avancer dans la vie. Bien au contraire. Il s'enfonçait un peu plus dans ce trou noir, dans ce tourbillon déchaîné de la vie dans lequel il ne pourra certainement plus y sortir. Oh si. Peut-être. Peut-être y avait-il une issue un jour. Il ne savait pas. Il ne savait plus vraiment s'il voulait sortir de ce tourbillon, de ce cercle vicieux et sans fin. Il ne savait plus. Alors que Valeri venait de lancer sa machine, son interlocuteur lui demanda alors s'il aimait tester des trucs. Des trucs? Il ne sait pas vraiment ce qu'il entendait pas trucs. A vrai dire, la seule nouveauté qu'il avait testé jusqu'à présent, en entrant dans ce nid, était d'embrasser un garçon, Sully. Ce dernier sera certainement le seul et l'unique garçon qu'il embrasserait. Il haussa alors la voix, hésitant un instant. « Euh... non, pas vraiment. Mais je suppose qu'il faudrait que je m'y résous... ». Qu'un jour, qu'il expérimente de nouvelles choses lui aussi. Comme par exemple... Il n'avait pas d'exemple sur le tas, pour le moment. Non. Il ne voyait pas vraiment ce qu'il pourrait bien faire comme expérience. Et quant à cette histoire de fonctionnement de machine à laver, il fallait qu'il continue d'y aller aux feelings, selon Seth. Ah ? D'accord, il continuera sur cette voie-ci. La voie de l'improvisation. Pour un artiste de rue, il s'y connaissait dans la matière, il faut dire. Alors ce n'était pas un problème. Mais pas sûr que, si une fille le surprenne entrain de faire aux feelings sa lessive, elle ne lui fasse pas tout un cours sur le nettoyage du linge. Cours barbant en soi. Il en avait déjà mal à la tête, rien qu'en imaginant la tête de la fille en question à vrai dire. Quand on abordait le sujet des chiffons, les filles devenaient ennuyeuses et chiantes. Encore plus que d'habitude. Valeri ne manqua pas de souligner le fait que Seth s'est résigné à ne pas enlever son pantalon. S'il pensait gêner le jeune homme, il n'avait pas de soucis à se faire sur ce point de vue. Il était le premier à prôner à haute voix que la nudité ne le gênait absolument pas. Il lui expliqua alors qu'il était à court de sous-vêtements propres et qu'il avait dû en prendre un à Odessa. Un sourire amusé se dessina sur les lèvres du biélorusse. Une culotte de nana ? Il lui montra même ledit sous-vêtement. Ca ne lui posait pas de question de se balader de la sorte, mais il ne voulait pas 'choquer' le jeune homme. Ne pas porter atteinte à sa pudeur. Comme si Valeri était du genre à être pudique. Un fin rictus en coin se fraya un frêle chemin sur ses lèvres. Il lui demanda, d'ailleurs, de ne pas en parler « à [sa] rouquine préférée ». Valeri hocha la tête, il n'en parlerait pas à Odessa. Promis. « Mais ça doit te serrer le paquet, non ? » lui demanda-t-il alors. Il émettait l'hypothèse que le boxer devait être quand même assez petit, et un peu étroit. Valeri se sentirait assez étroit dans un tel sous-vêtement, il en était certain. Enfin... peut-être qu'un jour, il essaiera lui aussi. Ouais... non, en fait non. « Mais si tu te sens à l'aise comme ça, laisse tomber ton pantalon. Ce n'est pas vraiment moi que ça choquerait. ». Qu'il fasse tomber son pantalon, s'il voulait. Le biélorusse s'en ficher, à vrai dire. Puis si son délire était de balader nu, il pouvait aussi se mettre nu... Peut-être pas finalement. Seth vint alors à lui poser de nouvelles interrogations. « Jamais » répondit-il très briévement, avant de froncer légèrement les sourcils. Vivait-il encore chez ses parents ? Quel âge avait-il. Il était quand même curieux, ce garçon. Enfin beaucoup moins que les autres qui s'intéressaient à des détails bien plus personnels. « Non, pourquoi j'ai une tête de Tanguy ? » lança-t-il, en ricanant légèrement. Avoir une tête de Tanguy. Il avait déjà entendu ça quelque part, dans la rue. Sûrement. Apparemment, ça faisait référence à un film du même nom. Tanguy. Il n'avait jamais vu ce film, pour tout vous dire. Mais de ce qu'il en avait compris, c'était un gars qui vivait encore (et toujours) chez ses parents. Un vieux garçon, en soi. « J'ai vingt-trois ans... » souffla-t-il. Et toutes ses dents, mais évidemment, il préférait se taire sur ce commentaire. « ...et toi ? ». Il lui demandait cela comme ça. Il ne savait pas grand-chose de ce garçon, il faut dire. Rien, en fait.