Le beau temps qui s’offre sous le dôme réchauffe doucement mes épaules dénudées, et je profite de ces instants de paix pour refaire le plein d’énergie. Je me balade seule en compagnie de moi-même, je vaque à mes occupations, sans me soucier de la présence fortuite de mes camarades. Je n’ai pas envie de me joindre à eux – enfin, si, par moment, il m’arrive de m’y intéresser, mais ça ne dure que peu de temps, j’en ai bien peur. Je souffre d’un certain déficit d’attention en la matière, et je vogue souvent sur un chemin qui m’est bien particulier, sans avoir rien qui ne me ramène arrière. Rien, ni personne. Pourtant, une vie sans la présence d’autrui est une vie barbante, et je dois me résoudre à me lier à certaines personnes pour la rendre, ne serait-ce qu’un peu plus intéressant. C’est un chemin sinueux, celui de l’amitié, et il est brodé d’épreuves insurmontables et d’échecs en série. On continue néanmoins de le chercher, comme d’autres chassent l’amour les yeux fermés. Un jeu dangereux, somme toute. J’entends qu’on hèle mon nom, ma tête se tourne doucement dans la direction entendue. Assise sur l’un des bancs qui borde les sentiers de ce magnifique jardin français se trouve Judith, que j’ai vaguement eu la chance de connaître dimanche dernier. Elle semble avoir délaissé sa lecture au profit de ma présence, et je m’avance vers elle à son invitation. « Judith, c’est un plaisir de te revoir. » Je lui souris avec calme, avant de me poser là où quelques instants plus tôt, sa main m’intimait de le faire. « Je vais bien, et je commence doucement à m’y faire. Et de ton côté, cette nouvelle vie te plait? » Pour ma part, ma première impression fut que tout ça me semblait bien trop grand. J’aimais les espaces confinés, comme un cocon chaleureux, convivial, où il fait bon vivre. Ici, tout sonnait trop artificiel, tout était porté sur la grandeur, la magnificence. J’avais l’impression de me retrouver dans un décor monté de toutes pièces. En fait, c’était tout à fait ça. « Que lisais-tu avant mon arrivée? » lui demandais-je en scrutant furtivement le livre qu’elle caresse, celui-là même qui repose sur ses genoux. 

Je ne suis pas de celle qui se lie facilement d’amitié avec les gens. En fait, je fuis plus souvent qu’autrement les rapports avec les autres, sauf en cas d’extrême nécessité. Je sais me comporter en public, là n’est pas la question, et dans une foule, je joue mon rôle comme un autre. Mais si on me donnait le choix entre la solitude et la présence de mes pairs, le choix serait facilement fait. Ici, cependant, c’est différent. Malgré la grandeur du domaine, il y a toujours quelqu’un sur votre route, et l’ignorer serait mal perçu. Et comme je tiens à entretenir une certaine réputation – c’est-à-dire une bonne – je vais faire des efforts. Je rejoins donc Judith qui se prélasse sur l’un des bancs dans les jardins, acceptant son offre sympathique de me joindre à elle. Elle me demande mes premières impressions et je reste somme toute assez vague sur le sujet. De son côté, elle s’emporte davantage, racontant qu’elle a toujours vécu dans ce genre d’endroit en riant, puis m’expliquant qu’elle ne sait plus vraiment où poser son regard. Il est vrai que ce domaine est vaste. « Concentre toi sur une pièce ou un lieu différent chaque jour, tu finiras surement par en faire le tour. » que je lui propose en haussant les épaules. C’est quand même un objectif réaliste, du moment que notre aventure se prolonge plus longuement qu’une seule semaine. Je m’enquiers alors de sa lecture du moment. Rimbaud, ce cher Rimbaud, dont ses vers ont su bercer mon enfance – ma mère en était une fanatique. Elle me raconte une charmante anecdote à ce sujet, ce qui explique probablement pourquoi elle s’est portée d’affection pour cette œuvre plus particulièrement. Je souris faiblement à la chute de son histoire. Tout ceci est un peu trop romantique pour moi, mais je sais tout de même apprécier la beauté de la chose. « Il doit énormément t’aimer. » fis-je seulement, avant de retourner dans mon mutisme. Enfin, pour bien peu de temps, puisqu’elle demande à ce que je lui raconte quelque chose en échange de cette confession. Je dois avouer que ça requête m’embête. Mon histoire n’est pas aussi rose bonbon que la sienne. « J’ai aussi un certain attachement à cette forme d’écrit. Enfin, ma mère, plus particulièrement. Il faut dire qu’elle enseigne la littérature, et qu’elle s’est prise d’amour pour la poésie avec les années. Enfant, elle préférait nous lire quelques sonnets plutôt que des histoires. Mon frère s’endormait toujours très rapidement… et moi, j’en redemandais. Si bien qu’elle finissait parfois par s’assoupir avant moi. » Ce n’est pas une grande histoire, elle n’a rien d’impressionnant, de romantique, d’enivrant. Mais je ne vais pas me livrer sur mon vécu au premier venu.