Y'avait parfois rien qui ne me faisait plus de bien que ça, le fait de courir jusqu'à me sentir si fatigué que mes jambes tremblaient et que le sang battait à mes oreilles ; Impossible alors pour l'esprit de continuer à se faire parasiter par des pensées plus ou moins utiles, plus rien ne comptait plus que le fait de respirer. Inspiration, expiration, inspiration, expiration … Cela faisait un bien fou, de mettre ses pensées sur OFF l'espace d'un instant. Surtout que c'était un peu mon souci cette semaine, je pensais trop, et j'avais du mal à appliquer ma philosophie habituelle du laisser couler. Et bien qu'après un trajet de retour en marchant l'effet s'estompe toujours un peu, rien de tel qu'une douche bien chaude pour finir de se délasser complètement … Me traînant finalement en dehors de la douche avec la sensation de peser trois tonnes et demi et en même temps pas beaucoup plus qu'une plume, j'avais attrapé mes fringues et sauté dans mon jean avant d'entreprendre une action périlleuse : celle de me raser sans me couper alors que mes mains continuaient de trembler. Bon, j'avais peut-être un peu trop forcé sur la course en fin de compte … J'avais pourtant presque réussi, avant que le bruit de la porte ne me fasse sursauter et que ma lame ne vienne m'entailler le menton « Et merde. » Alors que je terminais en vitesse ma besogne, j'avais remarqué les deux ou trois gouttes de sang qui étaient venues s'écraser sur le tee-shirt propre que je venais à peine d'enfiler, et j'avais levé les yeux au ciel d'un air exaspéré. C'est à ce moment là seulement que j'avais remarqué la présence de Betty dans le miroir derrière moi « Oh c'est toi ! » Une main fouillant machinalement dans ma trousse de toilette pour y trouver un pansement, je lui avais néanmoins adressé un sourire avant de reporter mes yeux sur ce que je faisais. Ah, voilà ! Sembla dire mon visage tandis que je mettais enfin la main sur ce que je cherchais, et lui tournant le dos un instant j'avais collé le minuscule pansement sur le bas de mon menton, juste le temps que cela cesse de saigner. Cela fait, je m'étais tourné complètement vers Betty. « J'ai pas encore eu l'occasion de te le dire depuis dimanche soir mais, je suis content que tu sois restée. » Faut dire que dimanche soir je m'étais empressé d'aller trainer ma mauvaise humeur ailleurs après les résultats des votes, et j'avais passé le début de la semaine à traîner un peu sans but ... Ouais, c'était pas vraiment une bonne semaine, cette semaine. Mais j'y travaillais, hm.

Dormir ou ne pas dormir ? Telle est la question. En fait je suis fatiguée mais j'ai peur qu'en fermant les yeux je fasse un cauchemar. Oui, parce que je la nuit dernière j'en ai fait un et c'était...cauchemardesque ! Logique. Maintenant j'ai peur de fermer les yeux. C'est surement parce qu'on approche d'Halloween que je flippe comme ça, pour rien en plus. Non mais franchement parfois je me fais pitié, un truc de fou. Enfin bref, je tourne en rond dans le château, je m'allonge sur mon lit puis je me rappelle que j'ai fait de très mauvais rêves la nuit dernières alors je me décampe et je refais le tour du nid encore et encore jusqu'à ce que je me rende compte d'un truc : Je me suis pas lavée ce matin. Ah, je suis sale ! Enfin non, c'est pas parce que j'ai loupé ma douche de quelques heures que la Terre va s'arrêter de tourner. Quoi que si, peut-être. Je reste pensive un instant, le temps d'arriver à la salle de bain en fait et puis j'oublie cette idée débile. Comme si le monde allait s'arrêter de tourner pour moi, non mais faut pas rêver. Faut que j'arrête de parler de rêve aussi, ça me perturbe et pourtant il y a pas beaucoup de trucs qui me perturbent en règle générale, mais là franchement, mon cauchemar c'était un truc vraiment glauque. Enfin bref. Je pousse la porte de la salle de bain et j'y trouve Akela, mon poté Hawaïen. Je crois qu'il vient de se couper avec son rasoir à cause de moi. Merde. Enfin il va pas en mourir, normalement. Il pousse un juron, se rend compte que c'est moi et me sourit. Il trouve son pansement et moi je reste là, un peut déconnectée de la réalité. Je le fixe et puis il se retourne et m'avoue être content que je sois resté dimanche dernier. Bah je suis contente aussi. Je souris. Je sais, on dirait pas que je suis vraiment heureuse d'être toujours dans le jeu. Disons que c'est mon cauchemar qui me tracasse. Mais c'est surtout grâce à Amery quoi, parce que les gens sont trop cons pour se décider. En disant ça je risque d'avoir de moins en moins de vote mais bon. Et puis sans même lui demander si ça va son menton, je passe du coq à l'âne, en quelque sorte. Je savais pas que t'étais marié. Ouais, j'avais pas trop suivi le prime, mais j'avais entendu parlé de son mari ou un truc comme ça. En fait je me souvenais presque plus qu'il était gay, c'est con, il pourrait se faire tellement de meuf avec ce corps parfait, mais bon, s'il préfère les bites on peut pas lui en vouloir.

« Bah je suis contente aussi. » m'avait-elle répondu en souriant légèrement, mais sans y mettre non plus énormément de conviction. Enfin bon, je m'attendais pas non plus à ce qu'elle saute au plafond en me répondant, hein. « Mais c'est surtout grâce à Amery quoi, parce que les gens sont trop cons pour se décider. » J'avais laissé échapper un léger rire, avant de disparaitre un instant dans le dressing pour y attraper un autre tee-shirt. Retirant celui que j'avais sur le dos j'avais enfilé l'autre, remplaçant un gris par un blanc, et gardant l'autre à la main j'avais de nouveau rejoint la salle de bain « C'est pas le plus important la raison, l'important c'est que tu sois restée. » Bah oui c'est pas parce que j'avais disparu trente secondes que j'avais pas écouté ce qu'elle m'avait dit. Mais je devais bien avouer que pour le coup, Amery avait gagné un niveau supplémentaire dans l'échelle de ma considération. Ouvrant le robinet d'eau froide, j'avais rempli le fond du lavabo et entrepris d'y faire tremper un instant la partie tâchée de mon tee-shirt ; Je crois que c'était comme ça qu'on évitait au sang de s'incruster. « Je savais pas que t'étais marié. » Relevant les yeux vers le miroir pour la fixer à travers son reflet, j'avais fini par mettre le tee-shirt entièrement dans l'eau, et par me retourner vers elle non sans avoir répondu « Pour ta défense, c'était pas encore le cas la dernière fois qu'on s'est vus. » Parce que même sans faire le calcul, je m'étais marié en janvier de cette année, et j'avais rencontré Ben y'avait, hm, un peu plus de six ans. Bien après avoir perdu Betty de vue, donc. Et puis en plus de ça, à l'époque où Keona allait au lycée avec Betty j'essayais de me faire discret, j'habitais encore chez ma mère et mes ... préférences, ne faisaient pas forcément l'unanimité dans le voisinage. Les joies de la vie en base militaire, dirons nous. « Et puis, je crois qu'à l'époque si on m'avait dit que j'épouserais un haole, j'aurai surtout bien ri. » Faut dire que j'avais jamais été le premier à les charrier et à les critiquer, ces métropolitains, j'avais jamais eu de mal à leur trouver tous les défauts possibles ... Ouais, c'était pas très chrétien comme comportement, je sais bien, mais j'avais jamais prétendu que j'étais parfait. Bon et Betty était bien blanche de peau alors on aurait pu croire que je la mettais dans le même panier, mais elle était née sur l'île alors elle était l'une des nôtres à mes yeux. Et puis, le temps passait j'utilisais bien plus le mot haole comme une boutade que comme une véritable insulte.

Il a surement raison, Akela, c'est pas très important la raison pour laquelle je suis encore là, mais je le dois bien à Amery quand même. Enfin bref. Akela change de T-shirt, puisqu'il avait taché l'ancien avec son sang. Je change totalement de sujet et je lui dis que j'étais pas au courant qu'il s'était marié. Je suis presque déçue en fait, mais j'avais à peu près aucune chance avec lui, je le savais depuis longtemps mais je sais pas, il aurait pu changer de bords pendant tout le temps où on s'était pas vu, mais j'ai pas ce qu'il aime entre les jambes, malheureusement. Il met son haut sale dans l'eau. Sa remarque me fait rire. Non mais encore heureux qu'il était pas encore marié à cette époque, en plus c'était pas encore autorisé le mariage gay donc je vois mal comment il aurait fait. Et puis surtout, à l'époque il montrait pas forcément trop ce qu'il préférait donc voilà. Il me dit qu'il aurait bien ri avant s'il avait su qu'il se marierait avec haole. Ouais, tu m'étonnes. Je souris. Non pas que j'aime pas les autres gens, genre ceux qui viennent pas d'Hawaï, j'ai moi-même pas tellement la tête d'une hawaïenne donc je pourrais pas tellement me permettre de critiquer ou quoi, mais disons que j'ai moins de considération pour les gens qui sont pas né sur la plus belle île du monde. Il doit te manquer. Ouais, j'imagine que son mari lui manque, surement autant que Nasty me manque à moi. Je m'approche un peu de lui en me frottant les yeux. Vous vous êtes rencontrés quand ? Et comment ? Je suis un peu curieuse, genre on dirait que je lui fais un interrogatoire, mais je veux juste savoir.

Fallait pas croire non plus, j'étais pas du genre raciste ; Dans le sens où les haole j'étais pas de ceux qui allait leur casser la gueule à la sortie des bars où qui allait les emmerder quand ils m'avaient rien demander. Enfin, j'avais peut-être déjà envoyé un touriste ou deux dans la direction opposée à celle qu'ils m'avaient demandé, mais ça c'était surtout pour rigoler un peu, et pour qu'ils apprennent à lire une carte à l'avenir ... mais bon voilà, quoi. Y'en avait quelques uns chez nous certes, des cinglés, des excessifs du genre indépendantistes qui ne refusaient pas de casser un peu de visages pâles de temps à autres, mais ça restait vachement minoritaire et moi c'était pas mon délire. J'avais juste tendance à m'agacer de les voir arriver comme ça, comme s'ils se croyaient chez eux, de ne rien respecter à nos croyances ou nos traditions, comme si nous étions des sauvages et eux la civilisation. Du coup je faisais pas vraiment d'efforts d'amabilité avec eux, c'est tout ; Et c'est vrai que j'avais tendance à un peu tous les mettre dans le même sac, celui des ignorants. « Ouais, tu m'étonnes. » je m'étais perdu un instant dans le fil de mes pensées, et Betty venait de m'en sortir. Lui décrochant un léger sourire j'avais remué un instant mon tee-shirt, satisfait de voir que les tâches s'atténuaient ; Avec un peu de chance après ça j'aurais qu'à le foutre à la machine et on n'y verrait plus rien. « Il doit te manquer. » Elle s'était approchée, et moi j'avais recommencé à fixer son reflet dans le miroir. Bien sûr qu'il me manquait, c'était la chose à laquelle j'essayais désespérément de ne pas penser depuis le début de la semaine parce que j'avais l'impression de me l'être reprise en pleine gueule dimanche soir, avec cette question à la con lors du prime « Il me manque, oui. » Mais ce que j'espérais surtout, c'était qu'il s'en rendait compte de là où il était, parce que même s'il m'avait dit qu'il préfèrerait ne pas suivre l'émission il le ferait quand même au moins un peu ; Moi c'est ce que j'aurais fait à sa place, en tout cas. Et j'espérais que je lui manquais, aussi ... c'était sans doute con de douter de ce genre de chose alors que nous étions mariés, et ensemble depuis un moment, mais c'était ce qui me faisait peur à l'heure actuelle. « Vous vous êtes rencontrés quand ? Et comment ? » A d'autres j'aurais sans doute pas répondu ; Ou si, à Camille sans doute, mais Camille c'était pas pareil. Bref, en temps normal j'aurais pas répondu à ces questions, pas parce que la réponse avait quoi que ce soit d'exceptionnel ou de secret, mais parce que je rangeais pas mon couple dans la même catégorie que la pluie et le beau temps en terme de conversation, hm. « Y'a, hm, six ans et demi, à peu près. » J'avais marqué une pause, comme si j'essayais de compter pour vérifier que j'étais pas en train de dire une connerie, et justement c'était ce que j'étais en train de faire ... ça faisait bizarre de le dire à haute voix en fait, ça me donnait l'impression de remonter à trois siècles. « J'étais en train de me prendre la tête avec un type là, et hm - j'étais dans un bar - il est venu s'interposer avant que ça tourne au pugilat. Si mes souvenirs sont bons, je lui ai répondu quelque chose comme 'j'ai pas besoin d'un visage pâle pour venir sauver mes miches' et je me suis tiré en disant au barman de mettre mes verres sur la note de l'haole, parce qu'ils nous avaient colonisé huit îles, alors la moindre des choses c'était de nous offrir un coup à boire une fois de temps en temps. » Mon propre romantisme m'impressionnait parfois, hemhem, mais je ne pouvais pas nier que ça m'amusait d'y repenser. Ça tenait parfois vraiment à rien en fait ; Y'aurait suffit que je ne vienne pas boire un verre ce soir-là, ou que cet abruti ne vienne pas m'emmerder ... quoi que non, j'avais pas attendu ce moment là de ma soirée pour les remarquer assis dans un coin, Ben et sa gueule enfarinée. Mais je serais probablement pas allé lui parler de moi-même, pas dans ma situation à l'époque. « Au final j'ai fait que de penser à ça pendant les trois jours qui ont suivi, et le quatrième soir je suis retourné au bar en espérant qu'il y soit toujours et que je puisse lui offrir un verre. Et il était là. » Ouais, fidèle au poste et comme s'il était gentiment en train de m'attendre. J'avais jamais vraiment su s'il était revenu là pour ma belle gueule ou si c'était simplement le hasard, après tout il habitait le coin de la rue ... mais de ce soir là je me souviens surtout qu'il m'avait souri comme un imbécile, et que j'avais cru qu'il se foutait de ma gueule. Sauf que je m'étais mis à sourire aussi, comme un double imbécile, histoire de le concurrencer. « Et toi ? Y'a quelqu'un qui te manque, dehors ? » Et par quelqu'un on se doutait bien que je parlais pas d'une vieille voisine à moitié sourde mais qui faisait des bons biscuits, ou ce genre de trucs, hein ... Non, je parlais de quelqu'un, dans le sens quelqu'un de spécial à ses yeux, quoi. J'avais bien le droit d'être un peu curieux moi aussi.

Moi je sais pas pourquoi, mais les gens qui viennent d'ailleurs ils me gênent pas. Ouais, c'est surement parce que j'ai des origines tellement diverses, mexicaines, algériennes, portugaises,  que je me sens un peu comme quelqu'un de partout à la fois et pas seulement d'Hawaï. Enfin c'est vrai que quand ils arrivent de nulle part, tous les touristes, et qu'ils se croient chez eux en nous considérant comme de la merde ou des sauvages, là ça me saoule, mais sinon, je les aime bien, les étrangers notre île. Alors je dis pas que je me suis pas amusé à faire chier des vacanciers de temps en temps quand j'étais gamine, et même encore maintenant, mais globalement, je suis pas de ceux qui pète un plomb en voyant des touristes et qui ont envie de casser la figure des gens dont la tête leur revient pas ou ne paraissent pas tellement Hawaïenne. J'ai pas une tête d'Hawaïenne moi-même, j'imagine que c'est pour ça. Mais en tout cas je comprends Akela, c'est vrai que je le voyais bien se marier avec quelqu'un de l'île, mais il fait ce qu'il veut, hein. Je me demande bien comment sa famille, et surtout ses parents ont pris le truc, genre qu'il allait se marier avec un mec ne venant même pas d'Hawaï. Enfin moi ça me regarde pas non plus ces histoires de famille, même si j'étais proche d'une de ses soeurs. Je lui fais remarquer que son mari doit lui manquer. C'est une remarque débile, ça doit lui faire un peu de peine vu qu'il est pas avec l'homme qu'il aime. Si j'étais amoureuse, enfin si j'arrivais à tomber amoureuse à nouveau, j'aurais abandonné l'aventure pour revoir mon âme soeur, j'aurais même pas participé au jeu, je pense. Mais c'est surement parce qu'en amour je suis faible et dépendante vis-à-vis de l'homme que j'aime, enfin j'ai pas aimé depuis un baille donc je peut-être que je suis plus comme ça. Je lui demande comme ils se sont rencontrés et quand, enfin des questions connes, quoi. Il semblait pas très sûr de lui, mais leur histoire dure depuis un moment, donc ça se comprend qu'il sache plus, il doit avoir l'impression qu'ils sont ensembles depuis toujours, j'imagine. Sa petite histoire me fait rire, j'ai jamais rencontré de mec comme ça, c'est original je trouve. Et puis il me pose une question un peu...heu bizarre, dans le sens où je sais pas quoi répondre à part ça. Nasty, ma chienne. Elle me manque et j'aime pas la savoir seule, j'air peur pour elle. C'est un peu comme l'enfant que j'aurais jamais, ma petite chienne à moi, donc je m'inquiète pour elle tout le temps quand je suis loin d'elle. Elle est pas vraiment toute seule en fait... Mais j'ose pas dire à Akela pourquoi j'ai peur, j'ai pas envie qu'il prenne mal le fait que je crois que les gays à qui je l'ai confiée font des expériences zoophiles avec elle, mais je me fais des films, je crois, je suis genre surprotectrice avec elle. Si je l'avais pas, cette nouille de Nasty, j'aurais personne... Que je murmure sans y faire attention. Bien sûr j'ai ma famille, mais j'ai pratiquement coupé les ponts avec eux, et puis j'ai pas l'impression d'avoir de vrais "amis". Je me sens pas forcément très proches de mes collègues tatoueurs non plus. Je regarde Akela un instant. J'ai pas envie qu'il me prenne pour une pauvre petite chose solitaire, seule au monde, enfin voilà, mais j'ai pas pu m'empêcher de penser à voix haute.