+ Tifenn

J'aime pas ce foutu couloir aux miroirs. Je sais pas à quoi pensait la production en créant ce truc mais il avait dû fumer un truc bien fort, ou passer la journée dans une fête foraine et se perdre dans l'attraction des miroirs, ou alors ils sont juste un peu timbrés. Non parce qu'il faut quand même avoir quelques problèmes pour penser que ça pourrait être sympa de recouvrir les murs du couloir de glaces qui réfléchissent tout de manière déformées. C'est juste chiant pour les belles personnes comme moi, du coup on à l'air moche, c'est nul. Après, c'est sympa pour les moches parce qu'en général s'ils sont déjà laids ça peut difficilement être pire, et puis comme ça tous le monde est au même niveau donc ils se sentent moins moches, les moches. Mais franchement, pour les gens comme moi, les perfections, ou presque, de la nature, c'est juste une grosse blague, pas drôle, ou carrément une insulte à notre perfection. Oui, bon, d'accord, je pousse la narcissisme un peu loin, là, j'avoue. J'essaye d'aller le plus vite possible pour ne pas rester trop de temps en présence de mes reflets déformés et donc imparfaits. Du coin de l'oeil je remarque Tifenn qui avance dans le sens opposé au mien. « Hola morenita. » Que je dis en me plantant devant elle. « Non, non, tourne pas la tête de ce côté, j'ai l'air d'un petit gros. » Que je m'empresse de dire après avoir jeté un coup d'oeil au miroir sur notre gauche. Et bah, j'espère que je ressemblerais pas à ça quand je serais vieux, parce que franchement je fais peur. J'aurais presque envie de pleurer. Je me préoccupe pas trop du reflet de la brune, j'ai pas envie d'avoir une nouvelle vision d'horreur, parce qu'elle est mignonne en vraie mais il y a de grandes chances que son reflet dans l'une des glaces du couloir brise la belle image de fille mignonne que j'ai d'elle, donc je crois que je devrais fermer les yeux, ou me barrer en courant, il vaut mieux arrêter les frais. Mais Tifenn ne comprendrait plus rien si je le faisais, parce que l'aborderais puis m'en irais, donc en gros je lui foutrait un vent et c'est pas du tout mon intention, parce que je l'aime bien.

Le couloir des miroirs ce n’est pas vraiment sa tasse de thé à la brunette. Elle est loin d’être narcissique alors voir son portrait un petit peu partout, même en moche et déformé, ça ne l’enchante pas tant que ça. Ca l’enchante encore moins en fait. Alors quand elle passe par là la gamine baisse la tête et essaye de ne pas regarder sur les murs. Sauf que là, une voix masculine qu’elle connait plutôt bien va la rappeller à l’ordre et lui faire lever la tête. « Hola morenita. » Ce petit accent espagnol, elle pourrait le reconnaître entre mille. Esteban. Un sourire timide sur les lèvres, elle vient le saluer. « Non, non, tourne pas la tête de ce côté, j'ai l'air d'un petit gros. » La demoiselle ne comprend pas tout de suite ce qui est en train de se passer et, bien évidemment, elle fait ce qu’on lui dit de ne pas faire. En voyant le reflet du blondinet, Tifenn ne peut s’empêcher de laisser un rictus amusé s’envoler dans les airs. « Tu me fais vaguement penser à Quasimodo là. » dit-elle d’une voix toute douce en pointant le miroir de son index. Elle penche très légèrement la tête puis laisse ses pupilles azures se balancer entre le visage du garçon et le miroir. « Imagine si tu avais été moche, tu aurais ressemblait à ça. » Bon d’accord elle était un petit peu en train de se moquer de lui, mais il n’y avait strictement rien de méchant. Elle n’était jamais méchante la demoiselle. Allez savoir pourquoi, mais elle reprend la parole. « Enfin, j’veux pas dire que t’es beau, mais … J-je … » Oui parce qu’il ne faudrait pas non plus qu’il prenne tout ça comme une déclaration visant à lui dire qu’il était plutôt charmant comme garçon. Ne sachant plus que dire, elle se met à bafouiller comme une pauvre idiote. Il faut qu’elle se justifie, elle n’a plus le choix. « Enfin, tu … n’est pas moche non plus, tu es … juste comme il faut. » C’est peut-être encore pire ce qu’elle vient de dire. Il est juste comme il faut. Bon sang, elle aurait pu trouver autre chose tout de même. Elle sent que ses joues sont en train de devenir toutes rouges alors elle baisse la tête et essaye de se cacher. Elle se met même à jouer avec ses doigts comme une gamine qui vient de faire une bêtise et que l’on engueule. « Désolé. » qu’elle dit pour ponctuer son monologue. Bon sang, quelle idiote cette Tifenn.

En arpentant le couloir aux miroirs, je crois Tifenn la tête baissée, ne semblant pas non plus apprécier de voir son reflet déformé. Je l'aborde en la gratifiant du petit surnom que je lui ai trouvé dès notre première rencontre, puis l'intime de ne surtout pas tourner la tête, sinon elle tomberait sur un moi beaucoup plus petit et gros qu'à l'accoutumée. Mais bien évidement, Tifenn fait ce que je lui ai dis de ne pas faire, ce qui ne m'étonne pas vraiment, et elle se met à rire en m'annonçant que je lui fais penser à Quasimodo. Je me regarde un peu plus attentivement dans la glace. « Hm, ouais, c'est vrai qu'il y a un petit air de ressemblance. » Que je dis un sourire aux lèvres. Puis la demoiselle ajoute que si j'avais été moche j'aurais ressemblé à ce truc. Je souris d'un air fier, parce que ça veut dire qu'elle me trouve plutôt beau. Ou pas, vu ce qu'elle s'empresse d'ajouter. Puis elle se met à balbutier. « Sympa. » Que je grogne. Non mais ça va, j'ai compris depuis le sondage du mec le plus attirant qu'il y avait mieux que moi mais c'est pas non plus la peine de retourner le couteau dans la plaie. M'enfin bon, moi je me trouve plutôt pas mal et c'est bien là le principal. Elle essaye de se rattraper en déclarant que je ne suis pas moche non plus, que je suis juste comme il faut. « C'est à dire ? » Que je lui demande d'un air intrigué et un peu vexé. Je sais qu'elle va se sentir mal à l'aise, d'ailleurs elle se met à rougir et à jouer avec ses doigts, et au fond je crois que je fais ça exprès. C'est que j'ai envie de savoir ce qu'elle considère comme « juste comme il faut » quand même. Puis elle s'excuse. Je la regarde un instant d'un air un peu hautain, mais me radoucie rapidement. « Non mais c'est pas grave, fais pas cette tête. On m'a déjà dit pire que ça. » Oui, il faut relativiser dans la vie, et honnêtement, comme je viens de lui dire, on m'a fait comprendre que je n'étais pas le plus beau coq de la basse cour de bien pires façons, donc on ne va pas en faire toute une histoire. « Regarde, t'as gagné vingt bon centimètres grâce à celui-là. » Que je dis dans un sourire en désignant le reflet de la brune dans le miroir en face de celui qui m'a rendu petit et gros.